NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/94/D/1495/20066 novembre 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-quatorzième session

13 – 31 octobre 2008

CONSTATATIONS

Communication n o  1495/2006

Présentée par:

Zohra Madoui (représentée par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de:

L’auteur et son fils Menouar Madoui

État partie:

Algérie

Date de la communication:

19 juillet 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 octobre 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption

des constatations:

28 octobre 2008

GE.08-44991

Objet: disparition forcée

Questions de procédure: aucune

Questions de fond: interdiction de la torture et des traitements et peines cruels, inhumains et dégradants ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires; droit à la reconnaissance juridique de sa personnalité ; droit à un recours effectif

Articles du Pacte: 7, 9, 16 et 2, paragraphe 3

Articles du Protocole facultatif: aucun

Le 28 octobre 2008, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte figurant en annexe que constatations concernant la communication no 1495/2006 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quatorzième session

concernant la

Communication n o 1495/2006 *

Présentée par:

Zohra Madoui (représentée par un conseil, Nassera Dutour)

Au nom de:

L’auteur et son fils Menouar Madoui

État partie:

Algérie

Date de la communication:

19 juillet 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2008,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1495/2006 présentée par Zohra Madoui en son nom et celui de son fils Menouar Madoui, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication, datée du 19 juillet 2006, est Zohra Madoui, de nationalité algérienne, née le 28 novembre 1944 en Algérie. Elle affirme que son fils Menouar Madoui, né le 9 février 1970 en Algérie, est victime de violations par l’Algérie de l’article 7 ; l’article 9 ; l’article 16 ; et de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte. Elle affirme également être elle-même victime de violations par l’Algérie de l’article 7 et de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’Algérie le 12 décembre 1989. L’auteur est représentée par un conseil, Nassera Dutour.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Au début du mois de mars 1997, Menouar Madoui, le fils de l’auteur, et son ami Hassen Tabeth sont arrêtés par les gendarmes et placés en détention pour non présentation de leurs pièces d’identité lors d’un contrôle. Menouar Madoui reste treize jours au poste de gendarmerie de Larbâa. Lors d’une visite durant cette période de détention, l’auteur constate que son fils est trempé. Il lui confie qu’il a subi des tortures à l’électricité.

2.2Le 7 mai 1997, toute la ville de Larbâa est encerclée par les forces de police, l’armée et la gendarmerie. Ces forces combinées effectuent un large ratissage, perquisitionnent la plupart des maisons de la ville et procèdent à de nombreuses arrestations. Menouar Madoui se trouve sur le marché ce jour-là. Lorsque le marché est pris d’assaut par les forces combinées, il se réfugie dans le magasin d’un ami. Une fois le calme revenu, il part faire la prière à la Grande Mosquée de Larbâa, située près de la mairie. À la nuit tombée, il n’est toujours pas rentré chez sa mère.

2.3Le lendemain matin, l’auteur part à la recherche de son fils. À la mosquée, un homme lui raconte qu’il a assisté à des arrestations la veille. Quatre jeunes hommes se sont fait arrêter à la sortie de la mosquée et menotter par des policiers en civil qui les ont ensuite embarqués dans une voiture civile. L’auteur se rend donc à la gendarmerie où son fils avait été détenu quelques mois plus tôt. Les gendarmes lui disent qu’ils ne l’ont pas arrêté. L’auteur va alors à la caserne voisine, mais les militaires la renvoient chez les gardes communaux qui l’orientent vers le commissariat. Après le commissariat, elle fait le tour de toutes les casernes de la commune. Dans l’une de ces casernes, un militaire lui dit qu’elle devrait plutôt chercher son fils au maquis. En dernier ressort, l’auteur se rend en fin d’après-midi au Poste de commandement opérationnel (PCO) qui se trouve sur la route d’El Fâas, où un membre du Groupe de légitime défense (GLD) lui dit que son fils a été amené la veille et qu’il est détenu en ces lieux. Elle demande si elle peut lui apporter de la nourriture, mais l’homme lui répond qu’elle ne peut lui apporter que des vêtements.

