NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE *

CCPR/C/94/D/1514/2006

27 novembre 2008

Original: FRANÇAIS

COMITE DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-quatorzième session

13 – 31 octobre 2008

CONSTATATIONS

Communication no 1514/2006

Présentée par :

Robert Casanovas (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

28 septembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2006 (non publiée sous forme de document)

CCPR/C/90/D/1514/2006 - décision sur la recevabilité datée du 3 juillet 2007

Date de l’adoption des constatations :

28 octobre 2008

GE.08-45530Objet : obligation de consignation pour contester des amendes pour excès de vitesse

Questions de procédure  : non épuisement des recours internes ; non étaiement des allégations de violation

Questions de fond  : recours utile ; recours juridictionnel ; présomption d’innocence ; cause entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Articles du Pacte  : paragraphes 3 a) et b) de l’article 2 ; paragraphes 1 et 2 de l’article 14

Articles du Protocole facultatif  : paragraphe 2 b) de l’article 5 ; article 2

Le 28 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en vue de son adoption en tant que constatations concernant la communication n o  1514/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o 1514/2006*

Présentée par :

Robert Casanovas (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

28 septembre 2006 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité :

3 juillet 2007

Le Comité des droits de l’homme , institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication n o  1514/2006 présentée par Robert Casanovas (non représenté par un conseil) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1 L’auteur de la communication est M. Robert Casanovas, ressortissant français. Il se déclare victime de violations par la France des articles 2 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie les 4 février 1980 et 17 février 1984 respectivement.

1.2 Le 4 mars 2007, le Rapporteur Spécial pour les nouvelles communications du Comité a décidé d’examiner la question de la recevabilité séparément de celle du fond.

Rappel des faits

Entre le 5 juillet et le 15 juillet 2006, l’auteur a reçu trois avis de contraventions au Code de la route de la part du centre automatisé des infractions routières. La première date du 5 juillet 2006, et l’informe que le 20 avril 2006, à 21h40, son véhicule a fait l’objet d’un contrôle radar automatisé. A l’issu de ce contrôle, une contravention pour excès de vitesse a été relevée, pour une vitesse retenue de 130 km/h dans une zone limitée à 110 km/h. La deuxième contravention date du 8 juillet 2006, et l’informe que le 20 avril 2006, à 21h39, son véhicule a fait l’objet d’un contrôle radar automatisé. A l’issu de ce contrôle, une contravention pour excès de vitesse a été relevée, pour une vitesse retenue de 119 km/h dans une zone limitée à 110 km/h. La dernière contravention date du 15 juillet 2006, et l’informe que le 11 juillet 2006, à 9h44, son véhicule a fait l’objet d’un contrôle radar automatisé. A l’issu de ce contrôle, une contravention pour excès de vitesse a été relevée, pour une vitesse retenue de 92 km/h dans une zone limitée à 90 km/h.

Les trois avis de contraventions ont mentionné que l’auteur a la possibilité, soit de payer une amende forfaitaire de 68 euros pour les deux premières contraventions, et de 135 euros pour la troisième contravention (auquel cas un total de 4 points sur 12 sont retirés de son permis de conduire), soit de contester les infractions en présentant à l’officier du ministère public une réclamation motivée. Cependant, la recevabilité de cette réclamation est subordonnée, sous peine de refus d’examen, à la consignation préalable du montant des amendes réclamées.

Les 7, 13, et 20 juillet 2006, l’auteur a informé, par courriers recommandés, l’officier du ministère public qu’aux jours et heures où les infractions avaient été relevées il n’était pas le conducteur du véhicule, et qu’il ignorait qui conduisait. Sur le fond, l’auteur a avancé la violation des règles strictes d’implantation des panneaux de signalisation des deux radars, qui entraine la nullité des infractions relevées par ces appareils. De plus, l’auteur a fait valoir dans ces trois courriers que le radar en question a été implanté par arrêté préfectoral pris à la suite d’une procédure entachée d’irrégularité, ce qui entraine la nullité du procès-verbal établi. Dans le cas où le ministère public estimerait ne pas devoir faire droit aux réclamations, l’auteur demande à être cité devant le juge de proximité territorialement compétent afin qu’un jugement soit rendu au fond. Les 4 juillet, 13 et 20 septembre 2006, l’officier du ministère public a informé le requérant du rejet de ses requêtes en exonération, au motif qu’il n’avait pas préalablement procédé aux consignations prévues par les articles 529-10 et 530-1 du Code de procédure pénale. Le ministère public l’a informé qu’il pouvait formuler une nouvelle demande, à condition de consigner préalablement dans un délai de 45 jours, ce à quoi l’auteur se refuse.

