NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE *

CCPR/C/94/D/1472/2006

9 décembre 2008

Original: FRANÇAIS

COMITE DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-quatorzième session

13 – 31 octobre 2008

CONSTATATIONS

Communication n o 1472/2006

Présentée par :

SAYADI Nabil et VINCK Patricia (représentés par un conseil, Georges-Henri Beauthier)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Belgique

Date de la communication :

14 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 10 mai 2006 (non publiée sous forme de document)

CCPR/C/89/D/1472/2006 - décision sur la recevabilité datée du 30 mars 2007

Date de la présente décision :

22 octobre 2008

GE.09-40084 Objet : demande de radiation de noms sur la liste établie par le Comité des sanctions des Nations Unies 

Questions de procédure : particuliers relevant de la juridiction de l’Etat partie ; non épuisement des recours internes ; même question en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Questions de fond : absence de recours effectif ; droit de circuler librement ; liberté de quitter un pays, y compris le sien ; droit à un procès équitable ; principe de l’égalité des armes ; présomption d’innocence ; délai raisonnable de la procédure ; droit à l’exécution d’un jugement ; principe de légalité des peines ; protection contre immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée ; droit à la liberté de pensée, conscience et religion ; droit de s’associer librement ; principe de non-discrimination 

Articles du Pacte : paragraphe 3 de l’article 2 ; articles 12 ; paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 ; 15 ; 17 ; 18 ; 22 ; 26 et 27

Articles du Protocole facultatif : 1 ; paragraphes 2 a) et b) de l’article 5 

Le 22 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci ‑après en tant que constatations concernant la communication n o  1472/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication no 1472/2006 *

Présentée par :

SAYADI Nabil et VINCK Patricia (représentés par un conseil, Georges-Henri Beauthier)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Belgique

Date de la communication :

14 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Décision concernant la recevabilité :

30 mars 2007

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 22 octobre 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication n o 1472/2006 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de SAYADI Nabil et VINCK Patricia, au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

Les auteurs de la communication, datée du 14 mars 2006, sont M. Nabil SAYADI et Mme Patricia VINCK. M. Sayadi est né le 1 er janvier 1966 au Liban et Mme Vinck, son épouse, est née le 4 janvier 1965 en Belgique. Ils sont de nationalité belge. Ils se déclarent victimes de violations par la Belgique du paragraphe 3 de l’article 2 ; des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 ; des articles 12 ; 15 ; 17 ; 18 ; 22 ; 26 et 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, Georges-Henri Beauthier. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie les 21 avril 1983 et 17 mai 1994 respectivement. Le Rapporteur Spécial pour les nouvelles communications du Comité a décidé que la question de la recevabilité serait examinée séparément de celle du fond.

Exposé des faits tels que présentés par les auteurs

Sur la base des Résolutions 1267(1999) , 1333(2000), 1390(2002) et 1455(2003) du Conseil de Sécurité des Nations Unies et du Règlement du Conseil de l’Union européenne 881/2002 , une instruction pénale en date du 3 septembre 2002 a été ouverte à la demande du ministère public belge à l’encontre des auteurs.

Le 19 novembre 2002, l’Etat partie a également informé le Comité des sanctions des Nations Unies que les auteurs étaient respectivement directeur et secrétaire de l’association Fondation Secours International, présentée comme la branche européenne de l’association américaine Global Relief Fondation (GRF), déjà inscrite sur la liste des sanctions depuis le 22 octobre 2002.

Les noms des auteurs ont été inscrits sur les listes annexées à la Résolution du Conseil de Sécurité (23 janvier 2003), au Règlement du Conseil de l’Union européenne (27 janvier 2003) , et à un arrêté ministériel belge (31 janvier 2003) , sans que les auteurs ne puissent avoir accès aux « informations pertinentes » justifiant l’inscription. La mise en œuvre des dispositions du droit international et communautaire est assurée, en droit belge, par les lois du 11 mai 1985 et 3 mai 2003, l’arrêté royal du 17 février 2000 et divers arrêtés ministériels d’exécution. Alors que les auteurs, parents de quatre enfants, n’ont subi aucune condamnation, ni fait l’objet de poursuite, leur casier judiciaire étant vierge, tous leurs avoirs financiers ont été bloqués suite à cette inscription, ce qui les empêche de travailler, de voyager, d’accomplir des mouvements de fonds et de faire face aux dépenses de la vie familiale.

Les auteurs ont procédé à diverses demandes en 2003 auprès des ministres et Premier Ministre belges, des autorités européennes, des Nations Unies et des juridictions civiles belges. Les ministres ont rappelé les obligations internationales de l’Etat belge, la Commission européenne a affirmé son incompétence à pouvoir supprimer les noms des plaignants sur une liste établie par le Comité des sanctions , et le Premier Ministre s’est retranché derrière l’existence d’une instruction avec l’examen de nouveaux éléments.

Quant aux procédures judiciaires, les auteurs étaient dans une situation de « non-droit » en l’absence d’inculpation contre eux. Ils ont obtenu du Tribunal de Première Instance de Bruxelles, le 11 février 2005, la condamnation de l’Etat belge à entamer la procédure de radiation de leurs identités devant le Comité des sanctions. Alors qu’existait « l’information pertinente », à savoir l’absence d’inculpation des auteurs en février 2004, l’Etat belge n’a jamais déclenché la procédure de radiation. Le Tribunal a condamné l’Etat belge « à demander sous le bénéfice de l’urgence au Comité des sanctions des Nations Unies de radier les noms des demandeurs de la liste et d’en communiquer la preuve aux demandeurs, à peine d’une astreinte de 250 euros par jour de retard ». Suite à cette condamnation, l’Etat partie a demandé auprès du Comité des sanctions des Nations Unies de radier les auteurs le 25 février 2005. A la date de la communication, aucune décision n’a été prise par le Comité des sanctions.

Venant également confirmer l’innocence des plaignants, la Chambre du Conseil du Tribunal de Première Instance de Bruxelles a, le 19 décembre 2005, déclaré le non-lieu suite à plus de trois ans d’instruction pénale. Ces deux décisions n’ont pas été frappées d’appel et sont aujourd’hui définitives.

Teneur de la plainte

Les auteurs allèguent des violations du paragraphe 3 de l’article 2 ; du paragraphe 1 de l’article 4, des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 ; des articles 12 ; 15 ; 17 ; 18 ; 22 ; 26 et 27 du Pacte.

Pour le conseil, tous les recours internes possibles ont été épuisés. Les requérants ont engagé une procédure au civil qui s’est soldée le 11 février 2005 par la condamnation définitive de l’Etat belge, et un non-lieu a été rendu par une ordonnance au pénal le 19 décembre 2005. Le conseil a adressé de nombreux courriers à l’avocat de l’Etat belge afin de connaître les suites de la demande de radiation déposée au Comité des sanctions. D’après le conseil, les ministres belges et instances politiques européennes communautaires et internationales ont été informés de « l’inaction » de l’Etat partie à la suite de la demande des auteurs de radiation.

Sur l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14, les auteurs ont été inscrits sur une liste et leurs avoirs gelés sans qu’aucun tribunal ne se prononce sur leur sort. D’après le conseil, il est certain que le caractère « administratif et provisoire » de ces mesures présentées comme telles par l’Etat belge ne peut suffire à masquer l’équivalence avec des sanctions pénales et justifier l’absence d’intervention du pouvoir judiciaire ainsi que l’application prolongée de telles sanctions.

Le respect de la présomption d’innocence, le droit à un recours effectif, ainsi que le droit à une procédure comprenant des garanties structurelles et fonctionnelles ont été violés. La présomption d’innocence n’avait pas été respectée par la proposition de l’Etat belge d’inscrire le nom des auteurs sur la liste du Comité des sanctions sans « éléments pertinents », et ce en violation du paragraphe 2 de l’article 14. S’il appartient aux Etats de faire ce type de proposition sur la base d’ « éléments pertinents », et si cette notion ne comporte aucune définition précise, au regard de la limitation des libertés des individus concernés, ces éléments pertinents doivent faire l’objet d’une motivation circonstanciée. Or l’Etat belge n’a avancé pour seule justification que l’existence des motifs faisant croire « que les demandeurs ont un lien avec la maison mère GRF et par là même avec le groupement terroriste Al-Qaeda ». De plus, la proposition d’inscription sur la liste faite le 19 novembre 2002 n’a suivi que de quelques jours l’ouverture de l’instruction du 3 septembre 2002, et apparait dès lors prématurée et injustifiée.

Eu égard à l’article 15 du Pacte, d’après le conseil, l’inscription des noms des auteurs sur la liste viole le principe de la légalité des peines. Pour l’Etat belge, l’inscription est la conséquence d’une infraction commise par les auteurs mais la définition de cette infraction ainsi que ses éléments constitutifs n’étaient pas connus. De plus, selon le conseil, alors que seuls les Etats sont en mesure d’actionner la procédure de radiation des noms sur la base « d’informations pertinentes », l’Etat belge s’y est toujours refusé tant que l’instruction n’était pas close. Par là, il fait prévaloir la preuve de l’absence de culpabilité sur la présomption d’innocence des plaignants. Selon le conseil, si la justice civile belge a bien donné raison en février 2005 aux auteurs, la violation du principe de la présomption d’innocence est patente.

Sur l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 2, d’après le conseil, les auteurs ne disposent d’aucun recours effectif devant les instances pénales leur permettant de provoquer la clôture de l’instruction ouverte pendant plus de trois ans. L’article 136 du Code d’instruction criminelle prévoit que « si l’instruction n’est pas clôturée après une année, la chambre des mises en accusation peut être saisie par requête adressée au greffe de la cour d’appel par l’inculpé ou la partie civile ». Cependant, selon le conseil, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que cet article «  soulève certaines question de droit interne belge qui pour l’instant […] n’ont pas encore été résolues, et que le Gouvernement belge lui-même n’a mentionné aucun exemple de la pratique interne attestant que la chambre des mises en accusation aurait fait droit à une requête fondée sur l’article 136, alinéa 2, d’une personne non inculpée  » . Cette voie de recours ne peut donc être considérée comme effective.

D’après le conseil, la procédure d’information et de sanctions révèle l’absence de garanties fonctionnelles, tel que le principe de l’égalité des armes, en violation du paragraphe 3 de l’article 14. Les auteurs sont désavantagés pour présenter leur cause en raison de l’atteinte au droit à l’information et l’absence de transparence à leur égard. L’Etat belge ne respecte pas la clause humanitaire prévue à l’article 1 de la Résolution 1452(2002), prévoyant que le gel des avoirs ne s’applique pas aux fonds et autres actifs financiers nécessaires pour les dépenses de base. Si la Résolution 1452(2002) laisse aux Etats le soin de déterminer la nature de ces fonds ou actifs, elle ne prévoit pas que les intéressés doivent faire une demande pour bénéficier de la clause humanitaire. Il appartient à l’Etat belge d’informer les auteurs de cette clause, conformément à la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs et à la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration et aux voies de recours. Les auteurs n’ont pris connaissance de cette clause que le 11 février 2003. L’Etat belge invoque l’absence d’entrée en vigueur du Règlement communautaire en Belgique à la date de la demande du bénéfice de la clause par les auteurs. Le conseil relève que la demande existait et cela même après son entrée en vigueur. Le Tribunal de Première Instance de Bruxelles ne s’est pas prononcé sur ce point.

Sur l’absence de garanties structurelles, en violation du paragraphe 3 de l’article 14, d’après le conseil, l’application des sanctions a été caractérisée par l’absence du délai raisonnable de la procédure, plus particulièrement de l’instruction. Celle-ci a duré trois ans et trois mois, ce qui invoque également une violation du paragraphe 3 c) de l’article 2 du Pacte sur le droit à l’exécution d’un jugement. La quasi-inaction de l’Etat belge pour obtenir du Comité des sanctions la radiation de la liste est caractéristique d’une situation marquée par l’admission implicite de telles sanctions et conséquences intolérables pour les auteurs. Alors que l’Etat belge s’était engagé à renouveler sa demande de radiation en cas de non-lieu rendu par les juridictions belges, aucune réitération n’a été faite.

Par ailleurs, selon le conseil, la responsabilité de certains Etats parties au Comité des sanctions est directement mise en cause, pour ceux qui, sans « éléments pertinents » font blocage à la radiation des plaignants de la liste, en violation du jugement rendu par les tribunaux belges le 11 février 2005 et du droit à l’exécution d’un jugement prévu par l’article 2 du Pacte.

Sur l’allégation de violation de l’article 12 du Pacte, les auteurs ne peuvent plus voyager librement ou sortir de la Belgique. M. Sayadi n’a pu répondre à une offre d’embauche du Croissant Rouge du Qatar.

Sur l’allégation de violation de l’article 17, selon le conseil, les coordonnées complètes des auteurs sont livrées à tous par leur inscription sur la liste du Comité des sanctions. De même, ils doivent régulièrement exiger la publication d’un droit de réponse afin d’obtenir la rectification d’articles publiés dans la presse. La réputation de M. Sayadi a été mise en doute et bafouée, et il a été licencié par l’entreprise dans laquelle il travaillait depuis juillet 2002. Il a dû ensuite introduire une requête devant le tribunal du travail de Malines afin d’obtenir les allocations chômages, qu’on lui avait refusées.

Sur l’allégation de violation de l’article 18, conjointement au paragraphe 1 de l’article 22 et à l’article 27, selon le conseil, l’Etat belge freine la constitution de groupements associatifs de religion musulmane ayant pour but le financement de projets humanitaires dans diverses régions du monde. Les auteurs sont empêchés de pratiquer leur culte, notamment par l’élaboration et le financement de projets destinés à améliorer les conditions de vies d’autres pratiquants de la religion musulmane.

Le conseil affirme que les conditions posées par le paragraphe 1 de l’article 4 du Pacte ne sont pas réunies. « Le danger public exceptionnel » que représenteraient le terrorisme et son financement aboutit à l’adoption de mesures et à la mise en œuvre de procédures qui engendre une discrimination fondée sur la religion musulmane contraire à l’article 26 du Pacte. Les seules restrictions admises aux droits protégés par le Pacte doivent être nécessaires dans une société démocratique. Or c’est l’effet inverse qui se produit pour une partie de la population et qui remet en cause les principes de base de toute société démocratique. La compétence de juger les personnes relève du pouvoir judiciaire, et le fait que le gouvernement belge a procédé au blocage des comptes bancaires de l’association des auteurs, et des comptes des auteurs témoignent de l’empiètement du pouvoir législatif sur le judiciaire. Le principe d’égalité a également été violé puisqu’au nom de la lutte contre le terrorisme la seule inscription de l’identité de particuliers sur une liste justifie à leur égard de procédures particulières devant les tribunaux, de sanctions sans jugement, recours effectif ou droits de la défense.

Observations de l’Etat partie

Le 6 juillet 2006, l’Etat partie rappelle la réglementation des Nations Unies qui dicte aux Etats Membres qu’ils doivent « coopérer pleinement avec le comité [des sanctions]… dans l’exécution de ses taches, notamment en lui communiquant les éléments d’information qui pourraient lui être nécessaires au titre de la présente résolution » . Le 20 décembre 2002 le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1455(2002) qui prévoit la clause humanitaire. Les Directives régissant la conduite des travaux du Comité prévoient une procédure pour la demande de radiation de la liste établie par le Comité des sanctions . En particulier, les demandes doivent s’appuyer sur des « informations pertinentes » qui doivent être fournies par la personne qui souhaite introduire une demande tendant à faire examiner son cas. Pour ce qui concerne l’Etat partie, l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité a été transposé dans des règlementations européennes étant donné que suite à un transfert de compétence des Etats membres à la Communauté européenne, la mise en œuvre des mesures économiques décidées par les Nations Unies relève de la compétence de cette dernière.

Sur les faits, l’Etat partie précise que l’association Fondation Secours Mondial est la branche européenne de la Global Relief Foundation, une organisation caritative islamique active aux Etats-Unis et suspectée de participer au financement du réseau Al-Qaeda. L’instruction pénale ouverte le 3 septembre 2002 a examiné l’implication des auteurs dans le cadre de la Fondation Secours Mondial, ainsi que les nombreux contacts, y compris financiers, que M. Sayadi aurait entretenus avec plusieurs responsables liés au réseau Al-Qaeda. Le 22 octobre 2002, l’association Global Relief Foundation est inscrite sur la liste du Comité des sanctions. Cette inscription mentionne notamment que sont liées à cette organisation ses branches européennes, dont la Fondation Secours Mondial. Le 22 janvier 2003, après avoir examiné les éléments d’information en sa possession et suite à une initiative de l’Etat partie, le Comité des sanctions a décidé d’inscrire les auteurs sur la liste. Le 28 janvier 2003, la Commission européenne a publié une mise à jour de la liste du Comité des sanctions comprenant le nom des auteurs. Le 31 janvier 2003, le ministre des Finances a pris un arrêté ministériel, publié le 19 février 2003, afin de mettre à jour cette même liste, en y ajoutant les noms des auteurs. Le 27 février 2003, les auteurs ont demandé aux ministres des Finances, Justice et Affaires Etrangères de prendre les mesures nécessaires afin de faire radier leur nom de la liste, sans toutefois fournir des éléments pertinents. Les auteurs ont reçu une réponse de chacun des ministres : le 26 mars 2003, le ministre de la Justice a indiqué que la mesure de gel constituait uniquement une mesure administrative et provisoire qui ne s’apparentait pas à une condamnation ou à une confiscation judiciaire, en sorte qu’il ne pouvait être soutenu que les auteurs auraient été condamnés « sans autre forme de procès ». Le ministre de la Justice leur a indiqué que leur inscription sur la liste se justifiait par leur qualité de membres de l’association Global Relief Foundation, information également transmise le 8 avril 2003 par le ministre des Affaires Etrangères. Le 30 décembre 2003, le Premier Ministre a répondu qu’il avait demandé au ministre de la Justice d’interroger le parquet fédéral sur l’état d’avancement de l’instruction et que le parquet considérait que l’instruction ne pouvait pas encore être clôturée, de nouveaux éléments devant être examinés.

Le 3 février 2004, les auteurs ont introduit une action devant le Tribunal de Première Instance de Bruxelles contre l’Etat belge visant à le faire condamner à introduire une demande de radiation auprès du Comité des sanctions, sur la base de l’absence d’inculpation après un an et demi d’instruction. L’Etat partie a fait valoir que l’information pertinente sur la base de laquelle il pourrait utilement introduire une demande de radiation serait la clôture de l’instruction sans inculpation. Le Tribunal jugea cependant le 11 février 2005, qu’après deux ans et demi d’instruction il était raisonnable d’exiger l’introduction d’une demande de radiation auprès du Comité. L’Etat partie a immédiatement exécuté ce jugement. La requête de radiation a été distribuée par le Secrétariat du Comité des sanctions à tous les membres du Comité le 4 mars 2005. La procédure d’approbation tacite (impliquant la radiation à défaut d’objections dans un délai de 48 heures (jours ouvrables)) a toutefois été bloquée, des Membres du Comité des sanctions ayant émis des réserves quant à la demande de l’Etat belge, dans les limites du délai prévu à cet effet. Le 10 janvier 2006, l’Etat partie a soumis pour suite utile au Comité des sanctions l’ordonnance de non lieu dans la procédure pénale rendue par la Chambre du conseil du Tribunal de Première Instance de Bruxelles.

L’Etat partie a demandé au ministère public à pouvoir prendre connaissance du dossier répressif les concernant afin de chercher toute information pertinente pouvant être soumise au Comité des sanctions. Le 4 avril 2006, l’Etat partie a réitéré sa demande de radiation fondée sur le jugement de la Chambre du conseil et sur l’absence de tout élément dans le dossier répressif justifiant le maintien du nom des auteurs sur la liste. L’Etat partie est allé au-delà non seulement de ce qui avait été requis par le jugement du Tribunal de Première Instance de Bruxelles, mais aussi de son engagement par courrier officiel du 22 septembre 2005 au conseil des auteurs. A ce jour, l’examen de la demande de radiation est toujours pendant devant le Comité des sanctions.

Sur la recevabilité, l’Etat partie fait valoir que la question soulevée par les auteurs est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité des sanctions des Nations Unies . Ce Comité remplit les conditions de la définition d’une « autre instance international d’enquête ou de règlement », comme prévu au paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, le Comité doit se déclarer incompétent pour examiner la communication des auteurs.

Sur le fond, et les allégations de violation de la présomption d’innocence, du droit d’accès à la justice et du procès équitable, l’Etat partie indique premièrement qu’il était, conformément aux décisions du Conseil de sécurité, dans l’obligation de fournir les éléments d’information relatifs aux auteurs. L’Etat partie relève que le Comité des sanctions a confirmé que lorsqu’une organisation caritative était mentionnée sur la liste, les principales personnes liées à ces entités devaient l’être également. Deuxièmement, la mesure litigieuse ne saurait porter atteinte à la présomption d’innocence et au principe de légalité des peines, qu’à la condition qu’elle soit de nature pénale. Le fondement de l’inscription sur la liste, à savoir l’existence de « liens » avec Al-Qaeda, n’est pas incriminée en tant que tel. C’est à tort que les auteurs font valoir que l’instruction judiciaire ayant démarré quelques mois plus tôt, la démarche de l’Etat partie était prématurée et injustifiée. Troisièmement, les auteurs soutiennent à tort que l’Etat partie aurait porté atteinte à la présomption d’innocence. Si l’Etat partie a fait valoir que la demande de radiation devait attendre la clôture de l’instruction pénale, ce qui à ses yeux constituait l’ « information pertinente » à présenter au Comité, le Tribunal de première instance a jugé qu’elle devait être introduite sans attendre la clôture de l’instruction, jugement que l’Etat partie a exécuté.

Quant à l’allégation d’absence de recours effectif devant les instances pénales permettant de provoquer la clôture de l’instruction, l’Etat partie indique que les auteurs ont disposé en l’espèce d’un recours puisqu’ils ont assigné le gouvernement devant un tribunal et ont obtenu que soit adressée au Comité des sanctions une demande de radiation.

Quant à l’allégation selon laquelle la procédure d’information et de sanctions mise en œuvre par l’Etat belge révèle l’absence de garanties fonctionnelles, l’Etat partie relève que le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte vise l’information à une personne accusée en matière pénale, et est donc inapplicable à des mesures qui ne sont ni des accusations ni des sanctions pénales. Les auteurs ont été informés des faits fondants leur inscription sur la liste.

Quant aux allégations de violations liées à la clause humanitaire prévue par la Résolution 1452(2002), la dérogation pour cause humanitaire a été prévue par le Règlement (CE) no 561/2003 modifiant le Règlement no 881/2002 qui, en vertu du Traité instituant la communauté européenne est une norme obligatoire et directement applicable dans tous les Etats membres. Il ne nécessite aucune mesure de réception en droit interne belge, ni aucune notification. Ce Règlement contient toutes les informations concernant la procédure à suivre pour bénéficier de cette dérogation. La Résolution 1452(2002) prévoit que l’Etat doit déterminer les fonds qui sont nécessaires pour les dépenses de base. L’Etat ne peut opérer cette détermination sans que des informations ne soient fournies par les particuliers, telles que les montants d’un loyer ou d’un prêt hypothécaire, montant de frais médicaux, etc. Le règlement (CE) no 561/2003 prévoit que toute personne souhaitant bénéficier de la clause humanitaire doit adresser sa demande à l’autorité compétente pertinente de l’Etat membre recensée dans l’annexe II au règlement. Les auteurs ont été informés du règlement précité dès sa publication au Journal Officiel. Au demeurant, si l’absence de notification d’un acte administratif peut faire obstacle à ce que des obligations soient imposées à son destinataire qui en avait par ailleurs connaissance, l’invocation d’un droit ne nécessite pas que l’acte qui en constitue le fondement ait été notifié . Ainsi, l’absence de notification de l’acte ne fait pas obstacle à l’invocation de la clause humanitaire. Or, en l’espèce les auteurs avaient bien connaissance de cette possibilité, notamment par la réponse à la question parlementaire posée au Ministre de la Justice et par un courrier du Premier Ministre du 30 décembre 2003, leur demandant la liste de dépenses pour la procédure relative à la clause humanitaire, car en son absence la procédure est suspendue. Cependant, les auteurs n’ont toujours pas adressé une demande valable auprès du Ministère, ni soumis de pièce justificative. Le fait qu’ils ne bénéficient pas de la clause leur est entièrement imputable, ce qui doit amener le Comité à déclarer la communication irrecevable en application du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les recours internes portent non seulement sur les recours juridiques mais aussi sur les recours administratifs . Le fait de ne pas avoir invoqué la clause humanitaire constitue alors un non-épuisement des recours internes (administratif) .

Quant aux allégations d’absence de garanties structurelles, notamment du non-respect du délai raisonnable, l’Etat partie relève que les auteurs n’indiquent pas pour quelles raisons il y aurait violation du délai raisonnable de l’instruction. La détermination du caractère raisonnable d’un délai dépend des circonstances et de la complexité du cas d’espèce. En l’espèce, les trois années et demie d’instruction se justifient par la nature complexe du dossier et le fait que des commissions rogatoires ont dû être accomplies à l’étranger. Quant aux allégations de violation du droit à l’exécution d’un jugement, le jugement du Tribunal de première instance de Bruxelles condamnant l’Etat belge a été exécuté sans retard par l’Etat partie. Il rappelle également qu’il a été au-delà de ce que demandait le jugement en transmettant au Comité des sanctions l’ordonnance de non-lieu.

Le 9 novembre 2006, l’Etat partie ajoute que les auteurs ne relèvent pas de sa juridiction au sens de l’article 1 du Protocole facultatif. Les règles régissant les communications excluent que les auteurs mettent en cause devant le Comité la réglementation des Nations Unis relative à la lutte contre le terrorisme. Ces règles s’opposent également à ce que les auteurs mettent en cause les mesures prises par l’Etat partie dans l’exécution de ses obligations en vertu de la Charte des Nations Unies. L’Etat partie interprète la communication comme étant dirigée uniquement contre l’exercice par l’Etat belge d’une marge d’appréciation éventuelle dont il disposerait dans l’application de la réglementation de l’ONU.

Quant à l’allégation de « violations matérielles » du Pacte, l’Etat partie fait valoir qu’il a uniquement communiqué au Comité des sanctions les informations relatives aux auteurs, conformément aux prescrits de la réglementation de l’ONU. C’est le Comité des sanctions qui a examiné les informations et procédé à l’inscription des auteurs sur la liste. L’Etat partie a pris toutes les mesures idoines en son pouvoir pour obtenir la radiation du nom des auteurs, dans le respect de leurs droits fondamentaux autant que de la réglementation des Nations Unies. Au demeurant, les mesures de lutte contre le financement du terrorisme ont été adoptées par le Conseil de sécurité agissant dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. L’existence d’une menace contre la paix et la sécurité internationales constitue une situation extraordinaire justifiant des restrictions à la jouissance de droits individuels conformément aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme. L’article 103 de la Charte prévoit qu’« en cas de conflit entre les obligations des membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international les premières prévaudront ». Ces mesures de lutte contre le financement du terrorisme ne sont pas absolues. Il est notamment possible de saisir le Comité des sanctions d’une demande de dérogation pour le gel de fonds et pour l’interdiction de circuler. Les mesures adoptées par les Nations Unies ne sont absolument pas dirigées contre la religion musulmane, contrairement à ce que laissent entendre les auteurs.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

Le 20 décembre 2006, et quant à l’exception d’irrecevabilité soulevée par l’Etat partie et prévue par le paragraphe 2) a de l’article 5 du Protocole facultatif, le conseil des auteurs fait valoir que les trois conditions de cet article ne sont pas remplies. Premièrement, le Comité des sanctions n’est pas une instance internationale d’enquête ou de règlement, conformément à la pratique du Comité . Le mot « enquête » désigne une « procédure impartiale d’établissement des faits » ou « ayant pour objet l’éclaircissement des faits ». Le mot anglais ‘ investigation’ renvoie au verbe ‘ to investigate’ , qui implique une vérification. Par conséquent, l’expression « instance internationale d’enquête » vise une organisation internationale qui aurait pour objectif d’établir les faits. Or, les procédures d’inscription et de radiation mises en place par le Comité des sanctions montrent que ce dernier ne procède à aucune enquête, et n’est donc pas une instance internationale d’enquête. Il se contente d’inscrire les noms que les Etats lui soumettent sans vérification, et radie les noms à la demande d’un Etat si aucun de ses membres ne s’y oppose.

Deuxièmement, le Comité des sanctions n’est pas une instance internationale de règlement. Le sens ordinaire du mot règlement/ settlement vise toute « opération consistant à mettre fin à une contestation ou un différend ». En l’espèce, la radiation du nom des auteurs aurait pour effet de mettre un terme à la violation continue du Pacte par l’Etat partie mais non d’apporter la restitio in integrum que sont en droit d’attendre les auteurs , après quatre années de sanctions et qui inclut le constat des violations du Pacte.

Troisièmement, et selon le Comité, la « même question » signifie « la même demande » . Or le Comité des sanctions a été créé par le Conseil de sécurité pour le seconder dans son action contre le terrorisme. Dans le cadre de la présente affaire, la question soumise au Comité des sanctions est celle de la levée des sanctions, alors que la demande formulée au Comité est celle de faire constater que l’Etat partie a violé les droits protégés par le Pacte. Par conséquent, la question présentée au Comité n’est pas la même que celle soumise au Comité des sanctions comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Quatrièmement, la demande de radiation n’est plus en cours d’examen devant le Comité des sanctions, comme requis par le Comité . Le Comité des sanctions n’a pas accédé aux demandes de radiation formulées les 4 mars 2005 et le 4 avril 2006 par l’Etat partie. De plus, la note du Comité des sanctions qui déclare que l’affaire est toujours pendante date du 25 mai 2006, soit depuis plus de sept mois. La procédure de radiation a donc échoué et c’est à tort que l’Etat partie déduit de l’absence de réaction du Comité des sanctions qu’il serait en train d’examiner la requête des auteurs.

Quant à l’argument de l’Etat partie sur le non épuisement des recours internes, au motif que les auteurs n’ont pas actionné la clause humanitaire, le conseil fait valoir qu’une requête en vue d’actionner cette clause n’est pas un recours interne au sens du Pacte. Ces recours internes doivent avoir un caractère utile au sens où ils doivent pouvoir remédier à la situation ou plus exactement avoir une chance d’aboutir . Une demande faite par les auteurs en vue de bénéficier de la clause ne peut pas aboutir à la levée intégrale des sanctions et donc à la cessation des violations du Pacte. Par conséquent, actionner la clause ne constitue pas un recours interne au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole.

Sur le fond, l’Etat partie doit assumer sa responsabilité dans l’application des résolutions 1267(1999) et suivantes. Il est erroné que l’Etat partie serait tenu d’appliquer les sanctions imposées par le Conseil de sécurité. L’article 103 de la Charte est inapplicable car les résolutions à l’origine des sanctions sont constitutives d’un excès de pouvoir du Conseil de sécurité et ne sont donc pas des « obligations » au sens de l’article 103. En adressant des sanctions contre des particuliers au nom de la lutte antiterroriste, le Conseil de sécurité est sorti des pouvoirs que la Charte lui confère. Les Résolutions qui organisent le système des sanctions ont été adoptées en vertu du Chapitre VII. Cela ne signifie pas qu’elles soient obligatoires pour les membres de Nations Unies, car tout acte édicté par un organe doit être conforme aux pouvoirs qui lui sont conférés. Le contrôle qu’exercent les Etats et la jurisprudence sont actuellement les seuls moyens d’éviter que le Conseil de sécurité n’impose ses volontés en constatant artificiellement une menace à la paix et la sécurité internationales. Il doit inscrire son action dans le cadre de la pratique interprétative coutumière de la Charte et celui fixé par la jurisprudence internationale, à savoir le respect des buts et principes des Nations Unies. Dans le cas d’espèce, les auteurs ne constituent pas une menace pour la paix et la sécurité internationales telle que définie dans l’article 39 de la Charte des Nations Unies. Le recours au Chapitre VII est admis lorsqu’une situation a des répercussions massives qui transcendent les frontières. Dans les autres hypothèses, l’usage du Chapitre VII a toujours été contesté par certains Etats, ce qui révèle l’absence d’opinio juris . Or, en l’absence d’opinio juris , les résolutions 1267(1999) et suivantes sont contra legem  : la lutte contre un ennemi « invisible » ne permet pas de s’affranchir du respect de la Charte telle qu’elle est actuellement interprétée.

L’imposition de sanctions contre des particuliers n’est pas conforme aux buts et principes des Nations Unies. La jurisprudence internationale autorise l’usage de l’article 39 à condition qu’ils servent les buts et principes des Nations Unies . Les buts et principes incluent le maintien de la paix et de la sécurité internationale, « conformément aux principes de justice et du droit international ». En l’espèce, l’ordre de geler les avoirs de sociétés caritatives et des individus qui les dirigent au seul motif qu’ils sont soupçonnés de financer le terrorisme international viole les principes de justice énoncés par le Pacte, donc le droit international, et finalement la Charte. Dans ces conditions, l’Etat partie n’est pas tenu de mettre les sanctions en application. Une décision qui constitue un excès de pouvoir perd tout caractère contraignant, et l’Etat partie doit faire primer les normes impératives du droit international (le jus cogens ) sur tout autre obligation . Le Comité a déclaré dans son Observation générale 29 que les « Etats parties ne peuvent en aucune circonstance invoquer l’article 4 du Pacte pour justifier des actes attentatoires […] aux normes impératives du droit international » (par. 11). Par conséquent l’Etat partie est tenu de ne pas appliquer les sanctions dès lors qu’elles sont contraires au jus cogens et aux normes impératives du droit international figurant dans le Pacte.

Par ailleurs, la mise en œuvre des sanctions édictées par le Conseil de sécurité et relayées par l’Union européenne n’exonère pas l’Etat partie de sa responsabilité internationale au regard du Pacte. Cette interprétation est confirmée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour qui «  la Convention n’exclut pas le transfert de compétences à des organisations internationales, pourvu que les droits garantis par la Convention continuent d’être « reconnus ». Pareil transfert ne fait donc pas disparaître la responsabilité des Etats membres  » . L’Etat partie doit donc respecter les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte bien qu’il soit membre de l’Union européenne et des Nations Unies : l’article 103 de la Charte ne constitue pas un fait justificatif ôtant aux violations du Pacte leur caractère illicite. Il ne précise pas que la responsabilité internationale de l’Etat qui fait primer une obligation issue de la Charte sur une autre obligation internationale disparaîtrait, et ne s’agit pas d’une cause d’exclusion de l’illicéité alors engendrée par la violation de l’obligation qui n’est pas dans la Charte. Selon les règles coutumières du droit de la responsabilité internationale, seule l’invocation par l’Etat partie de l’article 4 du Pacte aurait pu lui permettre de s’exonérer de toute responsabilité . Le Comité a souligné que l’article 4 du Pacte exige que l’Etat partie proclame par un acte officiel l’état d’urgence .

Quant au fond, le conseil relève que le caractère pénal ou non d’une mesure doit être défini de manière autonome, indépendamment de toute qualification interne. Sur la base de la jurisprudence internationale, les auteurs déduisent que les sanctions dont ils font l’objet sont de nature pénale. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé que le caractère pénal d’une sanction résulte de son association à une procédure pénale et du fait que la sanction est suffisamment grave pour apparaître comme punitif et dissuasif . Dans le cas d’espèce, l’Etat partie a accompagné les sanctions visant les auteurs d’une enquête pénale. De plus, le Groupe de suivi crée en application de la Résolution 1363(2001) estime « que les individus désignés dans la Liste doivent être considérés comme des terroristes ou terroristes présumés et par conséquent appréhendés puis extradés vers leur pays d’origine ou vers le pays qui a lancé un mandat d’arrêt contre eux » . Les mots « extradés » et « mandat d’arrêt » renvoient à un contexte pénal. Le gel des avoirs et l’interdiction de voyages pourraient constituer également des sanctions pénales au sens du Pacte. Le « sens ordinaire » de ‘sanction’ renvoie à un contexte pénal puisqu’il dérive du mot latin ‘sanctio’ qui signifie ‘peine/punition’.

Quant aux violations du Pacte, elles sont de deux ordres. S’agissant des violations du jus cogens , elles concernent le paragraphe 2 de l’article 14 et l’article 15 du Pacte . Sur le paragraphe 2 de l’article 14, les sanctions pénales ont été infligées aux auteurs sans même que leur culpabilité ait été légalement établie, avant tout procès. Les auteurs continuent d’être sanctionnés alors que l’ordonnance de la Chambre du Conseil du Tribunal de première instance de Bruxelles a conclu à un non-lieu. Le conseil relève qu’à plusieurs reprises le Groupe de suivi , l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions du Comité des sanctions et le Conseiller juridique des Nations Unies ont déploré la « réticence » des Etats à appliquer strictement les résolutions en question, en l’absence de contrôle juridictionnel du bien-fondé des sanctions. Concernant l’article 15 du Pacte, les auteurs ont été « condamnés » sans procès pour une infraction dont l’Etat partie reconnaît explicitement l’inexistence ce qu’atteste la clôture de l’instruction. Enfin, pour les violations des articles 12 ; 17 ; 27 et 18 en combinaison avec 22, le conseil renvoie à la communication initiale.

Réponse de l’Etat partie

Le 17 janvier 2007, l’Etat partie fait valoir que les auteurs ne peuvent mettre en cause devant le Comité la réglementation des Nations Unies relatives à la lutte contre le terrorisme. L’article 1 du Protocole facultatif exclut que les auteurs mettent en cause les mesures prises par l’Etat partie dans l’exécution de ses obligations en vertu de la Charte. Dans une telle situation, les auteurs ne relèvent pas de la juridiction de l’Etat partie et le Comité ne peut connaître de leurs plaintes. Les auteurs ne contestent pas qu’un comportement d’un Etat ne relève pas de sa juridiction lorsqu’il est dicté par une obligation internationale. La thèse des auteurs suppose que le Comité puisse contrôler la validité des résolutions du Conseil de sécurité, ce qui n’est pas le cas. Elle suppose également que les Etats membres des Nations Unies puissent contrôler la validité de ces résolutions au regard de la Charte et les confronter aux dispositions du Pacte. En admettant que les Etats membres aient un tel pouvoir, celui-ci pourrait uniquement donner lieu à un contrôle marginal limité aux abus manifestes du Conseil de sécurité. Ce dernier a encore récemment souligné que « tous les Etats membres ont l’obligation d’appliquer intégralement les mesures contraignantes par lui adoptées » . En l’espèce, les auteurs n’identifient aucune violation manifeste de la Charte. Quant à l’allégation d’excès de pouvoir commis par le Conseil de sécurité, il n’en a pas commis et il est admis que le terrorisme constitue une menace contre la paix et la sécurité internationale.

Quant à l’allégation de non-conformité des résolutions du Conseil de sécurité avec les buts et principes de la Charte, le maintien de la paix et de la sécurité internationales ainsi que le respect des principes de justice et du droit international constituent deux objectifs que le Conseil de sécurité doit remplir. C’est au Conseil de sécurité d’effectuer la mise en balance entre ces deux objectifs ; en l’espèce il n’a pas agi de façon manifestement inappropriée. En ce qui concerne les normes de ius cogens , il faudrait que la mesure de gel et l’interdiction de voyager constituent des sanctions pénales, ce qui n’est pas le cas. Dans l’arrêt Malige de la Cour européenne des droits de l’homme, cette dernière demande plus qu’une association à une procédure pénale pour conclure à la nature pénale d’une sanction. En l’espèce, la mesure de gel de fond n’est pas une sanction qui résulte d’une procédure pénale ou d’une condamnation. Le fondement de l’inscription sur la liste n’est pas incriminé en tant que tel dans le droit belge ni en droit international : « les sanctions ont un caractère préventif et sont indépendants des règles pénales de droit interne » . C’est en marge de l’inscription du nom des auteurs sur la liste que les autorités judiciaires ont ouvert une enquête à leur encontre du chef d’association de malfaiteurs et de blanchiment. Les personnes mentionnées sur la liste peuvent bénéficier de la clause humanitaire et d’une dérogation à l’interdiction de voyager . Les mesures ne peuvent pas être qualifiées de pénales, auxquelles devaient s’appliquer la présomption d’innocence et le principe de légalité des peines. Dans ces circonstances, l’Etat partie ne pouvait en aucun cas refuser d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, et les auteurs ne relèvent pas de la juridiction de l’Etat partie au sens de l’article 1 du Protocole facultatif.

Quant aux arguments qui indiquent que la mise en œuvre des sanctions n’exonère pas l’Etat partie de sa responsabilité au regard du Pacte, l’arrêt de la Cour européenne dans l’arrêt Matthews n’est pas pertinent car il traite d’un transfert de pouvoir à une organisation internationale intervenu postérieurement à la ratification de la Convention européenne des droits de l’homme. L’Etat partie, en ratifiant la Charte, a transféré des pouvoirs au Conseil de sécurité puis a postérieurement ratifié le Pacte. Au moment de la ratification, l’Etat partie ne contrôlait plus les pouvoirs transférés au Conseil de sécurité, et ne peut donc pas être responsable au regard du Pacte de la façon dont ces pouvoirs sont exercés. Quant à l’article 103 de la Charte, il instaure une règle de préséance et exclut la responsabilité de l’Etat au regard de l’obligation inférieure non-respectée. Plus qu’une cause d’exonération qui autoriserait le non-respect d’une obligation contraire à celle découlant de la Charte, l’article 103 oblige au respect de cette dernière. L’Etat concerné ne peut donc voir sa responsabilité engagée pour le non-respect de l’obligation contraire inférieure.

Quant à l’absence de notification requise par l’article 4 du Pacte, elle n’est pas nécessaire dans la mesure où le Pacte permet des limitations à la liberté de circulation, au respect de la vie privée et au droit d’accès aux tribunaux. Il est de pratique constante que les Etats parties au Pacte ne notifient que les mesures prises individuellement et non les mesures prises en exécution des sanctions adoptées par l’ONU. La plainte des auteurs ne peut donc être dirigée que contre l’exercice par l’Etat partie d’une marge d’appréciation éventuelle dont il disposerait dans l’application de la réglementation onusienne. L’Etat partie a entrepris toutes les démarches qu’il pouvait prendre et a donc respecté le Pacte dans les limites de sa juridiction. L’inscription sur la liste présente un caractère préventif et non répressif. Ceci résulte notamment du fait que les personnes concernées peuvent obtenir des dérogations au gel de leurs avoirs et à l’interdiction de voyager, moyennant l’autorisation du Comité des sanctions.

Quant aux demandes des auteurs que l’Etat partie neutralise les sanctions prises à l’encontre des auteurs au niveau interne et communautaire, suite à un transfert de compétence à la Communauté européenne la mise en œuvre des mesures économiques décidées par les Nations Unies relève de la compétence de la Communauté. Les règlements européens qui transposent les résolutions du Conseil de sécurité sont obligatoires et directement applicables dans l’Etat partie, et priment les normes nationales contraires. Par conséquent, même si l’Etat partie radiait les auteurs de la liste belge, cela n’aurait aucune incidence sur leur situation personnelle car ils seraient toujours sur la liste communautaire qui a primauté sur les normes belges contraires. Le juge belge ne peut se soustraire à l’application du droit communautaire sur la base du Pacte : il n’est pas habilité à procéder à un tel contrôle qui appartient exclusivement au juge communautaire, et il ne peut que poser une question préjudicielle sur ce point . Or le Tribunal de première instance des Communautés européennes a déjà jugé à plusieurs reprises que les sanctions adoptées par le Conseil de sécurité en matière de lutte contre le financement du terrorisme respectent les droits de l’homme . Même si l’Etat partie cessait d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, le nom des auteurs figurerait toujours sur la liste onusienne et les autres Etats membres se verraient toujours dans l’obligation d’appliquer l’interdiction de voyager, sauf si le Comité des sanctions autorisait une dérogation à cette interdiction.

Décision du Comité concernant la recevabilité

Le 30 mars 2007, à sa quatre-vingt-neuvième session, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

Il a considéré que l'article 1 du Protocole facultatif reconnaît au Comité la compétence de recevoir et déterminer des communications émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, et qui relèvent de la juridiction de l’Etat partie. Ce dernier a fait valoir que les auteurs ne relèvent pas de sa juridiction au sens de l’article 1 du Protocole facultatif. D’après l’Etat partie, les règles régissant les communications excluaient que les auteurs mettent en cause devant le Comité la réglementation des Nations Unies relative à la lutte contre le terrorisme. Ces règles s’opposaient également à ce que les auteurs mettent en cause les mesures prises par l’Etat partie dans l’exécution de ses obligations en vertu de la Charte des Nations Unies. S’il est vrai que le Comité ne pouvait examiner des allégations de violations d’autres instruments telle la Charte des Nations Unies, ou des allégations mettant en cause la réglementation des Nations Unies relative à la lutte contre le terrorisme, le Comité était compétent pour recevoir la communication qui allègue des violations par l’Etat partie des droits énoncés dans le Pacte, quelle que soit l’origine des obligations mises en œuvre par l’Etat partie. Le Comité a conclu que les dispositions de l’article 1 du Protocole facultatif ne l’empêchaient pas d’examiner la communication.

Le Comité a relevé qu’il n’était pas habilité à examiner une communication si la même question est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. L’Etat partie a fait valoir que le Comité des sanctions des Nations Unies est « une autre instance internationale d'enquête ou de règlement » et que la même question y était toujours pendante. Sans qu’il fut nécessaire d’examiner la question de la nature du Comité des sanctions, le Comité s’est limité à l’examen de l’expression « la même question », et a renvoyé à sa jurisprudence selon laquelle l’expression « la même question » signifie qu’il s’agit de la même plainte concernant le même individu, dont lui-même ou toute personne habilitée à le représenter saisit l’autre instance internationale . Dans le cas d’espèce, la demande de radiation actuellement examinée par le Comité des sanctions n’a pas été présentée par les auteurs, mais par l’Etat partie, en vertu des Directives du Comité des sanctions . Le Comité a conclu donc que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que, de ce fait, l’examen de la communication ne lui était pas interdit par les dispositions du paragraphe 2 a) de l'article 5.

Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’Etat partie a fait valoir que le fait de ne pas avoir invoqué la clause humanitaire constitue un non-épuisement des recours internes (administratif), car l’application de la clause équivaudrait pour les auteurs à un recours interne effectif. Le Comité a noté que la clause humanitaire prévue par la Résolution 1452(2002), et reprise par le Règlement (CE) no 561/2003 modifiant le Règlement no 881/2002, autorisait l’Etat partie à ne pas appliquer le gel aux fonds dont l’Etat partie détermine qu’ils sont nécessaires pour les dépenses de base des personnes figurant sur la liste. Le Comité a noté que même si les auteurs avaient effectué une demande de dégel de fonds sur la base de la clause humanitaire, ils auraient pu prélever un montant couvrant leur dépenses de base, et non eu un recours effectif aux violations alléguées, c’est-à-dire la considération d’allégations de violations de leurs droits tels que garantis par le Pacte. Le Comité a considéré donc que l’application de la clause humanitaire ne constituait pas un recours effectif et que les auteurs n’étaient pas tenus de l’utiliser avant de saisir le Comité.

En ce qui concernait la question des plaintes des auteurs portées au titre du paragraphe 3 de l’article 2 ; de l’article 12 ; des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 ; et des articles 15 et 17 du Pacte, le Comité a considéré en l’espèce que les éléments étayés présentés par l’auteur étaient intimement liés au fond de l’affaire et devaient donc être examinés sur le fond. En ce qui concernait la question des plaintes portées au titre des articles 18 ; 22 ; 26 et 27 du Pacte, le Comité a considéré en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur n’étaient pas suffisants pour étayer leurs plaintes, aux fins de la recevabilité. Le Comité a donc conclu que la communication était recevable au titre du paragraphe 3 de l’article 2 ; de l’article 12 ; des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 ; et des articles 15 et 17 du Pacte. *

Observations de l’Etat partie sur le fond

Le 21 décembre 2007, l’Etat partie renvoie à ses observations précédentes dans lesquelles il a exposé qu’il n’a en rien agi contrairement aux exigences du Pacte. Si le Comité devait aboutir à la conclusion que l’Etat partie a adopté un comportement intrinsèquement contraire aux exigences du Pacte prises isolément, quod non , les articles 25 et 103 de la Charte des Nations Unies excluraient l’illicéité de ce comportement, en d’autres termes feraient obstacle à un constat de violation du Pacte. En vertu de l’article 25 de la Charte des Nations Unies, l’Etat partie est tenu de se conformer aux décisions du Conseil de sécurité, organe qui constate l’existence d’une menace contre la paix et la sécurité internationales justifiant l’utilisation du Chapitre VII et qui choisit la réponse qu’il estime adéquate. L’article 103 de la Charte est plus qu’une clause d’exonération qui autoriserait le non-respect d’une obligation contraire à celle découlant de la Charte, il oblige au respect de cette dernière et par conséquent au respect des décisions du Conseil de sécurité, en cas de conflit entre celles-ci et une autre obligation internationale. Il exclut, par conséquent, la responsabilité de l’Etat au regard de l’obligation inférieure non-respectée. Ainsi, la Commission des mesures collectives pour le renforcement du système de sécurité collective des Nations Unies considéra qu’il était « important que les Etats ne soient pas considérés comme responsable des violations de traités ou d’autres accords internationaux dès lors qu’elles résultaient de mesures collectives des Nations Unies » , et l’Assemblée Générale pris note de cette position . Dans la mesure où en vertu de l’article 103 de la Charte, les obligations découlant de la Charte prévalent sur toute autre, un Etat membre des Nations Unies ne peut, en remplissant ses obligations en vertu de la Charte, voir engagée sa responsabilité au regard du Pacte.

En l’espèce, le Conseil de sécurité a adopté les résolutions 1267 et suivantes, promulguant des sanctions pour lutter contre le financement du terrorisme. L’Etat partie était dans l’obligation de fournir les éléments d’information relatifs aux auteurs, afin de permettre au Comité des sanctions de constituer la liste des personnes et entités qu’il identifie comme étant liées au réseau d’Al-Qaida ou aux Talibans . Ceci impliquait nécessairement l’obligation pour l’Etat partie d’entreprendre une démarche auprès du Comité des sanctions sur la base de l’information selon laquelle les auteurs étaient directeur et secrétaire de la Fondation Secours International, entité inscrite sur la liste des Nations Unies depuis le 22 octobre 2002. Cette obligation a au demeurant été explicitée ultérieurement par le Comité des sanctions qui a confirmé que lorsqu’une organisation caritative était mentionnée sur la liste, les principales personnes liées à ces entités devaient l’être également . En tant qu’Etat membre des Nations Unies, l’Etat partie pourrait tout au plus procéder à un contrôle marginal des résolutions du Conseil de sécurité et relever uniquement ses abus manifestes, ce qui n’est pas constaté en l’espèce.

L’Etat partie rappelle qu’il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour parvenir à la radiation du nom des auteurs et mettre fin à la situation que les auteurs jugent contraire au Pacte. Il a notamment engagé la procédure de radiation, qu’il a ensuite actualisée puis introduite une seconde fois. Il ne peut pas être tenu pour responsable du fait que malgré ses efforts, des Etats membres du Conseil de sécurité refusent d’accorder la radiation aux auteurs. Dans ces circonstances, il ne saurait être considéré comme ayant violé le Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’Etat partie sur le fond

Le 21 janvier 2008, les auteurs réitèrent leurs commentaires précédents et indiquent qu’ils figureront bientôt depuis cinq ans sur la liste, alors même que l’Etat partie a initialement indiqué que des faits pertinents avaient été retenus contre eux. Plus tard, l’Etat partie devra bien reconnaître qu’aucun élément pertinent n’a pu être reconnu contre eux, suite non seulement à une décision pénale, mais également une décision civile, non frappée d’appel par l’Etat partie. Ce dernier estime qu’il est impuissant alors que d’autre nations, avant de transmettre des informations à la légère, effectuent une enquête, et le cas échéant, refusent de faire apposer le nom de personnes qui relèvent de leur juridiction sur une liste internationale .

Le conseil relève qu’aux Etats-Unis, aucun membre de la Global Relief Foundation ne figure sur la liste des Nations Unies, mis à part les auteurs . Ni la France, le Kosovo, la Bosnie ou le Pakistan, où des bureaux de cette organisation étaient ouverts, n’ont ressenti le besoin d’opérer une dénonciation quelconque. Le fondateur de la Global Relief Foundation a été emprisonné pendant 19 mois aux Etats-Unis, pour être extradé au Liban sans être jugé. Il est désormais libre et voyage dans le monde sans aucun problème. Les auteurs, qui n’ont ni le rôle ni les responsabilités du fondateur de la Global Relief Foundation , voient leur vie figée sur cette liste, ainsi que celle de leurs enfants : ils ne peuvent sortir de leur pays, ni disposer d’un compte bancaire, alors qu’ils sont exposés à des frais pour leurs comptes bloqués . Enfin, les auteurs ont demandé au Parquet fédéral, sans succès, et depuis le 7 décembre 2005, que leur soient restitués biens et effets qui avaient été saisis lors de perquisition. Les différentes autorités se renvoient la responsabilité de remettre ces objets, alors que plus aucune enquête pénale n’est en cours contre les auteurs.

Examen au fond

10.1Le Comité des droits de l'homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l'article 5 du Protocole facultatif.

10.2Le Comité rappelle que, lors de sa décision sur la recevabilité, il a estimé que les dispositions de l’article 1 du Protocole facultatif ne l’empêchaient pas d’examiner la communication. A cet égard, le Comité note que l’Etat partie, lors de diverses observations, a fait valoir qu’il est tenu de se conformer aux décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies ; et que l’ensemble des résolutions du Conseil de sécurité a été transposé dans des règlementations européennes, étant donné que suite à un transfert de compétence des Etats membres à la Communauté européenne, la mise en œuvre des mesures économiques décidées par les Nations Unies relève de la compétence de cette dernière. L’Etat partie précise que les règlements européens qui transposent les résolutions du Conseil de Sécurité sont obligatoires et directement applicables dans l’Etat partie, et priment sur les normes nationales contraires. Le Comité relève également que les auteurs, lors de leurs commentaires au fond, réitèrent leurs observations précédentes et indiquent qu’ils figurent sur la liste des sanctions depuis plus de cinq ans. Le Comité remarque que la plupart des éléments portent sur des parties de la communication qui ont déjà fait l’objet d'une étude approfondie au moment de l’examen de la recevabilité. En conséquence, le Comité estime qu’il n’y a pas lieu de réexaminer la compétence même du Comité à examiner la présente communication, et que les autres arguments doivent être analysés dans le cadre de l’examen sur le fond.

10.3Bien que l’article 46 du Pacte n’ait pas été invoqué par les parties, le Comité, compte tenu des circonstances particulières de la présente affaire, a trouvé utile de considérer la pertinence de cette disposition. Il rappelle que l’article 46 du Pacte stipule qu’aucune disposition du Pacte ne doit être interprétée comme portant atteinte aux dispositions de la Charte des Nations Unies. Toutefois, il considère que la présente affaire ne concerne en aucune façon l’interprétation d’une disposition du Pacte qui est de nature à porter atteinte à une disposition de la Charte des Nations Unies. Elle concerne la compatibilité des mesures nationales prises par l’Etat partie pour mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies avec le Pacte. Par conséquent, le Comité considère que l’article 46 n’est pas pertinent pour la présente affaire.

10.4Les faits présentés au Comité indiquent que les avoirs des auteurs ont été gelés par l’Etat partie, suite à l’inscription du nom des auteurs sur la liste consolidée du Comité des sanctions des Nations Unies, qui a ensuite fait l’objet d’un Règlement au niveau de la Communauté européenne, puis d’un arrêté ministériel au niveau de l’Etat partie. De plus, l’inclusion des noms des auteurs sur la liste des sanctions les empêche de voyager librement. Les auteurs allèguent des violations de leur droit à un recours effectif, leur droit de voyager librement, leur droit de ne pas être l’objet d’atteintes illégales à l’honneur et la réputation, le principe de la légalité des peines, le respect de la présomption d’innocence, et leur droit à une procédure comprenant des garanties structurelles.

10.5Eu égard à la violation de l’article 12 du Pacte, les auteurs indiquent qu’ils ne peuvent plus voyager ou sortir de la Belgique et que M. Sayadi n’a pu accepter une offre d’embauche dans un autre pays. L’Etat partie ne conteste pas cette allégation et le Comité constate d’emblée qu’il y a eu, dans le cas d’espèce, une restriction du droit des auteurs de voyager librement. Tout en notant son Observation générale No. 27 sur l’article 12, et que la liberté de circulation est une condition indispensable au libre développement de l’individu, le Comité rappelle cependant que les droits visés à l’article 12 ne sont pas absolus. Le paragraphe 3 de l’article 12 du Pacte prévoit des cas exceptionnels dans lesquels l’exercice des droits visés à l’article 12 peut être restreint. Conformément aux dispositions de ce paragraphe, l’État partie ne peut restreindre l’exercice de ces droits que si les restrictions sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le Pacte. Dans son Observation générale No 27, le Comité note « qu’il ne suffit pas que les restrictions servent les buts autorisés ; celles-ci doivent également être nécessaires pour protéger ces buts » et que « les mesures restrictives doivent être conformes au principe de la proportionnalité ; elles doivent être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection. »

10.6Dans le cas d’espèce, le Comité relève que l’interdiction de voyager pour les personnes figurant sur la liste des sanctions, notamment les auteurs, est prévue par les résolutions du Conseil de sécurité, auxquelles l’État partie s’estime être lié en vertu de la Charte des Nations Unies. Cependant, le Comité considère que quelque soit cet argument, il est compétent pour examiner la compatibilité des mesures nationales prises pour mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies avec le Pacte. Le Comité, comme garant des droits protégés par le Pacte, se doit de rechercher dans quelle mesure les obligations imposées à l’État partie par les résolutions du Conseil de sécurité peuvent justifier l’atteinte portée au droit de circuler librement, protégé par l’article 12 du Pacte.

10.7Le Comité relève que l’obligation de se conformer aux décisions du Conseil de Sécurité prises en vertu du Chapitre VII de la Charte peut constituer une ‘restriction’ visée par le paragraphe 3, de l’article 12, qui est notamment nécessaire pour protéger la sécurité nationale ou l’ordre public. Toutefois, le Comité rappelle que l’interdiction de voyager résulte du fait que l’Etat partie ait en premier lieu transmis les noms des auteurs au Comité des sanctions des Nations Unies. La proposition d’inscription sur la liste faite le 19 novembre 2002 par l’Etat partie n’a suivi que de quelques semaines l’ouverture de l’instruction le 3 septembre 2002. D’après les auteurs, cette inscription apparait donc comme étant prématurée et injustifiée. Sur ce point, le Comité note l’argument de l’Etat partie selon lequel l’association des auteurs est la branche européenne de la Global Relief Foundation, qui a été inscrite sur la liste des sanctions le 22 octobre 2002, et dont l’inscription mentionne que sont liées à cette organisation ses branches européennes, dont l’association des auteurs. L’Etat partie a également fait valoir que lorsqu’une organisation caritative est mentionnée sur la liste, les principales personnes liées à l’entité doivent l’être également, ce que le Comité des sanctions a confirmé. Le Comité estime que les arguments de l’Etat partie ne sont pas déterminants, notamment en raison du fait que d’autres Etats n’ont pas transmis les noms d’autres employés de la même organisation caritative au Comité des sanctions (voir par.9.2 ci-dessus). En outre, il note que les noms des auteurs ont été transmis au Comité des sanctions avant même que ceux-ci aient pu être entendus. Le Comité estime donc que, dans le cas d’espèce, et nonobstant le fait que l’Etat partie n’est pas compétent pour radier lui-même les noms des auteurs sur les listes onusiennes et européennes, il est responsable de la présence des noms des auteurs sur ces listes et pour l’interdiction de voyager qui en découle.

10.8Le Comité note qu’une instruction pénale qui avait été ouverte concernant les auteurs à la demande du Ministère public a abouti à un non-lieu en 2005, et que dès lors les auteurs ne posent aucune menace à la sécurité nationale ou à l’ordre public. D’ailleurs, l’État partie a lui-même demandé à deux reprises la radiation des noms des auteurs de la liste des sanctions, estimant donc que les auteurs ne devaient plus être assujettis, entre autres, à des restrictions du droit de quitter le pays. Tant le non-lieu que les demandes faites par les autorités belges pour radier les noms des auteurs de la liste des sanctions montrent que ces restrictions n’entrent pas dans le cadre du paragraphe 3 de l’article 12. Par conséquent, le Comité considère que les faits, dans leur ensemble, ne font pas apparaître que les restrictions des droits des auteurs de quitter le pays étaient nécessaires pour protéger la sécurité nationale ou l’ordre public. Le Comité conclut qu’il y a eu une violation de l’article 12 du Pacte.

10.9Eu égard à l’allégation de violation de l’article 14, paragraphe 1, les auteurs font valoir qu’ils ont été inscrits sur la liste des sanctions, et leurs avoirs gelés, sans qu’ils aient eu accès aux « informations pertinentes » justifiant l’inscription sur cette liste, et sans qu’aucun tribunal ne se prononce sur leur sort. Les auteurs relèvent également l’application prolongée de ces sanctions, et indiquent qu’ils n’ont pas eu accès à un recours utile, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité note à cet égard que l’Etat partie indique que les auteurs ont disposé d’un recours, puisqu’ils ont assigné l’Etat partie devant le Tribunal de Première Instance and Bruxelles et ont obtenu que soit adressée au Comité des sanctions une demande de radiation. Se limitant à l’examen des actions de l’Etat partie, le Comité estime donc que les auteurs ont bénéficié d’un recours utile dans la limite des compétences de l’Etat partie, qui en a garanti la bonne suite en effectuant deux demandes de radiation. Le Comité est d'avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 3 de l’article 2, ni du paragraphe 1 de l’article 14, du Pacte.

10.10Quant à l’allégation de violation du paragraphe 3, de l’article 14 du Pacte, et aux arguments des auteurs qui indiquent que l’application des sanctions a été caractérisée par l’absence du délai raisonnable de la procédure, plus particulièrement de l’instruction relative au chef d’association de malfaiteurs et de blanchiment, le Comité note que l’instruction pénale a été ouverte le 3 septembre 2002, et qu’un non-lieu a été déclaré le 19 décembre 2005 par le Tribunal de première instance de Bruxelles. L’Etat partie relève que les auteurs n’indiquent pas pour quelles raisons ils estiment qu’il y aurait violation du délai raisonnable de l’instruction. Il indique également que les trois années et demie d’instruction se justifient par la nature complexe du dossier et le fait que plusieurs actes d’instruction ont été accomplis à l’étranger. Le Comité rappelle que la question d’un retard excessif et ce qui est raisonnable doit être évalué au cas par cas, compte tenu entre autre de la complexité de chaque affaire. Dans le cas d’espèce, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, quant à la durée de l’instruction.

10.11 Eu égard à l’allégation de violation des paragraphes 2 et 3, de l’article 14, et de l’article 15, quant à la procédure des sanctions, le Comité rappelle qu’il a estimé, dans sa décision sur la recevabilité, que les éléments suffisamment étayés présentés étaient intimement liés au fond de l’affaire et devaient donc être examinés sur le fond. Il note à cet égard les arguments des auteurs qui estiment que les sanctions dont ils font l’objet sont de nature pénale, et que l’Etat partie a accompagné les sanctions d’une enquête pénale (voir par. 5.9). Le Comité note également les arguments de l’Etat partie selon lesquels les sanctions ne peuvent pas être qualifiées de pénales, la mesure de gel de fond n’étant pas une sanction qui résulte d’une procédure pénale ou d’une condamnation (voir par. 6.2). L’Etat partie fait valoir d’autre part que l’inscription sur la liste présente un caractère préventif et non répressif, ce qui résulte notamment du fait que les personnes concernées peuvent obtenir des dérogations au gel de leurs avoirs et à l’interdiction de voyager (voir par. 6.4). Le Comité rappelle que son interprétation du Pacte part du principe que le sens des expressions et concepts dans le Pacte est indépendant de tout système national ou législation et qu’il doit accorder un sens autonome aux expressions du Pacte. Bien que le régime des sanctions ait des conséquences sévères pour les individus concernés, ce qui pourrait indiquer que ce régime a un caractère punitif, le Comité considère que ce régime ne concerne pas une « accusation en matière pénale » au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité estime donc que les faits ne font pas apparaître de violation du paragraphe 3, de l’article 14, ni du paragraphe 2, de l’article 14, ni de l’article 15 du Pacte.

10.12 Eu égard à l’allégation de violation de l’article 17 du Pacte, le Comité note les arguments des auteurs selon lesquels leurs coordonnées complètes sont livrées à tous par leur inscription sur la liste du Comité des sanctions. Il rappelle que l’article 17 prévoit le droit de toute personne à être protégée contre les immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile et sa correspondance, ainsi que contre les atteintes illégales à son honneur et à sa réputation. Les obligations imposées par cet article exigent de l’Etat partie l’adoption de mesures, d’ordre législatif ou autres, destinées à rendre effective l’interdiction de telles immixtions et atteintes à la protection de ce droit. Dans le cas d’espèce, le Comité constate que la liste des sanctions est disponible à tous sur internet, et intitulée The Consolidated List established and maintained by the 1267 Committee with respect to Al-Qaida, Usama Bin Laden, and the Taliban and other individuals, groups, undertakings and entities associated with them (« Liste récapitulative concernant Al-Qaida, Oussama ben Laden, les Taliban et autres personnes, groupes, entreprises et entités qui leur sont associés »). Il constate également que les noms des auteurs ont été repris dans l’arrêté ministériel du 31 janvier 2003 modifiant l’arrêté ministériel du 15 juin 2000 d’exécution de l’arrêté royal du 17 février 2000 relatif aux mesures restrictives à l’encontre des Talibans d’Afghanistan, et publiés dans le Journal Officiel de l’Etat partie. Il estime que la divulgation d'informations personnelles sur les auteurs constitue une atteinte à leur honneur et réputation, en raison de l’association négative qui peut être faite par certains entre leurs noms et l’intitulé de la liste des sanctions. D’ailleurs, de nombreux articles de presse mettant en doute la réputation des auteurs ont été publiés et les auteurs doivent régulièrement exiger la publication d’un droit de réponse.

10.13 Le Comité note l’argument des auteurs selon lequel l’Etat partie doit être tenu responsable de la présence de leurs noms sur la liste des sanctions onusienne, ce qui a conduit à des immixtions dans leur vie privée, ainsi qu’à des atteintes illégales à leur honneur et à leur réputation. Il rappelle que c’est l’Etat partie qui a communiqué toutes les informations personnelles concernant les auteurs au Comité des sanctions en premier lieu. L’Etat partie a fait valoir qu’il était obligé de transmettre les noms des auteurs au Comité des sanctions (voir par.10.7 ci-dessus). Toutefois, le Comité note que l’Etat partie a transmis les noms des auteurs au Comité des sanctions dès le 19 novembre 2002 sans attendre l’issue de l’instruction pénale ouverte à la demande du Ministère public. De plus, il note que les noms existent toujours sur les listes malgré le non-lieu de l’instruction pénale en 2005. Malgré les demandes de radiation faites par l’Etat partie, les noms et coordonnées des auteurs restent toujours accessibles au public au niveau onusien, européen et au niveau de l’Etat partie. Le Comité estime donc que, dans le cas d’espèce, et nonobstant le fait que l’Etat partie n’est pas compétent pour radier lui-même les noms des auteurs sur les listes onusiennes et européennes, il est responsable de la présence des noms des auteurs sur ces listes. Le Comité conclut que les faits, dans leur ensemble, font apparaître qu’en raison des actions de l’Etat partie, il y a eu des atteintes illégales à l’honneur et la réputation des auteurs. Par conséquent, le Comité qu’il y a eu une violation de l’article 17 du Pacte.

11.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 12 et de l’article 17.

12.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir aux auteurs un recours utile. Bien que l’Etat partie ne soit pas compétent pour radier lui-même les noms des auteurs sur la liste du Comité des sanctions, le Comité estime néanmoins que l'État partie a le devoir de prendre toutes les mesures possibles pour obtenir la radiation des noms des auteurs de la liste des sanctions dans les meilleurs délais, de fournir aux auteurs une éventuelle compensation, et de rendre publiques les demandes de radiation. L’État partie est, en outre, tenu à veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale. ]

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APPENDICE A : Opinion individuelles concernant la décision de recevabilité du Comité

Opinion individuelle (en partie dissidente) de Sir Nigel Rodley, M. Ivan Shearer et Mme. Iulia Antoanella Motoc, membres du Comité

On aurait pu s’attendre à ce que le Comité, ayant dissocié la recevabilité du fond, donne les raisons pour lesquelles il déclare la communication recevable. Or, à propos des plaintes au titre du paragraphe 3 de l’article 2; de l’article 12; des paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14; et des articles 15 et 17 du Pacte, le Comité se contente de dire, sans étayer son affirmation, que les faits présentés par l’auteur «sont intimement liés au fond de l’affaire et doivent donc être examinés sur le fond».

Quoiqu’il n’ait pas explicitement fait valoir cet argument, il est évident que l’État partie a fait tout ce qu’il pouvait pour assurer la radiation des auteurs. Ce faisant, il leur a assuré le seul recours qui était en son pouvoir. En conséquence, à moins que le Comité n’estime que le simple fait pour l’État partie de se conformer à la procédure d’inscription du Conseil de sécurité (en l’absence de mauvaise foi de l’État partie ou d’abus ou d’outrepassement manifeste des pouvoirs du Conseil de sécurité) peut en soi constituer une violation du Pacte, on ne voit pas clairement comment les auteurs peuvent être considérés comme victimes, au sens de l’article premier du Protocole facultatif, de violations des obligations incombant aux États parties en vertu du Pacte.

Nous reconnaissons, bien sûr, que l’exercice des pouvoirs extravagants que le Conseil de sécurité s’est arrogé à lui ‑même a pu injustement porter tort aux auteurs et faire obstacle à la rectification d’erreurs. Il est pour le moins troublant de voir l’exécutif de 15 États Membres revendiquer un pouvoir de mettre purement et simplement au rebut des traditions constitutionnelles qui permettent depuis des siècles aux États de faire rempart contre des actions abusives et oppressives du pouvoir exécutif sans aucune des consultations ou contrôles qui existeraient au niveau national. Cela étant, le Conseil de sécurité ne peut être mis en cause en vertu du Pacte, et encore moins en vertu du Protocole facultatif.

Quand bien même les auteurs pourraient être considérés comme victimes de violations par l’État partie de ses obligations en vertu du Pacte, l’hypothèse sans précédent du Comité selon laquelle les plaintes des auteurs au titre du paragraphe 3 de l’article 2 pourraient en elles ‑mêmes être fondées, nous laisse perplexe. Nous ne comprenons pas non plus sur quoi le Comité se base pour dire que les articles 14 et 15 pourraient s’appliquer à des actes que l’État partie qualifie à juste titre d’actes de nature administrative, et non pénale.

[ Signé ] Sir Nigel Rodley

[ Signé ] M. Ivan Shearer

[ Signé ] Mme. Iulia Antoanella Motoc

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale. ]

Opinion individuelle (en partie dissidente) de M. Walter Kälin et M. Yuji Iwasawa, membres du Comité

Nous sommes d’accord avec le Comité pour dire que les allégations des auteurs au titre du paragraphe 3 de l’article 2, de l’article 12, du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 17 du Pacte et les éléments qu’ils ont présentés sont intimement liés au fond de l’affaire et doivent donc, sans préjudice de l’issue de celle ‑ci, être examinés sur le fond.

Dans le même temps, nous persistons à penser que les allégations de violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 14 et de l’article 15 auraient dû être déclarées irrecevables ratione materiae . Même s’il est vrai que le gel des avoirs financiers des auteurs entre dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, manifestement, cette mesure ne vise pas à punir les auteurs pour leur comportement illégal présumé, mais plutôt à les empêcher de continuer d’apporter leur appui présumé à des activités terroristes, et est donc de caractère administratif.

[ Signé ] M. Walter Kälin

[ Signé ] M. Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale. ]

Opinion individuelle (dissidente) de M me  Ruth Wedgwood

En vertu du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a un mandat limité. Il peut «examiner» une communication émanant d’un particulier qui invoque les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques uniquement dans le cas où la question concerne «une violation, par [un] État partie» qui a ratifié le Protocole facultatif .

La question sur laquelle porte la communication ne répond pas à ce critère. La plainte des nationaux belges, Nabil Sayadi et Patricia Vinck, est irrecevable parce qu’elle ne porte pas sur une violation constatable commise par l’État partie.

Les auteurs se plaignent des actes et des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU et non pas d’actes de la Belgique. Les résolutions du Conseil de sécurité ont établi des mesures administratives tendant à empêcher le financement et la facilitation du terrorisme international. Ces sanctions concernent «les personnes, groupes, entreprises et entités associés au réseau Al ‑Qaida, à Oussama ben Laden ou aux Talibans» y compris ceux «qui participent au financement d’actes de terrorisme ou d’activités terroristes, les organisent, les planifient, les facilitent, les préparent, les exécutent ou leur apportent un soutien» .

Le Conseil de sécurité a agi dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour imposer ce régime obligatoire de sanctions économiques. Les contrôles financiers visent à faire échec à des actes de terrorisme entraînant une catastrophe commis par des acteurs privés, ce qui comprend les actes de violence contre les civils. Le Conseil de sécurité a agi pour répondre à une «menace contre la paix» et «pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales» .

Le paragraphe 2 de l’Article 48 de la Charte des Nations Unies dispose que les décisions du Conseil de sécurité « sont exécutées par les Membres des Nations Unies directement et grâce à leur action dans les organismes internationaux appropriés dont ils font partie» (non souligné dans la Charte) . De même, l’Article 25 dispose que «Les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la Charte (non souligné dans la Charte).». Enfin, l’Article 103 dispose: «En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.».

Le Comité n’est pas habilité à employer le moule d’une plaidoirie contre un État pour récrire ces dispositions de la Charte. Comme le reconnaît le Comité, il n’a pas compétence d’appel pour réexaminer les décisions du Conseil de sécurité. Il ne peut pas davantage condamner un État pour avoir respecté ces décisions. Ce serait incompatible avec la structure constitutionnelle de la Charte des Nations Unies et avec ses responsabilités en vertu du Pacte.

Le Conseil de sécurité a demandé à l’État belge de donner des renseignements sur les auteurs. La décision d’inscrire le nom des auteurs sur la «liste» des personnes visées par les sanctions financières frappant Al ‑Qaida et ses affiliés a été prise par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité et non pas par la Belgique .

Même indépendamment de son domaine de compétence limité, le Comité ne peut pas ne pas voir ce qui est en jeu ici. Les droits de l’homme et les décisions d’exécution obligatoire du Conseil de sécurité ont un objectif commun, qui est de préserver la vie d’innocents. Si le Conseil de sécurité a la faculté de s’occuper des menaces contre la paix et la sécurité internationale c’est pour empêcher le fléau de la guerre et, dans la pratique moderne, cela a également visé les conflits civils d’anéantissement réciproque. Le Conseil de sécurité a également établi que la paix internationale obligeait à prévenir les actes de terrorisme d’ampleur catastrophique.

La Charte des Nations Unies reconnaît la place centrale des droits de l’homme: voir les Articles 55 et 56. Le Conseil de sécurité doit continuer à chercher les moyens d’appliquer des sanctions de façon efficace et juste. Les sanctions économiques ont des conséquences considérables pour les civils, même quand elles ne visent pas spécifiquement certains organes ou particuliers. En fait, avec les sanctions dites «intelligentes» on tente de circonscrire les incidences des sanctions aux seules personnes dont on croit qu’elles contribuent à prolonger un conflit.

Mais le Conseil de sécurité a également compétence pour empêcher la perpétration de crimes contre l’humanité, que ce soit par des acteurs de l’État ou non, qui constituent des menaces à la paix et à la sécurité internationales . Les sanctions du Conseil de sécurité ont été prises pour protéger le droit le plus fondamental, le droit à la vie.

Les auteurs de la communication n’ont pas demandé que soit levée la mesure de gel d’une partie quelconque de leurs biens, comme le permet l’exception humanitaire prévue par la résolution 1452 (2002) du Conseil de sécurité. De plus, la Belgique a obtenu par deux fois le réexamen des motifs justifiant l’inscription des auteurs sur la liste.

Les auteurs ont trois autres griefs contre l’État partie et chaque grief est tout aussi loin de remplir les critères. Le premier grief serait une violation du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, qui ne s’applique qu’aux affaires pénales. L’instruction pénale ouverte par la Belgique a consisté à examiner «les nombreux contacts que M. Sayadi aurait entretenus avec plusieurs responsables liés au réseau Al ‑Qaida» . Rien n’indique que l’instruction pénale ait été d’une durée excessive et la question pénale a été tranchée.

Le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ne s’applique pas en tant que tel à des organisations internationales mais, quoi qu’il en soit, le régime de sanctions imposé par le Conseil de sécurité n’est pas une procédure pénale. Dans sa résolution 1735 (2006), le Conseil de sécurité réaffirme que les mesures financières envisagées «ont un caractère préventif et sont indépendantes des règles pénales de droit interne» . Les types de moyens de preuve et la valeur des preuves nécessaires pour inculper et condamner quelqu’un pénalement dans un État partie peuvent ne pas être conformes aux normes réputées appropriées par le Conseil pour imposer des sanctions civiles préventives. Certains membres du Comité des droits de l’homme peuvent ne pas approuver le choix du Conseil de sécurité. Mais, sans sous ‑estimer l’importance de l’équité et du droit à un réexamen adéquat, il n’appartient pas au Comité des droits de l’homme de déterminer quelles normes en matière de preuve sont appropriées pour déclencher l’action du Conseil de sécurité .

Enfin, les griefs au titre des articles 15 et 17 du Pacte sont sans fondement. Le auteurs n’ont pas été reconnus depuis le moment des faits. Par conséquent le paragraphe 1 de l’article 15 ne s’applique pas. L’exception prévue au paragraphe 2 est également applicable aux actes de violence d’Al ‑Qaida qui ont pour cible des civils innocents, étant donné qu’il s’agit d’actes «criminels, d’après les principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations». L’idée de complicité et d’assistance pour de tels actes, même par des moyens indirects, fait partie du droit coutumier. Quant à l’article 17, il n’y a eu aucune immixtion «arbitraire» ou «illégale» dans la vie privée, pas plus que des «atteintes illégales à l’honneur et à la réputation» des auteurs. Les seules mesures prises par la Belgique étaient conformes au mandat obligatoire du Conseil de sécurité.

( Signé ) Mme. Ruth Wedgwood

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale. ]

APPENDICE B : Opinion individuelles concernant la décision sur le fond du Comité

Opinion individuelle (dissidente) de M. Ivan Shearer

Le Comité a conclu qu’en transmettant le 19 novembre 2002 les noms des auteurs au Comité des sanctions des Nations Unies, l’État partie a commis une violation des articles 12 et 17 du Pacte dans la mesure où cette action a conduit à l’inscription des auteurs sur la liste des sanctions, avec des conséquences préjudiciables pour leur liberté de mouvement, leur honneur et leur réputation ainsi que pour le respect de leur vie privée. Le Comité a estimé que l’État partie avait agi de façon prématurée, et donc injustifiée, en faisant parvenir les noms des auteurs au Comité des sanctions avant la clôture de l’instruction pénale ouverte par le ministère public sur les activités des auteurs.

À mon avis, le Comité aurait dû rejeter cette communication comme étant non recevable.

L’État partie était tenu de se conformer aux décisions du Conseil de sécurité des Nations Unies en vertu de l’Article 25 de la Charte des Nations Unies. En vertu de l’Article 103 de la Charte, les obligations nées de cet instrument l’emportent sur toute autre obligation. Le raisonnement du Comité, notamment au paragraphe 10.6 des constatations, semble indiquer qu’il considère que le Pacte est sur un plan d’égalité avec la Charte, et non pas subordonné à celle ‑ci. Le droit des droits de l’homme doit être replacé dans le droit de la Charte et dans l’ensemble du droit international coutumier et général, et harmonisé avec eux .

Il est peut-être possible, en ce qui concerne la question spécifique de l’application de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité par l’État partie soulevée dans la communication de considérer que les États disposent d’une certaine marge d’appréciation quand ils donnent effet aux décisions obligatoires du Conseil de sécurité. Cette discrétion a été reconnue par la Cour de justice européenne dans son arrêt du 3 septembre 2008 concernant les affaires jointes Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne et Commission des Communautés européennes , rendu après la fin de l’échange de mémoires des parties à la présente communication . La Cour a annulé le règlement de l’Union européenne en vertu duquel les requérants dans l’affaire avaient été sanctionnés, au motif que ce texte ne prévoyait pas de mécanisme pour informer les intéressés des éléments retenus contre eux et leur permettre d’être entendus pour y répondre. Toutefois, la situation de l’État partie dans le cas présent est différente. Ce n’est pas la Belgique qui a ordonné l’inscription des auteurs sur la liste; elle n’a fait que communiquer des renseignements, donnant les noms de personnes associées à une organisation précise. Ce n’est qu’après que leurs noms ont été inscrits dans sur la liste des sanctions des Nations Unies que les auteurs ont été soumis aux mesures énoncées dans les arrêtés ministériels belges d’exécution et dans les règlements de l’Union européenne.

La chronologie des événements exposée dans les paragraphes 2.1 à 2.3 des constatations du Comité, démontre à mon avis que l’État partie a agi de bonne foi en se conformant aux exigences du Conseil de sécurité formulées dans une résolution contraignante. Il n’est pas raisonnable d’affirmer, même à supposer que les États disposent d’une certaine discrétion pour décider de la façon dont ils exécutent ces obligations, que l’État partie aurait dû attendre l’issue de l’instruction pénale ouverte le 3 septembre 2002 (donc plus de deux mois avant la transmission des noms des auteurs au Comité des sanctions) et close seulement le 19 décembre 2005. Il faut tenir compte de la gravité et de l’imminence présumées du danger représenté par les individus et les associations inscrits sur la liste du Comité des sanctions.

De fait, la Cour de justice européenne elle-même a reconnu dans l’affaire citée que l’annulation avec effet immédiat du règlement litigieux régissant l’application de sanctions était susceptible de porter une atteinte irréversible à l’efficacité des mesures si elles se révélaient justifiées. Elle a donc suspendu l’exécution de l’ordre d’annulation pour une période de trois mois .

En outre, l’État partie a tenté de faire retirer les noms des auteurs de la liste mais en vain. Il n’a aucun autre moyen de rectifier l’erreur qui a été commise. Il ne peut pas non plus y avoir de recours puisque l’État partie a agi de bonne foi pour s’acquitter de ses obligations au regard d’un texte de droit supérieur. Il ne peut pas y avoir violation du Pacte dans ces circonstances.

[ Signé ] Ivan Shearer

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Yuji Iwasawa

L’Article 103 de la Charte des Nations Unies dispose: «En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront.».

L’État partie a fait valoir que les règles régissant les communications empêchent les auteurs de mettre en cause les mesures que lui ‑même a prises pour s’acquitter des obligations en vertu de la Charte et que l’Article 103 exonère les États de toute responsabilité s’ils ne peuvent pas s’acquitter d’une obligation découlant d’un instrument de rang inférieur.

Dans les constatations, la majorité du Comité rejette les arguments de l’État partie, en se limitant à déclarer que le Comité estime que, indépendamment de cet argument, il est compétent pour examiner la compatibilité avec le Pacte des mesures prises au plan national pour mettre en œuvre une résolution du Conseil de sécurité (par. 10.6). Je ne pense pas que le Comité puisse éviter de cette manière la question soulevée par l’Article 103 de la Charte et je propose donc l’argumentation suivante.

La Cour internationale de Justice a souligné dans l’affaire Lockerbie que «les Membres de l’Organisation des Nations Unies sont dans l’obligation d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à l’Article 25 de la Charte» et que «conformément à l’Article 103 de la Charte, les obligations des parties prévalent sur leurs obligations en vertu de tout autre accord international…» (Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie ( Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni , mesures conservatoires, ordonnance du 14 avril 1992, 1992, C.I.J., p. 3, 15, par. 39, Jamahiriya arabe libyenne c. États ‑Unis , 1992, C.I.J., p. 114, 126, par. 42).

Je note que, outre l’Article 103, la Charte contient un autre article, l’Article 24, qui dispose que, en s’acquittant des devoirs que leur impose la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales le Conseil de sécurité «agit conformément aux buts et principes des Nations Unies». Le paragraphe 3 de l’Article premier dispose que l’un des buts des Nations Unies est de promouvoir et d’encourager «le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion» et l’Article 55 c) dispose que les Nations Unies «favoriseront … le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion». Enfin, en vertu de l’Article 25 de la Charte, les Membres «conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte».

Dans ce contexte, le Comité a examiné dans la présente affaire les actions de l’État partie à la lumière des obligations qu’il avait contractées en vertu du Pacte. Les États parties sont tenus de s’acquitter des obligations qui découlent du Pacte dans la mesure maximale possible, même lorsqu’ils exécutent une résolution du Conseil de sécurité.

La Charte des Nations Unies constitue une «règle pertinente de droit international» dont il doit être tenu compte dans l’interprétation du Pacte, selon les termes du paragraphe 3 c) de l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités. Le Comité note à juste titre que «l’obligation de se conformer aux décisions du Conseil de sécurité prises en vertu du Chapitre VII de la Charte peut … équivaloir à une nouvelle restriction visée par le paragraphe 3 de l’article12, qui est nécessaire pour protéger la sécurité nationale ou l’ordre public» (par. 10.7).

En l’espèce, les auteurs ont fait valoir que la proposition d’inscription sur la liste faite par l’État partie était prématurée et injustifiée. L’État partie a transmis les noms des auteurs au Comité des sanctions le 19 novembre 2002, quelques semaines seulement après l’ouverture de l’instruction, le 3 septembre 2002. L’État partie a fait valoir que l’association des auteurs était la branche européenne d’une organisation qui figurait sur la liste du Comité des sanctions et que lorsqu’une organisation caritative figure sur la liste, les principales personnes liées à cette organisation doivent également y figurer. Le Comité estime que les arguments de l’État partie ne sont pas «entièrement convaincants, notamment au vu du fait que d’autres États n’ont pas transmis le nom d’autres employés de la même organisation caritative au Comité des sanctions» (par. 10.7) et conclut que «les faits, dans leur ensemble, ne font pas apparaître que les restrictions des droits des auteurs de quitter le pays étaient nécessaires pour protéger la sécurité nationale ou l’ordre public» (par. 10.8).

Dans la même ligne, en ce qui concerne l’article 17 du Pacte, le Comité est d’avis que l’État partie est responsable de la présence des noms des auteurs sur la liste et conclut qu’à la suite des actions de l’État partie, «il y a eu une atteinte illégale à l’honneur et à la réputation des auteurs» (par. 10.13).

L’État partie aurait pu agir autrement tout en donnant effet aux résolutions du Conseil de sécurité.

Pour les raisons exposées plus haut, je suis d’avis que l’Article 103 de la Charte des Nations Unies n’empêche pas le Comité de parvenir aux conclusions formulées dans ses constatations.

( Signé ) Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Sir Nigel Rodley

Alors que j’avais été en désaccord avec la décision de la majorité sur la question de la recevabilité avec M. Shearer et M me  Motoc, je rejoins le Comité dans ses constatations sur le fond et conclus avec lui qu’il y a eu des violations des articles 12 et 17 du Pacte, à la lumière des renseignements apportés par le conseil des auteurs au stade de l’examen au fond et qui n’ont pas été contestés par l’État partie. Cette information (par. 9.2) a donné des motifs plausibles pour conclure que la ligne d’action adoptée par l’État partie n’était pas imposée par les résolutions du Conseil de sécurité et particulièrement par la résolution 1267 (1999).

Le mode d’approche du Comité se limite à une analyse des questions en jeu sous l’angle unique du Pacte. Il ne traite pas directement de la possibilité d’un conflit avec les résolutions du Conseil de sécurité en question. Si un tel conflit existe, c’est à d’autres organes qu’il appartient de déterminer quelles peuvent être les conséquences juridiques.

Si j’étais précédemment en désaccord c’était parce que je présumais qu’il y avait effectivement un conflit entre les obligations de l’État partie au regard du Pacte et son obligation a priori d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la Charte qui lui est faite à l’Article 25 de la Charte (voir Questions d’interprétation et d’application de la Convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie ( Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume ‑Uni ), ordonnance du 14 avril 1992, C.I.J Recueil 1992 , p. 3, par. 39; ( Jamahiriya arabe libyenne c. États ‑Unis d’Amérique ), C.I.J Recueil 1992 , p. 114, par. 42). Je partais également du principe que conformément à l’Article 103 de la Charte, le conflit devait être tranché en faveur des obligations découlant des décisions du Conseil de sécurité. Il y avait également une présomption implicite que le Comité n’était pas bien placé pour apprécier la validité juridique des décisions, c’est-à-dire pour déterminer si l’obligation prima facie d’appliquer les décisions était une obligation définitive. Après réflexion, je suis parvenu à la conclusion que le Comité pouvait lui ‑même avoir au moins un premier avis en ce qui concerne l’existence ou l’inexistence d’un conflit.

Se pose dès lors la question de savoir quels critères devraient être appliqués pour interpréter les résolutions aux fins d’établir s’il y a effectivement un conflit. L’Article 24 de la Charte fait au Conseil de sécurité obligation d’agir «conformément aux buts et principes des Nations Unies ». Le paragraphe 3 de l’Article premier de la Charte dispose que l’un des buts des Nations Unies est de développer et d’encourager «le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous». Une interprétation stricte de ce libellé pourrait laisser entendre que le Conseil de sécurité ne peut pas agir d’une façon qui entraîne le non ‑respect des droits et libertés.

Je n’irais pas aussi loin. Toutefois, le libellé de la Charte donne fortement à penser que le premier critère d’interprétation est qu’il faut présumer que l’intention du Conseil de sécurité n’était pas que les mesures prises en application de ses résolutions doivent être attentatoires aux droits de l’homme.

Un deuxième critère serait de présumer que, quoi qu’il en soit, l’intention n’était pas qu’une norme impérative de droit international (droits de l’homme) ( jus cogens ) soit violée. Ce critère a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme (affaires Behrami et Behrami c. France et Saramati c. France, Allemagne et Norvège (2007)) et même le Tribunal de première instance des communautés européennes ( Kadi et Al Barakaat International Foundation c. Conseil de l’Union européenne (2005)).

Un troisième critère serait qu’il faudrait présumer que les droits qui ne sont pas susceptibles de dérogation en situation d’urgence publique grave selon les dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ne doivent pas pouvoir être violés. Ces droits ne sont pas tous nécessairement incorporés dans des règles du jus cogens .

Un quatrième critère serait que, même pour des droits susceptibles de dérogation pendant un état d’urgence, toute dérogation devrait être subordonnée aux principes de nécessité et de proportionnalité. En d’autres termes, les mesures requises devraient constituer le minimum absolu nécessaire en termes de restriction de l’application des normes des droits de l’homme (voir Observation générale n o 29 du Comité des droits de l’homme − 2001). D’un autre côté, il n’existe aucun fondement solide pour affirmer, comme certains le font parfois, que dans le cas où la règle relative aux droits de l’homme en question est une obligation conventionnelle il faut que les dispositions procédurales établies par l’instrument soient suivies. Par exemple, un instrument peut prévoir une notification officielle, par voie de déclaration par exemple, en cas de dérogation. Je ne vois aucun motif justifiant que l’application des décisions du Conseil de sécurité adoptées pour répondre à une menace à la paix et à la sécurité internationales soit entravée par des dispositions de procédure de cette nature prévues dans un accord international. Il s’ensuit que le non ‑respect d’une telle règle de procédure par un État partie à un instrument international relatif aux droits de l’homme ne peut pas être considéré comme une preuve que la dérogation ne s’est pas produite ou ne peut pas être réalisée.

Enfin, la pratique d’un État à l’égard des décisions du Conseil de sécurité doit être un facteur d’interprétation utile. C’est même peut-être ce critère qui a effectivement été déterminant pour le Comité dans la présente affaire, dans la mesure où les auteurs ont fait valoir − et ont apporté des éléments à l’appui de cet argument − que d’autres États dans la même position que l’État partie n’avaient pas agi de la même manière.

Même si le Comité n’a pas à se prononcer sur cette question, je me hasarderais à suggérer que ces critères seraient également utiles pour tous ceux qui sont appelés à apprécier la validité juridique d’une résolution du Conseil de sécurité.

Sans chercher à appliquer en détail les critères ci ‑dessus aux faits dont le Comité était saisi, on pourrait concevoir que le Conseil de sécurité, dans sa première réponse à la nécessité de lutter contre le terrorisme exceptionnellement violent d’Al-Qaïda, qui avait atteint son comble avec les atrocités du 11 septembre 2001, pouvait prendre des mesures entraînant une dérogation à des droits susceptibles de dérogation (liberté de mouvement; droit à la vie privée; propriété également, encore que ce ne soit pas un droit protégé par le Pacte). Assurément, la procédure d’inscription sur des listes pourrait être comprise et a effectivement été comprise comme contenant ces éléments. Les principes de nécessité et de proportionnalité toutefois empêchent d’arrêter des réponses définitives. Tout au contraire, les réponses varient en fonction des conditions rencontrées. Il n’est pas facile de voir pourquoi, près de dix ans après l’adoption de la première résolution du Conseil − la résolution 1267 (1999) − et sept ans après le 11septembre, le Conseil de sécurité n’aurait pas pu élaborer des procédures plus compatibles avec les valeurs des droits de l’homme fondamentales de transparence, de responsabilité et d’appréciation impartiale et indépendante des faits. On peut espérer qu’il ne faudra pas attendre encore trop longtemps pour adapter les procédures à ces valeurs. Cela éviterait de placer les États, dont les États parties au Pacte ou à d’autres instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dans la position peu enviable d’avoir à réaliser de difficiles exercices d’interprétation ou même de contestation de la validité des dispositions des résolutions du Conseil de sécurité quand ils doivent déterminer quelles mesures législatives ou exécutives ils doivent prendre.

( Signé ) Sir Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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