2.4Tous les jours qui suivent, l’auteur se rend au PCO pour tenter de voir son fils. Chaque jour, les agents sur place lui donnent des réponses différentes. Certains admettent que son fils est détenu là, d’autres nient cette information. Entre temps, l’auteur continue ses recherches dans tous les postes de police de la région, dans les prisons, les casernes, l’hôpital et la morgue pour obtenir des informations sur son fils. Elle est régulièrement redirigée vers des emplacements différents. Certaines personnes lui disent que son fils a été transféré à la prison de Bilda ou à celle de Tizi Ouzou. D’autres lui disent qu’il a été interné à l’hôpital psychiatrique de Blida ou encore qu’il a été libéré.

2.5Le 21 mai 1997, l’auteur explique la situation au Procureur général du tribunal de Larbâa. Le Procureur général rédige une lettre adressée au commissaire de Larbâa et demande à l’auteur de remettre cette lettre en main propre au commissaire afin que celui-ci ordonne une enquête sur la disparition de son fils. L’auteur remet donc cette lettre ainsi qu’un dossier au commissaire. Elle n’obtient aucun résultat d’enquête. Le 2 janvier 2000, un procès-verbal de la police de Larbâa notifie à l’auteur l’arrêt des recherches engagées par le Procureur de Larbâa pour retrouver son fils.

2.6Quarante jours après la disparition de son fils, l’auteur est toujours sans nouvelles de lui et retourne au PCO. Un policier lui annonce que son fils est toujours là, mais qu’il sera probablement libéré le lendemain. Le lendemain, l’auteur attend donc la libération de son fils devant le PCO. Un des hauts responsables du PCO la remarque et va lui demander ce qu’elle fait là. Lorsqu’elle explique qu’elle attend la libération de son fils, il lui ordonne de quitter immédiatement les lieux en la menaçant. Devant l’insistance de l’auteur, il devient agressif, la colle au mur et lui assène des gifles et des coups de poing. Sous le choc, l’auteur s’enfuit. Après cet incident, ses recherches deviennent moins poussées.

2.7En février 1998, l’auteur va au tribunal de Blida où elle est reçue par le Procureur de la République. Celui-ci lui rédige une lettre à l’intention du Procureur Général du tribunal de Larbâa, qui lui-même lui rédige une lettre adressée au chef du PCO. Grâce à celle-ci, l’auteur obtient une entrevue avec le chef du PCO. Il lui répète que l’affaire de son fils relève du commissariat de Larbâa. Quinze jours plus tard, la brigade anti-terroriste se rend chez l’auteur munie d’une convocation pour un interrogatoire au PCO. L’auteur trouve un prétexte pour ne pas les suivre et y aller plus tard. Dans l’après-midi et après avoir averti ses proches, elle se rend au PCO où elle répond à de nouvelles questions sur la disparition de son fils. Cet interrogatoire n’a jamais eu de suivi. L’auteur reçoit ensuite deux convocations les 9 janvier 2000 et 16 juin 2001 au commissariat de Larbâa, une convocation le 5 décembre 2005 à la brigade de gendarmerie de Larbâa et une convocation le 21 décembre 2005 à brigade de gendarmerie d’El Biar.

2.8En mai 1998, Hassen Tabeth, qui avait été arrêté avec le fils de l’auteur en mars 1997 (voir par.2.1 ci-dessus), se rend chez l’auteur à sa sortie de prison. Il l’informe qu’à la prison de Blida, l’un de ses codétenus lui a affirmé qu’il avait été arrêté en même temps que le fils de l’auteur et que celui-ci avait été emmené à la prison de Boufarik. L’auteur se rend alors à la prison de Boufarik, mais un gardien lui déclare que son fils ne s’y trouve pas. Le 11 mai 1998, l’auteur dépose une plainte adressée au Procureur de la République du tribunal de Bab Essabt. Celle-ci reste sans réponse.

