Nations Unies

CRPD/C/24/D/20/2014

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

30 avril 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 20/2014 * , **

Communication présentée par :

Grainne Sherlock (représentée par le cabinet Australian Centre for Disability Law)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Australie

Date de la communication :

24 février 2014 (lettre initiale)

Références :

Décision en application de l’article 70 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 mars 2021

Objet :

Discrimination fondée sur le handicap ; accès à un visa de travail

Question(s) de procédure :

Juridiction/Compétence

Question(s) de fond :

Discrimination fondée sur le handicap ; liberté de circulation ; droit de choisir librement son lieu de résidence ; accès à un visa de travail

Article(s) de la Convention :

4, 5 et 18

Article(s) du Protocole facultatif :

1er (par. 1)

1.L’auteure de la communication est Grainne Sherlock, de nationalité irlandaise, née le 28 janvier 1977. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 4, 5 et 18 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 septembre 2009. L’auteure est représentée par un conseil.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1En 2001, une sclérose en plaques a été diagnostiquée chez l’auteure. Depuis 2008, le Tysabri, un anticorps monoclonal, lui est prescrit comme traitement principal. Le Tysabri est administré par perfusion intraveineuse, toutes les quatre semaines, et requiert une brève hospitalisation. Ce traitement a été très efficace pour l’auteure, qui a pu rester en forme et en bonne santé et sans symptômes apparents. L’auteure est mariée et mère de deux enfants.

2.2L’auteure occupait un poste de commerciale cadre supérieur dans la société Oracle à Dublin. En juin 2012, en pleine récession, elle s’est portée candidate pour un poste de niveau supérieur au bureau d’Oracle à Melbourne (Australie), dans l’espoir d’obtenir la sécurité de l’emploi et une promotion et de progresser dans sa carrière. Le 5 novembre 2012, elle a été sélectionnée pour ce poste, qu’elle a accepté le 8 novembre 2012. Le 30 novembre 2012, l’auteure a soumis par voie électronique une demande de visa de travail (main‑d’œuvre qualifiée) (visa de sous-classe 457) auprès du Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté. Sa demande était parrainée par la société Oracle.

2.3Lorsqu’elle a fait sa demande de visa, l’auteure a fourni les informations requises. Quiconque soumet une demande pour un visa de sous-classe 457 doit satisfaire au critère 4006A lié aux exigences d’intérêt public en matière de santé (Health Requirement s of Public Interest Criteri on 4006A), qui est énoncé dans le règlement sur les migrations (Migration Regulation s) de 1994 et selon lequel les demandeurs doivent être exempts de toute maladie ou affection pour laquelle ils risqueraient de nécessiter la prestation de soins de santé ou de services communautaires pendant la période couverte par le visa, si l’apport du traitement requis représente un coût important pour les autorités australiennes ou s’il compromet l’accès d’un citoyen australien ou d’un résident permanent aux soins de santé. Une dispense de cette obligation de bonne santé peut être accordée si l’employeur s’engage à prendre en charge tous les frais médicaux de la personne qu’il recrute. De plus, comme la procédure l’exige de tous les demandeurs d’un visa de sous-classe 457, l’auteure a souscrit la police d’assurance Platinum pour visiteurs étrangers (Platinum Overseas Visitors Cover) auprès de la compagnie d’assurance Bupa. En outre, un accord de réciprocité pour les soins de santé étant en place entre l’Australie et l’Irlande, l’auteure était autorisée à adhérer au système public australien d’assurance maladie, Medicare, à son arrivée en Australie. En pareil cas, le coût du traitement par le Tysabri aurait été pris en charge par Medicare et l’auteure aurait été dispensée de l’obligation de contracter une assurance santé privée.

2.4Dans sa demande de visa, l’auteure a mentionné le diagnostic de sa sclérose en plaques, que le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté a ensuite considéré comme étant une pathologie importante. Le 21 décembre 2012, à la demande dudit Ministère, l’auteure a subi un examen médical. Le 28 janvier 2013, le même Ministère a informé Deloitte, « agent de migration » chez Oracle, que l’auteure ne satisfaisait pas à l’obligation de bonne santé, car le coût du traitement de sa sclérose en plaques pour une période de quatre ans devait, selon les estimations, s’élever à 97 000 dollars australiens environ, ce qui dépassait le seuil applicable de 35 000 dollars australiens. Il mentionnait en outre que l’auteure pourrait être admise à bénéficier de la dispense de l’obligation de bonne santé si, sous vingt‑huit jours, elle soumettait un document par lequel Oracle, en tant que « nominator », c’est-à-dire entité parrainant sa demande de visa, s’engageait à prendre en charge tous les coûts liés au traitement médicamenteux ou autre pour sa sclérose en plaques pendant toute la durée de son séjour en Australie. L’auteure a transmis cette information à Oracle. Le 31 janvier 2013, elle a informé Oracle et Deloitte qu’elle était disposée à s’acquitter personnellement de tous frais médicaux non couverts par l’assurance en Australie et à voir les montants correspondants déduits de son salaire. Le 1er février 2013, le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté a informé Deloitte qu’un accord privé de ce genre n’était pas permis par le droit australien. Le 15 février 2013, Oracle a refusé de signer l’engagement de parrainage en raison de la responsabilité illimitée qui en résulterait pour l’entreprise. Le 22 février 2013, Oracle a retiré la demande de visa de l’auteure et annulé sa nomination pour le poste à Melbourne.

2.5Parallèlement, le 19 février 2013, l’auteure a eu confirmation auprès de l’assureur Bupa que sa police d’assurance couvrirait le coût du traitement par le Tysabri si cet anticorps était administré dans un hôpital privé. Bupa a aussi informé l’auteure que sa police d’assurance couvrirait le coût des séjours à l’hôpital pour l’administration d’une perfusion le jour même, lorsque l’hospitalisation était requise sur le plan clinique, ainsi que les soins en régime hospitalier à hauteur de 100 % du tarif fixé par l’Association médicale australienne ou le montant complémentaire, si son médecin optait pour le régime d’assurance complémentaire de Bupa. Les traitements en ambulatoire seraient couverts à 150 %. L’auteure a communiqué les informations concernant la couverture garantie par son assurance à Oracle et à l’Autorité australienne d’enregistrement des agents de migration. En outre, le 1er mai 2013, elle a écrit une lettre au Ministre australien de l’immigration et de la citoyenneté, dans laquelle elle faisait part de ses préoccupations quant au refus opposé à sa demande de visa de sous-classe 457 et quant à la discrimination dont elle avait pâti en raison de sa maladie. L’auteure a souligné qu’elle avait proposé un certain nombre d’arrangements visant à rendre la dispense de l’obligation de bonne santé plus facilement acceptable par son employeur et que tous les coûts liés à son traitement et aux médicaments prescrits auraient été couverts par son assurance privée, mais le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté avait estimé que cela serait contraire au droit australien. Dans sa lettre, l’auteure a demandé que le traitement de son dossier par le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté fasse l’objet d’une enquête.

2.6Le 14 juin 2013, l’auteure a reçu une réponse d’un fonctionnaire du Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté dans laquelle ce dernier l’informait notamment qu’il avait eu confirmation auprès de Bupa que la police d’assurance de l’auteure ne couvrirait le coût des produits pharmaceutiques qu’à hauteur de 500 dollars australiens, et qu’une période de carence d’une durée de douze mois s’appliquait pour le traitement en lien avec ses affections préexistantes, dont sa sclérose en plaques. À cet égard, l’auteure allègue que le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté n’a pas tenu compte du fait que son traitement serait administré en milieu hospitalier et serait intégralement couvert par sa police d’assurance, sans délai de carence. En outre, le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté a affirmé que le règlement relatif aux demandes de visa de sous-classe 457 n’empêchait pas un employeur et un employé de conclure un accord privé concernant le remboursement de toutes dépenses de soins de santé que l’employeur s’engageait à couvrir. L’auteure affirme que cette information était contraire à l’avis émis le 1er février 2013 par le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté et communiqué à Oracle et Deloitte.

2.7L’auteure considère que le refus opposé à sa demande de visa a eu des effets préjudiciables, pour elle-même et pour les membres de sa famille. Dès qu’elle a accepté le poste à Melbourne, sa clientèle à Dublin a été réaffectée à la personne qui lui avait succédé. Au cours des deux premiers mois qui ont suivi la réintégration à son poste initial, à Dublin, l’auteure s’est retrouvée sans clients et, de ce fait, a vu sa rémunération annuelle baisser d’environ 9 000 euros en 2013. De plus, ayant fermé son entreprise le 23 décembre 2012 en vue de l’émigration de la famille en Australie, son époux est resté sans emploi durant quatre mois et a dû accepter un emploi moins avantageux lorsque la demande de visa a été rejetée. En outre, ayant déjà pris des dispositions pour louer leur maison à Dublin et s’étant débarrassés de tout le mobilier dans cette optique, l’auteure et son mari ont dû rompre le contrat de location et se sont retrouvés avec très peu de meubles. La fille aînée a connu des difficultés dans sa scolarité, notamment en raison de son impréparation à l’examen du Junior Certificate (équivalent du brevet des collèges), qu’elle ne s’attendait pas à devoir passer. Le choc et la déception causés par l’annulation du projet familial ont plongé la fille aînée dans un état de grand stress et d’anxiété. Quant à fille cadette de l’auteure, elle a sombré dans l’isolement social. De plus, l’émigration en Australie s’inscrivait dans un projet que l’auteure partageait avec sa sœur. En décembre 2012, la sœur et le beau-frère de l’auteure avaient émigré en Nouvelle‑Zélande, pensant que l’auteure et sa famille emménageraient peu après en Australie. Lorsque le refus de sa demande de visa lui avait été notifié, l’auteure avait vu ses chances d’être en contact direct avec sa sœur considérablement réduites. Tout cela l’ayant gravement affectée, tant émotionnellement que psychologiquement, l’auteure a dû recourir à un accompagnement psychologique.

2.8En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteure affirme qu’il a été mis fin à sa demande de visa lorsque Oracle a refusé de signer l’engagement de parrainage et annulé sa nomination au poste de Melbourne. En Australie, les décisions ou comportements de cette nature ne peuvent pas être réexaminées en application de la loi de 1958 sur les migrations. De plus, les sections 1, 2 et 2A de la loi de 1992 sur la discrimination fondée sur le handicap n’ont pas d’effet sur les dispositions discriminatoires figurant dans la loi sur les migrations ou tout autre instrument législatif établi au titre de cette loi. En outre, la loi sur la discrimination fondée sur le handicap ne peut pas rendre illégale une loi ou une décision qui est autorisée ou requise en application de la loi sur les migrations.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure considère que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 4 (par. 1, al. a) à e)), 5 (par. 2) et 18 (par. 1) de la Convention. Elle soutient que, dès lors qu’elle prétendait à la migration dans l’État partie, elle relevait de la juridiction de celui‑ci pour sa demande de visa. L’État partie était donc dans l’obligation de traiter sa demande de visa en se gardant de toute discrimination. L’auteure soutient aussi que, conformément aux articles 4 (par. 1, al. a) à e)), 5 (par. 2) et 18 (par. 1) de la Convention, l’État partie est tenu d’adopter toutes les mesures appropriées, y compris d’ordre législatif, pour interdire la discrimination fondée sur le handicap ainsi que d’offrir une protection juridique effective contre la discrimination, pour quelque motif que ce soit, dans l’exercice du droit de circuler librement et du droit de choisir librement son lieu de résidence.

3.2L’auteure affirme que l’État partie n’a pas reconnu qu’elle jouissait du droit de circuler librement et du droit de choisir librement son lieu de résidence, dans des conditions d’égalité avec les autres. Elle affirme qu’elle n’a pas pu obtenir un visa de sous-classe 457 dans des conditions d’égalité avec les autres parce qu’elle n’avait pas satisfait à l’obligation de bonne santé, en raison du coût de son traitement, qui supposait la prise d’un médicament tous les mois. Étant donné que les demandeurs de visa qui n’ont pas son handicap sont en mesure de satisfaire à l’obligation de bonne santé, sans que leur employeur soit tenu de présenter une dispense à l’État partie, l’auteure considère que le droit de l’État partie en matière d’immigration a manifestement opéré une discrimination à son égard, à raison de son handicap.

3.3L’auteure fait observer que les lois et règlements migratoires de l’État partie ne peuvent pas opérer de discrimination à l’égard de non-ressortissants en raison d’un état particulier, à moins que cette discrimination ne soit exercée dans un but légitime et ne repose sur des critères raisonnables et objectifs. Le critère 4006A ne prévoit aucun but légitime qui justifierait l’application d’un traitement différencié fondé sur le handicap. Premièrement, la distinction n’a aucun fondement raisonnable ou objectif, puisque tous les demandeurs d’un visa de sous-classe 457, et non pas uniquement ceux qui ont un handicap, sont tenus de contracter une assurance santé privée pouvant couvrir les dépenses de santé engagées en Australie. L’auteure a satisfait à cette obligation. Deuxièmement, l’auteure a souscrit une police d’assurance privée qui aurait couvert toutes ses dépenses additionnelles de soins de santé, et il existait un accord de réciprocité relatif aux soins de santé entre l’Australie et l’Irlande qui aurait garanti la prise en charge par Medicare de tous les coûts liés à son traitement médical essentiel. Tous les coûts pour l’Australie auraient donc été pris en charge selon les dispositions de cet accord de réciprocité. L’auteure affirme en outre que, d’un point de vue raisonnable ou objectif, le refus opposé à sa demande de visa ou l’obligation faite à son employeur de signer une dispense de l’obligation de bonne santé ne pouvaient pas être justifiés par l’existence d’un risque pour le système de santé public australien. Son installation en Australie n’aurait pas compromis l’accès de ressortissants australiens aux services publics de soins de santé. Enfin, le rejet de sa demande de visa, qui témoignait d’une différence de traitement, n’est pas raisonnable en ce qu’il repose sur le coût estimatif du traitement pour sa sclérose en plaques, sans tenir compte de la contribution qu’elle-même et sa famille auraient apporté à la société australienne.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 27 avril 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que la communication est irrecevable, car l’auteure n’a pas, et n’a jamais, relevé de sa juridiction aux fins de l’article premier (par. 1) du Protocole facultatif se rapportant à la Convention. Il considère que le grief que l’auteure soulève en vertu de l’article 18 de la Convention n’est pas recevable parce que celle-ci ne se trouve pas légalement sur son territoire. Si le Comité déclarait la communication recevable, l’État partie la considérerait dénuée de fondement.

4.2L’État partie affirme que ni la Convention ni le droit international n’établissent le droit d’entrer dans un pays ou d’y résider. Il soutient que l’inscription, dans la procédure d’obtention du visa de sous-classe 457, d’une obligation de bonne santé pour les candidats à l’immigration n’est pas discriminatoire, car elle constitue une différence de traitement légitime visant à atteindre un but légitime, repose sur des critères raisonnables et objectifs, et est proportionnée au but à atteindre.

4.3L’État partie fait observer que le programme du visa de sous-classe 457 est le plus couramment utilisé pour parrainer les travailleurs étrangers qualifiés pour une période pouvant aller jusqu’à quatre années. Ce programme n’est pas plafonné et dépend des besoins des employeurs. Les demandeurs de visa doivent satisfaire à certaines exigences telles que l’adhésion à un régime d’assurance maladie privé approprié. En ce qui concerne l’accord de réciprocité sur les soins de santé et Medicare, l’État partie avance que la nationalité irlandaise de l’auteure aurait été suffisante pour considérer comme respectée son obligation de souscription d’une assurance maladie privée. En outre, pratiquement tous les demandeurs de visa doivent satisfaire à une obligation de bonne santé. Cela suppose pour eux : i) d’avoir été testés négatifs à la tuberculose ; ii) de ne pas être atteints d’une maladie ou affection qui fasse, ou puisse faire, qu’ils représentent une menace pour la santé publique en Australie, ou un danger pour la société australienne ; iii) de ne pas être atteints d’une maladie ou affection pour laquelle, entre autres, la prestation de soins de santé ou de services communautaires risquerait : a) de représenter un coût important pour la société australienne, ou b) de porter préjudice à l’accès d’un citoyen australien ou d’un résident permanent aux services de soins de santé et aux services communautaires.

4.4L’État partie explique que l’obligation de souscription à une assurance maladie et l’obligation de bonne santé sont deux critères bien distincts, qui doivent tous deux être remplis par les demandeurs d’un visa de sous-classe 457 au moment il est statué sur leur cas. L’adhésion à une quelconque police d’assurance maladie ne peut pas être prise en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si l’obligation de bonne santé est respectée. Suivant la même logique, le programme du visa de sous-classe 457 compte uniquement sur le parrainage par l’employeur pour empêcher que la charge des dépenses de santé de l’employé demandeur de visa soit supportée par la société australienne. L’État partie constate que l’allégation de l’auteure selon laquelle son assurance privée couvrirait les frais médicaux n’est pas fondée et qu’en tout état de cause, la couverture de son assurance est sans incidence sur l’obligation de bonne santé faite aux candidats à l’immigration. Lorsqu’il doit déterminer si l’obligation de bonne santé est respectée, le médecin du Commonwealth ne se préoccupe pas de la situation financière du demandeur, mais procède à un test sur une personne fictive. Si une personne fictive présentant un état de santé analogue à celui du demandeur risque de générer des dépenses de santé ou de nécessiter des services particuliers l’on considère que ces dépenses devront être engagées et que ces services fournis dans le cas du demandeur. Ce test permet à l’État partie de s’assurer qu’il n’aura pas à supporter les frais médicaux du demandeur de visa, y compris si la situation financière de celui-ci évolue.

4.5L’État partie fait observer que l’obligation de bonne santé, si elle est indérogeable pour la plupart des catégories de visa temporaire, peut être levée dans le cas d’un visa de sous-classe 457 à la condition que l’employeur s’engage à assumer tous les frais médicaux du demandeur. Cette disposition est foncièrement en accord avec le programme de visa de sous-classe 457, qui repose sur le parrainage par l’employeur. Le droit de l’État partie n’interdit pas les accords privés entre un employé et son employeur concernant le paiement ou le remboursement des dépenses de santé. Cependant, de tels accords ne font pas partie des critères de délivrance du visa et ne peuvent donc pas être pris en considération. Seul l’employeur qui parraine la demande de visa est légalement responsable du paiement des dépenses de santé. L’auteure affirme que le Ministère australien de l’immigration et de la citoyenneté a informé Oracle et Deloitte que de tels accords n’étaient pas autorisés par la loi, mais l’État partie n’a pas connaissance qu’un tel avis ait été fourni et estime que l’allégation de l’auteure n’est pas fondée.

4.6L’État partie considère en outre que les griefs de l’auteure ne sont pas recevables dans la mesure où celle-ci ne relève pas de la juridiction de l’État partie aux fins de l’article premier (par. 1) du Protocole facultatif et ne se trouve pas légalement sur le territoire de l’État partie aux fins de l’article 18 de la Convention. La Convention ne comportant, hormis en son article 4 (par. 5), aucune disposition expresse définissant son champ d’application, elle fait l’objet d’une application territoriale limitée. L’État partie est conscient qu’il a accepté des obligations extraterritoriales en matière de droits de l’homme, mais dans un nombre très limité de circonstances, et estime que les critères d’applicabilité n’ont pas été remplis en l’espèce. Il fait observer que, dans certains cas, une conception libérale de la juridiction peut être adoptée dans le contexte du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment à l’égard des droits des citoyens de l’État en cause. Or l’auteure et sa famille sont des ressortissants d’un autre État, n’avaient auparavant aucun lien avec l’Australie et n’étaient aucunement habilités par le droit international à entrer ou à résider sur le territoire australien. À cet égard, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, selon laquelle le Pacte ne reconnaît pas aux étrangers le droit d’entrer sur le territoire d’un État partie ou d’y séjourner. En principe, il appartient à l’État de décider qui il admet sur son territoire. La notion de juridiction suppose un certain droit de contrôle sur une personne ; or, l’État partie n’est pas en mesure d’influer sur le comportement de non‑ressortissants par le jeu de ses lois migratoires, qui servent uniquement à contrôler les entrées sur son territoire, principalement au moyen de visas. En outre, le fait qu’il soit possible de demander un visa depuis un pays étranger ne signifie pas pour autant que les demandeurs soient placés sous la juridiction de l’État partie.

4.7L’État partie considère que l’allégation formulée par l’auteure au titre de l’article 18 de la Convention devrait être déclarée irrecevable, car l’intéressée ne se trouve pas légalement sur son territoire. La Convention ne porte création d’aucuns nouveaux droits de l’homme, mais énonce plutôt des droits existants en tenant compte des besoins des personnes handicapées, y compris des obligations concrètes dont le respect est garant de l’exercice de ces droits par les personnes handicapées dans des conditions d’égalité avec les autres. En conséquence, l’article 18 de la Convention énonce des droits préexistants d’une façon qui les rend accessibles aux personnes handicapées. L’État partie soutient que le droit de circuler librement et le droit de choisir librement son lieu de résidence, qui sont inscrits à l’article 12 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, s’appliquent uniquement aux personnes qui se trouvent légalement sur le territoire d’un État. De plus, bien que l’obligation de se trouver légalement sur le territoire d’un État partie ne soit pas expressément mentionnée à l’article 18 de la Convention, l’État partie considère que, dans la mesure où cet article de la Convention fait écho à l’article 12 du Pacte, les restrictions qui sont applicables à l’article 12 du Pacte le seraient aussi à l’article 18 de la Convention.

4.8L’État partie soutient que l’allégation de l’auteure au titre de l’article 18 de la Convention, même si elle devait être déclarée recevable par le Comité, n’en serait pas moins dénuée de fondement. Il ressort clairement des négociations sur le texte de la Convention que l’article 18 a été rédigé en vue de répondre à des questions comme celles de l’obtention de documents d’identité ou de la reconnaissance de la citoyenneté. En son paragraphe 1 b), l’article 18 dispose que les personnes handicapées doivent avoir les mêmes droits que quiconque de demander un visa et d’obtenir le réexamen des décisions en matière d’immigration les concernant, et être soumises uniquement aux mêmes restrictions. Il ne dispose pas que les personnes handicapées aient un quelconque autre droit d’obtenir la citoyenneté, un permis de résidence permanent ou une quelconque catégorie de visa en Australie.

4.9L’État partie affirme que les personnes handicapées ont accès aux procédures d’immigration dans des conditions d’égalité avec les autres et jouissent donc de la liberté de circuler librement et de la liberté de choisir leur lieu de résidence au même titre que toute autre personne, conformément à l’article 18 de la Convention. Tous les demandeurs d’un visa de sous-classe 457 sont soumis à l’obligation de bonne santé, et les demandes émanant de personnes handicapées ou nécessitant un traitement médical sont évaluées selon les mêmes critères que toutes les autres. Il ne sera pas nécessairement considéré que l’obligation de bonne santé n’est pas respectée au seul motif d’un handicap ou d’un problème médical.

4.10L’État partie souligne que la Convention est solidement ancrée dans les principes du droit international des droits de l’homme et que ses articles 4 et 5 devraient être interprétés à la lumière du principe établi en droit international selon lequel une différence de traitement légitime ne constitue pas une discrimination. Il rappelle que ce traitement différencié doit i) viser un but légitime, ii) être fondé sur des critères raisonnables et objectifs ; et iii) être proportionné au but visé. L’État partie fait observer que l’Australie, dans sa déclaration interprétative de l’article 18 de la Convention, a dit entendre que « la Convention ne donne pas à une personne le droit d’entrer ou de rester dans un pays dont elle n’est pas résidente et […] ne modifie en rien les exigences sanitaires de l’Australie à l’égard des non-ressortissants cherchant à entrer ou rester en Australie, lorsque ces exigences sont fondées sur des critères légitimes, objectifs et raisonnables ». L’État partie soutient que ses procédures en matière d’immigration ne s’accompagnent pas automatiquement d’un traitement différent pour les personnes handicapées en raison de leur handicap, mais assurent un traitement différencié dans certains cas, y compris lorsque le demandeur de visa ne satisfait pas à l’obligation de bonne santé. Il admet que l’existence de cette obligation risque d’être particulièrement préjudiciable aux personnes qui pourraient ne pas satisfaire aux critères requis pour des raisons liées à leur handicap. Néanmoins, l’obligation de bonne santé applicable aux demandeurs d’un visa de sous-classe 457 se définit comme un traitement différencié légitime et, en cela, ne constitue pas une discrimination en violation des articles 4 et 5 de la Convention.

4.11Premièrement, l’État partie affirme que l’obligation de bonne santé applicable vise à atteindre un but légitime. Bien avant l’adoption de dispositions spécifiques en matière d’immigration, de nombreux pays subordonnaient l’accès à leur territoire à des conditions sanitaires et médicales. Une réglementation expressément consacrée à l’immigration, comme il en avait été adopté par de nombreux pays, répondait généralement à deux objectifs : d’une part, protéger la population locale de menaces pour la santé publique, notamment en empêchant la propagation des maladies transmissibles, et, d’autre part, faire en sorte que les services de santé ou les services sociaux dont les migrants pourraient avoir besoin fassent l’objet d’une demande réduite et les coûts associés soient donc limités, de manière à préserver le système national de santé.

4.12Deuxièmement, l’État partie affirme que l’obligation de bonne santé qui est faite aux demandeurs d’un visa de sous-classe 457 repose sur des critères raisonnables et objectifs. Il fait remarquer que des questions relatives à la santé figurent dans la plupart des formulaires de demande de visa temporaire et que ces questions visent à déterminer si les demandeurs ont séjourné dans des pays où le taux d’incidence de la tuberculose est élevé et prévoient de générer des dépenses de santé ou de solliciter un quelconque traitement médical au cours de leur séjour en Australie. Les réponses des demandeurs de visa à ces questions et toutes les informations détenues par le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières sont prises en considération au moment de déterminer si des examens médicaux doivent être effectués. Si tel est le cas, des médecins et des radiologistes agréés procèdent à ces examens. Si l’état de santé du demandeur est jugé sérieux, ils transmettent le rapport médical aux médecins du Commonwealth pour que ceux-ci statuent sur le respect de l’obligation de bonne santé correspondant au critère 4006A. Pour estimer les coûts des soins de santé et des services communautaires dont le demandeur de visa considéré aura besoin, les médecins du Commonwealth procèdent à un test sur une personne fictive (voir par. 4.5). En conséquence, ils ne peuvent pas prendre en considération les informations concernant, par exemple, l’épargne détenue par le demandeur, sa souscription d’une police d’assurance privée ou des accords de réciprocité conclus en matière de soins de santé. Une fois effectuées leurs estimations, les médecins du Commonwealth doivent déterminer si les soins de santé ou les services communautaires qui seront fournis risquent de représenter un coût important pour la société australienne, en contradiction avec le critère 4006A. À cette fin, ils comparent les coûts estimatifs au seuil à partir duquel le coût est qualifié d’important, à savoir 35 000 dollars australiens dans le cas de l’auteure au moment de sa demande.

4.13L’État partie affirme qu’il est possible de déroger à l’obligation de bonne santé, par exemple dans les programmes de visa humanitaire ou de visa de réfugié. Il fait observer que, pour que le demandeur d’un visa de sous-classe 457 soit dispensé de l’obligation de bonne santé, l’employeur qui le parraine doit s’engager à assumer tous ses frais médicaux (voir par. 4.6). Il s’agit d’une restriction raisonnable pour un programme de visa qui n’est pas plafonné et qui repose sur le parrainage par l’employeur. Il est attendu de l’employeur qu’il accepte d’assumer tous les frais associés aux soins de santé ou aux services communautaires fournis à la main-d’œuvre qu’il aura fait entrer dans l’État partie.

4.14Troisièmement, l’État partie soutient que l’obligation de bonne santé est proportionnée au but qu’elle cherche à atteindre. Le cadre qui entoure cette obligation a été spécialement conçu à l’effet de maîtriser les dépenses de santé induites par la migration, tout en faisant preuve de souplesse à l’égard de certains flux migratoires afin de pouvoir gérer les dossiers sensibles. Un équilibre pragmatique entre compassion et limitation des dépenses est garanti par la mise en place d’une obligation de bonne santé pour les demandeurs d’un visa et par la possibilité de déroger à cette obligation pour certaines sous-classes de visa et, lorsque cela est nécessaire, de recourir à une intervention ministérielle.

4.15L’État partie rappelle que le demandeur d’un visa de sous-classe 457 qui ne satisfait pas à l’obligation de bonne santé peut encore obtenir un visa, pour autant que l’employeur qui le parraine s’engage à assumer ses dépenses de santé. De cette manière, il est effectivement possible de concilier le droit des personnes de circuler librement à des fins d’emploi et la nécessité de préserver l’accès des citoyens australiens et des résidents permanents aux soins de santé et aux services communautaires, qui risquent la surchauffe.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1En date du 11 octobre 2019, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle affirme qu’elle se trouvait sous la juridiction de l’État partie à l’époque à considérer aux fins de sa communication, car l’expression « relevant de sa juridiction » qui figure à l’article premier du Protocole facultatif doit être interprétée au sens large pour ce qui est de l’étendue des pouvoirs et de l’autorité qui sont inhérents à l’État partie. La Convention ne portant création d’aucuns nouveaux droits, mais décrivant plutôt les éléments propres à garantir aux personnes handicapées le droit à l’égalité de tous devant la loi, il pourrait être envisagé de recourir au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention relative au statut des réfugiés pour interpréter la signification de l’article premier du Protocole facultatif. De plus, se référant à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, l’auteure affirme que les interprétations qui privilégient les droits et la dignité des personnes devraient prévaloir sur celles qui ne le font pas. Lorsqu’une disposition est ambiguë ou obscure, ou lorsqu’elle mène à un résultat absurde ou déraisonnable, l’on pourra tenir compte de moyens supplémentaires d’interprétation, comme les travaux préparatoires d’un traité et les circonstances dans lesquelles ce traité a été conclu, pour déterminer son sens. Compte tenu de l’objet et du but de la Convention, l’auteure considère que la formule « relevant de la juridiction » s’applique bien au cas d’un non-ressortissant qui se trouve en dehors du territoire géographique de l’État partie et qu’elle-même relevait donc de la juridiction de l’Australie au moment des faits, pendant toute la période de traitement de sa demande de visa.

5.2L’auteure affirme aussi qu’une lecture correcte de l’article 2 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne saurait appuyer une interprétation littérale selon laquelle un État ne viole ses obligations que si l’acte présumé s’est produit à la fois sur son territoire et sous sa juridiction. Une telle interprétation aboutirait à n’en pas douter à un résultat absurde ne concordant pas avec l’objet et le but du Pacte et serait en contradiction directe avec les articles 31 et 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. L’auteure cite la Cour internationale de Justice, qui a déclaré que la compétence des États pouvait parfois s’exercer hors du territoire national et que les auteurs du Pacte n’avaient pas entendu faire échapper les États aux obligations qui étaient les leurs lorsqu’ils exerçaient leur compétence hors du territoire national. À cet égard, l’auteure renvoie à l’observation générale no 31 (2004) du Comité des droits de l’homme, selon laquelle un État partie doit respecter et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire. Elle constate que la norme du contrôle effectif a été remplacée par une nouvelle norme, qui renvoie à l’influence de l’État sur un individu et considère cette influence comme une forme d’exercice du pouvoir par l’État, qui constitue l’une des deux formes d’exercice de la compétence extraterritoriale. Cette nouvelle norme a une portée plus large que la norme précédente, celle du « pouvoir sur un individu ». L’auteure fait aussi observer que la jouissance des droits reconnus dans le Pacte, loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit être accordée aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa compétence. Ce principe s’applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi.

5.3L’auteure admet que, le programme de visa de sous-classe 457 excluant toute considération humanitaire, il est relativement difficile pour le demandeur d’établir qu’il se trouve « sous le pouvoir ou le contrôle effectif » d’un État partie, compte tenu du principe de la souveraineté des États en droit international et du fait que le Pacte ne reconnaît pas aux étrangers le droit d’entrer sur le territoire d’un État partie ou d’y séjourner. En principe, il appartient à l’État de décider qui il admet sur son territoire. Toutefois, il y a lieu de s’interroger sur le seuil de contrôle qui doit être atteint pour qu’un État partie soit considéré comme exerçant sa compétence en dehors de son territoire sur un non-ressortissant. L’auteure trouve contradictoire la déclaration dans laquelle l’État partie allègue que sa législation en matière de migration ne lui permet pas d’influer sur le comportement de non-ressortissants, alors que l’objet même de cette législation est de contrôler le comportement des non‑ressortissants par l’intermédiaire des visas. Selon qu’il décide d’accorder ou de refuser un visa de sous-classe 457, l’État partie ouvre ou ferme son territoire à un non-ressortissant. L’auteure affirme que toute personne qui demande à résider sur le territoire d’un État partie ou à en acquérir la nationalité relève de la juridiction dudit l’État partie en ce qui concerne cette demande. Elle renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme, qu’elle estime pertinente au sujet de la question de la juridiction dans le contexte des demandes de visa. En outre, si, de manière générale, un État peut déterminer si et sous quelles conditions un non‑ressortissant peut entrer sur son territoire, il n’est pas en droit d’opérer une discrimination en fonction du handicap dans les dispositions qu’il prend à cet égard.

5.4L’auteure considère que, compte tenu de l’absence de référence à la territorialité et de l’obligation fondamentale d’application universelle du droit des droits de l’homme, l’État est tenu de respecter les obligations qu’il tient de la Convention, indépendamment de la portée territoriale. Elle fait observer que le Comité des droits des personnes handicapées, dans son observation générale no 1 (2014), a soutenu cette position. De plus, pour ce qui est de la déclaration interprétative faite par l’État partie au sujet de l’article 18 de la Convention, l’auteure affirme qu’une telle déclaration, à l’inverse d’une réserve, est sans effet sur les obligations de l’État partie au regard du droit international.

5.5L’auteure soutient en outre que les articles 5 et 18 de la Convention, lus conjointement, renforcent le droit que les personnes handicapées ont, comme toute autre personne, de choisir leur lieu de résidence, sans faire l’objet de discrimination. L’article 12 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, source de l’article 18 de la Convention, doit être lu conjointement avec les articles 2 et 26 du Pacte, qui prévoient une interprétation plus large des obligations des États. À cet égard, l’auteure ne trouve ni fondé ni étayé l’argument de l’État partie selon lequel l’article 18 de la Convention se réfère uniquement aux droits préexistants inscrits à l’article 12 du Pacte.

5.6L’auteure affirme que, si toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi en vertu de l’article 26 du Pacte, l’obtention du droit d’entrer dans un pays ne doit pas remettre en cause le droit d’être protégé contre la discrimination. L’interprétation large de l’article 26 porte à croire que, si les États ont le droit d’exercer un contrôle sur leurs frontières souveraines, l’exercice de ce pouvoir exigerait d’eux qu’ils appliquent la loi aux ressortissants et aux non-ressortissants, sans aucune discrimination. L’auteure affirme en outre qu’une interprétation plus large de l’obligation de non-discrimination faite aux États est préférable, conformément au principe pacta sunt servanda.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 29 mai 2020, l’État partie a présenté des observations complémentaires sur les commentaires de l’auteure. Il réaffirme que l’auteure n’a pas démontré qu’elle est une personne relevant de la juridiction de l’État partie, dans le sens prévu à l’article premier du Protocole facultatif. Il soutient que la portée territoriale de la Convention est capitale lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne peut ou non être considérée comme relevant de la juridiction d’un État partie aux fins du Protocole facultatif. Il réitère l’argument avancé dans ses observations initiales, à savoir que la portée de la Convention est essentiellement territoriale. Il dit accepter que, dans des circonstances très limitées, un État partie puisse avoir, en dehors de son territoire, des obligations découlant des traités relatifs aux droits de l’homme. Il affirme que, selon le droit international, un État doit exercer un niveau élevé de contrôle pour établir un « contrôle effectif » sur des personnes se trouvant en dehors de son territoire, et que ce niveau n’a pas été atteint dans le cas de l’auteure. Il soutient qu’un État ne peut véritablement exercer un contrôle effectif sur des personnes se trouvant à l’extérieur de son territoire que lorsqu’il ordonne à ses représentants d’arrêter ces personnes, de leur imposer des mesures coercitives ou de les placer en détention. L’État partie constate que, selon l’auteure, la manière dont les lois migratoires australiennes ont été appliquées à sa demande de visa témoignait d’un niveau de contrôle suffisant pour rendre effectives les obligations relatives aux droits de l’homme découlant de la Convention. Il affirme que si l’argument de l’auteure devait être jugé recevable, cela aurait pour effet radical et profond d’étendre la portée des obligations mises à la charge de l’État par les traités relatifs aux droits de l’homme à toute personne qui demande un visa pour entrer dans le pays. Ce résultat serait contraire au principe bien établi en droit international selon lequel les États sont habilités à contrôler l’entrée des non-ressortissants et il leur appartient de décider qui ils admettent sur leur territoire.

B.Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’article 2 (al. c)) du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel aucun recours interne utile n’est disponible puisque la société Oracle a mis fin à sa demande de visa en refusant de signer l’engagement de prise en charge de ses dépenses de santé. Il prend aussi note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle la loi sur les migrations ne prévoit aucun droit au réexamen des décisions ni d’autre procédure de même ordre, et les dispositions de la loi sur les migrations ne sont pas assujetties à la loi sur la discrimination fondée sur le handicap. À cet égard, le Comité constate que l’auteure ne remet pas en cause la décision de son employeur de ne pas signer l’engagement et de retirer la demande de visa, mais allègue que l’obligation de bonne santé aurait eu un effet discriminatoire, du fait de son handicap, lors de l’examen de sa demande d’un visa de sous-classe 457. Le Comité constate en outre que l’État partie n’a formulé aucune objection au sujet de l’épuisement des recours internes. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut qu’au regard de l’article 2 (al. d)) du Protocole facultatif, rien ne l’empêche d’examiner les allégations de l’auteure.

7.4Le Comité constate que l’État partie considère que l’auteure ne relève pas de sa juridiction aux fins de l’article premier (par. 1) du Protocole facultatif. Selon l’État partie, la notion de juridiction renvoie à un certain droit de contrôle sur une personne, alors que ses lois migratoires servent uniquement à contrôler les entrées sur son territoire et, exception faite de sa demande de visa, l’auteure n’avait aucun lien préexistant avec lui ni aucun droit d’entrer sur son territoire ou d’y résider au titre du droit international. Toujours selon l’État partie, la Convention fait l’objet d’une application territoriale limitée et les critères élevés qui régissent son application extraterritoriale n’ont pas été réunis dans le cas de l’auteure. Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles l’expression « relevant de sa juridiction », qui figure à l’article premier du Protocole facultatif, doit être interprétée au sens large pour ce qui est de l’étendue des pouvoirs et de l’autorité de l’État partie ; l’État partie a le pouvoir de contrôler le comportement des non‑ressortissants au moyen des procédures de délivrance des visas même si les intéressés ne se trouvent pas sur son territoire ; en cherchant à émigrer vers l’État partie, elle s’est trouvée sous le pouvoir ou le contrôle effectif de l’État partie. Le Comité rappelle que la Convention, en son article 18 (par. 1 b)) dispose que les personnes handicapées ont le droit, sur la base de l’égalité avec les autres, de circuler librement, de choisir librement leur résidence et d’acquérir une nationalité, y compris en ayant recours aux procédures d’immigration qui peuvent être nécessaires pour faciliter l’exercice du droit de circuler librement. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère qu’à la lumière de l’article 18 (par. 1 b)) de la Convention, l’article premier (par. 1) du Protocole facultatif doit être interprété comme étendant la juridiction d’un État partie à ses procédures pertinentes, y compris les procédures d’immigration. En conséquence, le Comité conclut que l’auteure relevait de la juridiction de l’État partie.

7.5Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable parce que l’auteure ne se trouve pas légalement sur le territoire de l’État partie aux fins de l’article 18 de la Convention. Il prend note des arguments de l’État partie selon lesquels la Convention ne porte reconnaissance d’aucuns nouveaux droits humains des personnes handicapées, mais clarifie l’application des droits existants à la situation spécifique de ces personnes ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne reconnaît pas aux étrangers le droit d’entrer sur le territoire d’un État partie ou d’y séjourner et, en principe, il appartient à l’État de décider qui il admet sur son territoire; les restrictions inscrites à l’article 12 du Pacte devraient aussi s’appliquer à l’article 18 de la Convention, dans la mesure où l’article 18 de la Convention reflète les droits préexistants inscrits à l’article 12 du Pacte. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel les articles 5 et 18 de la Convention renforcent le droit des personnes handicapées de choisir librement leur lieu de résidence, sans faire l’objet de discrimination, et un État n’est pas en droit d’opérer une discrimination en fonction du handicap lorsqu’il détermine qui il admet sur son territoire.

7.6Le Comité rappelle que, si la Convention dans son ensemble et son article 18 en particulier ne portent création d’aucuns nouveaux droits, ils étendent bel et bien l’obligation de protéger les droits existants aux procédures d’immigration. En l’espèce, il considère qu’en contestant une obligation de bonne santé inscrite dans la loi de l’État partie sur les migrations, qui aurait entraîné une discrimination fondée sur le handicap, l’auteure affirme avoir subi une violation par l’État partie de son droit, consacré par l’article 18 (par. 1 b)) de la Convention, de recourir aux procédures d’immigration dans des conditions d’égalité avec les autres non-ressortissants qui cherchent à émigrer vers l’État partie. Pour les raisons qui précèdent, le Comité conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine le grief soulevé par l’auteure au titre de l’article 18 de la Convention.

7.7Par conséquent, et en l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 73 (par. 1) de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2En qui ce qui concerne les griefs que l’auteure soulève au titre des articles 4 (par. 1 a) à e)), 5 (par. 1 et 2) et 18 (par. 1) de la Convention, le Comité est saisi de la question de savoir si l’obligation de bonne santé (critère 4006A) inscrite dans le règlement de 1994 sur les migrations constitue une violation des droits que l’auteure tient de la Convention. Il constate que, selon le critère en question, les demandeurs d’un visa de sous-classe 457 qui ne satisfont pas à l’obligation de bonne santé peuvent obtenir une dérogation à la seule condition que leur employeur s’engage à assumer leurs dépenses de santé. Il prend note de l’argument de l’auteure selon lequel cette obligation de bonne santé constitue un obstacle à l’exercice, par les personnes handicapées, de leur droit de recourir aux procédures d’immigration dans des conditions d’égalité avec les autres, en violation de l’article 18 de la Convention. Il prend aussi note des allégations de l’État partie selon lesquelles, pour pratiquement tous les visas temporaires australiens, les demandeurs sont soumis à l’obligation de bonne santé ; tous les demandeurs d’un visa de sous-classe 457 voient leurs demandes examinées au regard du respect de cette obligation, dans des conditions d’égalité avec les autres ; il est possible de déroger à cette obligation si l’employeur s’engage à assumer toutes les dépenses de santé.

8.3Le Comité constate que l’État partie a fait une déclaration interprétative selon laquelle la Convention « ne modifie en rien les exigences sanitaires de l’Australie à l’égard des non‑ressortissants cherchant à entrer ou rester en Australie, lorsque ces exigences sont fondées sur des critères légitimes, objectifs et raisonnables ». Il rappelle que l’expression « réserve » s’entend d’une déclaration unilatérale, quel que soit son libellé ou sa désignation, faite par un État quand il signe, ratifie, accepte ou approuve un traité ou y adhère, par laquelle il vise à exclure ou à modifier l’effet juridique de certaines dispositions du traité dans leur application à cet État. En conséquence, « [l]a qualification d’une déclaration unilatérale comme réserve ou déclaration interprétative est déterminée par l’effet juridique que son auteur vise à produire. ». De plus, « [p]our déterminer si une déclaration unilatérale formulée par un État ou une organisation internationale au sujet d’un traité est une réserve ou une déclaration interprétative, il convient d’interpréter cette déclaration de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer à ses termes, en vue d’en dégager l’intention de son auteur, à la lumière du traité sur lequel elle porte. ». Cela requiert une analyse objective, pour laquelle les règles générales d’interprétation des traités fournissent des indications utiles. Dans sa déclaration, l’Australie expose sa conception juridique, à savoir que la Convention ne modifie en rien « les exigences sanitaires de l’Australie, lorsque ces exigences sont fondées sur des critères légitimes, objectifs et raisonnables ». Le texte de cette déclaration ne vise pas à exclure ni à modifier l’effet juridique de la Convention dans son application aux exigences sanitaires de l’État partie envers les non-ressortissants qui souhaitent entrer en Australie ou y rester. Il vise plutôt à clarifier la position juridique selon laquelle les exigences sanitaires dans les présentes circonstances peuvent être admises si elles reposent sur des critères légitimes, objectifs et raisonnables. Cette interprétation de la déclaration est corroborée par la vision qu’en avait l’État partie, qui l’a qualifiée de déclaration interprétative au moment de l’enregistrement et par la façon dont l’État partie l’a traitée tout au long de la procédure dont le Comité est saisi. L’analyse de la déclaration faite par l’Australie permet d’établir que celle-ci constitue bien une déclaration interprétative et ne saurait donc être considérée comme une réserve. En conséquence, la déclaration interprétative n’empêche pas le Comité d’examiner la question de l’obligation de bonne santé, en particulier sa conformité avec l’article 5 de la Convention.

8.4Le Comité constate que l’auteure n’a pas satisfait à l’obligation de bonne santé correspondant au critère 4006A, car le coût estimatif du traitement de sa sclérose en plaques dépassait le seuil fixé par les autorités nationales. Pour pouvoir obtenir un visa, elle a donc dû obtenir de son employeur qu’il s’engage à assumer tous les coûts liés aux soins de santé dont elle aurait besoin. Le Comité constate aussi que l’auteure a fait savoir à Oracle et Deloitte qu’elle était disposée à conclure un accord privé avec Oracle par lequel elle s’engageait à supporter elle-même toutes ses dépenses de santé, mais a été informée qu’un tel accord n’était pas autorisé par le droit australien (voir par. 2.4). Le Comité constate également qu’il n’est pas contesté que l’existence d’une obligation de bonne santé pour les demandeurs d’un visa de sous-classe 457 risque d’avoir des effets disproportionnés sur les demandeurs ayant un handicap. À cet égard, le Comité prend note de la position de l’État partie selon laquelle cette différence de traitement ne constitue pas une violation de la Convention puisqu’elle repose sur des critères légitimes, objectifs et raisonnables. Il prend également note de la déclaration de l’État partie selon laquelle cette obligation vise notamment à réduire les coûts de santé générés par les migrants et, partant, à protéger le système public de soins de santé. Cependant, le Comité relève que, selon le critère 4006A et le règlement de 1994 sur les migrations, les autorités nationales procèdent à un exercice de simulation, sur une personne fictive, pour déterminer si ces coûts représenteraient une charge indue pour l’État partie. Dans ce contexte, il est entendu que des coûts seront engagés et des services seront utilisés par les demandeurs de visa. L’État partie ne prend en considération aucun autre élément qui pourrait être pertinent eu égard au but exprimé de protéger l’accès de ses ressortissants aux soins de santé et aux services communautaires dont l’offre pourrait être insuffisante(voir par. 4.15).

8.5Le Comité rappelle qu’à l’article 2 de la Convention, la « discrimination fondée sur le handicap » renvoie à toute distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a pour objet ou pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres. La discrimination fondée sur le handicap comprend toutes les formes de discrimination, y compris le refus d’aménagement raisonnable. Le Comité rappelle également que l’application impartiale d’une loi peut avoir un effet discriminatoire si la situation particulière des personnes auxquelles elle s’applique n’est pas prise en considération. Il peut y avoir violation du droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination dans l’exercice des droits garantis par la Convention lorsqu’un État, sans justification objective et raisonnable, ne traite pas de façon différente des personnes qui se trouvent dans des situations nettement différentes. Le Comité rappelle que l’on parle de discrimination indirecte lorsque des lois, politiques et pratiques qui semblent neutres a priori ont un effet préjudiciable disproportionné sur une personne handicapée. La discrimination indirecte se produit lorsqu’une perspective ou possibilité, de prime abord accessible, exclut en réalité certaines personnes du fait que leur situation ne leur permet pas de profiter de cette perspective. Le Comité fait observer que le traitement est indirectement discriminatoire si les effets préjudiciables d’une règle ou d’une décision affectent exclusivement ou de manière disproportionnée des personnes particulières en raison de leur race, couleur, sexe, langue, religion, opinion politique ou toute autre opinion, origine nationale ou sociale, fortune, naissance ou toute autre situation. Une femme handicapée entre dans ces catégories de personnes. Le Comité relève qu’au titre de l’article 5 (par. 1 et 2) de la Convention, les États parties ont pour obligations de reconnaître que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci, et ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi, et d’interdire toutes les discriminations fondées sur le handicap et de garantir aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.

8.6Avant d’examiner si le refus de délivrer un visa de travail à l’auteure sur la base de sa sclérose en plaques constitue une discrimination fondée sur le handicap, le Comité doit déterminer si cette affection peut être considérée comme un handicap. À cet égard, le Comité rappelle que, selon l’article premier de la Convention, les personnes handicapées sont des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société sur la base de l’égalité avec les autres. Le Comité considère que la différence entre maladie et handicap est une différence de degré et non une différence de nature. Une détérioration de l’état de santé initialement considérée comme une maladie peut aboutir à une invalidité dans le contexte du handicap en raison de sa durée ou de sa chronicité. Une approche du handicap fondée sur les droits de l’homme exige de prendre en considération la diversité des personnes handicapées et de reconnaître l’interaction entre les personnes présentant des déficiences et les barrières liées aux attitudes et à l’environnement. En l’espèce, les informations fournies par les parties n’empêchent pas le Comité de considérer qu’en raison de sa déficience physique, interagissant avec des obstacles, l’auteure n’a pas pu participer pleinement et effectivement à la société dans des conditions d’égalité avec les autres.

8.7Le Comité rappelle que toute différence de traitement ne constitue pas une discrimination, pourvu qu’elle soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs et que le but visé soit légitime au regard de la Convention, mais que « le fait de laisser perdurer des différences de traitement parce que les ressources disponibles sont insuffisantes n’est pas une justification objective et raisonnable à moins que tous les efforts aient été faits afin d’utiliser toutes les ressources dont dispose l’État pour, à titre prioritaire, entreprendre de remédier à la discrimination et de l’éliminer ». Le Comité constate que, pour le simple fait d’avoir une sclérose en plaques, l’auteure a été considérée comme ne satisfaisant pas à l’obligation de bonne santé, ce qui l’a empêchée d’obtenir le visa dont elle avait besoin pour venir en Australie prendre ses fonctions au poste pour lequel elle avait été sélectionnée. En outre, cela est contraire à la Convention en ce que l’État partie s’intéresse surtout à la personne en cause, et non aux barrières comportementales et environnementales qui empêchent les personnes handicapées de participer pleinement et effectivement à la société sur la base de l’égalité avec les autres. Le Comité relève enfin qu’en l’espèce, les autorités de l’État partie ont porté leur attention sur le coût potentiel du traitement médical nécessaire à l’auteure et que la demande de visa de l’auteure a été rejetée dès que sa sclérose en plaques a été connue. Les autorités compétentes n’ont pas pris en considération, entre autres éléments, la pleine capacité de l’auteure à s’acquitter des fonctions attachées au poste pour lequel elle avait été sélectionnée ; les effets de ce déni sur sa vie personnelle et professionnelle ; ou encore les solutions qu’elle avait proposées pour que son traitement médical ne crée aucune charge financière pour l’État partie. Faisant fi de ces propositions, l’État partie a fait porter l’entière responsabilité des possibles conséquences financières de la présence de l’auteure sur son territoire à l’entreprise qui la recrutait. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère qu’en l’espèce, la demande de visa de travail déposée par l’auteure a été rejetée au seul motif que celle-ci avait une sclérose en plaques et sans autre examen, et que l’obligation de bonne santé inscrite dans la loi sur les migrations a donc eu un effet disproportionné sur l’auteure en tant que personne handicapée et l’a soumise à un traitement constitutif d’une discrimination indirecte.

8.8Le Comité estime qu’en considérant que l’auteure ne satisfaisait pas aux conditions d’obtention d’un visa de sous-classe 457, en raison de sa sclérose en plaques et indépendamment de tout autre élément relatif à sa situation personnelle et professionnelle, les autorités de l’État partie ont pris une décision qui constituait une discrimination indirecte fondée sur le handicap. Il estime également que le règlement de 1994 sur les migrations a eu pour effet d’annihiler ou d’entraver la jouissance et l’exercice par l’auteure du droit de tirer parti des procédures d’immigration dans des conditions d’égalité avec les autres, en violation des droits qu’elle tient des articles 4 (par. 1 a) à e)) et 5 (par. 1 et 2) lus seuls et conjointement avec l’article 18 (par. 1) de la Convention.

C.Conclusions et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 4, 5 et 18 de la Convention. En conséquence, le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteure, l’État partie a pour obligation de lui assurer une réparation effective, y compris le remboursement de tous les frais de justice qu’elle aura engagés et une indemnisation ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, le Comité lui demande de veiller à ce que les obstacles qui se posent à la jouissance par les personnes handicapées du droit de tirer parti des procédures d’immigration dans des conditions d’égalité avec les autres soient éliminés par voie de législation interne. Le droit de l’État partie n’interdisant pas qu’un(e) employé(e) conclue avec son employeur un accord privé au sujet du paiement ou du remboursement de frais de santé, le Comité recommande que ce type d’accord fasse partie des critères d’obtention du visa et soit donc pris en considération.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité.