NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1560/200717 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑quatorzième session13‑31 octobre 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1560/2007

Présentée par:

Orly Marcellana et Daniel Gumanoy (représentés par Mme Marie Hilao‑Enriquez, Alliance for the Advancement of People’s Rights‑Karapatan)

Au nom de:

Eden Marcellana et Eddie Gumanoy

État partie:

Philippines

Date de la communication:

9 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 mai 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

30 octobre 2008

Objet: Exécution sommaire de défenseurs des droits de l’homme

Questions de procédure: Examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; plainte non étayée; durée déraisonnable des recours

Question s de fond: Privation arbitraire de la vie; droit de chacun à la sécurité de sa personne; enquête en bonne et due forme; utilité des recours

Article s du Pacte: 2 (par. 1 et 3), 6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 17 et 26

Article s du Protocole facultatif: 2, 3 et 5 (par. 2 a) et 2 b))

Le 30 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1560/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre‑vingt‑quatorzième sessionconcernant la

Communication n o  1560/2007*

Présentée par:

Orly Marcellana et Daniel Gumanoy (représentés par Mme Marie Hilao‑Enriquez, Alliance for the Advancement of People’s Rights‑Karapatan)

Au nom de:

Eden Marcellana et Eddie Gumanoy

État partie:

Philippines

Date de la communication:

9 mars 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1560/2007 présentée au nom d’Eden Marcellana d’Eddie Gumanoy en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont M. Orly Marcellana et M. Daniel Gumanoy. Ils présentent la communication au nom de leurs proches, Mme Eden Marcellana et M. Eddie Gumanoy, dont les corps sans vie ont été retrouvés le 22 avril 2003, l’un près de l’autre, à Bansud (Mindoro oriental, Philippines). Les auteurs déclarent que ces deux personnes ont été victimes de violations, par les Philippines, des droits garantis à l’article 2 (par. 1 et 3), à l’article 6 (par. 1), à l’article 7, à l’article 9 (par. 1), à l’article 10 (par. 1), à l’article 17 et à l’article 26 du Pacte. Ils sont représentés par Mme Marie Hilao‑Enriquez, de l’organisation Alliance for the Advancement of People’s Rights‑Karapatan.

1.2Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 23 janvier 1986 et le 22 novembre 1989, respectivement.

Exposé des faits

2.1Mme Marcellana était la secrétaire générale de Karapatan‑Southern Tagalog, organisation de défense des droits de l’homme, et M. Eddie Gumanoy était président de l’association paysanne Kasama Tk. Entre le 19 et le 21 avril 2003, dans la province du Mindoro oriental, ils conduisaient une mission d’établissement des faits chargée d’enquêter sur l’enlèvement de trois personnes à Gloria, imputé à des membres de la 204e brigade d’infanterie commandés par un certain colonel Jovito Palparan, et sur d’autres actes également attribués à l’armée, commis à Pinamalayan, où des civils avaient été tués ou avaient disparu et où des maisons avaient été incendiées.

2.2Les auteurs affirment que Mme Marcellana avait été menacée à plusieurs reprises par les militaires à cause de ses activités en faveur des droits de l’homme. Pendant leur enquête, les membres de la mission avaient l’impression d’être constamment surveillés. À un moment donné, alors qu’ils cherchaient à rencontrer des détenus dans les locaux de la 204e brigade d’infanterie, ils ont été photographiés contre leur gré. Le 21 avril 2003, les deux victimes ont décidé de terminer l’enquête et de quitter Pinamalayan pour Calapan.

2.3Le même jour aux alentours de 19 heures, les deux victimes (en compagnie d’autres membres de la mission d’établissement des faits) roulaient sur la route nationale lorsque 10 hommes armés ont fait stopper leur camionnette, à environ 5,5 kilomètres du quartier général de la 204e brigade d’infanterie. Ces hommes ont demandé qui, parmi les passagers, était Mme Marcellana, et celle‑ci a dû décliner son identité. Ils ont ensuite confisqué tous les effets personnels de l’équipe, dont les téléphones portables, des documents et des photos. Après avoir été ligotés, les membres de la mission ont été emmenés dans un véhicule («jeepney»). Les hommes armés ne portaient pas tous une cagoule et deux d’entre eux ont pu être identifiés comme étant Aniano «Silver» Flores et Richard «Waway» Falla, d’anciens rebelles qui collaborent avec l’armée.

2.4À un moment donné, les deux victimes ont reçu l’ordre de descendre du véhicule, tandis que les autres membres de la mission restaient à bord; ils ont été déposés plus tard au bord de la route à différents endroits de la commune de Bongagbong. Les corps de Mme Marcellana et M. Gumanoy ont été retrouvés le lendemain. Le rapport d’expertise médico‑légale et les certificats de décès indiquent qu’ils ont succombé à des blessures par balle.

2.5Les auteurs ont déposé une plainte pour enlèvement et meurtre auprès du Ministère de la justice. Dans une décision du 17 décembre 2004, celui‑ci a rejeté la plainte et l’accusation formulée contre l’un des suspects, faute de preuves. Le 22 février 2005, les auteurs ont présenté une requête en révision, qui a été rejetée le 20 novembre 2006. Le 7 décembre 2006, ils ont présenté une demande de réexamen, qui a été rejetée le 17 avril 2007. Le 24 mai 2007, ils ont fait appel auprès du Cabinet du Président de la République de ces deux décisions du Ministère de la justice, en demandant qu’elles soient infirmées et que des poursuites soient engagées contre Aniano «Silver» Flores et Richard «Waway» Falla. Ce recours n’a pas encore été examiné.

2.6Une plainte a également été déposée auprès de la Commission philippine des droits de l’homme, mais les auteurs l’ont ensuite retirée, estimant qu’ils n’obtiendraient pas justice de la part de cet organe. De même, des plaintes ont été déposées auprès de la Chambre des représentants et du Sénat, ainsi que dans le cadre de l’Accord global sur le respect des droits de l’homme et du droit international humanitaire, mais aucune suite ne leur a été donnée. Les auteurs indiquent en outre que l’un des principaux suspects, le colonel Palparan, a par la suite été promu au grade de général par la Présidente, malgré l’opposition généralisée de l’opinion publique.

2.7Les auteurs reconnaissent que les recours internes n’ont pas été épuisés mais déclarent qu’en l’espèce ces recours ont dépassé une durée raisonnable et sont inutiles puisqu’ils ont peu de chances de déboucher sur une décision de justice équitable et une réparation effective. Ils estiment par conséquent que, dans leur cas, ce ne sont pas des recours effectifs.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs invoquent des violations, par l’État partie, de l’article 2 (par. 1 et 3), de l’article 6 (par. 1), de l’article 7, de l’article 9 (par. 1), de l’article 10 (par. 1), de l’article 17 et de l’article 26 du Pacte.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond de la communication

4.1Dans une note du 3 septembre 2007, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il fait valoir que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles. Il indique qu’ils auraient pu saisir le Ministre de la justice pour contester la décision de décembre 2004 par laquelle leur plainte au Ministère de la justice avait été rejetée. En cas de grave abus de son pouvoir discrétionnaire par le Ministre de la justice, un réexamen de la décision pouvait être obtenu au moyen d’une ordonnance de certiorari demandée en vertu de l’article 65 du Règlement de procédure civile de 1997. Au sujet du grief de retard dans les procédures devant le Ministère de la justice, l’État partie fait observer que seul un délai dépassant une durée raisonnable peut produire des effets juridiques préjudiciables, et qu’en l’espèce aucun retard ne peut donc être reproché au Ministère de la justice. On ne saurait lui reprocher non plus d’avoir rejeté la plainte déposée au pénal par les auteurs; cette décision n’était pas arbitraire, le Ministère l’ayant rendue après avoir dûment examiné les griefs exposés et être arrivé à la conclusion que les éléments de preuve à charge n’étaient pas suffisants pour justifier des poursuites contre les défendeurs. Dans l’État partie, c’est au procureur, sous la supervision et le contrôle du Ministre de la justice, qu’il appartient d’apprécier s’il existe des motifs suffisants pour engager une procédure pénale. En tout état de cause, les auteurs pouvaient déposer une plainte au pénal s’ils rassemblaient suffisamment d’éléments de preuve contre les suspects. Une enquête préliminaire comme celle qui est conduite par le Ministère de la justice ne constitue pas en soi un procès. Les auteurs pouvaient également engager une procédure administrative contre les militaires soupçonnés auprès du Bureau du Médiateur, ou une procédure civile en vertu de l’article 35 du Code civil.

4.2Au sujet du retrait de la plainte déposée auprès de la Commission philippine des droits de l’homme, l’État partie fait observer que cette démarche revient à accuser la Commission de mauvaise foi, au mépris du postulat que cet organe agit conformément à son mandat. Il souligne que les auteurs eux‑mêmes ont joint à leur communication une lettre dans laquelle la Commission s’enquérait de la légitimité de la promotion du général de brigade Palparan, ce qui montre qu’elle s’acquittait correctement de son mandat.

4.3Les plaintes à la Chambre des représentants et au Sénat ont été transmises aux commissions concernées de ces organes. Dans le cas du Sénat, la commission chargée des droits de l’homme a été priée par voie de résolution d’enquêter sur les circonstances de l’affaire. La Chambre des représentants et le Sénat forment le pouvoir législatif et les auteurs ne peuvent s’attendre à ce que ces organes rendent une décision définitive.

4.4Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que si les auteurs ont choisi de ne pas exercer les recours internes disponibles, c’est par impatience et par méfiance à l’égard des pouvoirs publics locaux. C’est donc prématurément qu’ils ont conclu que ces recours étaient inutiles.

4.5L’État partie affirme en outre que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que la même question est examinée par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, qui s’est rendu dans le pays du 12 au 21 février 2007.

4.6L’État partie conteste également la recevabilité de la communication pour abus du droit de plainte, au motif que les auteurs refusent de reconnaître et de respecter son autorité pour instruire les actes criminels relevant de sa compétence territoriale, pour poursuivre les responsables et pour résoudre ces affaires. Les auteurs tentent de mêler la communauté internationale à une affaire qui relève de la législation pénale interne, ce qui constitue une ingérence dans les affaires intérieures de l’État partie.

4.7Enfin, l’État partie affirme que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé les allégations de violations du Pacte qu’ils lui attribuent. De leur relation des faits, il ressort seulement que Mme Marcellana et M. Eddie Gumanoy ont été enlevés et tués, que les agresseurs étaient des hommes armés et que trois d’entre eux auraient été identifiés. Le lien indispensable entre ces faits et les autorités de l’État partie n’a pas été établi.

4.8Sur le fond, l’État partie indique qu’il s’emploie activement à offrir des recours dans les affaires d’exécutions extrajudiciaires, et renvoie à ce propos à l’arrêté no 157 du 21 août 2006 par lequel la Présidente Macapagal‑Arroyo a mis en place une commission indépendante (la «Commission Melo») chargée d’enquêter sur les meurtres de militants et de professionnels des médias. Le 22 février 2007, cette commission a rendu public un rapport préliminaire de 86 pages qui est actuellement examiné par différents services gouvernementaux. L’État partie ajoute que la Cour suprême a élaboré un projet de directives pour les tribunaux spéciaux qui connaîtront des affaires d’exécutions extrajudiciaires. Il renvoie enfin au rapport préliminaire du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, dans lequel sont reconnus les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre ces pratiques.

4.9L’État partie affirme en outre que les auteurs n’ont pas montré en quoi il aurait enfreint les dispositions du Pacte. Selon lui, le meurtre de Mme Marcellana et de M. Eddie Gumanoy n’est pas imputable à l’État ni à ses forces armées, mais à des particuliers agissant dans leur propre intérêt. En tout état de cause, l’État partie fait son possible pour garantir que les droits et libertés fondamentaux de ses ressortissants sont respectés. Il rappelle que lorsqu’un État s’abstient d’instruire, de sanctionner et de réparer des actes attentatoires aux droits fondamentaux commis dans la sphère privée par des agents non étatiques, il aide en fait les auteurs de telles violations et peut en être tenu pour responsable au regard du droit international. La mise en place de la Commission indépendante Melo chargée d’enquêter sur les exécutions extrajudiciaires témoigne de la volonté de l’État partie de s’attaquer à ce problème.

4.10L’État partie regrette que les organisations de défense des droits de l’homme n’aient pas indiqué à la Commission combien d’exécutions extrajudiciaires avaient été commises ni pourquoi elles considéraient que l’armée en était responsable. Il rappelle que ces organisations ont refusé de collaborer avec les mécanismes d’enquête qu’il a mis en place, et ont préféré saisir le Comité.

Commentaires de s auteur s sur les observations de l ’ État partie

5.1Dans une lettre du 16 février 2008, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, ils réitèrent que cette condition n’est pas applicable lorsque les recours se prolongent au‑delà d’une durée raisonnable ou sont inutiles. Plus de cinq ans après l’enlèvement et le meurtre des victimes, en avril 2003, et deux ans après la présentation de la communication au Comité, la procédure engagée par les auteurs devant la présidence de l’État partie n’a toujours pas abouti. Malgré l’existence d’un très grand nombre de preuves à charge et bien qu’il eût été clairement identifié par quatre témoins, l’un des suspects a été disculpé lorsque le Procureur général a rejeté la plainte en décembre 2004.

5.2Avant ce rejet, des enquêtes parlementaires ont été menées par la Chambre des représentants et par le Sénat, en mai 2003. Dans son rapport initial, la Commission des droits civils et politiques et des droits de l’homme de la Chambre des représentants a demandé un supplément d’enquête et la mise à pied provisoire de M. Palparan pendant la durée de l’enquête, mais celui‑ci, alors colonel, est resté en service actif. Pour sa part, la Commission de la justice et des droits de l’homme du Sénat a suspendu son enquête après une première audition, parce qu’une enquête préliminaire était conduite par le Ministère de la justice.

5.3En ce qui concerne les auditions devant la Commission des droits de l’homme, les auteurs ont dû renoncer à y participer parce que cet organe n’accordait guère d’attention à leur affaire, se contentant selon eux de s’en occuper distraitement, et parce que ces auditions servaient à disculper en fin de compte le colonel Palparan et à supprimer tout obstacle à sa promotion. C’est donc en signe légitime de protestation qu’ils se sont retirés de la procédure devant la Commission. Ils ajoutent que la référence faite par l’État partie à la lettre adressée au Sénat est trompeuse car la Commission n’a envoyé cette lettre qu’après que les survivants et les proches des victimes eurent protesté et reproché à la Commission d’avoir permis la promotion du colonel Palparan malgré les graves accusations de violations des droits de l’homme qui pesaient sur lui.

5.4Le 22 février 2005, les auteurs ont introduit une requête en révision de la décision par laquelle le Ministère de la justice avait rejeté leur plainte, mais cette requête a été rejetée le 20 novembre 2006, près de deux ans plus tard, sans explications. Leur demande de réexamen a été rejetée par le Ministre de la justice en avril 2007, là encore de manière sommaire. Vu le délai excessif de la procédure devant le Ministère de la justice et la manière dont leurs recours ont été examinés, les auteurs affirment qu’il est faux de dire que le Ministère n’est responsable d’aucun retard comme le fait l’État partie. En outre, les explications données par l’État partie sur la nécessité de déterminer s’il y a matière à poursuites, sur le rôle de l’enquête préliminaire et sur l’existence d’autres recours ne sont pas pertinentes pour la question du retard excessif.

5.5Les auteurs soulignent qu’il existe dans l’État partie une pratique systématique de violations des droits de l’homme, notamment d’exécutions extrajudiciaires, ce qui rend les recours internes inutiles et vains. Ils ajoutent qu’en dépit des affirmations contraires de l’État partie il n’est jamais arrivé que les auteurs de tels actes soient jugés et condamnés.

5.6En réponse à l’objection de l’État partie qui affirme que la communication est irrecevable parce que la même question est déjà examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, les auteurs déclarent que cet argument n’est pas valable en l’espèce. Ils font valoir d’une part que le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a terminé son enquête et que par conséquent il n’est plus en train d’examiner la question et d’autre part que la mission d’un rapporteur spécial dans un État partie ne saurait être considérée comme une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.7Les auteurs affirment que leur communication ne constitue pas un abus du droit de plainte, étant donné qu’il n’existe dans leur cas aucune des circonstances qui rendent abusive la présentation d’une communication, comme le fait de donner délibérément de fausses informations ou d’attendre trop longtemps avant de porter plainte. En outre, les auteurs ne refusent pas de reconnaître la compétence de l’État partie, ils disent seulement que les recours internes sont inutiles.

5.8En réponse à l’argument de l’État partie qui affirme que la plainte n’est pas suffisamment étayée, les auteurs renvoient aux nombreux documents joints à leur lettre initiale. Ils affirment que le lien entre les crimes dénoncés et les autorités de l’État partie en tant que responsables de ces actes a été clairement établi et confirmé par les conclusions et les rapports de plusieurs organes indépendants.

5.9Sur le fond, les auteurs rappellent que les moyens mis en œuvre par l’État partie n’ont pas permis de faire cesser les exécutions extrajudiciaires ni de rendre justice aux victimes. Au sujet de la Commission Melo, ils relèvent que celle‑ci a rendu public un rapport préliminaire en février 2007, à la demande pressante de l’opinion publique, mais qu’elle n’a publié aucun rapport final depuis. La Commission Melo manquait de crédibilité et ses pouvoirs pour enquêter étaient limités. En outre, alors que son rapport préliminaire est paru depuis plusieurs mois, l’État partie est encore en train d’examiner les recommandations qui y sont formulées. Les auteurs invoquent le rapport final du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, dans lequel celui‑ci constate que «[l]es nombreuses mesures prises par le Gouvernement pour faire face au problème des exécutions extrajudiciaires sont encourageantes. Cependant, elles n’ont pas encore produit d’effets et les exécutions extrajudiciaires se poursuivent.».

5.10 Enfin, les auteurs affirment qu’il ressort clairement des faits exposés, ainsi que des documents joints à l’appui de leur demande, que les hommes identifiés comme étant les agresseurs étaient des membres des forces de sécurité de l’État partie, en l’occurrence de la 204e brigade d’infanterie de l’armée philippine commandée par Jovito Palparan Jr., alors colonel, et d’anciens rebelles placés sous le commandement et le contrôle des militaires. Ils renvoient à l’affaire Sarma, dans laquelle le Comité a conclu que Sri Lanka était responsable de la disparition d’une personne enlevée par un caporal bien que l’État partie eût fait valoir que ce caporal avait agi ultra vires et à l’insu de ses supérieurs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication pour non‑épuisement des recours internes. Les auteurs ont reconnu que ces recours n’avaient pas été épuisés, mais affirment qu’ils se sont révélés inutiles et déraisonnablement longs. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que les recours internes au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif doivent être à la fois utiles et disponibles, et ne pas dépasser un délai raisonnable. Les corps des victimes ont été trouvés en avril 2003 et une plainte a été déposée peu après auprès des organes législatifs et du Ministère de la justice. Les procédures devant ce dernier ont finalement été closes en avril 2007. Un recours en appel formé en mai 2007 devant la présidence est toujours en cours d’examen. Le Comité estime que dans les circonstances de l’espèce les recours internes ont dépassé un délai raisonnable. Il conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

6.3Le Comité note également que l’État partie conteste la recevabilité de la communication parce que l’affaire est ou a été examinée par le Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, qui s’est rendu dans le pays en février 2007. Il fait observer cependant qu’une mission d’établissement des faits effectuée dans un pays donné par un rapporteur spécial ne constitue pas «une instance internationale d’enquête ou de règlement» au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il rappelle en outre que l’examen par un rapporteur spécial de la situation des droits de l’homme dans un pays donné, même s’il peut impliquer que des informations concernant des particuliers soient citées ou utilisées, ne saurait être considéré comme portant sur la même question que celle qui serait examinée dans le cadre de la communication d’un particulier au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité conclut par conséquent que la visite effectuée en 2007 par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ne rend pas la communication irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4L’État partie affirme que les auteurs, en refusant de reconnaître son autorité pour instruire des actes criminels relevant de sa compétence territoriale, pour poursuivre les responsables et pour résoudre ces affaires, et en mêlant la communauté internationale à une affaire qui relève de sa législation interne, ont abusé de leur droit de plainte. Le Comité rejette cette opinion; au contraire l’article premier du Protocole facultatif dispose clairement que «[t]out État partie au Pacte qui devient partie au […] Protocole reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d ’ une violation par cet État…». L’État partie n’ayant pas avancé de raisons valables pour expliquer en quoi la présente communication constituerait un abus du droit de plainte, le Comité considère que celle‑ci n’est pas irrecevable pour ce motif.

6.5En ce qui concerne les griefs soulevés au titre du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et des articles 17 et 26 du Pacte, le Comité relève que les auteurs n’ont pas expliqué en quoi les droits reconnus par ces dispositions avaient été violés. Il considère par conséquent qu’ils n’ont pas étayé ces plaintes aux fins de la recevabilité. Les griefs soulevés au titre du paragraphe 1 de l’article 2, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10 et des articles 17 et 26 du Pacte sont donc irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité estime que les faits de l’affaire soulèvent des questions au regard du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité des griefs de violation de ces dispositions, il considère qu’ils ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et procède donc à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 6, le Comité constate qu’il est un fait établi, reconnu dans la décision du Ministère de la justice en date du 17 décembre 2004, que Mme Marcellana et M. Eddie Gumanoy ont été enlevés, volés et tués par un groupe armé. À ce propos, il renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’une enquête pénale suivie de poursuites est une mesure nécessaire pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 6. Il renvoie également à son Observation générale no 31 [80], qui rappelle aux États parties que, lorsque des enquêtes révèlent la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, ils doivent veiller à déférer les responsables à la justice.

7.3En l’espèce, bien que plus de cinq ans se soient écoulés depuis les meurtres, personne n’a été inculpé, poursuivi ou traduit en justice par les autorités de l’État partie dans le cadre de cette affaire. Le Comité relève que les autorités chargées des poursuites dans l’État partie ont décidé, à l’issue d’une enquête préliminaire, de ne pas engager de poursuites pénales contre l’un des suspects, au motif qu’il n’existait pas de preuves suffisantes contre lui. Hormis les initiatives prises au niveau politique, le Comité n’a pas été informé d’une quelconque enquête qui aurait été conduite pour déterminer la responsabilité des autres membres du groupe armé identifiés par les témoins.

7.4Compte tenu de ce qui précède, et faute d’avoir reçu d’autres explications utiles sur ce point de la part de l’État partie, le Comité conclut que l’absence de toute enquête visant à identifier les responsables de l’enlèvement et du meurtre des victimes constitue un déni de justice. Il convient par conséquent de considérer que l’État partie a manqué à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, d’enquêter en bonne et due forme sur le décès des victimes et de prendre les mesures voulues contre ceux qui seraient reconnus coupables.

7.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9, les auteurs affirment que Mme Marcellana avait été menacée à plusieurs reprises à cause de ses activités en faveur des droits de l’homme et que les militaires avaient déjà encouragé des actes de violence à son égard. De plus, pendant leur enquête, tous les membres de la mission d’établissement des faits avaient eu l’impression d’être constamment surveillés. L’État partie ne dément pas ces affirmations et ne donne pas non plus d’autres informations utiles à leur sujet.

7.6Le Comité rappelle sa jurisprudence concernant le paragraphe 1 de l’article 9 et réaffirme que le Pacte protège aussi le droit à la sécurité des personnes, également hors du contexte de la privation de liberté. Une interprétation de l’article 9 qui permettrait à un État partie d’ignorer les menaces pesant sur la sécurité des personnes relevant de sa juridiction qui ne sont pas en détention rendrait inutiles les garanties offertes par le Pacte. Qui plus est, les États parties ont l’obligation de prendre des mesures raisonnables et appropriées pour assurer la protection de ces personnes.

7.7Dans la présente affaire, le Comité relève que les victimes étaient des défenseurs des droits de l’homme et que l’une d’elles au moins avait été menacée par le passé, ce qui donne à penser qu’il était objectivement nécessaire que l’État leur accorde des mesures de protection pour garantir leur sécurité. Or, rien n’indique qu’une telle protection ait été assurée à un quelconque moment. Au contraire, d’après les auteurs, les militaires étaient à l’origine des menaces reçues par Mme Marcellana et les membres de la mission d’établissement des faits avaient été constamment surveillés pendant leur enquête. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’État partie n’a pas pris les mesures voulues pour protéger le droit des victimes à la sécurité de leur personne, tel qu’il est consacré par le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits tels qu’il les a établis font apparaître une violation par les Philippines du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, y compris sous la forme d’une action pénale permettant de déterminer qui est responsable de l’enlèvement et de la mort des victimes, et d’une indemnisation appropriée. Il est également tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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