2.9En juin 1998, une autre personne confirme à l’auteur que son fils était bien détenu à la prison de Boufarik. Cette personne explique qu’il a été arrêté le 8 mai 1997, le lendemain de l’arrestation du fils de l’auteur, et qu’ils ont partagé la même cellule à la prison de Boufarik. Cependant, il affirme qu’ils n’étaient pas détenus dans une prison normale, mais enfermés sous terre, dans le noir. Il dit qu’à sa libération, le fils de l’auteur était toujours vivant.

2.10En 1999, le beau-frère de Menouar Madoui apprend d’une personne qui venait d’être relâchée après cinq ans de détention au secret qu’elle avait partagé la même cellule no 6 que le fils de l’auteur à la prison de Serkadji. L’auteur se rend donc à la prison de Serkadji où on lui indique qu’elle doit demander un permis de communiquer auprès de la Cour Suprême pour pouvoir rendre visite à son fils. Comme l’auteur est analphabète, elle se renseigne auprès de son entourage qui la dirige vers la Cour d’Alger pour obtenir cette autorisation. La Cour d’Alger lui répond que la délivrance des permis de communiquer n’est pas de son ressort et qu’elle doit s’adresser au tribunal de Larbâa. Au tribunal, les personnes qui la reçoivent lui conseillent de ne plus chercher à en savoir plus. Par peur, l’auteur renonce à obtenir le permis de visite.

2.11Le 30 mars 2004, l’auteur dépose une plainte auprès du Procureur de la République de Larbâa avec notification au Procureur Général de Blida, dans laquelle elle conteste le fait que le dossier de son fils ait été transféré dans la circonscription de Baraki alors qu’il avait été arrêté à Larbâa. Le 7 janvier 2006, elle reçoit une convocation au tribunal de Larbâa. Elle s’y rend donc le 6 février 2006 et on lui demande de faire venir les témoins qui auraient vu son fils. En l’absence de garanties quant à leur sécurité, ces témoins refusent de comparaître par peur de représailles.

Teneur de la plainte

3.1En ce qui concerne l’article 7, l’auteur rappelle que lors de sa première arrestation en mars 1997, son fils a mentionné qu’il avait été victime de tortures à l’électricité. Elle fait valoir que la disparition forcée de son fils constitue en soi une violation de l’article 7. Elle rappelle que le Comité a reconnu que le fait d’être victime d’une disparition forcée peut être qualifié de traitement inhumain ou dégradant.

3.2S’agissant de l’auteur elle-même, elle fait valoir que la disparition de son fils constitue pour elle une épreuve douloureuse et angoissante. Elle avait déjà retrouvé son fils dans un état grave après sa première arrestation. Cette fois, elle ignore tout du sort qui lui a été réservé depuis sa disparition. À cela s’ajoute le fait que les diverses autorités auxquelles elle s’est adressée dès le lendemain de la disparation de son fils n’ont cessé de la renvoyer d’un endroit à l’autre. Elles lui ont donné des réponses différentes qui non seulement la désorientaient dans ses recherches, mais surtout lui permettaient d’espérer retrouver son fils. Ces espoirs furent toujours déçus. L’auteur rappelle que le Comité a reconnu que la disparition d’un proche pouvait constituer pour la famille une violation de l’article 7.

3.3En ce qui concerne l’article 9, l’auteur rappelle que la détention de son fils n’a pas été mentionnée dans les registres de garde à vue et qu’il n’existe aucune trace officielle de sa localisation ou de son sort. Le fait que cette détention n’ait pas été reconnue et que les autorités officielles persistent à dissimuler le sort qui a été réservé au fils de l’auteur signifie que celui-ci a été arbitrairement privé de sa liberté et de sa sécurité au mépris de l’article 9. L’auteur invoque la jurisprudence du Comité selon laquelle toute détention non reconnue d’un individu constitue une négation totale du droit à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 9.

