Nations Unies

CCPR/C/CPV/CO/1/Add.1

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Observations finales concernant le rapport initial de Cabo Verde *

1.Le Comité a examiné le rapport initial de la République de Cabo Verde (CCPR/C/CPV/1) à ses 3661e et 3662e séances (CCPR/C/SR.3661 et 3662), les 22 et 23 octobre 2019. À sa 3678eséance, le 4 novembre 2019, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport initial de Cabo Verde, bien que celui-ci ait été soumis avec plus de vingt années de retard, et les renseignements qui y sont donnés. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte d’engager un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période considérée pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites (CCPR/C/CPV/Q/1/Add.2) apportées à la liste de points (CCPR/C/CPV/Q/1/Add.1), qui ont été complétées oralement par la délégation, ainsi que des renseignements supplémentaires qui lui ont été communiqués par écrit.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives, institutionnelles et gouvernementales ci-après :

a)L’élaboration en cours d’un nouveau statut pour la Commission nationale des droits de l’homme et de la citoyenneté ;

b)Les efforts déployés pour intégrer davantage les questions de genre au moyen de la création, en 2018, de la Commission interministérielle pour l’intégration des questions de genre ;

c)L’adoption de la loi relative à la violence fondée sur le genre, qui a été promulguée le 27 janvier 2015 ;

d)La mise en place du Plan d’action national 2018-2021 contre la traite des personnes.

e)La réforme du système de justice pénale, notamment la mise en place de mesures de substitution à l’incarcération et de mesures visant à lutter contre la surpopulation carcérale, et l’adoption du Code d’application des sanctions pénales conventionnelles.

4.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a ratifié les instruments internationaux ci-après, ou y a adhéré :

a)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le 23 juin 2014 ;

b)Le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le 1eravril 2016.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Application et diffusion du Pacte sur le plan interne

5.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour se conformer aux obligations qui lui incombent au titre du Pacte, mais il constate néanmoins avec préoccupation que son cadre juridique interne n’intègre pas pleinement les droits garantis par le Pacte. Le Comité regrette que le Pacte ne semble pas être suffisamment connu dans l’État partie, notamment en ce qui concerne le mécanisme de plainte prévu par le premier Protocole facultatif, et qu’il ne soit fait référence au Pacte que dans un nombre limité de décisions relatives à l’application ou à l’interprétation du droit interne. En outre, il est préoccupé par la participation insuffisante de la société civile au processus d’établissement des rapports de l’État partie. Le Comité prend note des contraintes existantes, mais il renvoie l’État partie à l’obligation prévue à l’article 2 du Pacte et appelle son attention sur l’observation générale no 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (art. 2).

6. L ’ État partie devrait  :

a) Examiner et réviser, si nécessaire, les dispositions juridiques internes afin de les mettre davantage en conformité avec les droits garantis par le Pacte et de faire en sorte que le droit national soit interprété et appliqué conformément à ses obligations au titre du Pacte ;

b) Intensifier ses efforts pour sensibiliser la population, les représentants de la société civile, les agents de la fonction publique, les avocats et les agents de l’État tels que les juges et les procureurs au Pacte et à la procédure de plainte prévue par le premier Protocole facultatif ;

c) Consacrer des ressources budgétaires suffisantes à la mise en œuvre de tous les droits prévus par le Pacte.

Institution nationale des droits de l’homme

7.Le Comité prend acte du processus d’élaboration en cours du nouveau statut de la Commission nationale des droits de l’homme et de la citoyenneté et accueille avec satisfaction les informations relatives aux fonds que l’État partie prévoit d’allouer en 2020 pour son fonctionnement, mais il regrette que ce statut, qui vise à créer une institution nationale des droits de l’homme pleinement conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), n’ait pas encore été approuvé. Le Comité note avec préoccupation que le Ministère de la justice pourrait participer au processus de nomination des commissaires et que l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations sur la compatibilité d’une telle participation avec la pleine indépendance de cette institution. Le Comité est également préoccupé par les informations selon lesquelles la Commission a des liens étroits avec le Ministère de la justice, et par le manque de renseignements sur le budget exact dont elle dispose. Le Comité prend note des efforts déployés pour établir des centres de coordination sur différentes îles, mais il craint que la couverture géographique de la Commission ne doive être étendue pour qu’elle puisse s’acquitter de toutes ses fonctions sur l’ensemble du territoire de l’État partie (art. 2).