Teneur de la plainte

L’auteur estime que les trois réclamations ont été rejetées par l’officier du ministère public sans le moindre examen sur le fond, au seul motif que le requérant n’a pas, au préalable, versé de consignation. Un tel rejet est contraire aux paragraphes 3 a) et b) de l’article 2, et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 14, du Pacte.

Sur la recevabilité, et aux termes de l’article 2 du Pacte, l’auteur estime qu’il ne dispose d’aucun véritable recours utile auprès des autorités françaises pour que ses trois réclamations soient examinées sur le fond. L’officier du ministère public a opposé au requérant les articles 529-10 et 530-1 du Code de procédure pénale, qui constituent une norme interne obligatoire de nature législative. Cette norme s’impose à l’officier mais elle est manifestement contraire au Pacte. Selon l’auteur, en France, le juge judiciaire et le juge administratif sont très réticents à refuser d’appliquer une loi contraire à un traité international. Ils se refusent même à opérer un réel contrôle de la constitutionnalité des lois, laissant ce rôle au Conseil constitutionnel qui ne peut être saisi par un particulier. Face aux trois rejets de l’officier du ministère public, l’auteur a épuisé les voies de recours internes et ne dispose d’aucun moyen juridictionnel pour contraindre l’Etat partie à examiner au fond ses réclamations. Dans la mesure où l’auteur refuse de consigner préalablement, la procédure est définitivement terminée. L’amende encourue est définitive et les points sont retirés du permis. L’auteur ne peut saisir le juge du fond, le renvoi devant le juge judiciaire étant de la seule compétence de l’officier du ministère public qui dispose du monopole de l’action publique.

Sur la violation du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’auteur considère qu’il a été violé en ce qu’il n’a pas disposé d’un véritable recours utile. Poursuivi pour trois infractions pénales passibles de peine d’amendes et de sanctions administratives (retraits de points du permis de conduire), ses réclamations ont été définitivement rejetées par un officier de police représentant le ministère public. La possibilité qui lui a été offerte d’un nouvel examen de ses réclamations à condition qu’il consigne ne peut être considérée comme une véritable voie de recours. L’officier n’est pas un magistrat du siège, statutairement indépendant et impartial, mais un représentant du parquet chargé de requérir des peines. Il n’a pas procédé à un examen au fond des réclamations, il n’a pas véritablement statué sur les droits de la personne qui a formé le recours, comme requis par l’article 2, mais s’est contenté de rejeter sommairement les arguments, au seul motif du manque de consignation.

Sur la violation de l’article 14, la cause de l’auteur n’a pas été entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, car le représentant du ministère public a abusivement bloqué la réclamation de l’auteur en la rejetant d’office, empêchant ainsi le juge du fond de statuer. Ce rejet porte atteinte au paragraphe 2 de l’article 14, qui consacre que toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente. Obliger une personne poursuivie à consigner préalablement le montant de l’amende encourue, sous peine de refuser d’examiner ses moyens de défense, porte atteinte au principe d’innocence. L’auteur indique que l’Etat partie rétorquera qu’il ne s’agit que d’une consignation, et qu’elle sera remboursée en cas d’acceptation de la réclamation, ou de décision de relaxe par le juge du fond. Cependant, la justice française met plusieurs années pour traiter une procédure pénale de nature contraventionnelle.

Observations de l’Etat partie concernant la recevabilité de la communication

Le 23 janvier 2007, l’Etat partie estime que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes, et que ses allégations de violations de ses droits ne sont pas suffisamment étayées. L’auteur affirme qu’aux termes de l’article 529-10 du Code de procédure pénale, aucun recours utile ne s’offrait à lui pour contester les trois amendes. Les dispositions de cet article prévoient en effet que pour contester auprès du ministère public une contravention, le détenteur du certificat d’immatriculation du véhicule qui est responsable pécuniairement des amendes encourues, doit soit fournir un récépissé de plainte pour vol ou un attestation de destruction du véhicule, ou une lettre établissant qui conduisait le véhicule, soit consigner le montant des amendes. En l’espèce, l’auteur a refusé de consigner la somme de 271 euros, ce qui a conduit le ministère public à déclarer sa réclamation irrecevable au titre de l’article 529-10 du Code de procédure pénale. Il a maintenu ce refus après que le ministère public lui a rappelé qu’il pouvait consigner la somme de 271 euros dans un délai de 45 jours. Ce faisant, l’auteur a écarté la possibilité qui s’offrait à lui de contester le bien fondé des amendes prises à son encontre.

Le ministère public aurait pu, en vertu de l’article 530-1 du Code de procédure pénale, transmettre le dossier de l’auteur au tribunal de police, qui aurait pu selon les termes des articles 524 à 528 du Code de procédure pénale prendre une ordonnance de relaxe ou de condamnation, ou transmettre le dossier au ministère public aux fins de poursuites dans les formes de la procédure ordinaire. La Cour de cassation, saisie de la compatibilité du recours offert par l’article 530-1 du Code de procédure pénale avec l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, a jugé qu’elle satisfaisait aux exigences de cet article, « l’intéressé ayant la possibilité de faire valoir ses droits devant un tribunal de police à l’occasion d’un débat contradictoire et d’être éventuellement relaxé des poursuites, ce qui anéantit le titre exécutoire » (Cass.civ, 16 mai 2002).

L’auteur, sans démontrer aucune difficulté matérielle dans sa situation, a fermé la voie des recours qui s’offrait à lui en refusant de consigner la somme de 271 euros. Cette consignation ne peut être considérée comme un obstacle dans l’accès au juge et au procès équitable protégés par les paragraphes 3 a) et b) de l’article 2, et des paragraphes 1 et 2 de l’article 14, du Pacte. Cette consignation vise en effet à traiter le contentieux de masse des contraventions au Code de la route dans des conditions qui mêlent exigences de célérité et garanties procédurales.

L’Etat partie attire l’attention du Comité sur la spécificité de la procédure d’amende forfaitaire prévue pour les infractions énoncées à l’article L.121-3 du Code de la route . Ces infractions sont les plus fréquentes, et leur répression s’inscrit dans une politique de réduction des accidents de la route qui a porté ses fruits. Cette procédure n’est applicable qu’aux amendes des quatre premières classes, soit pour un montant maximum de 750 euros en 2007. Cette procédure dérogatoire ne porte pas atteinte aux grands principes du droit pénal. Si le détenteur du certificat d’immatriculation est pécuniairement responsable des amendes, il n’est pas pénalement responsable des infractions commises avec le véhicule. Ainsi, en l’espèce, l’auteur ne risque ni un retrait de points, ni une inscription au casier judiciaire. En aucun cas l’auteur n’est considéré coupable pénalement d’une infraction. Dès lors, il n’est pas fondé à se plaindre d’une atteinte à la présomption d’innocence en vertu du paragraphe 2 de l’article 14.

Au vu de ces éléments, l’Etat partie estime que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes, et que ses allégations de violations ne sont pas suffisamment étayées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

Le 22 mars 2007, l’auteur indique qu’il a souhaité contester le bien fondé des amendes prises à son encontre, mais que cette contestation a été écartée, sans examen au fond, non pas par un juge mais par un simple officier de police représentant le parquet, au seul motif du défaut de consignation préalable. Cette consignation préalable ne saurait être acceptée dans une société démocratique, et constitue une atteinte manifeste au principe de la présomption d’innocence. Il s’agit d’un véritable obstacle dans l’accès au juge et au procès équitable, puisque les autorités de l’Etat partie refusent de procéder à un examen même sommaire de la contestation, sans la consignation. Chaque citoyen a droit à un examen individuel de sa situation, et l’argument de l’Etat partie selon lequel il s’agirait d’un contentieux de masse qui justifierait de moindres garanties procédurales ne peut être accepté. L’argument de l’Etat partie sur le manque de difficulté financière n’est pas recevable, et la situation financière du requérant est sans incidence sur le fait qu’il refuse de consigner. Il s’agit d’une question de principe.

Pour l’auteur, l’Etat partie commet une erreur de droit en affirmant que cette procédure dérogatoire de droit commun ne porte pas atteinte aux grands principes du droit pénal. Il résulte de l’article 592-2 du Code de procédure pénale qu’ « à défaut de paiement ou d'une requête présentée dans le délai de quarante-cinq jours, l'amende forfaitaire est majorée de plein droit et recouvrée au profit du Trésor public en vertu d'un titre rendu exécutoire par le ministère public ». Cela signifie que si la réclamation est rejetée par le ministère public pour défaut préalable de consignation, la loi française considère qu’il n’y a pas de réclamation valable, et que le ministère public peut émettre un titre exécutoire au profit du trésor public, et cela sans qu’un magistrat indépendant et impartial n’ait examiné les faits. Le ministère public est donc fondé à émettre ce titre exécutoire et à recouvrer les amendes. La procédure est close et définitive, le rejet de l’examen de la réclamation étant une phase obligatoire de la procédure qui ferme tout examen au fond par un tribunal. Les voies de recours internes sont donc épuisées.

Décision du Comité concernant la recevabilité

6.1 Le 3 juillet 2007, à sa q uatre-vingt-dixième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2 Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur a estimé qu’il ne disposait d’aucun recours utile auprès des autorités françaises pour que ses trois réclamations soient examinées sur le fond. Le Comité a pris acte de l’argumentation de l'État partie qui soutenait que l’auteur, sans démontrer aucune difficulté matérielle dans sa situation, avait fermé la voie des recours en refusant de consigner la somme de 271 euros, et avait de ce fait écarté la possibilité qui s’offrait à lui de contester le bien fondé des amendes prises à son encontre. Ayant également pris note des arguments de l’auteur, le Comité a constaté que l’officier du ministère public avait déclaré sa réclamation irrecevable au titre de l’article 529-10 du Code de procédure pénale, en raison du manque de consignation. Dans ces conditions, le Comité a estimé que la question de l’épuisement des voies de recours internes était étroitement liée à celle du refus de l’auteur de consigner, et de ses allégations de violations du Pacte liées à l’obligation de consigner. Le Comité a estimé qu’il y aurait lieu de se pencher sur ces arguments au moment de l’examen quant au fond de la communication.

7. En conséquence, le Comité des droits de l’homme a décidé que la communication était recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 2 et 14 du Pacte.

Observations de l’État partie concernant le bien-fondé de la communication

8.1 Le 21 janvier 2008, l’État partie explique le rôle dévolu à l’officier du ministère public. Il note que selon l’article 529-10 du Code de procédure pénale, il « vérifie si les conditions de la recevabilité de la requête ou de la réclamation prévues par le présent article sont remplies. » Cet officier a donc pour seule attribution la vérification matérielle des conditions de recevabilité dont le versement de la consignation fait partie. L’article 529-10 précité lui accorde une compétence liée : si la réclamation contient toutes les pièces et informations requises, l’officier la transmet au juge aux fins d’examen au fond ; si la réclamation est incomplète, il la déclare irrecevable. Il n’est donc pas habilité à examiner la réclamation au fond. En conséquence, si l’officier du ministère public rejette une réclamation présentée en vertu de l’article 529-10 précité en l’estimant mal fondée, donc en l’examinant au fond, il outrepasse ses attributions de simple vérificateur matériel. C’est ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu qu’en ayant rejeté la contestation faite par l’auteur de l’infraction comme étant « irrecevable car juridiquement non fondée », l’officier du ministère public avait commis une erreur de droit en outrepassant la mission qui lui est dévolue par les textes. La Cour a donc conclu à une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ces motifs, l’État partie ne partage pas l’allégation de l’auteur selon laquelle l’agent a « abusivement bloqué la réclamation de l’auteur » en se contentant d’en « rejeter les arguments ». L’officier du ministère public a seulement, en application de l’article 529-10 précité, constaté que la requête n’était pas recevable pour défaut de consignation.

8.2 L’État partie fait valoir que l’exigence du dépôt de consignation comme condition de recevabilité ne porte pas atteinte au droit d’accès à un tribunal. Il rappelle que ce droit n’est pas absolu et qu’il se prête à des limitations, notamment en ce qui concerne les conditions de la recevabilité d’un recours. Toutefois, ces limitations ne doivent pas porter atteinte à la substance même de ce droit. Pour ce faire, elles doivent poursuivre un but légitime et respecter un rapport raisonnable de proportionnalité entre le but poursuivi et les moyens employés. Parmi les limitations d’accès à un tribunal, l’État partie peut poser des conditions financières dont le dépôt de caution peut faire partie. Ces limitations financières ne constituent pas des entraves à l’accès à un tribunal dans la mesure où le système d’aide juridictionnelle permet à l’État de supporter, le cas échéant, les frais de procédure lorsque le justiciable n’est pas en mesure de les prendre en charge.

8.3 L’État partie rappelle qu’il s’agit de la consignation d’un montant équivalent à celui de l’amende constatée en vertu des articles 529-10 et 530-1 du code de procédure pénale. L’exigence de la consignation dans ce cas répond aux principes de légalité, de légitimité et de proportionnalité. Ce dispositif est légal puisqu’il est prévu par la loi. Il n’est pas exclusif des amendes forfaitaires au code de la route. La Cour de cassation a considéré cette exigence de consignation comme relevant des conditions formelles de recevabilité. Le dispositif est légitime car la consignation a pour finalité de traiter le contentieux de masse des contravention forfaitaires au code de la route dans un but de bonne administration de la justice en écartant les demandes manifestement dilatoires. Il estime également que le dispositif est proportionnel au but poursuivi pour les raisons suivantes.

8.4 En premier lieu, l’État partie rappelle que l’auteur a refusé « par principe » de consigner le montant prévu par les articles 529-10 et 530-1 du Code de procédure pénale. L’auteur a maintenu sa position alors même que la consignation constitue une condition de recevabilité présentant toutes les caractéristiques de la prévisibilité juridique. Donner raison à l’auteur équivaudrait à permettre à chaque justiciable de contester les règles de recevabilité applicables en les adaptant à chaque situation personnelle, ce qui irait à l’encontre de l’impératif de la sécurité juridique dans une société démocratique. L’État partie rappelle également que la consignation constitue une garantie qui, d’une part, n’est pas encaissée par le service chargé de liquider l’amende et, d’autre part, est susceptible d’être restituée à l’intéressé dans le cas où le juge ne retiendrait pas l’infraction initiale. La Cour européenne des droits de l’homme, par exemple, n’a considéré le montant de la consignation comme entravant le droit d’accès à un tribunal que dans la mesure où son montant est tellement disproportionné qu’il constitue un frein réel empêchant l’accès du requérant au tribunal. Dans le cas d’espèce, l’État partie constate, d’une part, que le montant de la consignation était modique, et en tout état de cause n’excédait pas celui de l’amende forfaitaire et, d’autre part, que l’auteur aurait pu faire appel à l’aide juridictionnelle s’il estimait que cette somme était disproportionnée au regard de ses ressources. En conséquence, il conclut que l’exigence de consignation n’a pas imposé à l’auteur une charge disproportionnée par rapport au but que cette mesure poursuit et ne constitue donc pas une violation de l’article 2 du Pacte.

8.5 En second lieu, l’État partie fait valoir qu’une lecture détaillée des trois réclamations permet de relever que celles-ci ont pour objet principal la contestation de l’arrêté préfectoral d’implantation du radar ayant relevé l’excès de vitesse. Il précise que l’arrêté préfectoral étant un acte administratif, l’auteur aurait pu en demander l’annulation par la voie de l’excès de pouvoir devant le juge administratif, ce qu’il n’a pas fait.

8.6 En troisième lieu, l’État partie souligne que l’auteur ne conteste pas l’infraction en tant que telle, à savoir l’excès de vitesse enregistré par son véhicule. Il se contente d’affirmer qu’il n’était pas le conducteur au moment des faits et qu’il ignore qui conduisait. Il rappelle que, d’une part, le propriétaire est juridiquement responsable de son véhicule et, d’autre part, qu’il est réputé en être le conducteur, à moins d’apporter la preuve que le véhicule a été détruit, volé ou conduit par un tiers. Le propriétaire ne peut donc s’exonérer de sa responsabilité en affirmant ignorer qui conduisait le véhicule au moment de l’infraction. En tout état de cause, l’État partie note que, dans les trois formulaires de requête en exonération transmis au centre d’encaissement, l’auteur avait coché la case « j’avais prêté (ou loué) mon véhicule à la personne suivante, qui le conduisait ou était susceptible de le conduire lorsque l’infraction a été constatée » en ajoutant la formule manuscrite « voir lettre ci-jointe ». Or, aucune lettre n’a été jointe à ses requêtes en exonération. Si l’auteur avait révélé, comme la réglementation l’y oblige, l’identité du conducteur, il aurait de ce fait apporté la preuve permettant de l’exonérer de sa responsabilité.

8.7 Sur l’atteinte qui serait portée à la présomption d’innocence du fait de la consignation, l’État partie considère que ce grief se confond avec celui tiré du droit d’accès à un tribunal et ne devrait pas faire l’objet d’un examen séparé. Si le Comité devait néanmoins examiner ce grief séparément, l’État partie rappelle que la consignation n’est pas une présomption de la culpabilité puisque, lorsqu’il est saisi d’une réclamation, le tribunal de police peut relaxer, dispenser de peine ou condamner le requérant. La consignation ne saurait donc être assimilée à une amende. D’ailleurs, l’article 529-10 du code de procédure pénale stipule clairement que « cette consignation n’est pas assimilable au paiement de l’amende forfaitaire et ne donne pas lieu au retrait des points du permis de conduire ». La consignation est une simple garantie. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet conclu que la consignation ne peut être apparenté à « un constat de culpabilité sans établissement préalable de celle-ci, et notamment sans que l’intéressé ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense. » L’État partie conclut que le droit de l’auteur à la présomption d’innocence n’a pas été enfreint.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

9.1 Le 18 février 2008, l’auteur note qu’il partage l’analyse de l’État partie sur le rôle dévolu à l’officier du ministère public et que c’est la loi française qui est contraire au Pacte. Il rappelle qu’en vertu de l’article 55 de la Constitution française, les traités internationaux ont une autorité supérieure à celle des lois. L’officier du ministère public était donc tenu, sous le contrôle du juge judiciaire, d’écarter l’application de la loi française comme contraire aux dispositions du Pacte.

9.2 Sur l’exigence du dépôt de consignation comme condition de la recevabilité de la réclamation du requérant, l’auteur note que l’affaire Varela invoquée par l’État partie concerne une partie civile qui entendait mettre en mouvement l’action publique et qui n’avait pas versé la consignation fixée par le juge d’instruction. Or, l’auteur n’est pas partie poursuivante, mais partie poursuivie. Il estime qu’être pénalement poursuivi et devoir, de surcroît, verser une somme d’argent pour pouvoir présenter sa défense porte atteinte aux droits de la défense et au principe de la présomption d’innocence.

9.3 Sur la possibilité de demander l’annulation de l’arrêté préfectoral d’implantation du radar ayant relevé l’excès de vitesse, l’auteur fait valoir qu’il n’avait pas besoin d’introduire un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif puisque le juge pénal a plénitude de juridiction et peut statuer sur l’exception d’illégalité d’un acte réglementaire dont la légalité est contestée devant lui. En tout état de cause, l’auteur ne pouvait pas introduire un recours en annulation pour excès de pouvoir car un tel recours ne peut être introduit que dans le délai strict de deux mois après la publication de l’arrêt préfectoral en cause. Tout recours administratif était donc voué à l’échec. L’auteur ne pouvait donc que soulever l’exception d’illégalité de l’arrêté préfectoral devant le juge pénal, ce qu’il n’a pu faire car sa réclamation n’est pas arrivée jusqu’au juge suite au blocage de la procédure par l’officier du ministère public.

9.4 Sur la responsabilité du propriétaire d’un véhicule, l’auteur précise qu’il n’y a aucune contradiction dans le fait qu’il a indiqué qu’il a prêté son véhicule à un tiers sans préciser l’identité de cette personne. Il fait valoir qu’il n’entre pas dans son éthique de dénoncer la personne à qui il a pu prêter son véhicule et qu’il ignore de toute façon qui était le conducteur du véhicule au moment des faits car plus d’une trentaine de personnes fréquentent régulièrement son domicile et ont accès à son véhicule. Il refuse de dénoncer un membre de sa famille. Il estime que la loi française fait illégitimement peser une présomption de responsabilité sur le propriétaire du véhicule, ce qui est contraire au Pacte.

Observations additionnelles des parties sur le fond

10.1 Le 12 mai 2008, l’auteur rappelle que l’État partie avait déclaré qu’il ne risquait ni un retrait de point, ni une inscription au casier judiciaire. Toutefois, l’auteur a reçu un courrier du Ministère de l’Intérieur datant du 7 mars 2008 et indiquant qu’il a commis une infraction pénale au code de la route entraînant la perte d’un point de son permis de conduire avec inscription au service du fichier national des permis de conduire. Il en conclut que tout automobiliste qui conteste l’infraction qui lui est reprochée sans consigner au préalable, voit sa demande rejetée, l’infraction pénale définitivement établie sans examen au fond avec retrait de point effectif sur son permis de conduire et inscription au fichier du service national des permis de conduire.

10.2 Le 16 mai 2008, l’État partie informe le Comité d’une décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme qui a rejeté comme manifestement mal fondée une requête invoquant le même grief que celui de la présente communication. Dans cette décision, la Cour a estimé légitime le but poursuivi par l’obligation de consignation qui est de « prévenir l’exercice de recours dilatoires et abusifs et éviter l’encombrement excessif du rôle du tribunal de police, dans le domaine de la circulation routière qui concerne l’ensemble de la population et se prête à des contestations fréquentes. »

10.3 Le 13 juin 2008, l’auteur rappelle que le Comité n’est nullement tenu par les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. En tout état de cause, la décision invoquée par l’État partie concerne les paragraphes 1 et 2 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme dont le contenu est différent de celui du paragraphe 3 de l’article 2 et des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. En outre, le paragraphe 3 de l’article 2 garantit le droit à un recours utile, notion qui est absente de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.

10.4 L’auteur rappelle que le Conseil constitutionnel a jugé qu’une présomption simple de faute avec obligation de payer une amende fixée par le juge qui pèse sur le titulaire du certificat d’immatriculation du véhicule relevé en infraction à l’aide d’un radar automatique n’est conforme à la Constitution française et à la Convention européenne des droits de l’homme que si ce titulaire peut « utilement » faire valoir ses moyens de défense à « tous les stades de la procédure ». Or, dans la mesure où les moyens de défense n’ont pas été examinés pour défaut de consignation, l’auteur n’a clairement pas disposé d’un recours « utile » à tous les stades de la procédure. Même si la Cour européenne des droits de l’homme estime que l’instauration d’une consignation peut être considérée comme légitime pour assurer une bonne administration de la justice et prévenir l’exercice de recours dilatoires et abusifs, il n’en demeure pas moins qu’une telle consignation ne doit pas avoir pour conséquence d’empêcher que les moyens de défense ne soient pas examinés au fond. L’auteur suggère que la législation nationale, tout en maintenant l’obligation de consignation préalable, pourrait prévoir qu’en cas de défaut de consignation, les moyens de défense seraient quand même examinés au fond par un tribunal indépendant et impartial, mais que dans le cas où ces moyens de défense seraient infondés, la peine encourue serait par exemple majorée. Ainsi, les recours dilatoires et abusifs pourraient-ils être sanctionnés de manière dissuasive.

Examen au fond

11.1 Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2 En ce qui concerne le grief de violation des paragraphes 3 a) et 3 b) de l’article 2, le Comité rappelle que l'article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu'en relation avec d'autres dispositions du Pacte. Il note que le paragraphe 3 a) de l'article 2 stipule que chaque État partie s'engage à «garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus [dans le Pacte] auront été violés disposera d'un recours utile ». Quant au paragraphe 3 b) de l’article 2, il stipule que chaque État partie s’engage à « garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours. » Toutefois, dans le cas présent, le Comité estime que les allégations de l’auteur concernant les paragraphes 3 a) et 3 b) de l’article 2 sont étroitement liées à son allégation qu’il n’a pas eu accès à un tribunal au sens du paragraphe 1 de l’article 14 et ne devraient pas faire l’objet d’un examen séparé.

11.3 Quant au grief de violation du paragraphe 1 de l'article 14, le Comité note l’allégation de l’auteur selon laquelle son droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal qui décidera du bien fondé des accusations pénales dirigées contre lui a été violé par l’obligation de consignation. Le Comité rappelle que l’auteur n’était pas obligé de régler le montant des amendes en elles-mêmes afin d’avoir accès au juge, mais qu’il devait consigner un montant équivalent à ces amendes . D’après l’Etat partie, ce système a été mis en place afin d’accroître l’efficacité dans un domaine qui engendre un très grand nombre d’affaires. Le Comité note que le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à certaines limitations. Néanmoins, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès aux tribunaux à un point tel que le droit d’accès à l’administration de la justice s’en trouve atteint dans sa substance même. Dans le cas présent, le Comité constate que le système mis en place par l’État partie n’est utilisé que pour des amendes de montants relativement faibles et que le montant à consigner ne dépasse pas celui de l’amende forfaitaire selon l’article 529-10 du code de procédure pénale. Il note que l’auteur n’invoque aucune difficulté financière ne lui permettant pas de s’acquitter de sa consignation dans les délais impartis. Le Comité estime qu’un tel système poursuit un but légitime qui est notamment d’assurer une bonne administration de la justice et n’est pas de nature à atteindre la substance du droit d’accès de l’auteur au tribunal de police. Quant à l’argument de l’auteur selon lequel sa requête a été rejetée par un officier du ministère public, et non par un juge, le Comité constate qu’il ne s’agissait pas d’une décision judiciaire, mais d’une décision administrative par laquelle l’officier avait seulement à déterminer si les conditions de recevabilité avaient été remplies. En outre, le Comité constate également que la décision de rejet pour manque de consignation pouvait être prise par l’officier du ministère public selon la législation de l’État. Si l’auteur s’était acquitté de sa consignation, il aurait eu accès au tribunal de police, ce qui lui aurait fourni un recours effectif. Dans ces circonstances, le Comité considère qu’en l’espèce, l’obligation de consignation ne porte atteinte ni au droit de l’auteur d’avoir accès à un tribunal, ni à son droit à un recours effectif. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne révèlent pas de violation du paragraphe 1 de l'article 14 du Pacte, ni des paragraphes 3 a) et 3 b) de l’article 2.

11.4 Quant au grief de violation du paragraphe 2 de l'article 14, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’obligation de consignation porte atteinte au principe d’innocence. Toutefois, il note également que selon l’article 529-10 du code de procédure pénale, la consignation ne constitue pas paiement de l’amende forfaitaire. Il estime donc que la consignation ne peut être apparentée à un constat de culpabilité puisque, si elle avait été payée, le tribunal de police aurait pu relaxer, dispenser de peine ou condamner l’auteur. Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits dont il est saisi ne révèlent pas de violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte.

12. Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des paragraphes 3 a) et 3 b) de l’article 2, ni des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale. ]

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