NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1455/200618 novembre 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quatorzième session13-31 octobre 2008

DÉCISION

Communication n o  1455/2006

Présentée par:

Mme Surinder Kaur (représentée par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

24 février 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 27 février 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

30 octobre 2008

Objet: Expulsion vers l’Inde à la suite du rejet d’une demande d’asile

Questions de procédure: Irrecevabilité de la demande

Question s de fond: Recours utile; droit à la vie; torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droits et obligations de caractère civil

Article s du Pacte: 2, 6, 7 et 14

Article s du Protocole facultatif: 2 et 3

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o  1455/2006**

Présentée par:

Mme Surinder Kaur (représentée par un conseil, M. Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

24 février 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 30 octobre 2008,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication est Mme Surinder Kaur, Indienne d’origine sikhe, qui est retournée volontairement en Inde en décembre 2007 depuis le Canada. Elle se dit victime de violations par l’État partie des dispositions des articles 6, 7, 2 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil, M. Stewart Istvanffy.

1.2Le 27 février 2006, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Inde tant que la communication serait en cours d’examen, conformément à l’article 92 du Règlement intérieur du Comité. Le 21 mars 2006, l’État partie a accédé à cette requête mais a demandé au Rapporteur spécial de lever les mesures provisoires. Le 11 mai 2006, le Rapporteur spécial, après avoir examiné la demande de l’État partie et les commentaires de l’auteur datés du 31 mars 2006, a rejeté la demande, estimant que l’auteur avait apporté un commencement de preuve.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur déclare qu’elle a été victime de viols et de violences et sévices graves de la part de policiers de la province indienne du Penjab qui enquêtaient sur les activités de militants du Mouvement sikh pour le Khalistan, et qu’elle souffre aujourd’hui de troubles post‑traumatiques. Au début des années 90, son mari, soupçonné d’avoir des liens avec ce mouvement, a été arrêté et torturé par la police. Au début de 2000, il a disparu après avoir été torturé par la police. Pour échapper aux rafles, l’auteur s’est enfuie aux États‑Unis où elle a demandé le statut de réfugié, qui lui a été refusé. Elle a été expulsée vers l’Inde, où elle a été à nouveau victime de viols. C’est en 2003, après avoir subi de nouveaux sévices de la part d’un inspecteur de police de la région où elle résidait et après que son fils eut fait l’objet de menaces, qu’elle s’est rendue au Canada. Son fils est resté en Inde.

2.2À la fin de 2003, l’auteur a demandé le statut de réfugié au Canada. Le 24 avril 2004, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié («la Commission») a estimé qu’elle ne pouvait pas être considérée comme un réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés, parce que son récit n’était pas crédible. Le 3 août 2005, sa demande d’autorisation de soumettre la décision de la Commission à un contrôle juridictionnel a été rejetée. Elle avait fait auparavant une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et une demande de dispense de visa d’immigrant pour motifs humanitaires, qui avaient été rejetées le 24 janvier 2004. Le 20 février 2006, elle a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel pour l’avis négatif rendu à l’issue de l’examen des risques avant renvoi, ainsi qu’une demande de sursis à expulsion. La demande de sursis à expulsion a été rejetée le 24 février 2006, et la demande de contrôle juridictionnel le 12 avril. Selon l’auteur, le contrôle juridictionnel n’est pas une révision quant au fond mais un réexamen limité portant sur la recherche d’erreurs patentes de droit, et il n’a pas d’effet suspensif.