8. Le Comité recommande à nouveau à l ’ État partie de renforcer la Commission nationale des droits de l ’ homme et de la citoyenneté afin d ’ en assurer la pleine conformité avec les Principes de Paris (CCPR/C/CPV/CO/1, par. 5). En particulier, l ’ État partie devrait  :

a) Garantir la mise en place d’un processus pleinement transparent et participatif pour la sélection et la nomination des membres de la Commission, de sorte à garantir leur indépendance  ;

b) Accroître l’indépendance de la Commission, notamment en supprimant tout contrôle de ses activités par des entités gouvernementales ;

c) Fournir à la Commission des ressources humaines et financières suffisantes pour lui permettre d’exercer efficacement son mandat ;

d) Veiller à ce que la couverture géographique de la Commission soit étendue afin qu’elle puisse exercer ses fonctions sur l ’ ensemble du territoire de l ’ État partie.

Lutte contre la discrimination

9.Le Comité prend acte du fait que la Constitution interdit la discrimination fondée sur certains motifs, mais il est préoccupé par l’absence d’une législation globale contre la discrimination, qui couvre tous les motifs interdits par le Pacte, et il souligne que l’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations sur la question de savoir s’il était prévu de remédier à cette situation. Il est également préoccupé par les informations indiquant que les personnes appartenant à certains groupes, en particulier les personnes vivant avec le VIH/sida, les personnes handicapées et les lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres, continuent d’être victimes de discrimination. Il regrette en outre le manque d’informations sur le nombre de plaintes pour discrimination et sur l’issue de ces plaintes (art. 2 et 26).

10. L’État partie devrait :

a) assurer une protection pleine et effective contre la discrimination dans tous les domaines, y compris les sphères publique et privée, et interdire la discrimination directe, indirecte et multiple ;

b) Promulguer une législation contenant une liste complète des motifs de discrimination conformément au Pacte ;

c) Protéger et sauvegarder efficacement les droits fondamentaux des personnes vivant avec le VIH/sida, des personnes handicapées et des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres ;

d) Mettre en place des mécanismes de plainte et des recours utiles et accessibles pour toutes les formes de discrimination et collecter des données ventilées sur les plaintes pour discrimination et leurs résultats ;

e) Mener de vastes campagnes d’éducation et de sensibilisation visant à promouvoir l’égalité, la tolérance et le respect de la diversité.

Égalité entre les hommes et les femmes

11.Le Comité est conscient que l’État partie a pris un certain nombre de mesures importantes visant à réaliser l’égalité entre hommes et femmes, notamment par le renforcement de la prise en compte des questions de genre dans le cadre de la Commission interministérielle pour la transversalisation des questions de genre, la création de l’Institut cap-verdien pour l’égalité des sexes et la mise en œuvre de plans d’action nationaux sur l’égalité des sexes. Il relève toutefois avec inquiétude le manque d’information sur l’efficacité et l’incidence des mesures existantes pour ce qui est de garantir l’égalité entre hommes et femmes. Il est préoccupé par la participation insuffisante des femmes dans certains domaines de la vie publique, notamment par la proportion relativement faible de femmes parlementaires, l’absence de femmes maires et la diminution de la proportion de femmes aux postes ministériels. À cet égard, il note avec préoccupation que le projet de loi sur la parité, qui vise à améliorer la représentation des femmes, n’a pas encore été adopté. Il est également préoccupé par la persistance d’attitudes patriarcales et de stéréotypes sexistes profondément ancrés et par l’absence d’informations précises sur les mesures prises par l’État partie pour y remédier (art. 2, 3, 25 et 26).

