Nations Unies

CCPR/C/99/D/1872/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

24 août 2010

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-neuvième session

12-30 juillet 2010

Décision

Communication no 1872/2009

Présentée par:

D. J. D. G. et consorts (les auteurs sont représentés par un conseil, Lina Anani)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Canada

Date de la communication:

8 avril 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92/97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 avril 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la  décision:

26 juillet 2010

Objet:

Expulsion du Canada vers la Colombie; accès à la procédure d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR)

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; défaut d’objet de la plainte

Questions de fond:

Risque de privation arbitraire du droit à la vie; non-refoulement; détention arbitraire; conditions de détention; droit à un procès équitable; vie de famille et intérêt supérieur de l’enfant

Articles du Pacte:

2 (par. 2 et 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par.1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1)

Article s du Protocole facultatif:

1er et 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-neuvième session)

concernant la

Communication no 1872/2009 *

Présentée par:

D. J. D. G. et consorts (représentés par un conseil, Lina Anani)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Canada

Date de la communication:

8 avril 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication, datée du 8 avril 2009, sont D. J. D. G. (premier auteur, une femme), son compagnon, E. G. A. (deuxième auteur), et deux enfants mineurs, D. A. A. D. et L. S. A. D., tous de nationalité colombienne. Ils affirment que leur expulsion du Canada vers la Colombie constituerait une violation du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Les auteurs sont représentés par un conseil, Mme Lina Anani.

1.2Le 9 avril 2009, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé de demander des mesures provisoires en vertu de l’article 92 du Règlement intérieur.

1.3Le 22 octobre 2009, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la recevabilité de la communication serait examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1La grand-mère et la mère du premier auteur possédaient une ferme à Chiquinquira, Boyaca (Colombie). Les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) s’en seraient prises à elles, les auraient obligées à verser un impôt révolutionnaire (vacuna) et se seraient servies de la famille pour stocker des produits chimiques destinés à la fabrication de stupéfiants. Lorsque la famille n’a plus été en mesure de payer cet impôt, elle a fui à Bogota.

2.2En 1997, alors que le premier auteur était âgé de 13 ans, les FARC ont enlevé sa mère et son frère âgé de 4 ans à Bogota. Les FARC ont demandé une rançon et envoyé les empreintes digitales de la mère du premier auteur à la famille, les menaçant de la tuer si la rançon n’était pas versée. Le frère du premier auteur a reçu des coups; on lui a entaillé le visage avec le couvercle d’une boîte de conserve et on l’a frappé avec un poing américain. Après qu’une partie de la rançon a été payée, la mère et le frère du premier auteur ont été libérés. Une plainte a été déposée auprès des autorités colombiennes. La mère du premier auteur s’est alors enfuie seule aux États-Unis.

2.3En 2002, alors que la mère du premier auteur s’était rendue des États-Unis en Colombie, elle a de nouveau été enlevée par les FARC qui l’ont gardée pendant dix jours. Elle a été maltraitée et a reçu plusieurs fois des coups de couteau aux mains et aux jambes. Lorsqu’elle a essayé de s’enfuir, on lui a tiré une balle dans la jambe et on l’a laissée sur la route. Elle a de nouveau déposé une plainte pour enlèvement et a fui le pays une deuxième fois.

2.4Quelques mois plus tard, le premier auteur a été enlevée par les FARC en représailles pour la plainte déposée par sa mère. Pendant sa détention, elle a subi plusieurs viols et autres formes d’agressions sexuelles. On lui a tailladé les jambes avec des tessons de bouteille et brûlé les mains avec des mégots de cigarettes. À la suite des viols, elle est tombée enceinte, elle est devenue déprimée et suicidaire, et porteuse du HPV, qui a provoqué un cancer du col de l’utérus. Pendant sa grossesse, elle a rencontré son compagnon et une fille est née de cette union en 2007.

