Nations Unies

CCPR/C/99/D/1609/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

24 août 2010

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Quatre-vingt-dix-neuvième session

12-30 juillet 2010

Décision

Communication no 1609/2007

Présentée par:

Chen, Zhi Yang (représenté par un conseil, Michel Arnold Collet)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays-Bas

Date de la communication:

21 mai 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 octobre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

26 juillet 2010

Objet:

Expulsion de l’auteur (qui était mineur lorsqu’il a déposé sa demande d’asile) vers la Chine

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; grief irrecevable ratione materiae

Questions de fond:

Peines ou traitements inhumains ou dégradants; immixtions arbitraires ou illégales dans la vie privée et la famille; mesures de protection dues à un enfant

Articles du Pacte:

7, 17 et 24

Articles du Protocole facultatif:

2, 3 et 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-dix-neuvième session)

concernant la

Communication no 1609/2007 **

Présentée par:

Chen, Zhi Yang (représenté par un conseil, Michel Arnold Collet)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Pays-Bas

Date de la communication:

21 mai 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 26 juillet 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication, datée du 21 mai 2007, est M. Chen, Zhi Yang, de nationalité chinoise, originaire de la province du Sichuan, né en 1988. Il se déclare victime de violations par les Pays-Bas des articles 7, 17 et 24 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 22 juillet 2003, en rentrant du marché, l’auteur a trouvé ses deux parents morts dans le jardin. Il pensait qu’ils avaient été tués parce que son père avait des dettes. Après avoir enterré ses parents, il a pris contact avec les voisins, qui n’ont pas pu l’aider. L’auteur n’a pas jugé utile d’avertir la police car il n’avait pas d’argent; or les policiers n’aidaient que les personnes qui avaient les moyens de leur verser d’importants pots-de-vin. Quatre jours plus tard, un homme était venu voir l’auteur et lui avait dit qu’il l’avait «acheté» à son père décédé à titre de règlement des dettes. Il avait battu l’auteur, l’avait enfermé et l’avait finalement emmené de force aux Pays-Bas, où l’auteur était arrivé en août 2003. L’auteur avait réussi à échapper à son ravisseur et avait déposé une demande d’asile le 20 août 2003 à l’aéroport de Schiphol.

2.2Un premier entretien a eu lieu le 21 août 2003, puis un deuxième le 26 février 2004. Ils se sont déroulés en mandarin, avec le concours d’un interprète. Le 14 décembre 2004, aucune décision n’ayant été rendue sur sa demande d’asile, l’auteur a déposé une requête auprès du tribunal de district de La Haye siégeant à Zwolle. Par décision du 5 juillet 2005, le Bureau de l’immigration et de la naturalisation a rejeté sa demande de permis de séjour temporaire au titre de l’asile ainsi que, ex proprio motu, sa demande de permis de séjour temporaire ordinaire; le principal motif du rejet était que les faits tels que les avait présentés l’auteur n’étaient pas vraisemblables, notamment parce qu’il n’avait pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il n’avait pas sollicité l’assistance et la protection des autorités chinoises. Le Bureau de l’immigration et de la naturalisation a également estimé qu’il y avait en Chine suffisamment d’institutions chargées de la protection des mineurs auxquelles l’auteur aurait pu s’adresser. Le 5 décembre 2006, le tribunal de district de La Haye a confirmé la décision du Bureau de l’immigration et de la naturalisation. Par jugement du 11 janvier 2007, la Division administrative du Conseil d’État a rejeté un autre recours formé par l’auteur, le jugeant irrecevable.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir que s’il l’expulsait vers la Chine, l’État partie commettrait une violation des articles 7, 17 et 24 du Pacte. En ce qui concerne l’article 7, il affirme qu’il risquerait de subir des peines ou des traitements inhumains ou dégradants s’il retournait en Chine car il a quitté le pays à l’âge de 15 ans sans être enregistré dans le système du hukou, puisque seuls les adultes ont un hukou (livret de résidence). Il est possible d’obtenir une carte d’identité à l’âge de 16 ans, mais la possession d’un hukou est une condition préalable à cette fin. Comme il ne peut pas prouver son identité et qu’il n’a pas les moyens de s’assurer à prix d’argent le concours des fonctionnaires, l’auteur affirme qu’il n’aura pas accès à l’éducation, aux soins de santé ni à aucune autre mesure d’aide sociale en Chine, en violation de l’article 7 du Pacte. L’auteur ajoute que l’individu qui l’a enlevé après l’avoir «acheté» pourrait le menacer à nouveau et l’exposer à des risques pour sa sécurité, car il ne sera pas en mesure de régler les dettes de son père.

3.2L’auteur affirme en outre que son expulsion vers la Chine constituerait une violation par l’État partie de l’article 17 parce qu’il vit aux Pays-Bas depuis qu’il a 15 ans, il fait des études, il a une vie sociale et qu’il «s’y sent chez lui». Il ajoute qu’il n’a pas de famille en Chine et fait valoir que son retour porterait atteinte à son droit au respect de la vie privée et de la vie de famille, en violation de l’article 17.

3.3L’auteur affirme en outre que son expulsion vers la Chine constituerait un manquement aux obligations découlant de l’article 24 du Pacte. Il souligne qu’il avait 15 ans lorsqu’il est arrivé aux Pays-Bas − il était donc mineur isolé − et que s’il est vrai qu’il n’est plus mineur, il a passé une période cruciale de son développement dans ce pays, il s’y est bien intégré et il a appris le néerlandais. D’après l’auteur, les autorités chargées de l’immigration n’ont pas tenu compte dans leurs décisions de son intérêt supérieur en tant que mineur. Il affirme en outre que dans la procédure d’asile, on a indûment fait peser sur lui la charge de prouver qu’il ne pourrait pas être accueilli dans un orphelinat en Chine L’auteur rappelle qu’il n’a pas de famille en Chine et qu’il sera en butte à de telles difficultés, tenant au fait de ne pas être en mesure de prouver son identité, qu’il sera contraint de vivre dans la rue.

3.4Dans une lettre du 29 mai 2007, l’auteur a informé le Comité qu’il ne recevait pas d’aide financière aux Pays-Bas et qu’il n’avait pas le droit de travailler, louer un logement ni bénéficier d’une prise en charge médicale. Sa carte d’identité lui avait été retirée par les autorités de l’État partie au terme de la procédure d’asile, qui s’était soldée par un rejet. En outre, il n’était pas en mesure d’obtenir de passeport puisqu’il ne pouvait pas prouver qu’il était d’origine chinoise et qu’il n’était pas valablement enregistré dans le système du hukou. L’auteur soulignait combien sa situation était difficile, étant donné que la loi ne l’autorisait pas à rester aux Pays-Bas mais qu’il ne pouvait pas retourner en Chine puisqu’il ne pouvait pas prouver son identité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une réponse du 27 novembre 2007, l’État partie fait observer que les griefs tirés des articles 17 et 24 du Pacte n’ont pas été soulevés devant les juridictions néerlandaises et devraient par conséquent être déclarés irrecevables en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

4.2Dans une lettre du 7 mai 2008, l’État partie indique également que l’argument de l’auteur qui fait valoir qu’il n’aurait pas accès aux prestations sociales en Chine parce qu’il n’est pas enregistré dans le système du hukou n’a pas été invoqué devant les tribunaux nationaux. Dans la mesure où l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte est fondée sur cet élément factuel, l’État partie fait valoir qu’il devrait lui aussi être déclaré irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

4.3Sur le fond, l’État partie affirme qu’en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 7 du Pacte, l’auteur n’a pas présenté suffisamment d’éléments pour montrer qu’il existe un risque prévisible et inévitable qu’il soit exposé à un traitement contraire à l’article 7 s’il est renvoyé en Chine. L’État partie affirme que, d’après les renseignements communiqués par son Ministère des affaires étrangères, toute famille chinoise possède un hukou ben, c’est-à-dire un livret de famille dans lequel sont consignés les faits d’état civil − naissance, mariage et décès. Tout Chinois peut être enregistré dans le système du hukou, même tardivement ou après un long séjour à l’étranger, encore que les lourdeurs bureaucratiques puissent retarder la procédure d’enregistrement. L’auteur était autrefois inscrit sur le passeport de son père et puisqu’il a affirmé pendant la procédure d’asile qu’il était allé à l’école en Chine, son nom doit figurer sur le registre de population. Il n’a produit aucun document officiel à l’appui de ses affirmations et il n’a entrepris aucune démarche auprès de la représentation diplomatique de la Chine aux Pays-Bas au sujet de son enregistrement dans le système hukou afin de pouvoir établir de manière crédible qu’il ne pourrait pas prouver son identité en Chine et qu’il ne pourrait donc pas prétendre aux prestations sociales ouvertes aux nationaux. L’État partie ajoute qu’à son retour en Chine l’auteur, aujourd’hui âgé de 22 ans, serait comme tout autre jeune adulte de son âge et, à ce titre, serait présumé capable de subvenir à ses besoins. L’auteur n’a présenté aucune preuve du contraire. L’État partie note en outre que l’article 7 du Pacte ne confère pas à l’auteur le droit de demeurer aux Pays-Bas pour pouvoir bénéficier de prestations sociales. En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que l’individu qui l’a «acheté» pourrait le menacer, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas montré que les autorités chinoises ne voulaient pas ou ne pouvaient pas le protéger. Il conclut que les griefs tirés de l’article 7 du Pacte sont dénués de fondement.

4.4Pour ce qui est de l’article 17, l’État partie fait observer qu’il n’a jamais été délivré de permis de séjour à l’auteur et qu’aucune promesse ne lui a été faite dans ce sens. C’est donc en toute connaissance des risques qu’il s’est constitué un réseau social et qu’il a établi des liens personnels avec les Pays-Bas. Il a vécu en Chine pratiquement toute sa vie, il parle le chinois et il connaît les coutumes chinoises. Il n’a pas présenté de preuves montrant qu’il ne pourrait plus s’adapter à la vie en Chine. L’État partie ajoute que les références de l’auteur à la jurisprudence du Comité sont dépourvues de pertinence car, contrairement aux personnes en cause dans l’affaire citée, l’auteur n’a pas de famille aux Pays-Bas, et il a déjà atteint l’âge de la majorité.

4.5En ce qui concerne les griefs de l’auteur qui affirme que son renvoi en Chine entraînerait un manquement à l’obligation d’assurer aux mineurs des mesures de protection qui incombe à l’État partie en vertu de l’article 24, l’État partie fait observer que dans le cadre de sa législation et de sa pratique en matière d’asile, l’âge des demandeurs est dûment pris en considération pendant les entretiens et l’examen de la relation des faits présentés à l’appui de leur demande. Les mineurs isolés dont la demande d’asile a été rejetée doivent en principe retourner dans leur pays d’origine ou aller dans un autre pays où l’on pense qu’ils peuvent raisonnablement se rendre. Ces mineurs peuvent obtenir un permis de séjour temporaire mais ils sont en principe tenus de retourner dans leur pays d’origine lorsque des soins et une protection appropriés sont réputés exister dans ce pays. Le demandeur peut néanmoins apporter des preuves montrant qu’il n’y a pas de protection dans le pays de renvoi ou que la protection existante n’est pas suffisante. Pour ce qui est de l’auteur, l’État partie a établi, en se fondant sur différents rapports relatifs à la Chine, qu’il existait en Chine une prise en charge adéquate des mineurs isolés. L’auteur n’a présenté aucune preuve du contraire. L’État partie réaffirme qu’à son retour en Chine, l’auteur, qui est adulte, sera présumé capable de subvenir à ses besoins. L’État partie conclut par conséquent que les griefs tirés de l’article 24 sont dénués de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Dans une note du 21 juillet 2008, l’auteur réaffirme que son intérêt supérieur en tant que mineur n’est pas d’être renvoyé dans un pays où il n’a plus de famille et où il ne connaît plus personne. Cela est d’autant plus vrai qu’au fil des ans, il a noué des liens solides avec les Pays-Bas. Il ajoute que, comme il a quitté la Chine illégalement, il lui serait impossible de se faire enregistrer de nouveau à son retour sans payer une amende. L’auteur soutient en outre qu’une personne peut prouver que son nom est enregistré par les autorités, mais qu’il est en revanche impossible de prouver le contraire. Le système du hukou est un système d’enregistrement des ménages et il est régulièrement mis à jour en fonction des départs à l’étranger ou des décès. L’auteur était mineur lorsqu’il a quitté le pays; il n’avait donc pas son propre hukou; comme son père est mort, son nom a dû disparaître de tous les registres. De ce fait, l’auteur ne peut attendre aucune protection de la part de la police. Il affirme que son renvoi en Chine constituerait une violation du droit au respect de la vie privée étant donné qu’il n’a plus de lien avec la culture chinoise et qu’il n’a en Chine ni parents ni amis sur lesquels compter.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 7 du Pacte, le Comité a pris note de l’argument de l’auteur qui fait valoir que s’il était expulsé vers la Chine il risquerait d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants interdits par l’article 7 du Pacte, parce qu’il ne serait pas en mesure de prouver son identité aux autorités chinoises. L’État partie affirme que sur ce point l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, ce que l’auteur n’a pas contesté. Le Comité note que devant les juridictions de l’État partie l’auteur a fondé essentiellement sa demande d’asile sur le risque qu’il courait, s’il retournait en Chine, d’être persécuté par l’individu qui l’avait enlevé. Le Comité rappelle que le principe d’épuisement des recours internes, qui permet à l’État partie de réparer une violation alléguée avant que la même question ne soit soumise au Comité, oblige l’auteur à soulever devant les juridictions internes les questions de fond présentées au Comité, et il déclare par conséquent cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne l’argument avancé par l’auteur au titre de l’article 7 selon lequel l’individu qui l’aurait enlevé pourrait le menacer ou lui faire du mal s’il retournait en Chine, le Comité note que l’individu en question n’est pas un agent étatique et que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que les autorités chinoises ne pouvaient pas ou ne voulaient pas le protéger contre les actes que pourraient commettre des particuliers. Le Comité déclare donc cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne les articles 17 et 24, le Comité relève que l’État partie objecte que les griefs n’ont pas été soulevés devant les tribunaux nationaux, ce que l’auteur ne conteste pas. Le Comité déclare par conséquent cette partie de la communication irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6Au sujet de l’article 24, le Comité note en outre que l’auteur, qui est né en 1988, n’est plus mineur. En conséquence, son éventuelle expulsion ne porterait atteinte à aucun droit consacré par cet article. Le grief de violation de l’article 24 est donc irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif car il est incompatible avec les dispositions du Pacte.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]