3.4En ce qui concerne l’article 16, l’auteur estime que la disparition forcée de son fils est par essence une négation du droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Elle invoque la déclaration du 18 décembre 1992 sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

3.5En ce qui concerne l’article 2, paragraphe 3, l’auteur rappelle que l’État partie est tenu de lui assurer un recours utile pour les violations dont elle et son fils ont été victimes. Elle fait valoir que son fils, en étant victime d’une disparition forcée, a été privé du droit d’exercer un recours utile contre la détention arbitraire qui lui a été imposée et contre les violations diverses dont il a fait l’objet. Elle a tenté de retrouver son fils par tous les moyens légaux et a exercé tous les recours disponibles à cette fin, sans résultat. L’État a donc violé ses obligations consistant à mener une enquête approfondie et diligente sur la disparation de son fils, à informer l’auteur des résultats de l’enquête et à engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de la disparition de son fils, ainsi qu’à les juger et à les punir.

3.6En ce qui concerne l’épuisement des voies de recours internes, l’auteur fait valoir que selon la jurisprudence constante du Comité, seuls les recours efficaces, utiles et disponibles au sens de l’article 2, paragraphe 3, doivent être épuisés. Puisqu’il s’agit d’une violation grave des droits fondamentaux du fils de l’auteur, l’auteur rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle seul l’épuisement des recours judiciaires est requis. Dans le cas présent, l’auteur a exercé toutes les sortes de recours possibles, administratifs et judiciaires, sans résultat. En ce qui concerne les recours administratifs, l’auteur a cherché à se renseigner sur le sort de son fils à maintes reprises et auprès de plusieurs autorités qui n’ont cessé de la rediriger d’un endroit à un autre, sans lui fournir aucune information claire. Le 6 juillet 1998, elle s’est adressée au Médiateur de la République. Le 4 août 1998, elle s’est aussi adressée à l’Observatoire National des Droits de l’Homme qui lui a juste répondu que le casier judiciaire de son fils était vide. Le 29 mars 2004, elle a envoyé une requête adressée conjointement au Président de la République, au Premier Ministre, au Ministre de la Justice et au Président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Elle n’a reçu aucune réponse. En ce qui concerne les recours judiciaires, l’auteur a déposé plusieurs plaintes auprès de diverses juridictions. Celles-ci n’ont abouti à aucune enquête sérieuse sur la disparition de son fils. En outre, avec l’adoption par référendum de la Charte sur la réconciliation le 29 Septembre 1995 et l’entrée en vigueur d’une ordonnance présidentielle portant application de la Charte le 28 février 2006, l’auteur estime ne plus disposer de recours internes efficaces et utiles.

3.7L’auteur mentionne que le cas de son fils a été soumis au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées. Cependant, elle rappelle que le Comité a considéré que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par l’ancienne Commission des droits de l’homme ne constituaient pas une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

3.8L’auteur demande au Comité de prier l’État partie d’ordonner des enquêtes indépendantes en vue de retrouver son fils, de déférer les auteurs de la disparition forcée devant les autorités civiles compétentes pour faire l’objet de poursuites, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du Pacte. Elle demande également une réparation adéquate pour elle et sa famille. Cette réparation devrait comprendre une indemnisation appropriée, ainsi qu’une une réadaptation pleine et entière du fils de l’auteur incluant par exemple une prise en charge médicale et psychologique.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication

4.Le 28 juillet 2008, l’État partie indique qu’il a mobilisé tous les moyens pour localiser le fils de l’auteur. Il s’est enquis auprès des autorités civiles et militaires citées par l’auteur, lesquelles ont apporté un démenti formel quant à l’arrestation de son fils. Par ailleurs, des investigations ont été menées dans l’ensemble des lieux signalés par l’auteur. En aucun cas le fils de l’auteur n’a fait l’objet d’une détention dans les lieux mentionnés. L’examen du registre de l’établissement pénitentiaire de Boufarik cité par l’auteur démontre que son fils n’y a pas été détenu. Selon les déclarations de plusieurs témoins et notamment de son beau-frère, Ramdane Mohamed, consignées sur procès verbal, le fils de l’auteur est un malade mental habitué à fuguer du domicile familial.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 8 septembre 2008, l’auteur note que l’État partie ne fait que retracer la procédure judiciaire qui a été suivie au niveau national. À aucun moment, l’État partie n’apporte de preuves tangibles, que ce soit pour dénier ou pour reconnaître sa responsabilité dans la disparition du fils de l’auteur. La jurisprudence du Comité est pourtant claire, en ce qu’elle fait peser sur l’État partie la charge de fournir des éléments afin de contredire les allégations de l’auteur de la communication. En tout état de cause, le déni explicite ou implicite ne saurait profiter à l’État partie.

5.2Sur le fond, l’auteur rappelle que même si plusieurs témoins ont assisté à l’arrestation de son fils et un policier lui a affirmé à deux reprises que son fils se trouvait détenu au Poste de Commandement Opérationnel sur la route d’El Faas (PCO), les autorités nient l’avoir arrêté. Ce dernier avait de plus été arrêté en mars 1997, soit deux mois avant la seconde arrestation de mai 1997. Il avait alors été détenu 13 jours au poste de gendarmerie de Larbâa où il avait été torturé. L’auteur note qu’à aucun moment, les autorités algériennes ne mentionnent le cas d’Hassan Tabeth interpellé en même temps que son fils et qui a témoigné dès sa sortie de prison qu’un de ses codétenus, Nourredine, avait affirmé avoir été emprisonné à Boufarik avec le fils de l’auteur.

5.3Concernant l’allégation de l’État sur le handicap mental de son fils, l’auteur tient à préciser, que si dans les faits de la communication il est relaté qu’elle s’est rendue, dans le cadre de ses recherches, à l’hôpital psychiatrique (voir par.2.4. ci-dessus), ceci est une démarche instinctive qu’effectuent toutes les familles de disparu(e)s au bout de quelques jours de recherche. Conscientes que la torture est systématique, les familles supposent qu’après avoir subi de tels traitements, leurs proches auraient pu perdre la raison et par conséquent, être placés en hôpital psychiatrique. L’auteur précise qu’il n’a jamais été question d’un handicap mental chez son fils. Elle précise également que le beau-frère, Ramdane Mohamed, n’a jamais été convoqué par les autorités et n’a jamais signé de procès verbal présumant du handicap mental de Menouar Madoui. En revanche, elle se rappelle que dans le cadre de ses démarches, elle a expliqué un jour aux gendarmes que son fils Menouar était la seule source de revenus du foyer et qu’il fallait qu’ils le retrouvent absolument. Elle les a alors informés que son deuxième fils Mohamed Madoui, né le 15 janvier 1965, était handicapé mental et dès lors inapte au travail. Les gendarmes ont alors demandé à l’auteur de leur apporter les documents prouvant le handicap de son fils, ce qu’elle a fait, certaine que les gendarmes allaient en faire bon usage. Il apparaît donc évident que les autorités n’ont à aucun moment mené de véritable enquête.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que la disparition du fils de l’auteur a été signalée au Groupe de travail des Nations Unies sur les disparitions forcées. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l'homme ou le Conseil économique et social des Nations Unies et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l'homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l'homme dans le monde, ne relèvent pas d'une procédure internationale d'enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. Le Comité considère que l'étude des problèmes relatifs aux droits de l'homme d'un caractère plus général, encore qu'elle puisse renvoyer à des informations concernant des individus ou en tirer parti, ne saurait être assimilée à l'examen de cas individuels au sens du paragraphe 2 a) de l'article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l'enregistrement du cas de Menouar Madoui aux fins d'examen par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.Ne voyant aucune autre raison de considérer la communication comme irrecevable, il passe à l’examen quant au fond des griefs présentés par l’auteur au titre de l’article 7, de l’article 9, de l’article 16 et du paragraphe 3 de l’article 2.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations écrites communiquées par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité rappelle la définition des « disparitions forcées » figurant au paragraphe 2 i) de l’article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale : par « disparitions forcées », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée. Tout acte conduisant à une disparition de ce type constitue une violation d’un grand nombre de droits consacrés dans le Pacte, notamment le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (article 9), le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 7) et le droit de toute personne privée de liberté d’être traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne (article 10). Il viole également le droit à la vie ou représente une grave menace pour ce droit (article 6). Dans le cas présent, eu égard à la disparition de son fils depuis le 7 mai 1997, l’auteur a invoqué l’article 7, l’article 9 et l’article 16.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu de manière satisfaisante aux allégations de l’auteur concernant la disparition forcée de son fils. Il rappelle que la charge de la preuve n'incombe pas uniquement à l'auteur d'une communication, d'autant plus que l'auteur et l'État partie n'ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l'État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que l'État partie est tenu d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu'il détient. Dans les cas où l'auteur a communiqué à l'État partie des allégations corroborées par des témoignages sérieux et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l'État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l'État partie n’apporte pas des preuves et des explications satisfaisantes.

