Nations Unies

CRC/C/86/D/76/2019

Convention relative aux droits de l ’ enfant

Distr. générale

17 août 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ enfant

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant établissant une procédure de présentation de communications, concernant la communicationno 76/2019 * , **

Communication présentée par :

R. Y. S (représentée par Fundación Raíces)

Victime (s) présumée (s) :

L’auteure

État partie :

Espagne

Date de la communication :

28 février 2019 (date de la lettre initiale)

Date des constatations :

4 février 2021

Objet :

Procédure de détermination de l’âge d’un présumé enfant non accompagné

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité ratione personae ; non-épuisement des recours internes

Article(s) de la Convention :

3, 8, 12, 16, 18 (par. 2), 20, 22, 27, 29 et 39

Article(s) du Protocole facultatif :

7 (al. c), e) et f))

1.1L’auteure de la communication est R. Y. S., de nationalité camerounaise, née le 10 mai 2001. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus aux articles 3, 8, 12, 16, 18 (par. 2), 20, 22, 27, 29 et 39 de la Convention. Elle est représentée par Fundación Raíces. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 avril 2014.

1.2Le 28 février 2019, le Groupe de travail des communications, agissant au nom du Comité et se fondant sur l’article 6 du Protocole facultatif, a demandé à l’État partie de transférer l’auteure dans un centre de protection des mineurs et de l’y maintenir tant que sa communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 31 août 2017, l’auteure est arrivée à Madrid via l’aéroport de Barajas. La police nationale espagnole l’a enregistrée comme mineure demandeuse d’asile. À son arrivée à l’aéroport, l’auteure n’a pas été interrogée car elle a été considérée comme mineure.

2.2L’auteure a été placée sous la tutelle de la Communauté autonome de Madrid et conduite au centre de premier accueil pour mineurs de Hortaleza, où elle est restée pendant deux mois. À son arrivée au centre, elle a fait l’objet d’un rapport médical indiquant que son apparence physique correspondait à celle d’une personne de 16 ans, âge qu’elle avait déclaré avoir. Ce même rapport décrit les séquelles physiques des violences qu’elle a subies de la part de son père au Cameroun. Au même moment, l’auteure a été interrogée aux fins de l’établissement de son dossier de tutelle et a dit être victime de persécution, expliquant avoir subi à plusieurs reprises des violences sexuelles de la part de son père.

2.3L’auteure soutient que, malgré cela, la Direction générale de la famille et des mineurs de la Communauté de Madrid, l’organisme chargé de sa tutelle et de sa protection en tant que mineure, n’a pris aucune des mesures nécessaires. Elle ne l’a pas informée de ses droits en tant que demandeuse d’asile, n’a, à plus forte raison, pas dressé de procès-verbal de notification de ses droits, et ne s’est pas mise en relation avec le Bureau de l’asile et du refuge. Elle ne l’a pas non plus aidée à faire une demande de protection internationale ou à obtenir un entretien avec les autorités compétentes, ni à obtenir les documents nécessaires à une demande d’asile.

2.4La direction du centre de premier accueil a exhorté l’auteure à contacter ses parents de manière à obtenir des documents prouvant sa minorité, ce qu’elle a refusé de faire car elle avait peur de se mettre en relation avec eux après les violences qu’elle avait subies dans sa famille. Sans tenir compte des raisons impérieuses pour lesquelles l’auteure refusait de prendre contact avec sa famille, et alors que l’intéressée avait l’apparence physique d’une mineure, ce que personne n’avait remis en cause jusqu’alors, le centre a demandé au parquet des mineurs de Madrid d’appliquer la procédure de détermination de l’âge.

2.5Le 2 novembre 2019, l’auteure a été conduite au parquet des mineurs de Madrid pour que lui soit appliquée la procédure en question. Le parquet, ne tenant pas non plus compte du besoin de protection internationale de l’auteure, n’a pris aucune mesure à cet égard et n’a pas fait mention, dans les décisions par lesquelles il a établi que l’auteure était majeure puis a refusé de revenir sur ces décisions, de la persécution et de la violence que l’auteure disait avoir subies. Il n’a pas non plus informé l’auteure de son droit de faire une demande de protection internationale.

2.6L’auteure déclare qu’elle n’a pas eu de représentation légale pendant le processus de détermination de l’âge et qu’elle n’a pas bénéficié des services d’un interprète lorsqu’elle a été examinée par un médecin légiste. Elle n’a pas été informée des résultats des examens médicaux effectués et n’a pas eu la possibilité de s’opposer à la réalisation des examens de détermination de l’âge auxquels elle a été soumise. Elle ajoute que son histoire, son état de santé, ses antécédents personnels ou familiaux n’ont pas été examinés au cours d’un entretien personnel ou dans le cadre d’une anamnèse et qu’aucune évaluation de sa maturité psychologique n’a été faite. Elle a seulement été soumise à un examen physique, y compris un examen de ses organes génitaux, pour lequel elle a dû se déshabiller complétement. Personne ne lui a expliqué pourquoi cet examen invasif était nécessaire ni quelles conséquences il pouvait avoir.

2.7L’auteure affirme que deux examens radiologiques ont été effectués : a) une radiographie du carpe, qui a permis d’établir, d’après l’Atlas de Greulich et Pyle, qu’elle avait 17 ans ; b) une radiographie de la mâchoire qui, selon le premier rapport médico-légal, était de très mauvaise qualité et n’était donc pas exploitable. Pourtant, un autre médecin légiste n’ayant pas examiné l’auteure a déclaré dans son rapport du 8 novembre 2017 que « l’évaluation globale de l’âge osseux, l’étude de la dentition et l’étude des caractères sexuels secondaires permettent d’établir l’âge osseux à 18 ans au moins ». Dans ce même rapport, il fait référence à la radiographie du carpe, indiquant que « la radiographie du carpe et de la main gauche établit l’âge osseux à 18 ans au moins », ce qui sera reconnu par la suite devant le tribunal comme étant une erreur. Le médecin légiste n’a pas appliqué la marge d’erreur scientifiquement admise de vingt à vingt-quatre mois pour ce type d’examen.

2.8Le 8 novembre 2017, le parquet a rendu une décision établissant que l’auteure était majeure, indiquant expressément que cette décision n’était pas susceptible de recours. L’auteure dit que la Communauté de Madrid l’a expulsée du centre de premier accueil d’Hortaleza quelques jours avant que soit rendue la décision administrative de refus de la tutelle. Elle n’a pas été informée de cette décision. Aucune tentative n’a été faite pour notifier personnellement l’intéressée, comme le montre le dossier administratif de protection, qui est le rapport complet que l’organisme de protection a fourni au tribunal administratif et dans lequel sont consignées toutes les démarches. L’auteure indique que cette décision administrative était, compte tenu de ce qui était indiqué dans la décision relative à sa majorité, la seule décision contre laquelle elle pouvait introduire un recours. Elle s’est alors retrouvée dans une situation de très grande vulnérabilité.

2.9Le 24 novembre 2017, l’auteure a déposé un recours auprès du tribunal administratif contre la décision relative à la majorité. Ce recours a été rejeté, le tribunal ayant estimé qu’il ne pouvait pas faire droit à la demande car la décision relative à la détermination de l’âge était insusceptible de recours. L’auteure explique que son recours a été rejeté après une audience et après que le tribunal a demandé au parquet de produire le dossier dans lequel étaient consignées toutes les mesures de détermination de l’âge. C’est seulement à ce moment-là qu’elle a eu accès aux résultats des examens médicaux et des procédures policières menées à l’aéroport.