2.5En octobre 2008, les auteurs ont quitté la Colombie et se sont enfuis aux États-Unis à la suite d’un incident au cours duquel un homme qui s’appuyait contre la voiture du deuxième auteur a été tué par balle. La famille pense que cet homme avait été pris pour le deuxième auteur. Au même moment, l’oncle du premier auteur a reçu des menaces de mort par téléphone, à la suite de quoi il s’est enfui avec sa famille en Argentine où ils vivent cachés sous une fausse identité. Les auteurs pensent que les tentatives de certains membres de la famille du premier auteur − qui ne vivent pas en Colombie − en vue de récupérer la ferme familiale ont conduit les FARC à s’attaquer encore à eux.

2.6Les auteurs se sont rendus au Canada par voie terrestre avec les deux plus jeunes enfants du premier auteur qu’ils ont laissés à leur mère aux États-Unis. Ils ont poursuivi leur voyage jusqu’au Canada, où vit le parrain du deuxième auteur. Ils ont déposé une demande du statut de réfugié à la frontière en janvier 2009. Le 26 janvier 2009, leur demande a été déclarée irrecevable en vertu de l’article 101 e) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés en raison de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs et ils ont été renvoyés aux États-Unis, où le deuxième auteur a été mis en détention. Une interdiction de territoire a été prononcée, qui les empêchait de retourner au Canada pendant un an.

2.7Le 16 février 2009, les auteurs ont de nouveau cherché à demander l’asile au Canada après avoir traversé la frontière à pied. Compte tenu de la décision du 26 janvier 2009, leur demande a été déclarée irrecevable en vertu de l’article 101 c) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et ils ont été arrêtés. Le 1er avril 2009, ils ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Le 3 avril 2009, ils ont été informés que leur demande avait été refusée conformément à l’article 112 2) d) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, lequel dispose que les personnes qui sont restées en dehors du Canada pendant moins de six mois et qui y sont revenues ne peuvent en bénéficier. Les auteurs affirment que, même s’ils étaient restés en dehors du Canada pendant plus de six mois, ils ne pourraient toujours pas bénéficier de cette procédure en raison de l’article 112 2) b) de la loi susmentionnée, qui dispose qu’une personne dont la demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’article 101 1) e) de la loi n’est pas admise à demander une ERAR, étant donné que les auteurs sont arrivés depuis les États-Unis où leur demande de protection aurait pu être évaluée.

2.8Le 6 avril 2009, les auteurs ont été officiellement informés qu’ils seraient renvoyés en Colombie le 9 avril 2009. Le 7 avril 2009, ils ont demandé au Ministre de la citoyenneté et de l’immigration de leur accorder, en vertu de l’article 25 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (motifs d’ordre humanitaire) une dérogation aux articles 101 1) c) et 112 2) d) de la même loi et l’autorisation de demander le statut de réfugié ou la reprise de la procédure ERAR les concernant. Ils ont également déposé une requête urgente demandant qu’il soit sursis à leur expulsion. Le 8 avril 2009, le Gouvernement canadien a informé les auteurs que leur expulsion était provisoirement annulée et qu’une nouvelle date d’expulsion pouvait être fixée à tout moment. Les auteurs expliquent que l’État partie a suspendu la procédure d’expulsion par voie administrative et non par voie judiciaire. Ce faisant, il conserve le contrôle du moment où il prendra d’autres mesures en vue de renvoyer les auteurs et limite leurs possibilités de réclamer leur remise en liberté.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’il y a des motifs sérieux de penser que leurs droits en vertu du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte seraient violés et qu’ils subiraient un préjudice irréparable s’ils étaient renvoyés en Colombie.