7.4Dans le cas d’espèce, le Comité note que le fils de l’auteur a disparu le 7 mai 1997 et que sa famille ignore tout de son sort. Néanmoins, l’auteur a reçu certaines informations de diverses sources indiquant que son fils a été arrêté par les autorités ce jour-là, puis détenu dans plusieurs endroits. En effet, plusieurs militaires lui ont dit que son fils a été détenu au Poste de commandement opérationnel sur la route d’El Faas (voir par.2.3, 2.4 et 2.6 ci-dessus). En outre, elle a appris d’au moins deux personnes, dont un codétenu d’Hassen Tabeth, l’ami de son fils, que son fils a été détenu à la prison de Boufarik (voir par.2.8 et 2.9 ci-dessus). Elle a aussi appris d’une autre personne que son fils a été détenu à la prison de Serkadji (voir par.2.10 ci-dessus). Le Comité note que l’État partie s’est contenté de répondre que le fils de l’auteur n’a pas été arrêté, ni détenu par les autorités. L’État partie a ajouté que le fils de l’auteur aurait des problèmes psychiatriques et se serait simplement enfui du domicile familial. Toutefois, le Comité remarque que l’État partie n’a apporté aucune preuve pour étayer ses déclarations. En l’absence de toute explication satisfaisante de l’État partie sur la disparition du fils de l’auteur, le Comité considère que cette disparition constitue une violation de l’article 7.

7.5Le Comité relève aussi l'angoisse et la détresse que la disparition du fils de l’auteur depuis le 7 mai 1997 a causées à sa mère. Il est donc d'avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l'article 7 du Pacte à son égard.

7.6En ce qui concerne le grief de violation de l'article 9, il ressort des informations devant le Comité que le fils de l’auteur a disparu le 7 mai 1997 à Larbâa. Le Comité note que cette information n’a pas été contestée par l’État partie. Selon l’auteur, son fils a été arrêté par des agents de l’État partie ce jour-là, ce qui a été confirmé par un codétenu d’Hassen Tabeth, l’ami de son fils (voir par.2.8 ci-dessus). En outre, plusieurs personnes lui ont confirmé que suite à son arrestation, son fils fut maintenu en détention dans divers endroits (voir par.7.4. ci-dessus). Le Comité note que l’État partie s’est contenté de répondre que le fils de l’auteur n’a pas été arrêté, ni détenu par les autorités. Toutefois, le Comité remarque que l’État partie n’a apporté aucune preuve pour étayer ses déclarations. En l'absence d'explications satisfaisantes de l'État partie sur les allégations de l'auteur qui affirme que l’arrestation de son fils, puis sa détention au secret ont été arbitraires ou illégales, le Comité conclut à une violation de l'article 9.

7.7 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 16, la question se pose si, et dans quelles circonstances, une disparition forcée peut revenir à refuser de reconnaître la personnalité juridique de la victime. Le Comité observe que l’enlèvement intentionnel d’une personne de la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et, en même temps, si les efforts de ses proches d’avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte) sont systématiquement empêchés. Dans de telles situations, les personnes disparues sont, dans les faits, privées de leur capacité d’exercer leurs droits garanties par la loi, notamment tous leurs autres droits garantis par le Pacte, et d’accéder à un quelconque recours possible en conséquence directe du comportement de l’État qui doit être interprété comme le refus de la reconnaissance de la personnalité juridique de telles victimes. Le Comité prend note que, selon l’article 1, alinéa 2, de la Déclaration sur la protection de toutes personnes contre les disparitions forcées, la disparition forcée constitue une violation des règles du droit international, notamment celles qui garantissent à chacun le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique. De plus, il rappelle que le paragraphe 2 i) de l'article 7 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale reconnaît que « l'intention de soustraire [les personnes] à la protection de la loi pendant une période prolongée » est un élément essentiel de la définition des disparitions forcées. Enfin, l’article 2 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées mentionne que la disparition forcée soustrait la personne concernée à la protection de la loi.

7.8 Dans le cas présent, l’auteur indique que son fils a été arrêté en compagnie de trois autres personnes par des policiers en civil le 7 mai 1997. Il aurait été emmené au Poste de commandement opérationnel, puis à la prison de Boufarik. Aucune nouvelle n’a été reçue de lui depuis ce jour. Le Comité note que l’État partie n’a pas fourni d'explications satisfaisantes sur les allégations de l'auteur qui affirme être sans nouvelle de son fils depuis le 7 mai 1997, et qu’il ne semble pas avoir mené d’enquête approfondie sur le sort du fils de l’auteur, ni fourni un quelconque recours utile à l’auteur. Il considère que quand une personne est arrêtée par les autorités, qu’aucune nouvelle n’est ensuite reçue sur son sort et qu’aucune enquête n’est menée, ce manquement de la part des autorités revient à soustraire la personne disparue à la protection de la loi. Par conséquent, le Comité conclut que les faits dont il est saisi dans la présente communication font apparaître une violation de l’article 16 du Pacte.

7.9 L’auteur a invoqué le paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir à tous les individus des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir ces droits. Le Comité attache de l'importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne. Il rappelle son observation générale 31 (80) qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d'enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l'espèce, les renseignements dont le Comité dispose montrent que l’auteur n'a pas eu accès à un recours utile et le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, l’article 9 et l’article 16 pour le fils de l’auteur, ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7 pour l’auteur elle-même.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits qui lui ont été présentés font apparaître une violation de l’article 7, de l’article 9, de l’article 16, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7, l’article 9 et l’article 16 du Pacte à l’égard du fils de l’auteur ; et de l’article 7 et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 à l’égard de l’auteur elle-même.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur une réparation, sous forme d’indemnisation. Bien que le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier de demander qu'un État poursuive pénalement une autre personne, le Comité estime néanmoins que l'État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations alléguées des droits de l'homme, en particulier lorsqu'il s'agit de disparitions forcées et d’actes de torture, mais aussi d'engager des poursuites pénales contre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. L'État partie est donc également tenu d'engager des poursuites pénales contre les personnes tenues responsables de ces violations, de les juger et de les punir. L’État partie est, en outre, tenu à veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui-ci, il s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans la Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité, en outre, à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

-----