2.10Le 15 janvier 2018, au vu de l’ensemble du dossier, et en particulier des rapports médicaux − qui contenaient une erreur de transcription, puisqu’il avait été établi, sur la base de la radiographie du carpe, que l’auteure avait 17 ans et non 18 ans comme l’a écrit le médecin légiste, l’auteure a demandé au parquet des mineurs que l’erreur figurant dans le rapport médico-légal soit corrigée. Le 25 janvier 2018, sa demande a été rejetée, le parquet ayant jugé qu’il n’y avait pas lieu qu’il revienne sur sa décision. Lorsque le parquet a demandé au médecin légiste de revoir son rapport, ce dernier a confirmé son rapport du 8 novembre 2017.

2.11Le 18 janvier 2018, l’auteure a présenté au Défenseur du peuple une requête dont l’examen a été suspendu en raison des procédures judiciaires en cours.

2.12Le 8 février 2018, l’auteure a déposé une plainte auprès du Conseil de la justice, de l’intérieur et des victimes de la Communauté de Madrid au motif que le parquet n’avait pas revu sa décision relative à la détermination de l’âge alors qu’il y avait une erreur dans le rapport médico-légal. Le 10 juillet 2018, la rectification demandée a été refusée.

2.13Toujours le 8 février 2018, l’auteure, accompagnée d’une avocate, a déposé une demande d’asile auprès du Bureau de l’asile et du refuge. Elle a fait part de son intention de contester la décision par laquelle elle avait été déclarée majeure. Cependant, le Bureau de l’asile et du refuge l’a enregistrée en tant que demandeuse d’asile majeure, sur la base de la décision rendue par le parquet. L’auteure s’est vu attribuer une place dans le système d’hébergement des demandeurs d’asile adultes, qui, comme le montrent les rapports de l’organisation non gouvernementale (ONG) Rescate, qui gère cet hébergement, n’est pas une solution adaptée à son cas. En juin 2018, l’auteure a de nouveau demandé au Bureau de l’asile et du refuge de la considérer comme mineure dans le contexte de sa demande d’asile, mais elle n’a pas obtenu de réponse.

2.14Le 12 février 2018, l’auteure a contesté la décision par laquelle il a été mis fin à sa tutelle en tant que mineure auprès du tribunal de première instance no 75 de Madrid, en demandant des mesures conservatoires urgentes. Le tribunal a rejeté la demande le 21 juin 2018. L’auteure a déposé un recours devant l’Audiencia Provincial de Madrid, lequel a été rejeté en novembre 2018. En décembre 2018, l’auteure a présenté un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel, auquel elle a également demandé d’adopter des mesures conservatoires. Elle indique qu’au moment de son exposé des faits, elle n’avait reçu aucune réponse quant à la recevabilité de ce recours et qu’aucune décision n’avait été rendue au sujet des mesures demandées.

2.15Le 3 décembre 2018, le tribunal de première instance no 75 a rendu une décision par laquelle il rejetait le recours formé contre la décision de cessation de la tutelle. Dans cette décision, il n’examinait pas les atteintes portées aux droits de l’auteure pendant la réalisation des examens, que l’intéressée avait dénoncées.

2.16Le 3 janvier 2019, l’auteure a déposé un recours devant l’Audiencia Provincial de Madrid ; ce recours était toujours en instance au moment où la présente communication a été soumise. L’auteure souligne toutefois qu’elle aura déjà plus de 18 ans lorsque l’Audiencia Provincial statuera sur ce recours, qui n’aura donc aucun effet pratique.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que, lors du processus de détermination de l’âge, l’État partie n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que consacré à l’article 3 de la Convention en ne respectant pas la présomption de minorité et en ne lui accordant pas le bénéfice du doute. Elle soutient que plusieurs données objectives appuyaient la présomption de minorité : a) les documents qu’elle avait fournis et qui indiquaient qu’elle était née le 10 mai 2001 (carnet de vaccination, carte scolaire et autres documents scolaires) ; b) le rapport médical établi au centre de premier accueil ; c) son apparence physique, qui était celle d’une mineure ; d) les rapports psychosociaux établis par des spécialistes, joints aux décisions de justice, indiquant que le comportement et la maturité de l’auteure étaient compatibles avec l’âge qu’elle disait avoir ; e) sa radiographie du carpe, jugée par une spécialiste comme étant compatible avec un âge de 17 ans d’après l’Atlas de Greulich et Pyle, évaluation confirmée devant le tribunal par la spécialiste, qui a estimé que, compte tenu de la marge d’erreur pour ce type d’examen, les résultats étaient compatibles avec l’âge que l’intéressée disait avoir au moment de la radiographie, soit 16 ans et demi ; f) l’erreur initiale faite par le médecin légiste dans son rapport (dans lequel il avait indiqué que la radiographie du carpe permettait d’établir l’âge de l’auteure à 18 ans au lieu de 17) et l’application incorrecte de la marge d’erreur aux examens radiologiques, contraire à l’approche scientifique définie dans le document sur les bonnes pratiques adopté par les instituts de médecine légale d’Espagne aux fins de la détermination de l’âge. L’auteure ajoute que les décisions du parquet et du tribunal de première instance ne font aucunement mention de son intérêt supérieur ni de sa situation sur le plan personnel, social et psychologique ou de ses besoins de protection et de prise en charge, en tant que demandeuse d’asile possiblement mineure.

3.2L’auteure affirme que l’État partie a également violé l’article 3 de la Convention lu conjointement avec l’article 18 (par. 2) et l’article 20 (par. 1), en ne lui assignant pas de tuteur ou de représentant afin qu’elle soit correctement représentée et protégée pendant la procédure de détermination de l’âge et la procédure d’asile.

3.3L’auteure affirme que l’État partie a violé le droit à l’identité qu’elle tient de l’article 8 de la Convention. Elle indique que l’âge est un élément essentiel de l’identité et que l’État partie est tenu de préserver son identité sans ingérence, ainsi que de conserver et de préserver les données qui la constituent.

3.4L’auteure se dit victime d’une violation de l’article 12 de la Convention car elle n’a été entendue par aucune des autorités de l’État partie. Elle a dit à plusieurs reprises qu’elle devait éviter tout contact avec les membres de sa famille d’origine en raison du préjudice qu’elle avait subi, en particulier de la part de son père, soulignant qu’elle ne pouvait pas non plus contacter sa mère parce que celle-ci, au lieu de la soutenir, s’était rangée du côté de son père. Elle n’a pas de proche ou d’autre personne de confiance sur laquelle elle pourrait s’appuyer. Elle n’a plus aucun lien avec son pays et est donc très vulnérable et tributaire des services de protection espagnols. Elle affirme que, depuis son arrivée en Espagne, elle a toujours été cohérente dans son récit, comme en témoignent les rapports psychosociaux selon lesquels les signes externes et les signes comportementaux constatés sont compatibles avec la situation qu’elle a vécue, qui n’ont même pas été mentionnés dans la décision du tribunal de première instance, alors qu’ils avaient été admis comme preuves. L’auteure ajoute que le fait qu’elle n’ait pas disposé des services d’un représentant légal et d’un interprète dès le début de la procédure de détermination de l’âge a fortement porté atteinte à sa capacité d’exercer son droit d’être entendue.

3.5L’auteure fait valoir que l’État partie a violé son droit de ne pas subir d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, reconnu à l’article 16 de la Convention, les examens de détermination de l’âge ayant été effectués sans son consentement éclairé. Elle affirme que, alors qu’il n’existe aucun document montrant qu’elle a consenti à ces examens, le procureur les a néanmoins jugés valables.

3.6L’auteure fait valoir qu’il est particulièrement grave de l’avoir soumise, aux fins de l’évaluation de sa maturité sexuelle, à un examen invasif de ses organes génitaux pour lequel elle a dû se déshabiller entièrement, étant donné qu’elle a dit avoir subi des violences sexuelles dans sa famille, ce qui aurait dû amener les autorités à évaluer soigneusement la nécessité de procéder à un tel examen. En outre, il existait déjà un rapport médical rendant compte de l’examen général auquel elle avait été soumise à son arrivée au centre d’accueil, et qui comportait des informations sur son état physique, y compris ses organes génitaux ; il n’était donc pas nécessaire qu’elle se dénude à nouveau. L’auteure considère que l’obliger à se mettre entièrement nue sans nécessité médicale, uniquement aux fins de la détermination de son âge, sans l’avoir informée, dans une langue qu’elle comprenait, de la raison pour laquelle elle devait se déshabiller, constitue une atteinte à sa dignité. Elle indique que, comme le Guide pratique d’EASO (Bureau européen d’appui en matière d’asile) sur l’évaluation de l’âge indique qu’en moyenne, les filles atteignent la pleine maturité sexuelle à l’âge de 16 ans et qu’elle avait dit avoir 16 ans et demi, cet examen était inutile et ne fournissait pas d’informations pertinentes.

3.7L’auteure soutient en outre que l’article 20 de la Convention a été violé en ce que l’État partie ne lui a pas garanti la protection qui lui était due en sa qualité d’enfant privé de son milieu familial.

3.8L’auteure affirme également être victime d’une violation de l’article 22 de la Convention car elle a dû présenter sa demande d’asile en tant qu’adulte. En outre, les autorités ont considéré qu’elle était majeure au moment où elle s’est enfuie de son pays d’origine et a présenté une demande de protection, ce qui pourrait avoir un effet sur le traitement de sa demande et son issue. Comme elle a été considérée comme majeure, elle n’a pas bénéficié de la protection spéciale accordée par la loi sur l’asile aux demandeurs d’asile particulièrement vulnérables, dont elle faisait partie en tant qu’enfant étranger non accompagné. De même, conformément au protocole-cadre relatif aux procédures applicables aux mineurs étrangers non accompagnés, l’organisme de tutelle aurait dû lui fournir des informations sur ses droits en tant que demandeuse d’asile et sur la procédure. L’auteure a également été privée du droit d’être assistée d’un représentant chargé de veiller au respect de ses droits en tant qu’enfant non accompagné dans le cadre de la procédure d’asile.

3.9L’auteure se dit également victime d’une violation des droits qui lui sont reconnus aux articles 27 et 29 de la Convention au motif que, son intérêt supérieur n’ayant pas été respecté, elle n’a pas pu développer pleinement toutes ses facultés. Non seulement elle n’a pas eu de tuteur pour la guider, mais elle n’a pas bénéficié non plus, ce qui est particulièrement grave, de l’accompagnement social et psychologique dont elle avait besoin compte tenu des violences qu’elle avait subies. Elle aurait dû être placée dans un centre pour mineurs et bénéficier d’une prise en charge psychologique et sociale adaptée aux enfants victimes de violences. En outre, elle n’a pas pu suivre un enseignement formel qui lui aurait permis de faire des études universitaires, ce qui a toujours été son souhait. Elle explique que le fait de ne pas être considérée comme une mineure sous tutelle a des effets directs en ce qu’elle ne peut obtenir un titre de séjour qui lui permettrait de jouir de tous ses droits en Espagne, notamment dans le cas où sa demande d’asile serait rejetée.

3.10En outre, l’auteure affirme que les droits qu’elle tient de l’article 39 de la Convention ont été violés puisque, même si elle a bénéficié d’un accompagnement psychologique, celui‑ci n’a pas été adéquat car il n’a pas été assuré par des spécialistes de la prise en charge des mineurs, sachant en particulier qu’elle a été victime de violences sexuelles.

3.11Comme solutions possibles, l’auteure propose : a) que l’État partie reconnaisse qu’elle est mineure ; b) qu’il la traite comme une mineure en lui fournissant un hébergement adapté à son âge et à sa situation ; c) que son âge soit modifié sur les documents dont elle dispose en tant que demandeuse d’asile et que sa demande de protection internationale soit examinée compte tenu de son statut de mineure ; d) qu’il lui soit permis, à ses 18 ans, de bénéficier d’une période de transition vers la vie adulte pendant laquelle elle continuerait de bénéficier des conditions d’hébergement nécessaires à la poursuite de son traitement, en particulier l’accompagnement psychologique spécialisé ; e) que lui soient reconnus tous les droits attachés à son statut de mineure, comme le droit d’être protégée par les administrations compétentes, le droit à un représentant légal et le droit à l’éducation ; f) que les autorités lui accordent un permis de séjour en tant que mineure placée sous tutelle dont le statut est compatible avec le traitement d’une demande de protection internationale ; g) que l’État partie lui accorde réparation pour le préjudice subi pendant toute la période au cours de laquelle ses droits ont été violés.

Observations complémentaires de l’auteure

4.1Dans ses observations du 3 avril 2019, l’auteure souligne que, le 14 mars 2019, l’Audiencia Provincial de Madrid a rendu une décision par laquelle elle accueillait le recours et fixait à septembre 2019 la date limite pour son examen, et rejetait la demande de traitement préférentiel soumise par l’auteure au motif qu’elle était sur le point de devenir majeure. L’auteure a fait appel de cette décision devant l’Audiencia Provincial de Madrid ; le recours était toujours en instance au moment de la présentation des observations complémentaires.

4.2L’auteure indique, que comme suite à la demande de mesures provisoires soumise par le Comité, elle a eu avec des représentants de la Communauté de Madrid et de l’ONG Rescate un entretien au cours duquel on lui a proposé de l’accueillir dans une structure pour mineurs uniquement jusqu’au 10 mai 2019, date à laquelle elle deviendrait majeure. On lui a également donné la possibilité de rester dans l’appartement de Rescate, ce qu’elle a choisi de faire. L’auteure souligne que la Communauté de Madrid, qui avait pourtant été informée qu’elle avait désigné des avocates de la Fondation Raíces pour la représenter, n’a jamais informé les intéressées de cet entretien.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans ses observations du 7 août 2019, l’État partie souligne que, le 29 août 2017, l’auteure est arrivée à l’aéroport de Madrid-Barajas en provenance de Malabo, sous couvert, selon ses propres déclarations et les informations en possession de la compagnie aérienne, d’un passeport camerounais donnant pour date de naissance le 10 mai 1991. Ce passeport a été détruit pendant le voyage. À son arrivée, l’auteure a déclaré à la police qu’elle était mineure et qu’elle était née le 10 mai 2001. Elle a exprimé son intention de demander l’asile, mais a refusé de signer une demande. L’État partie affirme que l’auteure a bénéficié gratuitement de l’assistance d’une avocate et d’un interprète dès son entrée illégale en Espagne.

5.2Le 30 août 2017, l’auteure a été admise au centre de premier accueil pour mineurs de la Communauté de Madrid de Hortaleza, où elle a été prise en charge en tant que mineure. La Communauté de Madrid l’a invitée à fournir un document officiel attestant son identité et sa date de naissance. Comme l’auteure a refusé de faire des démarches pour obtenir le document demandé, le dossier a été transmis au parquet aux fins de la détermination de l’âge de l’intéressée.

5.3Le 2 novembre 2017, en présence du procureur, l’auteure a été informée des examens médicaux et radiologiques nécessaires pour déterminer son âge et a consenti à ces examens. Un examen physique, une radiographie du carpe et un panoramique dentaire ont été réalisés. Les résultats de deux des trois examens pratiqués − l’examen physique et le panoramique dentaire − étaient compatibles avec une majorité de l’auteure, tandis que ceux du troisième la radiographie du carpe − étaient compatibles avec un âge évalué à 17 ans. Dans son évaluation globale, le médecin légiste a conclu que l’auteure avait plus de 18 ans.