2.3L’auteur fait valoir que l’agent d’examen des risques avant renvoi n’a pas pris en considération la plupart des preuves présentées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en se fondant sur l’article 113 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui dispose que ne peuvent être pris en considération «que des éléments de preuve apparus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce que [le demandeur] les ait présentés au moment du rejet…». En conséquence, l’agent chargé de l’ERAR a rejeté certains éléments de preuve qui auraient pu être accessibles antérieurement, dont une autre déclaration écrite sous serment du «sarpanch» de son village en Inde, une déclaration écrite sous serment de son fils, datée de novembre 2005, et une lettre de soutien du Khalra Mission Committee, du 10 octobre 2004. L’auteur mentionne aussi un certificat médical du 24 février 2004 que la Commission a refusé de considérer, alors qu’il atteste le viol dont elle dit avoir été victime. Elle joint à sa communication au Comité le tout dernier rapport établi par l’organisation ENSAAF, qui est censé attester qu’une vague de répression sévit actuellement au Penjab, et qu’il existe un risque réel de torture. L’auteur ajoute encore que l’impunité pour les actes de torture infligés aux Sikhs en Inde est un problème extrêmement grave.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’elle s’est prévalue de tous les recours internes qui auraient pu empêcher son expulsion. Elle affirme que le Canada commettra une violation des articles 6 et 7 si elle est expulsée, car le risque est grand qu’elle soit «arrêtée, détenue, frappée, torturée ou exécutée» par la police indienne à cause de son appartenance religieuse et de ses convictions politiques réelles ou supposées. Elle ajoute que son renvoi en Inde constituerait pour elle un traumatisme émotionnel.

3.2L’auteur affirme par ailleurs qu’il y a violation des articles 2 et 14 du Pacte, puisque la procédure de l’ERAR et les procédures d’examen des requêtes pour motifs humanitaires ne satisfont pas à l’obligation qu’a l’État partie de lui assurer un recours utile contre la décision d’expulsion. Elle formule des griefs d’ordre général au sujet des procédures, et allègue notamment que l’évaluation des risques est faite par des agents de l’immigration qui n’ont pas compétence pour les questions qui touchent aux droits de l’homme consacrés par des instruments internationaux, ni pour les questions de droit en général, et qui manquent d’impartialité, d’indépendance et de compétence.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une réponse du 25 août 2006, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il expose les faits de la cause, ainsi que les motifs détaillés de la décision de la Commission, de l’agent chargé de l’ERAR et de l’agent qui a examiné la demande de dispense d’un visa d’immigration. La Commission a considéré notamment que le certificat médical du 24 février 2004 avait une faible valeur probante puisqu’il ne portait pas le numéro de téléphone ni le numéro d’immatriculation du médecin qui avait établi le certificat, comme l’exige le conseil de l’ordre des médecins indien. Il a contesté l’authenticité du document produit par l’auteur pour expliquer que le numéro de téléphone était un numéro interne à l’hôpital, parce que le document portait une date antérieure à l’audience et antérieure au moment où la question avait été soulevée à l’audience. L’agent chargé de l’ERAR quant à lui a considéré notamment que le résultat de l’évaluation psychologique, qui était que l’auteur souffrait de troubles post‑traumatiques, avait une faible valeur probante puisqu’il avait été établi par un psychothérapeute titulaire d’un mastère d’éducation, titre qui n’a aucune valeur pour l’établissement d’un diagnostic psychologique.

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il estime que les recours internes n’ont pas été épuisés pour ce qui est des griefs au titre des articles 6 et 7, puisque l’intéressée n’a pas sollicité le contrôle juridictionnel de la décision relative à sa demande de dispense de visa d’immigrant pour motifs humanitaires. L’État partie rejette l’argument selon lequel ce contrôle n’aurait pas été utile parce qu’il concerne les mêmes faits que l’ERAR. En effet, les considérations qui président aux décisions dans chacun de ces cas sont différentes: l’ERAR examine le risque encouru au retour dans le pays d’origine alors que pour une demande de dispense de visa d’immigration il s’agit de déterminer si le requérant rencontrerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il devait retourner dans son pays d’origine. L’examen porte sur diverses questions, dont l’établissement au Canada, l’intégration, et les liens familiaux. Une décision positive n’aurait pas permis de surseoir à l’expulsion mais elle aurait abouti à la délivrance d’un visa de résident permanent, ce qui aurait permis à l’auteur de rester au Canada ou d’y retourner. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et à celle du Comité contre la torture, qui montrent que le contrôle juridictionnel est largement et régulièrement accepté comme un recours utile qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité. Il relève en particulier que le Comité contre la torture a récemment noté que le contrôle juridictionnel exercé par la Cour fédérale sur les décisions relatives aux demandes de dispense de visa d’immigration garantissait de manière efficace l’équité du système de détermination du statut de réfugié au Canada.

4.3L’État partie affirme que l’auteur n’a pas présenté d’argument à l’appui de ses griefs au titre des articles 6 et 7. Le manque de crédibilité de ses allégations et l’absence de lien crédible entre le risque de mort et/ou de torture qu’elle encourt personnellement et les éléments de preuve objectifs concernant les Sikhs, les militants sikhs et leurs partisans qui sont victimes de torture ou de mauvais traitements au Penjab, amènent à conclure que l’auteur n’a pas établi l’existence d’un risque fondé sur des éléments allant au‑delà de simples supputations ou soupçons, comme le veut le Comité contre la torture. Il existe des preuves écrites qui montrent que la torture et les mauvais traitements ne visent aujourd’hui que les militants en vue et que les Sikhs ne sont plus pris pour cible sous prétexte d’opinion politique.

4.4L’État partie renvoie à l’appréciation faite par les juridictions nationales, qui ont conclu que l’auteur ne courrait pas personnellement de risques. Il affirme que dire que l’intéressée serait soupçonnée d’appartenir à une organisation terroriste qui persécute les Sikhs (Lashkar‑E‑Toiba) n’est pas crédible. Même si elle prétend que, selon des allégations, elle a été soupçonnée d’appartenir à une autre organisation (le Mouvement sikh pour le Khalistan), l’État partie estime que cet argument sert ses propres intérêts, et n’est pas crédible. De plus, la Commission et l’agent chargé de l’ERAR disposaient d’éléments objectifs attestant que les Sikhs ne sont pas persécutés aujourd’hui en Inde, et que le Premier Ministre actuel a des origines sikhes, ce qui cadre mal avec des allégations de persécution systématique des Sikhs. Même si l’État partie admettait que l’auteur a été victime de tortures par le passé, cela ne signifie pas qu’elle courrait le risque de l’être aujourd’hui. En outre, elle n’a pas dit qu’elle n’avait pas de possibilité de trouver refuge en Inde.

4.5Quant aux allégations de l’auteur qui affirme qu’elle subirait un traumatisme émotionnel grave, rien ne permet d’en présumer le bien‑fondé; et elle présente les mêmes éléments de preuve que devant les juridictions nationales, soit des documents qui, après un examen minutieux, ont été jugés dépourvus d’authenticité. Les juridictions nationales ont conclu au manque de crédibilité de l’évaluation psychologique du 24 novembre 2004, étant donné les titres de la personne qui l’avait établie. L’authenticité même du document est douteuse, puisque dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) (déclaration initiale devant la Commission), l’auteur affirme que son père est mort en 2001, alors que dans son entrevue avec le psychothérapeute, elle dit qu’«elle est hantée par les arrestations de son père et les tortures qu’il a subies et par l’angoisse de ne pas savoir ce qu’il est devenu et de penser qu’il est peut‑être mort». Tous les autres documents présentés, parmi lesquels une lettre d’un assistant social et d’un médecin du CLSC, ont été examinés par les fonctionnaires de la Commission, les fonctionnaires qui s’occupent des demandes de dispense de visa d’immigration et des agents chargés de l’ERAR, qui ont conclu qu’en l’absence d’éléments objectifs, leur valeur probante était faible. De plus, les documents disent bien que l’auteur souffre de problèmes psychologiques et de problèmes liés au stress, mais ne permettent pas de dire quelles seraient les conséquences réelles sur le plan psychologique de son retour en Inde. Même si son état de santé mentale s’aggravait du fait de l’expulsion, selon la jurisprudence du Comité, en l’absence d’autres facteurs cet élément à lui seul ne peut être considéré comme constituant un traitement cruel, inhumain ou dégradant.

4.6L’État partie affirme que l’article 2 du Pacte ne garantit pas un droit distinct aux individus, mais définit la nature et la portée des obligations des États parties. Il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle, conformément à l’article 2, seule une violation établie d’un droit reconnu dans le Pacte ouvre droit à un recours, et fait valoir que ce grief est donc irrecevable. À défaut, l’auteur n’a pas présenté d’argument pour étayer ses allégations au titre de cette disposition, étant donné la multitude de recours utiles disponibles au Canada. L’État partie affirme que les procédures de décision concernant les demandes de protection ou du statut de réfugié ne tombent pas sous le coup de l’article 14 du Pacte. Elles relèvent du droit public et leur équité est garantie par l’article 13. L’État partie en conclut donc que cette plainte est irrecevable ratione materiae conformément au Pacte. En tout état de cause, l’État partie fait valoir que la procédure d’immigration respecte les garanties de l’article 14. L’auteur a pu faire entendre sa cause par un tribunal indépendant, elle a été représentée par un conseil, elle a pu faire soumettre à un contrôle juridictionnel la décision de rejet de sa demande de statut de réfugié, elle a pu obtenir l’examen des risques avant renvoi et l’examen pour motifs humanitaires, y compris solliciter l’autorisation de soumettre ces décisions à un contrôle juridictionnel.

4.7L’État partie affirme qu’il n’appartient pas au Comité d’évaluer le système canadien de détermination du statut de réfugié en général, mais qu’il doit seulement examiner si, en l’espèce, le Canada s’est acquitté de ses obligations en vertu du Pacte. Il considère que la procédure ERAR est un mécanisme interne effectif de protection pour les personnes qui courent des risques après renvoi. La décision, confirmée par la Cour suprême qui a rejeté la demande de sursis de l’auteur, conclut que «l’agent chargé de l’ERAR a dûment examiné les éléments de preuve dont il disposait, conformément à l’obligation que lui impose la loi». Par conséquent, le refus d’éléments de preuve qui n’étaient pas «nouveaux» était entièrement opportun et raisonnable. Quant à l’argument de l’auteur qui affirme que l’agent chargé de l’ERAR et la Cour fédérale ont «ignoré» les éléments de preuve, l’intéressée elle‑même admet n’avoir pas présenté les documents requis dans les délais. Or, selon la jurisprudence du Comité, l’auteur doit faire preuve de la diligence voulue pour exercer les recours utiles. L’État partie énumère en détail les raisons qui ont amené l’ERAR à rejeter comme non valable chaque élément de preuve après l’avoir examiné. L’État partie estime que les allégations générales avancées par l’auteur contre le dispositif de l’ERAR sont entièrement dépourvues de fondement et affirme que le faible taux d’acceptation des demandes au stade de l’ERAR montre que la Commission a accordé le statut de réfugié à la plupart des personnes qui ont besoin d’une protection.

4.8Enfin, l’État partie fait valoir que le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celles de l’État sur le point de savoir s’il existait un risque raisonnable que l’auteur subisse un traitement contraire aux dispositions du Pacte si elle retournait en Inde, étant donné qu’aucune erreur manifeste ou abus n’a été relevé dans les procédures nationales, celles‑ci n’ayant été entachées ni de vice de procédure, ni de partialité, ni d’irrégularités graves. C’est aux juridictions nationales des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce. Le Comité ne devrait pas se transformer en une juridiction «de quatrième instance» qui aurait compétence pour réévaluer les constatations de fait ou contrôler l’application de la législation nationale.

Commentaires de l’auteur sur le s observations de l’État partie

5.1Dans des notes du 31 mars 2006, du 2 mai 2006 et du 24 mars 2007, l’auteur réitère les arguments avancés dans sa première communication. Elle précise qu’elle sera victime de persécutions à cause des liens allégués de son mari avec des groupes militaires, du fait qu’il a été torturé, qu’elle aussi a subi des sévices, et du fait qu’elle est sikhe. À propos du contrôle juridictionnel, elle fait valoir que toutes les questions soulevées dans cette communication avaient été avancées et débattues devant la Cour dans le cadre de l’examen de sa demande de sursis et de sa demande de contrôle juridictionnel pour le refus du statut de réfugié dont la Commission avait été saisie. Le Ministère de la justice fait systématiquement valoir devant la Cour fédérale que ce genre de décision concernant l’examen des risques avant renvoi a un caractère discrétionnaire et que la Cour ne devrait pas intervenir. L’auteur estime que le Gouvernement ne devrait pas défendre ce point de vue devant les juridictions nationales, pour soutenir ensuite devant les organes internationaux que ces recours sont utiles.

5.2L’auteur affirme que l’État partie, dans ses observations, se contente pour l’essentiel de reprendre les décisions de la Commission et de l’agent chargé de l’ERAR, sans chercher à donner une analyse approfondie de leur bien‑fondé. L’auteur répond point par point aux constatations de la Commission et de l’agent chargé de l’ERAR. Par exemple, à propos de la prétendue faible valeur probante du rapport psychologique confidentiel, elle signale qu’il aurait suffi de composer le numéro de téléphone en question pour constater que c’était un numéro de l’hôpital. Quant aux qualifications du psychothérapeute qui avait établi le rapport psychologique, elle précise que cette même personne a établi de nombreux rapports qui ont été soumis à la Commission et que ses titres ne font aucun doute. L’auteur dément avoir dit, comme le soutiennent l’agent chargé de l’ERAR et l’État partie, que son mari et son père étaient des membres ou des partisans du groupe extrémiste musulman Lash‑E‑Toiba.

5.3L’auteur nie qu’elle a une possibilité raisonnable de trouver refuge dans son pays et dit qu’elle a présenté suffisamment d’éléments de preuve à l’effet contraire. Elle donne de plus amples détails et joint de nouveaux documents sur la situation des droits de l’homme en Inde en général, qui montrent qu’il est avéré que les actes de torture sont toujours impunis et que les exécutions extrajudiciaires continuent. Elle ajoute des informations sur les problèmes allégués que soulève le processus de décision de la Commission.

Observations complémentaires de l’auteur et réponse de l’État partie

6.1Par une note du 2 avril 2008, le conseil de l’auteur a fait savoir au Comité que l’auteur était rentrée volontairement en Inde. Elle lui avait dit qu’elle ne pouvait plus vivre sans son mari et sans son fils, et qu’elle se sentait trop seule au Canada. Elle avait ajouté que son beau‑frère allait se marier fin décembre au Penjab et que toute sa famille et ses proches parents assisteraient au mariage. Son conseil l’avait aidée à obtenir les papiers nécessaires. Courant janvier, il avait appris qu’elle avait été arrêtée à son arrivée et conduite à Tihar Fort à Delhi où elle avait été maltraitée, mais n’avait pas plus de détails. Elle avait été libérée sous caution au bout de vingt ou trente jours, mais elle était sous le coup d’une procédure pénale pour avoir quitté l’Inde avec de faux papiers. Le conseil dit que des personnes proches de l’auteur pensent qu’il lui est arrivé quelque chose de terrible pendant sa détention, mais il n’a pas plus de détails. Le conseil a parlé avec le mari de l’auteur qui a exprimé le souhait que le Comité poursuive l’examen de la communication et soit prié de ne pas clore l’affaire ni de prendre de décision en attendant les résultats d’une enquête que le conseil a l’intention de faire auprès de la Punjab Human Rights Organisation.

6.2Le 21 mai 2008, l’État partie a répondu que le retour volontaire de l’auteur en Inde montrait qu’elle ne craignait pas de faire l’objet de persécutions et qu’elle ne craignait pas pour sa vie. Si elle avait eu vraiment peur, elle ne serait pas rentrée de son plein gré dans son pays pour aller au mariage de son beau-frère. Le fait qu’elle avait décidé de repartir alors qu’elle bénéficiait de l’assistance d’un conseil expérimenté − de fait avec l’aide de son conseil − est tout à fait révélateur de l’absence de crainte de subir des mauvais traitements en Inde. Comme son conseil l’a reconnu, il n’existe pas de preuve qu’elle ait été placée en détention ou maltraitée. Le conseil ne peut que répercuter ce que des tiers ont rapporté. Il ne semble pas qu’il ait parlé avec l’auteur, alors que, semble-t-il, des amis à elle se trouvant au Canada ont pu le faire, car il n’évoque pas de conversation directe avec elle.

6.3D’après l’État partie, il est impossible de croire que l’auteur risque des mauvais traitements en Inde puisque son mari, dont la participation à un groupe terroriste lui faisait craindre d’être persécutée, semble être en vie, est joignable par téléphone et a pu parler librement avec son conseil. En fait, l’auteur avait prétendu en 2006 que son mari avait disparu et qu’il avait sans doute trouvé la mort sous la torture que la police pratiquait depuis 2000. Le fait que c’est la première fois depuis 2006 qu’elle évoque la situation de son mari est une preuve de plus de son manque de crédibilité. L’État partie relève qu’on ne peut pas davantage prêter foi à ce qu’elle dit au sujet des poursuites pénales qui ont été engagées contre elle pour usage de faux papiers puisqu’elle avait reconnu auparavant qu’elle avait quitté l’Inde avec un passeport valide. L’État partie estime que la demande de l’auteur, sachant qu’on ignore s’il sera procédé à une enquête et en quoi elle consistera, est une manœuvre visant à retarder indéfiniment l’examen de la communication.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication dans son ensemble. En ce qui concerne les griefs de violation des articles 6 et 7 du Pacte, le Comité rappelle que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, expulser ou refouler une personne vers un pays où elle court un risque réel d’être tuée, torturée ou soumise à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Le Comité relève en outre que la Section des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à l’issue d’un examen approfondi, a rejeté la demande d’asile de l’auteur au motif que celle‑ci manquait de crédibilité. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation de soumettre cette décision à un contrôle juridictionnel présentée par l’auteur. L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a établi qu’il n’y avait pas de raison sérieuse de penser que sa vie serait en danger ou qu’elle serait victime de peines ou de traitements cruels et inusités et la Cour fédérale a rejeté sa demande tendant à soumettre cette décision à un contrôle juridictionnel. Enfin, la demande de statut de résident permanent déposée par l’auteur dans l’État partie pour motifs d’ordre humanitaire a été rejetée, car rien ne permettait de dire que la protection offerte à l’auteur par l’État était inadéquate en Inde.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, et affirme que c’est généralement aux juridictions des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il rappelle aussi que cette jurisprudence a été appliquée aux procédures d’expulsion. Les éléments portés à la connaissance du Comité ne montrent pas que la procédure devant les autorités de l’État partie ait été entachée de telles irrégularités. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas, aux fins de la recevabilité, suffisamment étayé ses allégations de violation des articles 6 et 7 et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne le grief tiré de l’article 14 du Pacte au motif que l’auteur n’a pas disposé d’un recours utile, le Comité a pris note de l’argument de l’État partie qui objecte qu’une procédure d’expulsion n’implique pas de «décision sur le bien‑fondé de toute accusation en matière pénale» ou sur des «droits et obligations de caractère civil». Le Comité relève que l’auteur n’a pas été inculpée ni condamnée pour une infraction pénale dans l’État partie et que son expulsion ne constitue pas une sanction prononcée à l’issue d’une procédure pénale. Par conséquent, le Comité conclut que la procédure visant à déterminer si le statut de réfugié doit être reconnu à l’auteur ne constitue pas une décision sur «le bien‑fondé de toute accusation en matière pénale» au sens de l’article 14 du Pacte.

7.5Le Comité rappelle que la notion de «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, repose sur la nature du droit en cause et non sur le statut de l’une des parties. En l’espèce, la procédure porte sur le droit de l’auteur à être protégée sur le territoire de l’État partie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la procédure relative à l’expulsion d’un étranger, assortie de garanties régies par l’article 13 du Pacte, n’entre pas dans le champ de la détermination des «droits et obligations de caractère civil», au sens du paragraphe 1 de l’article 14. Il conclut que la procédure d’expulsion de l’auteur ne relève pas du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et que le grief soulevé à ce titre n’est pas recevable ratione  materiae, en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6Pour ce qui est des griefs tirés de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle que les dispositions de cet article, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité estime que les prétentions de l’auteur à cet égard ne sont pas défendables et que la plainte est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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