12. L ’ État partie devrait  :

a) Veiller à ce que le projet de loi sur la parité des sexes soit adopté et garantir son application effective afin d’accroître la participation des femmes dans tous les domaines de la vie publique et privée ;

b) Renforcer les activités d’éducation et de sensibilisation du grand public afin d’éliminer les stéréotypes sexistes, de lutter contre la subordination des femmes et de promouvoir le respect des rôles et responsabilités partagés des femmes et des hommes dans la famille et dans la société ;

c) Recueillir des données exhaustives pour évaluer l’efficacité des mesures visant à réaliser l’égalité des sexes.

Violence à l’égard des femmes

13.Le Comité prend note de l’adoption d’un certain nombre de mesures importantes visant à lutter contre la violence à l’égard des femmes, notamment de la promulgation en 2011 de la loi sur la violence sexiste, du développement des campagnes de sensibilisation ciblant le personnel des établissements d’enseignement, du développement des activités de formation à l’intention de la police et de différents groupes de la société, et de la création de foyers. Il est toutefois préoccupé par les lacunes dans l’action menée par l’État partie pour faire face à la violence à l’égard des femmes. Il s’inquiète en particulier des obstacles au signalement des cas de violence, parmi lesquels le nombre insuffisant de policiers compétents dans l’ensemble du pays, la crainte de la stigmatisation et de la discrimination chez les femmes concernées, l’absence de refuges dans certaines des 22 municipalités et la fermeture de la permanence téléphonique pour les victimes de violence familiale. Il relève également avec préoccupation l’absence d’information sur les enquêtes, les poursuites et les condamnations visant les auteurs d’actes de violence à l’égard des femmes et sur les réparations accordées aux victimes (art. 2, 3, 6, 7, 25 et 26).

14. L ’ État partie devrait  :

a) Étudier plus avant les causes profondes et les niveaux de prévalence de la violence à l’égard des femmes, y compris en cherchant à comprendre l’ampleur de cette violence et ce qui empêche les victimes de signaler les actes commis ;

b) Veiller à ce que les femmes victimes de violence aient accès à un ensemble de mécanismes de signalement dans toutes les régions du pays ;

c) Offrir des refuges aux femmes victimes de violence sur tout le territoire national ;

d) Poursuivre les activités de sensibilisation à toutes les formes de violence à l’égard des femmes ;

e) Veiller à ce que tous les cas signalés de violence à l’égard des femmes fassent l’objet d’enquêtes et à ce que les auteurs de tels actes soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées et que les victimes reçoivent une réparation adéquate.

Droits en matière de sexualité et de procréation

15.Le Comité note que l’interruption volontaire de grossesse est légale dans l’État partie et que le Gouvernement a pris des mesures pour tenter de faciliter l’accès à l’avortement sécurisé, notamment par la création d’unités mobiles dispensant des services de santé sexuelle et procréative. Il s’inquiète toutefois de ce que des avortements clandestins et non sécurisés continuent d’avoir lieu, l’accès effectif à un avortement sécurisé et légal n’étant pas garanti dans la pratique sur l’ensemble du territoire de l’État partie. Il est également préoccupé par le fait que les groupes vulnérables n’ont pas tous accès à l’information et aux services de santé sexuelle et procréative et par le manque d’information sur les programmes d’éducation sexuelle dans les écoles (art. 3, 7 et 26).

16. L ’ État partie devrait supprimer tous les obstacles à l ’ accès effectif de toutes les femmes à des services d ’ avortement sûrs et légaux et recueillir des données ventilées sur toutes les formes d ’ interruption de grossesse. Il devrait également mettre sur pied des programmes de sensibilisation ainsi que des activités visant à dispenser une éducation de qualité et adaptée à l ’ âge sur l ’ importance de la contraception et des droits en matière de santé sexuelle et procréative.

Droit à la vie et changements climatiques

17.Le Comité se félicite de l’engagement pris par l’État partie, en tant que petit État insulaire particulièrement vulnérable aux effets des changements climatiques, en faveur de la mise en œuvre de mesures d’adaptation et d’atténuation. Il est toutefois préoccupé par l’insuffisance des informations fournies sur l’efficacité des mécanismes et systèmes en place pouvant permettre de donner suite à cet engagement, ainsi que sur les mesures visant à garantir une participation effective, significative et éclairée de l’ensemble de la population aux projets susceptibles d’avoir une incidence sur le développement durable et la résilience face aux changements climatiques (art. 6).

18.L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour mettre au point des mécanismes et des systèmes permettant de garantir une utilisation durable des ressources naturelles, élaborer et appliquer des normes environnementales, réaliser des études d ’ impact sur l ’ environnement, assurer un accès approprié à l ’ information sur les risques environnementaux et appliquer le principe de précaution pour protéger ses habitants, y compris les plus vulnérables, contre les effets négatifs des changements climatiques et des catastrophes naturelles. Tous les projets qui ont une incidence sur le développement durable et sur la résilience face aux changements climatiques devraient être élaborés avec la participation effective et éclairée de l ’ ensemble de la population. À cet égard, le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur le paragraphe 62 de son observation générale n o 36 (2018) sur le droit à la vie.

Usage excessif de la force

19.Le Comité demeure préoccupé par le recours possible à des brutalités policières, qui seraient utilisées comme une forme de sanction extrajudiciaire contre les mineurs soupçonnés d’appartenir à des bandes et de se livrer à la délinquance (CCPR/C/CPV/CO/1, par. 11). Il est également préoccupé par les informations faisant état d’un usage excessif de la force et d’agressions contre des personnes arrêtées et détenues par la police et par le fait que les médias et les discours publics semblent tolérer la violence de la part des policiers. Il prend note des efforts déployés par l’État partie pour enquêter sur les plaintes mais demeure préoccupé par l’absence d’information sur les mesures visant à prévenir la violence et par les informations selon lesquelles de nombreuses affaires sont classées ou donnent lieu à des sanctions administratives mineures, telles que des amendes. Il est en outre préoccupé par l’absence d’information sur la surveillance indépendante des postes de police, sur les voies de recours ouvertes aux victimes et sur les mesures prises pour lutter contre les discours de la société tendant à encourager la violence policière (art. 7 et 24).

20. L ’ État partie devrait  :

a) Poursuivre la formation des policiers sur leurs responsabilités en matière de droits de l’homme et mettre en place des mécanismes qui permettent d’en mesurer l’efficacité ;

b) Veiller au respect des Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, au moyen de mesures visant à garantir que les agents de la force publique ne font pas un usage excessif de la force ;

c) Continuer de mettre en œuvre et étendre les mesures visant à s’attaquer aux causes profondes de la participation des jeunes à des comportements antisociaux et délictueux ;

d) Veiller à ce que des mécanismes de plainte accessibles soient en place et à ce que tous les cas de violence signalés fassent l’objet d’une enquête approfondie débouchant, s’il y a lieu, sur des sanctions proportionnées ;

e) Accorder des réparations à toutes les victimes de violence policière, y compris une indemnisation et des garanties de non-répétition ;

f) Renforcer la surveillance indépendante des postes de police par la Commission nationale des droits de l’homme et de la citoyenneté et d’autres organes de contrôle ;

g) Mettre sur pied des activités de sensibilisation visant à lutter contre les discours tenus dans la société qui sont susceptibles d ’ encourager la violence policière.

Prévention du crime et lutte contre la criminalité

21.Bien que le nombre d’homicides ait sensiblement diminué, le Comité est préoccupé par la persistance des crimes violents et de l’insécurité et par la capacité limitée de la police à lutter contre ces phénomènes. Il relève avec préoccupation l’absence d’information sur l’évolution de la prévalence de ces crimes et sur le budget alloué à la police. Il prend note des informations relatives aux mesures prises pour améliorer l’équipement et les compétences médico-légales de la police, mais reste préoccupé par la question de savoir si les capacités globales de la police sont suffisantes pour lui permettre de s’acquitter efficacement de ses responsabilités en matière de sécurité des personnes dans l’État partie (art. 9).

22. L ’ État partie devrait renforcer la capacité de la police de lutter contre la criminalité et l ’ insécurité dans le pays en lui allouant des fonds suffisants, notamment pour l ’ achat d ’ équipement et le développement des compétences médico-légales.

Détention provisoire

23.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles le délai légal de 48 heures fixé pour la présentation des détenus devant un juge ne serait pas appliqué de manière systématique et relève l’absence d’informations détaillées sur les mesures prises pour faire respecter ce délai. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles des personnes pourraient passer des périodes prolongées en détention avant jugement en dépit des dispositions légales limitant la durée de cette détention. Il constate l’absence d’information sur le nombre de personnes en détention provisoire qui ont été libérées et sur les mesures de précaution supplémentaires appliquées par les juges après l’expiration du délai initial de six mois prévu par la loi pour la détention avant jugement (art. 9).

24. L ’ État partie devrait veiller à ce que les normes juridiques existantes en matière de détention avant jugement soi en t systématiquement appliquées afin de permettre le maintien en liberté des personnes accusées d ’ infractions et de garantir le droit d ’ être jugé dans un délai raisonnable. Il devrait continuer de réduire la durée de la détention avant jugement et renforcer l ’ application des mesures de substitution à la détention, compte tenu des obligations qui lui incombent au titre de l ’ article 9 du Pacte, telles que le Comité les a interprétées dans son observation générale n o 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne.

Traite des personnes, élimination de l’esclavage et de la servitude, et travailleurs domestiques

25.Le Comité demeure préoccupé par la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et par l’utilisation du territoire de l’État partie à des fins de transit (CCPR/C/CPV/CO/1, par. 13). Il prend acte du Plan national de lutte contre la traite des personnes (2018-2021) et de la participation de l’État partie à une série d’importantes activités de formation, de sensibilisation et de partage des connaissances, mais constate avec inquiétude l’absence d’informations détaillées sur les enquêtes menées en cas de traite, les poursuites engagées et les condamnations prononcées. Il est préoccupé par le manque d’informations sur la prise en charge intégrale, les recours disponibles et la réadaptation des victimes. Il est également préoccupé par d’autres formes d’exploitation dans l’État partie, y compris le travail domestique dans des conditions d’exploitation et le travail des enfants, notamment dans l’agriculture, la mendicité et la vente de marchandises dans la rue et l’exploitation sexuelle commerciale, y compris dans le contexte du tourisme (art. 6, 7, 8 et 24).

26.L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour combattre l ’ impunité de la traite des personnes, y compris en mettant en place des mécanismes de plainte accessibles et efficaces et en veillant à ce que tous les auteurs présumés fassent l ’ objet d ’ enquêtes, de poursuites et, s ’ ils sont reconnus coupables, de sanctions appropriées. Il devrait également appuyer davantage la réadaptation et l ’ intégration des survivants et survivantes de la traite, y compris en offrant des recours utiles qui prévoient une indemnisation et des garanties de non-répétition. Il devrait en outre  : veiller à ce que d ’ autres formes d ’ exploitation, y compris le travail domestique et les pires formes de travail des enfants, soient dûment criminalisées  ; renforcer les efforts visant à prévenir de telles formes d ’ exploitation, intensifier les efforts faits pour enquêter, engager des poursuites contre les auteurs présumés de tels actes et, s ’ il sont reconnus coupables, les condamner  ; fournir des services d ’ assistance et de réadaptation à toutes les victimes et leur accorder une indemnisation.

Conditions de détention

27.Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour investir dans le système pénitentiaire et remédier à la surpopulation carcérale, notamment en répartissant les détenus entre les différents établissements pénitentiaires et en mettant au point des mesures de substitution à l’incarcération comme suite à la réforme de la justice pénale menée en 2015. Il constate toutefois avec préoccupation que certaines prisons restent surpeuplées et qu’une proportion importante des personnes dont le nom figure dans les registres fournis par l’État partie sont emprisonnées pour des infractions non violentes, y compris le vol qui, dans certains cas, serait dû à la pauvreté. Il rappelle ses précédentes observations finales (CCPR/C/CPV/CO/1, par. 14) et regrette que des enfants soient encore emprisonnés avec des adultes. Il regrette également l’absence d’informations détaillées sur les dispositions concernant les personnes présentant un handicap intellectuel et psychosocial et sur la suite donnée aux plaintes déposées devant le ministère public (art. 6, 7, 9 et 10).

28. L ’ État partie devrait  :

a) Mettre en place d’urgence un système pour séparer les mineurs des détenus adultes ;

b) Étendre le recours aux peines de substitution à l’incarcération, en particulier pour les infractions non violentes, conformément à l’article 9 du Pacte ;

c) Donner davantage de moyens au système pénitentiaire pour mettre fin à la surpopulation et améliorer les conditions de détention, y compris en prenant des dispositions pour les personnes présentant des handicaps intellectuels et psychosociaux ;

d) Protéger le droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et dignité, et faire en sorte que les conditions de détention de tous les lieux de privation de liberté respectent l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), notamment en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, à l’assainissement et à la nourriture.

Mise à l’isolement

29.Le Comité prend note des mesures prises pour faire en sorte que la mise à l’isolement reste une mesure disciplinaire de courte durée appliquée uniquement aux adultes, comme le prévoit le Code d’application des sanctions pénales conventionnelles, mais il est préoccupé par le manque d’informations sur la manière dont ces normes sont appliquées et par le caractère peu fréquent des visites de contrôle dans certaines prisons (art. 7 et 10).

30. L ’ État partie devrait faire en sorte que tous les agents pénitentiaires reçoivent une formation sur leurs obligations en matière de droits de l ’ homme, qui couvre les dispositions juridiques du Code d ’ application des sanctions pénales conventionnelles limitant le recours à la mise à l ’ isolement. Il devrait également veiller à ce que les services compétents de la Direction générale des services pénitentiaires et de réinsertion sociale, du ministère public et de la Commission nationale des droits de l ’ homme et de la citoyenneté exercent un contrôle complet et régulier du système pénitentiaire.

Traitement des étrangers, notamment des réfugiés et des demandeurs d’asile

31.Le Comité regrette l’absence d’informations sur les mesures visant à améliorer la collecte de données sur les réfugiés et les demandeurs d’asile et sur la date approximative à laquelle devrait être adopté le cadre réglementaire de la loi no 99/V/99 relative au régime juridique de l’asile et au statut de réfugié. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les règles relatives à l’entrée légale dans le pays seraient appliquées sans procéder à une évaluation appropriée des statuts de réfugié et de demandeur d’asile et sans respecter le principe de non-refoulement. Il est en outre préoccupé par les informations selon lesquelles les décisions prises ne seraient pas soumises à un contrôle judiciaire (art. 9, 10 et 13).

32.L ’ État partie devrait améliorer la collecte de données sur les réfugiés et les demandeurs d ’ asile et veiller à ce que les dispositions juridiques pertinentes soient effectivement appliquées. Il devrait entreprendre un examen approfondi des procédures de gestion des frontières pour faire en sorte qu ’ une évaluation des statuts de réfugié et de demandeur d ’ asile soit effectuée sans exception, dans le respect du principe de non-refoulement. Dans tous les cas où l ’ asile et le statut de réfugié sont refusés, les intéressés devraient avoir la possibilité de former un recours judiciaire.

Administration de la justice

33.Le Comité prend acte de l’augmentation, au cours des derniers exercices budgétaires, des crédits alloués au système judiciaire et de la mise en place des multiples mesures prévues dans le Plan stratégique du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire pour renforcer les capacités du système judiciaire et régler les problèmes systémiques. Il demeure toutefois préoccupé par les allégations selon lesquelles il y aurait toujours un grand nombre d’affaires pendantes et de longs retards persisteraient dans les procès (art. 14).

34. Le Comité recommande à l ’ État partie de mettre effectivement à exécution ses plans visant à renforcer les capacités du système judiciaire et à intensifier les mesures destinées à réduire le nombre d ’ affaires pendantes devant les tribunaux et le parquet et les délais d ’ attente dans chaque affaire.

Expulsions forcées

35.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles l’augmentation du nombre d’établissements informels et non planifiés aurait donné lieu à des expulsions forcées. Il prend acte des mesures visant à mettre en place des garanties procédurales, mais constate un manque d’informations sur les dispositions prises pour recueillir des données sur les démolitions et les expulsions forcées et sur la participation des populations touchées aux processus décisionnels. Il prend note des efforts faits pour fournir un logement de remplacement, mais regrette que cette solution ne soit pas accessible à tous et ne soit proposée que pour une période de trois à six mois, au-delà de laquelle il est difficile de déterminer quelle forme d’assistance est prévue pour garantir le maintien dans un logement sûr (art. 12 et 17).

36.L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures possibles pour éviter les expulsions forcées et veiller à ce que, en cas d ’ expulsion, les personnes et les communautés touchées aient accès à une protection juridique et bénéficient, s ’ il y a lieu, d ’ un logement de remplacement adéquat. Il devrait également recueillir des données sur les démolitions et les expulsions forcées et prendre des mesures pour assurer la participation effective des populations touchées aux décisions les concernant.

Liberté d’expression et de réunion

37.Le Comité est préoccupé par le fait qu’en application de l’article 166 du Code pénal, un individu peut être privé de liberté pendant dix-huit mois pour diffamation. Il prend note des informations communiquées par l’État partie quant à la nécessité de trouver un équilibre entre la liberté d’expression et la protection d’autres droits, ainsi que des mesures prises pour garantir la liberté d’expression, y compris dans les médias, mais craint que la période pendant laquelle un individu peut être emprisonné pour diffamation n’ait un caractère punitif disproportionné, susceptible d’avoir un effet dissuasif dans l’espace civil. Il relève le manque d’informations sur l’application de ces dispositions au cours de ces cinq dernières années. Il est également préoccupé par des informations selon lesquelles les autorités nationales auraient recours, certes à titre exceptionnel, à la réquisition civile, empêchant ainsi les syndicats et les travailleurs d’exercer leur droit à la liberté d’association (art. 2, 9, 19 et 21).

38.L ’ État partie devrait envisager de dépénaliser la diffamation et, en tout état de cause, revoir l ’ article 166 du Code pénal pour faire en sorte que la diffamation ne soit pas punie de privation de liberté. Il devrait veiller à ce que chacun jouisse pleinement de ses droits à la liberté d ’ expression, d ’ association et de réunion pacifique, et à ce que toute restriction à l ’ exercice de ces droits soit strictement conforme aux prescriptions de l ’ article 19 du Pacte, ainsi qu ’ elles sont interprétées par le Comité dans son observation générale n o 34 (2011) sur la liberté d ’ opinion et la liberté d ’ expression, et aux prescriptions de l ’ article 21 et du paragraphe 2 de l ’ article 22 du Pacte.

Droits de l’enfant

39.Le Comité prend note des mesures importantes prises par l’État partie pour protéger les droits de l’enfant, telles que l’adoption du Plan d’action national de lutte contre la violence sexuelle à l’égard des enfants et des adolescents (2017-2019), mais demeure préoccupé par les informations selon lesquelles la violence à l’égard des enfants atteindrait des niveaux inquiétants, notamment la violence familiale, les négligences et l’exploitation sexuelle commerciale, y compris des violences en ligne et des cas de prostitution enfantine. Il constate également avec préoccupation que si le mariage d’enfants est illégal, une forte proportion de filles de moins de 18 ans vivent en concubinage et que des cas de mutilations génitales féminines ont été signalés parmi les communautés de migrants. Il prend acte des mesures prises pour lutter contre les châtiments corporels, mais est préoccupé par la persistance de telles pratiques dans l’État partie, en particulier dans le cadre familial (art. 7, 24 et 26).

40. L ’ État partie devrait  :

a) Veiller à ce que toutes les formes de maltraitance, de violence et d’exploitation soient incriminées dans le cadre juridique national ;

b) Mettre en place des mécanismes de signalement adaptés aux enfants et veiller à ce que toutes les plaintes fassent l’objet d’enquêtes , à ce que les auteurs présumés fassent l’objet de poursuites et, s’ils sont reconnus coupables, de sanctions proportionnées, et à ce que les enfants victimes aient accès à une assistance et à des recours ;

c) Mener des activités de sensibilisation et de formation auprès du grand public, des représentants de la société civile , des fonctionnaires et des agents de l’État afin d’améliorer la protection des enfants.

Participation à la conduite des affaires publiques

41.Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles le népotisme et la corruption existeraient dans l’État partie, y compris parmi les élus, et regrette que le projet de loi sur le népotisme n’ait pas été adopté par le Parlement. Il prend note des renseignements fournis par l’État partie sur les mesures prises pour lutter contre ces phénomènes et garantir la transparence et la responsabilisation de l’administration publique, mais constate que des difficultés subsistent. Il est également préoccupé par l’absence de dispositions législatives concernant l’accès à l’information publique (art. 25).

42. L ’ État partie devrait redoubler d ’ efforts pour accroître la transparence et la responsabilisation de l ’ administration publique et des fonctionnaires, et envisager d ’ adopter une législation sur l ’ accès à l ’ information publique.

43.Le Comité prend acte des mesures importantes de décentralisation prises par le Gouvernement. Il est toutefois préoccupé par le manque d’informations sur les initiatives entreprises et les résultats obtenus, y compris en ce qui concerne la réduction des disparités régionales de fait, notamment sur le plan de l’accès aux services et aux infrastructures.

44. L ’ État partie devrait promouvoir une forte participation du public à la prise de décisions dans le cadre des mesures de décentralisation.

D.Diffusion et suivi

45. L ’ État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte et du Protocole facultatif s ’ y rapportant, de son rapport initial et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays, ainsi qu ’ auprès du grand public, pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte. L ’ État partie devrait faire en sorte que le rapport et les présentes observations finales soient traduits dans sa langue officielle.

46. Conformément au paragraphe 5 de l ’ article 71 du règlement intérieur du Comité, l ’ État partie est invité à faire parvenir, le 8 novembre 2021 au plus tard, des renseignements sur la suite qu ’ il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 8 ( Institution nationale des droits de l ’ homme ), 12 ( Égalité entre les hommes et les femmes ) et 44 ( décentralisation ) ci-dessus.

47.En conformité avec le cycle d ’ examen prévisible du Comité, l ’ État partie recevra du Comité en 2025 la liste de points à traiter avant soumission du rapport et aura un an pour soumettre ses réponses à la liste de points, qui constitueront son deuxième rapport périodique. Il demande également à l ’ État partie, lorsqu ’ il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l ’ Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l ’ État partie se tiendra en 2027, à Genève.