5.4Le 8 novembre 2017, le procureur a rendu une décision dans laquelle il concluait que, compte tenu de l’année de naissance (1991) figurant sur le passeport officiel que l’auteure disait avoir eu en sa possession et qu’elle avait détruit, ainsi que de l’évaluation médico‑légale, l’auteure devait être, sauf preuve du contraire, provisoirement considérée comme majeure. En l’absence de nouvelles preuves et compte tenu de la confirmation apportée par un deuxième médecin légiste, il a refusé de revenir sur la détermination provisoire de l’âge.

5.5Le 15 novembre 2017, la Communauté autonome de Madrid a décidé de ne pas adopter de mesure de tutelle administrative à l’égard de l’auteure. Aucune nouvelle preuve n’ayant été fournie ou demandée, l’auteure n’a pas été autorisée à faire appel de cette décision devant les tribunaux. Elle a quitté le centre de premier accueil pour mineurs d’Hortaleza pour un centre pour adultes géré par l’ONG Save a Girl Save a Generation.

5.6Le 8 février 2018, l’auteure a déposé sa première demande d’asile écrite, avec l’aide d’une avocate et d’un interprète. Depuis, elle est prise en charge par l’ONG Rescate, qui agit de concert avec le Ministère espagnol du travail, des migrations et de la sécurité sociale, et a bénéficié des mesures ci-après, compte tenu du fait que, bien qu’elle soit, d’un point de vue juridique, provisoirement considérée comme majeure, elle peut avoir des besoins particuliers : a) évaluation psychologique approfondie et accompagnement psychologique, pouvant aboutir à une orientation vers l’unité de pédopsychiatrie ; b) mise à sa disposition d’une chambre individuelle dans un appartement partagé avec cinq femmes ; c) prise en charge médicale et sociale ; d) accès à une formation professionnelle de base en bureautique.

5.7L’État partie souligne que, dès que la demande de mesures provisoires soumise par le Comité a été reçue, elle a été transmise à la Communauté autonome de Madrid. Un entretien a eu lieu dans ce contexte avec les représentants de l’auteure, l’auteure elle-même et l’ONG Rescate − qui s’occupe de l’intéressée en tant qu’adulte demandeur d’asile, en tenant compte des besoins qu’elle pourrait avoir dans l’hypothèse où elle serait mineure. L’auteure a déclaré qu’elle ne souhaitait pas être transférée dans un centre de protection des mineurs car elle se considérait bien prise en charge à ce moment-là.

5.8Le 6 août 2019, l’auteure s’est vu accorder l’asile et, partant, a obtenu un permis de séjour et de travail.

5.9L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. c) et f)) du Protocole facultatif parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication et qu’elle est manifestement mal fondée.

5.10L’État partie fait valoir que l’auteure n’a jamais été négligée par les autorités nationales. Dès qu’elle est arrivée en Espagne, les autorités ont traité sa demande d’asile et tenu compte du fait que l’auteure se disait mineure, et elle a été orientée vers les services publics de prise en charge des mineurs non accompagnés aux fins des vérifications nécessaires. L’auteure a immédiatement été recueillie par la Communauté autonome de Madrid qui, devant son manque de coopération, a saisi le procureur. Une fois réalisés les examens médicaux appropriés, les autorités ont conclu que l’intéressée devait être considérée provisoirement, d’un point de vue juridique, comme majeure. L’auteure a ensuite bénéficié d’un autre service public gratuit destinée à favoriser son intégration sociale en tant que demandeuse d’asile. L’État partie souligne que les solutions possibles que l’auteure présente à la fin de sa communication ne servent en rien son intérêt.

5.11L’État partie souligne en outre que la décision relative à l’asile indique expressément que la date de naissance qui est, à l’heure actuelle, légalement considérée comme étant celle de l’auteure, à savoir le 10 mai 1991, est une date présumée, de sorte que, si l’auteure produisait un passeport camerounais − qu’elle peut demander sans l’aide des membres de sa famille puisqu’elle est majeure −, sa date de naissance officielle réelle serait enregistrée.

5.12L’État partie fait également valoir que la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif pour non-épuisement de tous les recours internes, car l’auteure n’a pas attendu que soit rendue une décision en ce qui concerne le recours introduit en matière d’asile, qui était un recours interne utile, comme le montre le fait que, le 6 août 2019, elle a obtenu l’asile ainsi que le droit de résider et de travailler en Espagne.

5.13En ce qui concerne les autres recours dont l’auteure s’est prévalue − demande adressée au procureur pour qu’il revienne sur la décision établissant son âge à titre provisoire et recours introduit devant les tribunaux civils contre le refus de lui accorder la tutelle − l’État partie considère que l’auteure a épuisé ces recours seulement en théorie et a manqué de diligence, ce qui leur ôte leur utilité. L’auteure n’a fourni aucune preuve fiable de son âge, qu’il s’agisse de documents (par exemple, un passeport officiel ou un document contenant des données biométriques) ou d’expertises (expertises médicales, psychologiques, etc.). Elle n’a pas saisi les tribunaux pour que des preuves médicales soient recueillies et n’en a pas non plus recueilli de sa propre initiative afin de les soumettre au procureur ou aux tribunaux.

5.14L’État partie considère également que la raison pour laquelle la communication a été soumise a cessé d’exister et que le Comité devrait mettre fin à l’examen de la communication, conformément à l’article 26 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, parce que l’auteure est maintenant majeure. En outre, elle a obtenu le droit d’asile et, partant, a le droit de vivre et de travailler en Espagne.

5.15En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie fait valoir que les informations qu’il fournit montrent que, contrairement à ce qu’affirme l’auteure, celle-ci a été bénéficié gratuitement de l’assistance d’interprètes et d’avocats spécialisés. L’auteure a également donné son consentement éclairé devant le procureur, avec l’assistance d’un interprète, avant la réalisation des examens médicaux.

5.16L’État partie fait valoir qu’il a toujours pris en considération l’intérêt supérieur de l’auteure en tant demandeuse d’asile, et en particulier ses besoins en ce qui concerne sa santé psychologique et son développement, indépendamment du fait qu’elle soit mineure ou majeure. Il souligne que le passeport officiel que l’auteure dit avoir eu en sa possession pour son voyage attestait qu’elle était majeure et que les informations qu’elle donne sur l’identité de la personne qui lui a fourni les documents et financé son voyage sont très confuses. Il juge étrange qu’une mineure dispose de ressources financières suffisantes pour émigrer par avion du Cameroun jusqu’au Pérou (destination finale du billet).

5.17L’État partie fait également valoir que nul n’a contesté l’identité de l’auteure − à savoir son nom et sa nationalité − et qu’il a simplement été difficile de connaître sa date de naissance réelle.

5.18L’État partie note que, comme cela peut être vérifié, l’auteure a été entendue par toutes les autorités qui sont intervenues à son sujet. Elle a même bénéficié d’un accompagnement psychologique personnalisé très étroit, avec des séances fréquentes, et les autorités compétentes ont, en permanence, été guidées par la nécessité de favoriser sa réadaptation physique, psychologique et sociale. De même, les besoins de l’auteure en matière d’hébergement, d’alimentation, d’habillement, d’hygiène, de santé, d’éducation et d’intégration sociale ont toujours guidé l’action des pouvoirs publics de l’État partie.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

6.1Dans ses commentaires du 16 décembre 2019, l’auteure indique que, le 16 juillet 2019, l’Audiencia Provincial de Madrid a rendu une décision par laquelle elle a rejeté le recours introduit contre la décision du tribunal de première instance. Dans cette décision, l’Audiencia Provincial ne s’est pas prononcée sur la question de la violation des droits et garanties dans le cadre de la procédure de détermination de l’âge, qui avait été soulevée dans le recours. Elle a fait valoir que le recours était devenu sans objet, allant jusqu’à affirmer qu’elle ne comprenait pas ce que l’auteure entendait faire avec le recours en question.

6.2Le 10 septembre 2019, l’auteure a introduit un pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême pour vice de procédure. Le Tribunal suprême ne était pas encore prononcé sur la question à la date de présentation des commentaires. L’auteure souligne qu’aucune décision n’a encore été rendue concernant la recevabilité du recours en amparo introduit devant le tribunal constitutionnel le 3 décembre 2018 pour violation du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective sous forme de mesures conservatoires.

6.3L’auteure indique qu’une fois qu’elle a eu 18 ans et que, par conséquent, la décision établissant qu’elle était majeure était devenue sans effet, elle a de nouveau demandé au Bureau de l’asile et du refuge de modifier la date de naissance inscrite dans son dossier d’asile. Le 20 juin 2019, le Bureau a refusé de modifier sa date de naissance, indiquant qu’un tel changement ne serait effectué que si l’auteure produisait un passeport ou une copie de son acte de naissance. L’auteure continue d’éprouver une crainte insurmontable à l’idée d’entrer en contact avec sa famille ou de solliciter le consulat du Cameroun à Madrid, car elle est encore mineure au regard de la loi camerounaise.

6.4L’auteure soutient que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, son dossier de protection internationale n’a pas été traité dès le départ, puisqu’elle n’a soumis sa demande de protection internationale qu’en février 2018. Elle répète que les autorités n’ont pris aucune mesure pour l’informer sur la procédure d’asile, et qu’elles ne l’ont pas non plus mise en relation avec un avocat spécialisé.

6.5L’auteure fait observer que les documents fournis par l’État partie ne font aucunement mention de procédures menées à l’aéroport pour lesquelles elle aurait eu l’assistance d’un conseil ou d’un interprète et ne comportent par exemple aucune signature ou référence à leur présence ou à leur identité. Il est indiqué en revanche qu’elle a demandé une telle assistance. Les documents ne portent aucune signature de policier ni aucune annotation faisant référence au refus de l’auteure de signer. L’auteure indique que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, aucun conseil ou représentant ne lui a été assigné pour l’informer de ses droits en tant que demandeuse d’asile dans les mois suivant son entrée en Espagne. De même, il apparaît qu’elle n’a jamais été assistée par un représentant tout au long du processus de détermination de l’âge. Lors de l’entretien initial qu’elle a eu dans le cadre de sa demande d’asile, en février 2018, elle n’a pas non plus bénéficié d’une assistance juridique de la part de l’État partie.

6.6L’auteure souligne que, bien que les violences sexuelles qu’elle a subies dans sa famille aient été connues de l’organisme public de protection des mineurs depuis août 2017, elle n’a bénéficié d’un accompagnement psychologique que huit mois après son arrivée en Espagne. Cet accompagnement a été assuré par l’organisation Rescate jusqu’en novembre 2018. L’auteure indique que cet accompagnement n’a pas été assuré par des spécialistes de la violence à l’égard des enfants.

6.7L’auteure tient à souligner que, comme le montre le dossier, ni la police ni le centre pour mineurs ou le parquet n’ont à aucun moment exprimé de doutes quant au fait qu’elle avait l’apparence physique d’une mineure. Le protocole-cadre relatif aux procédures applicables aux mineurs étrangers non accompagnés autorise à ne pas appliquer de procédure de détermination de l’âge lorsque la minorité de l’intéressé semble incontestable. De plus, l’auteure dit ne pas avoir été entendue lorsqu’il s’est agi de déterminer le poids à accorder aux seuls documents qu’elle avait en sa possession et qu’elle a présentés (carte scolaire, carnet de vaccination et documents scolaires), et qui portaient sa date de naissance. Elle dit que l’État partie semble ignorer qu’au Cameroun l’âge de la majorité légale est 21 ans et non 18 ans. La raison pour laquelle elle n’a pas fait de démarches pour obtenir les documents demandés, à savoir la crainte que sa famille la retrouve et continue à exercer d’une manière ou d’une autre des violences à son encontre, avec le pouvoir que lui donne la loi camerounaise, reste valable à ce jour.

6.8De même, le principe de la présomption de minorité n’a pas été appliquée, pas plus que les lignes directrices figurant dans le document sur les bonnes pratiques adopté par les instituts de médecine légale, qui précisent que, selon ce même principe, lorsque les différents examens donnent des résultats divergents, c’est l’estimation la plus basse qui doit être prise en considération.

6.9En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle n’a pas fourni de nouveaux éléments de preuve lorsqu’elle a demandé le réexamen de la décision par laquelle elle a été déclarée majeure, l’auteure précise qu’elle n’a eu accès aux résultats des examens radiologiques qu’après avoir engagé une action en justice avec l’aide d’un avocat de Fundacion Raices. Considérant que des erreurs manifestes ont été commises, à savoir la transcription incorrecte qui a été faite par le médecin légiste des résultats de la radiographie du carpe, elle demande que la décision soit réexaminée. Le parquet s’est contenté de demander un nouveau rapport médico-légal, dans lequel le même médecin légiste a confirmé les conclusions de son rapport précédent. Le parquet a accepté ce rapport sans émettre de réserve ni procéder à une nouvelle interprétation et sans appliquer le bénéfice du doute.

6.10En ce qui concerne l’accès à l’éducation, l’auteure rappelle qu’elle avait demandé à poursuivre sa scolarité afin de pouvoir faire ensuite des études universitaires. Cependant, elle n’a pas pu accéder au système d’enseignement public adapté à son âge parce qu’elle n’avait pas de tuteur légal et qu’elle avait été déclarée majeure par le parquet. Elle n’a eu accès qu’au système d’enseignement pour adultes, ce qui ne répondait pas à ses besoins. Le fait qu’elle n’ait pas eu accès à l’éducation en tant que mineure a grandement contribué à son sentiment de découragement et d’abandon.

6.11En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle elle a quitté le centre de premier accueil pour mineurs d’Hortaleza pour le centre pour adultes géré par l’ONG Save a Girl Save a Generation, l’auteure souligne qu’elle n’a pas quitté le centre mais qu’elle en a été expulsée en application d’une décision qu’elle a accueillie en larmes et à laquelle elle n’a rien compris. Après avoir été expulsée du centre, elle a passé trois jours au centre géré par Save a Girl, puis a été transférée dans un centre d’hébergement de l’association Karibu, qui accueille des Africaines adultes, dont beaucoup ont des enfants.

6.12En ce qui concerne le respect par l’État partie de la mesure provisoire, l’auteure explique que, comme suite à la demande de mesures provisoires présentée par le Comité tendant à ce qu’elle soit transférée dans un centre de protection des mineurs, l’administration a prolongé son séjour dans l’appartement de l’organisation Rescate. Sa situation en matière d’hébergement a donc changé et elle n’est plus sous le coup d’une obligation de quitter les lieux.

6.13En ce qui concerne les arguments de l’État partie selon lesquels les recours internes n’ont pas été épuisés, l’auteure réaffirme que la communication porte sur la violation de ses droits en tant que mineure et que le préjudice subi n’a pas été réparé par l’octroi de l’asile. En ce qui concerne la procédure judiciaire engagée contre la décision de ne pas lui accorder la tutelle, elle fait valoir que cette procédure n’est pas opportune pour contester la décision relative à l’âge, compte tenu notamment de la position du parquet, qui a toujours défendu sa propre décision plutôt que ses intérêts à elle en tant que personne possiblement mineure.

6.14Face à l’accusation de manque de diligence concernant les procédures engagées par ses avocates, l’auteure affirme : a) que des rapports psychosociaux établis par la psychologue et la travailleuse sociale de l’organisation Rescate, et confirmant que ses caractéristiques psychologiques, son comportement et sa maturité correspondaient à l’âge qu’elle disait avoir ont été produits et admis comme éléments de preuve mais n’ont pas été pris en compte au moment de la décision ; b) que les violations des droits commises au cours de la procédure de détermination de l’âge ont été dénoncées et étayées de la même manière que les violations reconnues par le Comité dans d’autres décisions concernant le réexamen de la procédure de détermination de l’âge en Espagne ; c) que l’avis d’un expert a été demandé, en la personne de la radiologue spécialisée qui a confirmé devant le tribunal de première instance no 75 de Madrid que la comparaison de la radiographie du carpe avec l’Atlas de Greylich et Pyle permettait d’estimer l’âge de l’auteure à 17 ans, ce qui était compatible avec l’âge qu’elle disait avoir à l’époque, à savoir 16 ans et demi ; d) que le médecin légiste a également comparu devant le tribunal à la demande des représentantes de l’auteure, et a déclaré qu’il n’appliquait pas la marge d’erreur de vingt à vingt-quatre mois reconnue par le parquet et par la communauté scientifique, mais une marge d’erreur de douze mois. Il n’a pas indiqué dans ses rapports ni n’a pu expliquer à l’audience de quelle manière il avait appliqué cette marge d’erreur. En outre, il a reconnu qu’il y avait une erreur de transcription initiale dans son rapport médico-légal du 8 novembre 2018 ; e) que le tribunal puis l’Audiencia ont refusé que comparaisse un autre médecin légiste qui aurait procédé à l’examen des caractéristiques sexuelles de l’auteure.

6.15L’auteure affirme que, comme elle l’a systématiquement reconnu dans toutes les déclarations qu’elle a faites devant les autorités nationales, elle a été obligée de voyager avec un faux passeport. Elle explique que cela est très courant pour les demandeurs d’asile. Elle a eu besoin d’aide pour organiser son voyage, car c’était pour elle la seule façon d’échapper à la situation dans laquelle elle se trouvait.

6.16Bien que l’auteure ait été reconnue comme réfugiée et qu’elle ait plus de 18 ans, l’État a refusé de rectifier la date de naissance figurant sur ses documents, lui demandant de fournir des pièces d’identité qu’elle ne peut obtenir parce qu’elle est victime de persécution, comme elle l’a déjà indiqué, et pour toutes les autres raisons qu’elle a déjà invoquées. Les demandeurs d’asile majeurs qui ne peuvent pas fournir de documents émis par leur pays d’origine se voient généralement attribuer la date de naissance qu’ils ont indiquée. En conséquence, l’auteure réaffirme que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 20 de son règlement intérieur au titre du Protocole facultatif, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles parce que : a) elle n’a pas attendu la décision relative au recours introduit en matière d’asile, qui était un recours interne utile, comme le montre le fait, que le 6 août 2019, elle a obtenu l’asile ; b) elle a épuisé les recours seulement en théorie et non de manière effective, car elle n’a pas fourni de preuve fiable de son âge. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel le préjudice subi du fait de la violation de ses droits n’a pas été réparé par l’octroi de l’asile que, de surcroît, elle a demandé en tant qu’adulte et non en tant que mineure. Il observe que l’auteure a fait un usage effectif des recours disponibles tant devant le parquet des mineurs que devant les tribunaux administratifs et civils, en fournissant des documents et en demandant des expertises pour tenter de prouver qu’elle était mineure. Par conséquent, il considère que l’article 7 (al. e)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la présente communication.

7.3Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au regard de l’article 7 (al. c) et f)) du Protocole facultatif au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et est manifestement mal fondée, parce qu’il a tenu compte des allégations de l’auteure selon lesquelles elle était mineure et parce que, après qu’il a conclu, à titre provisoire, que l’auteure était majeure, celle-ci n’a fourni aucune preuve documentaire ou médicale du contraire. Le Comité prend toutefois note de l’argument de l’auteure selon lequel l’octroi de l’asile, qu’elle a demandé en tant qu’adulte, ne constitue pas une réparation pour les violations qu’elle a subies en tant que mineure depuis son arrivée en Espagne et qu’elle a dénoncées devant le Comité, notamment le fait qu’elle n’ait pas été présumée mineure, qu’elle n’ait pas été dûment informée et n’ait pas eu la possibilité d’être entendue par le truchement d’un représentant et d’un interprète pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle elle a été soumise, le fait qu’elle n’ait pas été protégée et prise en charge en tant qu’enfant victime de violences sexuelles, l’immixtion dans sa vie privée qu’a constitué l’examen des organes génitaux auquel elle a été soumise, et le fait qu’elle n’ait pas eu accès à l’éducation et n’ait pas bénéficié d’une procédure régulière.

7.4Le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation des articles 18 (par. 2) et 29 de la Convention et, en conséquence, déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 7 (al. f)) du Protocole facultatif.

7.5Le Comité considère en revanche que l’auteure a suffisamment étayé ses griefs de violation des articles 3, 8, 12, 16, 20, 22, 27 et 39 de la Convention, et que l’article 7 (al. c) et f)) du Protocole facultatif ne fait donc pas obstacle à la recevabilité de la communication. En conséquence, il déclare que ces griefs sont recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 10 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité doit notamment déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumise l’auteure, qui a déclaré fermement à plusieurs reprises être mineure, est en possession de documents qui attestent sa minorité et a l’apparence physique d’une mineure, a constitué une violation des droits consacrés par la Convention. En particulier, l’auteure affirme que son intérêt supérieur en tant qu’enfant n’a pas été pris en compte au cours de la procédure, du fait de l’absence de présomption de minorité, de la nature des examens médicaux pratiqués pour déterminer son âge et de l’absence de désignation d’un tuteur ou d’un représentant.

8.3Le Comité rappelle que la détermination de l’âge d’une personne jeune qui affirme être mineure revêt une importance capitale, puisque le résultat de cette procédure permet d’établir si la personne en question pourra ou non prétendre à la protection de l’État en qualité d’enfant. De même, et cela est extrêmement important pour le Comité, la jouissance des droits énoncés dans la Convention est liée à cette détermination. Il est donc impératif que l’âge soit déterminé selon une procédure régulière, dont les résultats pourront être contestés au moyen d’une procédure de recours. Tant que les procédures en question sont en cours, l’intéressé doit se voir accorder le bénéfice du doute et être traité comme un enfant. Par conséquent, le Comité rappelle que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale tout au long de la procédure de détermination de l’âge.