3.2Les auteurs déclarent que les dispositions législatives en vigueur dans l’État partie les privent de la possibilité d’obtenir une évaluation de leur allégation de persécution du fait qu’ils ont déposé à la frontière entre les États-Unis et le Canada une demande qui a été rejetée en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs et qu’ils ont fait une deuxième tentative une fois arrivés sur le sol canadien. Ils affirment que le caractère contradictoire des dispositions concernées vise à faire en sorte que l’Entente sur les tiers pays sûrs soit strictement respectée et que les personnes qui entrent sur le territoire canadien par voie terrestre depuis les États-Unis soient contraintes de déposer leur demande dans ce pays. Cependant, démunis et ne pouvant bénéficier de conseils juridiques à propos de ces questions de droit très techniques, les auteurs ont pris certaines décisions sans comprendre qu’elles auraient des conséquences très graves. Vu qu’ils sont entrés au Canada à pied, sans passer par un point d’entrée terrestre officiel, la loi ne les autorise pas à retourner aux États-Unis. En conséquence, et contrairement au principe du non-refoulement, ils sont renvoyés directement en Colombie sans évaluation des risques et sans pouvoir solliciter une protection ailleurs. Ils affirment que, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ils sont privés d’un recours utile pour demander l’examen de leurs demandes au fond conformément au paragraphe 1 de l’article 6, à l’article 7, au paragraphe 1 de l’article 23 et au paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. De surcroît, les auteurs ne peuvent contester la législation de l’État partie devant la Cour fédérale vu qu’il n’y a pas eu d’«erreur de droit» selon les autorités.

3.3Les auteurs font valoir qu’ils ont fourni des preuves crédibles attestant que leur renvoi en Colombie les exposerait à un risque sérieux de privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, et de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation du paragraphe 1 de l’article 7 du Pacte.

3.4Les auteurs avancent en outre que la législation qui les prive d’une évaluation des risques ne tient pas compte des intérêts des deux enfants mineurs, vu que les menaces qui pèseraient sur ceux-ci s’ils retournaient en Colombie ne sont pas examinées. De surcroît, le Ministre n’a pas pris de décision conformément à l’article 25 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et n’a donc pas pris en considération l’intérêt supérieur des deux enfants. Les auteurs affirment qu’il y aurait violation des droits des enfants en vertu du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Dans la mesure où le renvoi des parents en Colombie compromettrait leur équilibre, ce renvoi constituerait en outre une violation des droits des enfants en vertu du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 20 août et le 22 décembre 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication et a demandé que les mesures provisoires soient levées ou que le Comité prenne une décision concernant la recevabilité à sa prochaine session. Il explique qu’une nouvelle demande d’ERAR a été déposée le 11 août 2009 et qu’il a été sursis à l’expulsion des auteurs. Le 3 novembre 2009, la demande d’ERAR présentée par les auteurs a été rejetée et leur demande d’examen judiciaire par la Cour fédérale est pendante.

4.2L’État partie rappelle les faits et explique que les auteurs sont entrés aux États-Unis par le Mexique en novembre 2008 sans avoir été contrôlés à la frontière. Le 21 janvier 2009 ils sont arrivés au poste frontière terrestre américano-canadien et ont demandé le statut de réfugié. Leur demande a été déclarée irrecevable en vertu de l’article 101 1) e) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs et ils ont été renvoyés aux États-Unis. Ils ont demandé l’asile aux États-Unis et une audience a été fixée pour le 30 avril 2009. À une date non précisée, ils sont revenus sur le territoire de l’État partie et ont déposé une deuxième demande d’asile le 16 février 2009. Leur demande a été déclarée irrecevable en vertu de l’article 101 1) c) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés vu que leur première demande l’avait déjà été. Le 1er avril 2009, les auteurs ont déposé une demande d’ERAR qui a été rejetée conformément à l’article 112 2) d) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés vu qu’il s’était écoulé moins de six mois après le rejet de leur demande de protection au titre du statut de réfugié. Le 7 avril 2009, les auteurs ont demandé au Ministre de la citoyenneté et de l’immigration une dérogation aux dispositions relatives à l’irrecevabilité. Le 8 avril 2009, ils ont été informés que leur expulsion avait été annulée.

4.3Lorsqu’elles ont examiné la deuxième demande d’ERAR déposée par les auteurs, les autorités, outre les faits tels que présentés par les auteurs, ont consulté des «sources impartiales et dignes de foi» comme les recherches sur le pays d’origine effectuées par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et le rapport de pays sur les pratiques relatives aux droits de l’homme publié en 2008 par le Département d’État américain. Elles ont conclu que depuis le départ des auteurs en octobre 2008, la situation des droits de l’homme et les conditions de sécurité en Colombie s’étaient considérablement améliorées, qu’il y avait eu une diminution notable du nombre de massacres et d’enlèvements et que le nombre total de membres des FARC s’était réduit. Elles ont noté en outre qu’il n’y avait pas de preuves suffisantes que la police ne pourrait ou ne voudrait fournir une protection aux auteurs. Elles ont aussi relevé que les auteurs s’étaient d’abord rendus au domicile de la mère du premier auteur à New York mais n’avaient pas cherché à demander l’asile aux États-Unis, alors qu’on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce qu’ils fassent une telle demande dans le premier pays sûr où ils étaient arrivés.

4.4L’État partie déclare que la Cour fédérale demeurant saisie de la demande d’examen judiciaire, la communication est devenue irrecevable pour non-épuisement des recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.5À titre subsidiaire, l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut d’objet. Étant donné que le grief des auteurs est fondé sur le fait qu’ils font l’objet d’une décision d’expulsion sans pouvoir bénéficier d’aucune forme d’examen de leur demande de protection et vu qu’ils ont été en mesure de solliciter une ERAR, les faits qui ont donné lieu à la communication ont cessé d’exister. Rappelant la jurisprudence du Comité, l’État partie soutient que les auteurs ne peuvent plus se plaindre d’une violation du Pacte, les incohérences alléguées ayant été corrigées par l’État partie. La communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

4.6L’État partie affirme en outre que les éléments de preuve présentés sont insuffisants pour étayer les allégations des auteurs, même à première vue. À supposer que les faits tels que présentés par les auteurs soient avérés, il n’en reste pas moins que les auteurs présumés des persécutions sont des acteurs non étatiques − les FARC − que les auteurs n’ont pas signalé leurs mauvais traitements aux autorités colombiennes et qu’ils n’ont pas démontré que celles-ci ne seraient pas en mesure de les protéger. L’État partie souligne que les allégations relatives à l’inaction de la police face aux plaintes déposées par la mère du premier auteur en 1997 et 2002 ne prouvent pas que les auteurs ne pourraient bénéficier d’une protection de la police à l’heure actuelle en Colombie. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité dans la communication Khan c. Canada, dans laquelle le Comité a conclu que l’auteur n’avait pas démontré que les autorités de l’État ne pourraient ou ne voudraient pas le protéger et a déclaré la communication irrecevable pour défaut de fondement. L’État partie déclare que cela est conforme à l’approche adoptée par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui considère que les actes commis par des acteurs non étatiques peuvent être considérés comme des persécutions au sens de la Convention relative au statut des réfugiés s’ils sont sciemment tolérés par les autorités ou si les autorités refusent ou sont incapables d’offrir une protection efficace. Outre les sources consultées par le fonctionnaire responsable de l’ERAR, l’État partie cite des rapports d’Amnesty International et de Human Rights Watch qui font état d’un affaiblissement notable des FARC en Colombie pour étayer sa conclusion selon laquelle les auteurs ne seraient pas exposés à un risque réel de violation des articles 6 et 7 du Pacte.

4.7Concernant l’allégation des auteurs relative à une violation du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, l’État partie affirme que les auteurs seraient expulsés ensemble et que par conséquent les intérêts de la famille et des enfants ne seraient pas compromis.

4.8Enfin, l’État partie rappelle la jurisprudence constante du Comité selon laquelle il n’appartient pas au Comité de réexaminer l’appréciation des faits et des preuves par les autorités nationales, sauf s’il peut être établi qu’elle a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il affirme que l’évaluation à laquelle a procédé le fonctionnaire chargé de l’ERAR était raisonnable et pleinement fondée et qu’il n’est donc pas de la compétence du Comité d’en réexaminer les conclusions.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans des lettres du 30 janvier 2010 et du 24 mai 2010, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur la recevabilité de leur communication. Outre les griefs formulés dans leur lettre initiale, ils dénoncent des violations du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 14.

5.2Les auteurs réfutent l’argument de l’État partie qui objecte qu’ils avaient fait une demande d’asile aux États-Unis et expliquent qu’une procédure d’expulsion a été engagée et qu’ils ont été convoqués à une audience le 30 avril 2009 en vue de leur expulsion des États-Unis vers la Colombie.

5.3Les auteurs complètent les faits tels qu’ils ont été présentés et affirment que les autorités de l’État partie les ont libérés en juin 2009 pour engager une ERAR assortie d’un sursis à l’expulsion en juillet 2009. Le 7 octobre 2009 leur demande d’évaluation des risques a été rejetée; leur demande d’appel et d’examen judiciaire auprès de la Cour fédérale demeure pendante. Le 24 février 2010, la Cour fédérale a entendu les auteurs à propos du défaut d’objet de leur demande de reprise de la première procédure d’ERAR. La décision concernant le défaut d’objet et la question de savoir si la Cour fédérale est compétente en l’espèce n’a pas encore été rendue. Les auteurs expliquent qu’il n’y a pas eu d’audience sur le fond.

5.4Concernant l’argument de l’État partie qui affirme que la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, les auteurs maintiennent que les dispositions législatives de l’État partie sont à première vue contraires au Pacte et que leur affaire doit donc être examinée au fond. Ils affirment en outre qu’en raison des circonstances exceptionnelles de l’affaire, le Comité devrait demeurer saisi de la communication dans l’attente du résultat des procédures nationales, compte tenu en particulier du fait que leur renvoi en Colombie constituerait une violation du Pacte.

5.5Les auteurs affirment que les lois, telles qu’elles leur sont appliquées, sont contraires au Pacte et notamment au paragraphe 2 de l’article 2. Ils affirment en outre que leur détention, qui a été prolongée pendant plus de quatre mois en raison d’un prétendu risque de fuite, était contraire au paragraphe 1 de l’article 9. En particulier, le fait que la décision d’annulation de leur expulsion est administrative et donc de caractère non contraignant les empêche de dénoncer une détention arbitraire. Après leur libération, leur demande d’examen de la détention est devenue sans objet, ce qui a empêché tout examen par les juridictions nationales. Ils affirment également que les conditions de détention ont été préjudiciables pour leur aîné. L’enfant a été séparé de son père et son état psychologique s’est considérablement détérioré. Il est devenu agressif et incontinent et a exprimé des idées suicidaires, demandant à rejoindre son arrrière-grand-mère au ciel alors qu’il comprenait bien qu’elle était morte. De plus, l’enfant n’a pas été inscrit à l’école et n’a bénéficié que de quelques activités scolaires sporadiques assurées par des bénévoles. Les autres membres de la famille ont également souffert d’être séparés les uns des autres, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10, en particulier à l’égard de l’aîné des enfants. Enfin, les auteurs affirment que la décision concernant leur demande d’ERAR n’a pas été prise de manière indépendante et impartiale et qu’elle reposait uniquement sur le souci du Gouvernement d’éviter une action en justice. Elle constitue donc une violation du droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial en vertu du paragraphe 1 de l’article 14.

5.6Les auteurs affirment que la législation de l’État partie telle qu’elle leur a été appliquée, les empêchant de déposer une demande du statut de réfugié en raison de leur entrée sur le territoire de l’État partie depuis les États-Unis, et les empêchant aussi de demander une ERAR en raison de leur renvoi antérieur en vertu de l’Entente entre le Canada et les États-Unis sur les tiers pays sûrs et de leur retour moins de six mois après, est contraire à l’obligation de l’État partie d’empêcher les violations du Pacte, et en particulier au principe du non-refoulement. Les auteurs rappellent la jurisprudence du Comité selon laquelle la condamnation automatique et obligatoire à la peine de mort constitue une privation arbitraire du droit à la vie et affirment que l’application de la législation de l’État partie conduit automatiquement à enfreindre le principe de non-refoulement, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7.

5.7Les auteurs affirment que leur plainte n’est pas devenue sans objet car le contentieux entre les parties relatif à leur ERAR n’est pas devenu caduc. Se référant à un échange de courriers électroniques entre le Ministère de la justice, le responsable de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) et l’unité de l’ERAR, dans lequel le chargé de liaison pour la justice du CIC souligne les craintes relatives à une action en justice auprès du coordonnateur de l’ERAR, les auteurs affirment que le rejet de leur demande d’ERAR est dû à l’ingérence du Gouvernement et ne repose pas sur le fond de la demande. Ils affirment en outre que l’ERAR les concernant a été précipitée et qu’une décision a été rendue dans un délai inhabituellement bref sans qu’ils puissent fournir d’éléments de preuve supplémentaires, notamment une évaluation de leur situation par Amnesty International. Ils expliquent aussi que leur demande de dérogation en vertu de l’article 25 n’a pas encore été tranchée et que cette question n’est donc pas devenue caduque.

Réponse complémentaire de l’État partie

6.1Dans une réponse du 22 juin 2010, l’État partie a fait le point des procédures nationales et demandé une nouvelle fois au Comité de lever les mesures provisoires. Il a souligné en outre qu’il n’avait pas encore eu la possibilité de répondre aux nouvelles allégations des auteurs au titre du paragraphe 2 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

6.2L’État partie indique que la demande d’examen judiciaire de leur première demande d’ERAR que les auteurs ont adressée à la Cour fédérale a été rejetée le 1er juin 2010. La Cour a considéré que la demande était sans objet, vu que les auteurs avaient déjà bénéficié d’une évaluation des risques avant renvoi. Il fait aussi observer que l’on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les auteurs déposent une demande du statut de réfugié dans le premier pays sûr au lieu de rester aux États-Unis pendant trois mois chez la mère du premier auteur avant de se rendre au Canada pour faire leur demande là-bas. L’État partie souligne que la décision de la Cour fédérale démontre que le système national de protection des réfugiés est efficace s’agissant d’empêcher le renvoi d’une personne dans un pays où elle risquerait de subir une violation du paragraphe 1 de l’article 6, ou de l’article 7, du Pacte. Il affirme que la communication des auteurs doit être déclarée sans objet en vertu de l’article premier du Protocole facultatif vu que le recours demandé − une évaluation des risques avant renvoi − a déjà été accordé.

6.3Concernant la deuxième demande d’examen judiciaire du rejet de leur demande d’ERAR que les auteurs ont adressée à la Cour fédérale, l’État partie indique que l’autorisation de faire appel a été accordée et qu’une audience est prévue pour le 13 juillet 2010. L’État partie affirme que la procédure en cours atteste que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et que la communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que la demande d’ERAR déposée par les auteurs a été rejetée le 7 octobre 2009 et que leur demande d’autorisation de faire appel et d’examen judiciaire demeure pendante devant la Cour fédérale, une audience étant prévue pour le 13 juillet 2010. Il note aussi que le 1er juin 2010, la Cour fédérale a rejeté la demande des auteurs, la déclarant sans objet vu qu’ils avaient déjà bénéficié de ce qu’ils attendaient de l’examen judiciaire − une évaluation des risques avant renvoi. Il note en outre l’argument de l’État partie qui affirme que la communication doit être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité note l’argument des auteurs qui affirment que bien que des procédures nationales soient encore en instance, le Comité devrait demeurer saisi de la question en raison de leur expulsion prévue vers la Colombie et parce que les dispositions législatives de l’État partie sont à première vue contraires à celles du Pacte. Le Comité constate qu’au moment où il examine la communication, des recours internes sont encore pendants devant la Cour fédérale de l’État partie. Il relève en outre qu’une décision favorable de la Cour fédérale pourrait concrètement mettre fin à la procédure d’expulsion des auteurs vers la Colombie, auquel cas leur communication deviendrait sans objet. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et déclare que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adoptée en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]