NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1489/200618 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quatorzième session13-31 octobre 2008

DÉCISION

Communication n o  1489/2006

Présentée par:

José Rodríguez Rodríguez (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

26 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 août 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

30 octobre 2008

Objet: Étendue de l’examen en appel d’une affaire pénale par les tribunaux espagnols

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes; défaut de fondement

Question s de fond: Droit de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 5)

Article s du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o 1489/2006 *

Présentée par:

José Rodríguez Rodríguez (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Espagne

Date de la communication:

26 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée du 26 mars 2006, est José Rodríguez Rodríguez, de nationalité espagnole, né en 1948. Il se déclare victime d’une violation par l’Espagne du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 9 novembre 2006, le Rapporteur chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.

Exposé des faits

2.1En se fondant sur des renseignements obtenus par des écoutes téléphoniques, le tribunal central d’instruction no 5 a ouvert le 23 novembre 2000 une enquête pénale contre l’auteur et contre deux autres individus, soupçonnant qu’ils étaient impliqués dans une opération internationale de trafic de stupéfiants. À la fin de l’instruction, l’affaire a été renvoyée à la quatrième section de la chambre pénale de l’Audiencia Nacional. Le 21 mai 2003, à l’issue du procès oral, l’Audiencia Nacional a condamné l’auteur et deux autres inculpés à un emprisonnement de vingt ans, une amende d’un montant de 18 783 775,25 euros ainsi qu’aux dépens; elle les avait reconnus coupables d’atteinte à la santé publique (trafic de cocaïne), aggravée du fait de la quantité de la drogue saisie (595 kg), de l’appartenance à une organisation et de l’extrême gravité du délit (art. 370, Code pénal).

2.2En date du 30 octobre 2003, l’auteur a formé un recours en cassation auprès de la deuxième chambre du Tribunal suprême, en invoquant 11 motifs de recours, au nombre desquels: rejet de preuve; droit à ce que la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcée soient examinées intégralement et effectivement par une juridiction supérieure; droit au secret des communications et application indue de l’article 370 du Code pénal.

2.3Dans un arrêt daté du 8 juillet 2004, le Tribunal suprême, après avoir examiné chaque motif de cassation, a accueilli partiellement le recours, en ce qui concerne l’application indue de l’article 370 du Code pénal. En conséquence, il a rendu un nouveau jugement, par lequel il a confirmé l’amende mais a réduit la peine à douze ans d’emprisonnement. Au sujet de la violation du droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure, le Tribunal a déclaré ce qui suit:

«Le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne mentionne pas textuellement un deuxième degré de juridiction mais énonce exactement le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure, conformément à la loi, cette dernière précision autorisant une certaine souplesse dans l’application de la disposition citée, selon les différents systèmes juridiques … on ne saurait pas non plus interpréter cette disposition comme imposant aux États l’obligation de mettre en place un deuxième degré de juridiction qui consisterait à procéder à refaire le procès intégralement, système qui ne suppose pas une révision mais une nouvelle procédure, avec tous les inconvénients que cela comporte. C’est pourquoi l’examen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure ne peut pas modifier la nature des preuves administrées, dont l’appréciation repose sur le principe de l’immédiateté.

… [l]e droit au recours en cassation doit être compris de la façon la plus favorable à  l’accusé. Cette obligation de retenir l’interprétation la plus favorable au justiciable a eu pour conséquence une modification de notre jurisprudence à partir de ces décisions, en élargissant de façon extraordinaire, en ce qui concerne les limites traditionnelles de la cassation que reconnaissait le Tribunal suprême avant l’entrée en vigueur de la Constitution, la définition des questions de droit qui peuvent faire l’objet du recours en cassation. Parallèlement, notre jurisprudence a réduit les questions de fait qui sont exclues du pourvoi en cassation, en les limitant aux questions qui exigeraient une deuxième administration des preuves pour procéder à une nouvelle appréciation. Ainsi, l’appréciation de la preuve peut être corrigée en cassation quand le tribunal de jugement s’est écarté des règles de la logique, des conclusions de l’expérience ou des connaissances scientifiques.».

2.4En date du 19 janvier 2005, l’auteur a déposé un recours en amparo auprès du Tribunal constitutionnel en dénonçant notamment des violations du droit à un procès assorti de toutes les garanties constituées par une atteinte au droit au double degré de juridiction consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, à la présomption d’innocence et au secret des communications téléphoniques. Par un arrêt du 16 janvier 2006, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours, en considérant notamment que le Tribunal suprême avait procédé à un réexamen du jugement de condamnation et de la peine dans le respect des prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir qu’il n’existe pas en Espagne de juridiction supérieure qui procède à une appréciation entière et complète des preuves et des questions de fait présentées en première instance devant l’Audiencia Nacional. Le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême constitue une révision partielle qui ne répond pas aux prescriptions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, et le droit de l’auteur à ce que la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcée soient intégralement réexaminées par une juridiction supérieure a donc été violé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations datées du 6 octobre 2006, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas soulevé la question de la prétendue limitation de la révision que permet le recours en cassation devant le Tribunal suprême ni devant le Tribunal constitutionnel. Il affirme que la communication devrait donc être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

4.2L’État partie fait valoir que d’après la jurisprudence du Tribunal suprême la cassation n’est pas du tout limitée au seul examen du droit appliqué. Il renvoie également aux décisions du Comité dans lesquelles le Comité avait estimé que le recours en cassation organisé en Espagne était suffisant aux fins du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.3L’État partie avance qu’il ne s’agit pas de faire des jugements généraux et abstraits sur le système de recours en place dans le pays mais de déterminer si, dans le cas concret, le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation a été respecté. Il ajoute que la communication ne précise pas de quels éléments ou de quels faits prouvés l’auteur demandait la révision et pour lesquels cette révision n’a pas eu lieu. L’État partie souligne qu’en l’espèce le Tribunal suprême a examiné l’arrêt rendu en cassation et a réduit la peine. Pour toutes ces raisons l’État partie conclut que la communication est manifestement dénuée de fondement et constitue une utilisation abusive du Pacte, et doit en conséquence être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 23 janvier 2008, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie relativement à la recevabilité. Il affirme qu’il a soulevé la question de l’absence d’un examen complet de la déclaration de culpabilité et de la condamnation devant les tribunaux de l’État partie. Il indique à ce sujet que ce grief représentait le deuxième motif du recours en cassation devant le Tribunal suprême, dans lequel il avait soulevé l’absence d’un examen effectif et complet par cette juridiction, qui ne peut procéder à une nouvelle appréciation des preuves mais se limite aux questions de forme et de droit du jugement. Pour ce qui est du recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, la situation produite d’atteinte à la justice par cette absence de réexamen a bien été invoquée et a constitué le premier motif du recours. Au vu de ce qui précède, l’auteur affirme qu’il a épuisé les recours internes étant donné que la violation du droit à un examen complet du jugement de condamnation a été soulevée devant toutes les juridictions auxquelles il s’est adressé.

5.2L’auteur souligne que l’examen du jugement réalisé par le Tribunal suprême se limitait à des questions de forme et de droit. La réduction de la peine décidée par le Tribunal suprême représente une question de droit inhérente au recours en cassation, qui ne fait pas obstacle à son grief relatif à l’absence de double degré de juridiction.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des observations de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Il relève toutefois que l’auteur a dénoncé la violation du droit à un double degré de juridiction devant le Tribunal suprême ainsi que devant le Tribunal constitutionnel et que les deux juridictions ont rendu à ce sujet une décision négative. En conséquence, le Comité estime que les recours internes ont été épuisés.

6.4En ce qui concerne les objections de l’État partie qui fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement, le Comité fait observer qu’il ressort de l’arrêt du Tribunal suprême que celui‑ci a examiné avec soin chacun des motifs de recours invoqués par l’auteur et qu’il a accueilli le motif concernant l’application indue de l’article 370 du Code pénal, raison pour laquelle il a réduit la peine prononcée à l’encontre de l’auteur de vingt à douze ans d’emprisonnement. En conséquence, le Comité considère que la plainte relative au paragraphe 5 de l’article 14 n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité et qu’elle est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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