8.4Le Comité rappelle en outre que les documents disponibles doivent être considérés comme authentiques, sauf preuve du contraire. Ce n’est qu’en l’absence de documents d’identité ou d’autres moyens appropriés que, pour obtenir une estimation éclairée de l’âge, les États devraient procéder à une évaluation complète du développement physique et psychologique de l’enfant, qui soit effectuée par des pédiatres et d’autres professionnels capables de combiner différents aspects du développement. Ces évaluations devraient être faites sans attendre, d’une manière respectueuse de l’enfant qui tienne compte de son sexe et soit culturellement adaptée, comporter des entretiens avec l’enfant, dans une langue que l’enfant comprend. La personne évaluée devrait avoir le bénéfice du doute. à cet égard, le Comité note que l’État partie indique que le procureur a rendu une décision établissant que l’auteure était majeure au vu des résultats des examens médicaux pratiqués et de la date de naissance (1991) indiquée sur le passeport que l’intéressée avait en sa possession au moment de son voyage. Il prend note des explications de l’auteure, qui affirme que, comme elle l’a systématiquement expliqué aux autorités nationales, elle a dû, comme de nombreux autres demandeurs d’asile, voyager avec un faux passeport pour échapper aux violences qu’elle subissait. Le Comité observe que, comme le passeport a été détruit pendant le voyage, son authenticité n’a jamais pu être directement vérifiée par les autorités de l’État partie.

8.5En l’espèce, le Comité note également que l’auteure a, depuis son arrivée en Espagne et de manière constante et répétée, affirmé aux autorités qu’elle était mineure et qu’elle était née le 10 mai 2001 (date confirmée par le carnet de vaccination et les documents scolaires qu’elle avait en sa possession), et qu’elle avait l’apparence d’une mineure, comme l’ont constaté les autorités policières à son arrivée et comme cela a été consigné dans le rapport médical établi lors de son admission au centre pour mineurs. Il note également que l’auteure a exprimé le souhait de demander l’asile en tant qu’enfant victime de violences sexuelles de la part de son père et a fait part de ses craintes fondées de contacter sa famille au Cameroun pour lui demander son passeport et prouver son âge en raison des violences qu’elle a subies. Il observe en outre que : a) afin de déterminer son âge, les autorités l’ont soumise à des examens médicaux consistant en un examen physique pour lequel elle a dû se déshabiller entièrement et au cours duquel ses organes génitaux ont été examinés, ainsi qu’en une radiographie du carpe et un panoramique dentaire, sans que soient pratiqués d’autres examens, en particulier une expertise psychologique ; b) l’analyse de la radiographie du carpe sur la base de l’Atlas de Greulich et Pyle a permis d’établir son âge à 17 ans, mais le médecin a écrit par erreur dans son rapport médical qu’il avait été établi à 18 ans ; c) dans son rapport, le médecin légiste a conclu, après examen de tous les résultats des examens médicaux et sans appliquer de marge d’erreur, que l’âge osseux de l’auteure était d’au moins 18 ans ; d) l’auteure n’était pas accompagnée d’un représentant légal pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle elle a été soumise ; e) sur la base des conclusions médicales, les autorités de l’État partie ont rendu une décision par laquelle l’auteure a été déclarée majeure et ne sont pas revenues sur cette décision lorsque l’auteure a signalé l’erreur commise dans la transcription des résultats de la radiographie du carpe ; f) l’auteure, considérée comme majeure, a été expulsée du centre d’accueil pour mineurs où elle séjournait.

8.6En outre, le Comité prend note des nombreux renseignements figurant dans le dossier qui laissent supposer un manque de précision des examens osseux, qui comportent une grande marge d’erreur et ne sauraient donc être la seule méthode utilisée pour déterminer l’âge chronologique d’un jeune qui affirme être mineur. Il prend note de l’argument de l’auteure selon lequel le médecin légiste n’a pas appliqué la marge d’erreur admise par la communauté scientifique pour ce type d’examen.

8.7Le Comité rappelle son observation générale no 6 (2005), dans laquelle il établit qu’il ne faut pas se fonder uniquement sur l’apparence physique de l’individu mais aussi sur son degré de maturité psychologique, que l’évaluation doit être menée scientifiquement et équitablement, dans le souci de la sécurité de l’enfant, de manière adaptée à son statut d’enfant et à son sexe, et qu’en cas d’incertitude persistante, le bénéfice du doute doit être accordé à l’intéressé, qu’il convient de traiter comme un enfant si la possibilité existe qu’il s’agisse effectivement d’un mineur (par. 31, al. i)).

8.8Le Comité prend également note des allégations de l’auteure concernant le caractère invasif de l’examen physique qu’elle a subi aux fins de l’étude de ses organes génitaux et de l’évaluation de sa maturité sexuelle, en dehors de tout contexte de soin et dans le seul but de déterminer son âge, compte tenu en particulier du fait qu’elle a immédiatement déclaré avoir subi des violences sexuelles dans sa famille et qu’elle avait déjà été soumise à un examen médical général, y compris un examen de ses organes génitaux, à son arrivée au centre d’accueil. Il note en outre que l’auteure affirme qu’un tel examen n’était pas nécessaire puisqu’au moment de l’examen elle disait avoir 16 ans et demi, âge auquel une fille a atteint sa maturité sexuelle, et qu’il ne pouvait donc pas fournir d’informations pertinentes pour la détermination de son âge. Le Comité observe que l’État partie n’a pas expliqué en quoi l’examen médical en question était nécessaire et que l’auteure n’a pas reçu les informations nécessaires sur les objectifs de cet examen dans une langue qu’elle pouvait comprendre ni n’a bénéficié de l’assistance d’un représentant, et ne peut donc être considérée comme ayant donné son consentement en connaissance de cause. Il considère que les examens qui sont réalisés en vue de déterminer l’âge d’un enfant et qui supposent que l’enfant se dénude ou comprennent un examen de ses organes génitaux ou de ses parties intimes portent atteinte à la dignité, à la vie privée et à l’intégrité corporelle de l’enfant et devraient être interdits. Compte tenu des circonstances dans lesquelles l’auteure a été examinée, le Comité considère que cet examen a constitué une immixtion illégale dans sa vie privée et a violé son droit au respect de la vie privée et à la dignité, consacré à l’article 16 de la Convention.

8.9Le Comité note également que l’auteure affirme qu’aucun tuteur ou représentant n’a été désigné pour défendre ses intérêts en tant que personne pouvant être un enfant migrant non accompagné, à son arrivée dans l’État partie et pendant la procédure de détermination de l’âge à laquelle elle a été soumise et à l’issue de laquelle elle a été déclarée majeure. Il rappelle que les États parties sont tenus d’assurer à tous les jeunes étrangers qui affirment être mineurs, le plus rapidement possible après leur arrivée sur le territoire, l’assistance gratuite d’un représentant légal qualifié et, le cas échéant, d’un interprète. Il considère qu’assurer la représentation de ces personnes pendant la procédure de détermination de leur âge constitue une garantie essentielle pour le respect de leur intérêt supérieur et de leur droit d’être entendues. Ne pas le faire constitue une violation des articles 3 et 12 de la Convention, puisque la procédure de détermination de l’âge est le point de départ de l’application de la Convention. Le défaut de représentation adéquate peut donner lieu à une grave injustice.

8.10À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que la procédure de détermination de l’âge à laquelle a été soumise l’auteure, qui affirmait être un enfant et en avait l’apparence physique, n’a pas été assortie des garanties nécessaires pour protéger les droits que l’intéressée tient de la Convention. En l’espèce, compte tenu en particulier de l’examen pratiqué pour déterminer l’âge ainsi que du fait que l’auteure n’a pas bénéficié de l’assistance d’un représentant pendant la procédure, il considère que l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été une considération primordiale pendant la procédure de détermination de l’âge auquel l’auteure a été soumise, procédure qui, de plus, sachant qu’elle avait été victime de violences sexuelles, constituait une immixtion illégale dans sa vie privée, en violation des articles 3, 12 et 16 de la Convention.

8.11Le Comité note également que l’auteure affirme que l’État partie a violé ses droits lorsqu’il a modifié des éléments de son identité en lui attribuant un âge et une date de naissance qui ne correspondaient pas à sa véritable date de naissance (10 mai 2001), qui était confirmée par les documents qu’elle avait en sa possession, à savoir son carnet de vaccination et des documents scolaires. Il considère que la date de naissance d’un enfant fait partie de son identité et que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité, sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent. En l’espèce, il observe que l’État partie n’a pas respecté l’identité de l’auteure en refusant toute valeur probante aux documents présentés, sachant en particulier qu’il était impossible pour elle d’obtenir son passeport car elle avait une crainte fondée de contacter sa famille au Cameroun en raison des violences qu’elle avait subies de la part de son père. Il note aussi que, bien que l’auteure ait demandé à plusieurs reprises que sa date de naissance réelle soit inscrite sur sa demande d’asile, le Comité n’a pas respecté son identité en lui refusant la possibilité de présenter une demande d’asile portant sa véritable date de naissance. Par conséquent, il conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention.

8.12Le Comité doit également déterminer si le fait que l’auteure n’a pas pu demander l’asile en tant que mineure a constitué une violation des droits qu’elle tient de la Convention. Il note que l’auteure affirme : a) qu’elle a tenté de soumettre sa demande d’asile en tant que mineure au Bureau d’accueil des réfugiés et que cette possibilité lui a été refusée ; b) qu’il a été considéré qu’elle était majeure au moment où elle a fui son pays d’origine et au moment où elle a fait sa demande de protection, ce qui aurait pu avoir des effets négatifs sur le traitement de cette demande et son issue ; c) qu’elle a été privée du droit de bénéficier de l’assistance d’un représentant chargé de veiller à ce que ses droits en tant que mineure non accompagnée soient respectés dans le cadre de la procédure d’asile.

8.13À cet égard, le Comité rappelle son observation générale no 6 (2005), selon laquelle les États devraient désigner un tuteur ou un conseiller dès que l’enfant non accompagné ou séparé est identifié en tant que tel et reconduire ce dispositif jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de la majorité ou quitte le territoire et/ou cesse de relever de la juridiction de l’État à titre permanent, conformément à la Convention et à d’autres obligations internationales. Tout enfant partie à une procédure de demande d’asile ou à une procédure administrative ou judiciaire devrait bénéficier, outre des services d’un tuteur, d’une représentation légale (par. 33 et 36).

8.14Le Comité observe que le fait que les autorités ont considéré que l’auteure était majeure lorsqu’elle a fui son pays d’origine aurait pu avoir des conséquences très graves au moment où il s’est agi d’apprécier avec justesse les allégations de persécution formulées par l’intéressée dans sa demande d’asile, et que cela l’a exposée à un risque de préjudice irréparable en cas de renvoi dans son pays d’origine. En outre, le fait que l’auteure ne s’est pas vu assigner un tuteur et n’a pas été autorisée à demander l’asile en tant que mineure a eu pour effet de la priver de la protection spéciale dont devraient bénéficier les mineurs non accompagnés demandeurs d’asile et constitue donc une violation des articles 20 (par. 1) et 22 de la Convention. Le Comité tient à souligner les conséquences particulièrement graves de ce manque de protection pour l’auteure qui, en tant qu’enfant victime de violences sexuelles de la part de son père, avait manifestement besoin d’une protection spéciale de la part des autorités nationales compétentes.

8.15Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles l’État partie a violé les droits que lui confèrent les articles 27 et 39 de la Convention, car elle n’a pas bénéficié du soutien psychologique dont elle avait besoin en tant qu’enfant demandeur d’asile victime de violence intrafamiliale. Il note que l’État partie affirme que l’auteure a bénéficié d’une formation professionnelle et d’un accompagnement psychologique. Il observe toutefois que, selon les informations disponibles, l’auteure, considérée comme majeure, n’a pas pu continuer de bénéficier d’un enseignement formel, qui était l’option la plus adaptée à ses besoins éducatifs. Il note également que l’auteure n’a reçu une assistance psychologique que huit mois après son arrivée en Espagne et que cette assistance n’a pas été fournie par un professionnel spécialisé dans la violence à l’égard des enfants. À cet égard, il rappelle son observation générale no 6 (2005), où il est indiqué que l’article 39 de la Convention énonce l’obligation pour les États parties de mettre des services de réadaptation à la disposition de tout enfant victime de toute forme de négligence, d’exploitation ou de sévices, de torture ou de toute autre forme de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou de conflit armé. Afin de faciliter cette réadaptation et cette réinsertion, des soins de santé mentale adaptés et modulés en fonction du sexe devraient être mis au point et des conseillers psychosociaux qualifiés mis à disposition (par. 48). Compte tenu de tout ce qui précède, le Comité conclut que l’État partie a violé les articles 27 et 39 de la Convention.

8.16Le Comité, agissant en vertu de l’article 10 (par. 5) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 3, 8, 12, 16, 20 (par. 1), 22, 27 et 39 de la Convention.

9.En conséquence, l’État partie devrait accorder à l’auteure une réparation effective pour les violations subies, y compris une indemnisation adéquate pour le préjudice moral causé, un accompagnement psychologique spécialement adapté aux victimes de violences sexuelles et la rectification de sa date de naissance sur ses documents personnels. Il est également tenu d’empêcher que de telles violations se reproduisent. À cet égard, le Comité lui recommande :

a)De veiller à ce que toute procédure visant à déterminer l’âge de jeunes gens affirmant être mineurs soit conforme à la Convention et, en particulier : i) qu’au cours de cette procédure, les documents soumis par les intéressés soient pris en considération et que, dès lors qu’ils ont été établis ou que leur validité a été confirmée par l’État concerné ou son ambassade, leur authenticité soit reconnue ; ii) que les jeunes gens concernés se voient assigner sans délai et gratuitement un représentant légal qualifié ou un autre représentant, que les avocats privés désignés pour les représenter soient reconnus et que tous les représentants légaux ou autres représentants soient autorisés à les assister au cours de la procédure ; iii) qu’aucun examen des organes génitaux visant à déterminer l’âge ne soit pratiqué sur des enfants ;

b)De faire en sorte qu’un tuteur compétent soit désigné dans les meilleurs délais pour veiller aux intérêts des jeunes demandeurs d’asile non accompagnés qui affirment avoir moins de 18 ans, afin que ceux-ci puissent demander l’asile en qualité de mineurs, même lorsque la procédure visant à déterminer leur âge est en cours ;

c)De mettre en place un mécanisme de réparation efficace et accessible pour les jeunes migrants non accompagnés qui affirment être âgés de moins de 18 ans, afin qu’ils puissent demander le réexamen des décisions des autorités par lesquelles ils ont été déclarés majeurs dans les cas où la procédure de détermination de leur âge a été menée sans les garanties nécessaires pour protéger leur intérêt supérieur et leur droit d’être entendus ;

d)De dispenser aux agents des services de l’immigration, aux policiers, aux fonctionnaires du ministère public, aux juges et aux autres professionnels concernés des formations sur les droits des mineurs migrants, et en particulier sur les observations générales nos 6 (2005), 22 (2017) et 23 (2017) du Comité, ainsi que sur la prise en considération des questions de genre dans les cas où le mineur en question est une fille ;

e)De veiller à ce que les mineurs non accompagnés demandeurs d’asile qui affirment avoir été victimes de violences bénéficient d’un accompagnement psychosocial assuré par des professionnels qualifiés afin de faciliter leur réadaptation.

10.Conformément à l’article 11 du Protocole facultatif, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dès que possible et dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner suite aux présentes constatations. Il lui demande également d’inclure des informations sur ces mesures dans les rapports qu’il présentera au titre de l’article 44 de la Convention. Enfin, l’État partie est invité à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement.