Quarante-deuxième session

20 octobre-7 novembre 2008

Décision du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes en vertu du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

Communication no15/2007 * * * *

Présentée par :MmeZhen Zhen Zheng (représentée par un conseil, M. Michel Arnold Collet)

Au nom de :L’auteur

État partie :Pays-Bas

Date de la communication :22 janvier 2007 (date de la lettre initiale)

Références :Transmises à l’État partie le 7 juin 2007 (non publiées sous forme de document)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination à l ’ égard des femmes, créé en vertu de l’article 17 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes,

Réuni le 27 octobre 2008,

Adopte ce qui suit :

Décision relative à la recevabilité

L’auteur de la communication datée du 22 janvier 2007 avec informations supplémentaires datées du 12 mars 2007 est MmeZhen Zhen Zheng, une demandeuse d’asile chinoise vivant actuellement à Deventer, aux Pays-Bas. MmeZheng se dit victime d’une violation par les Pays-Bas de l’article 6 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle est représentée par un conseil, M. Michel Arnold Collet. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 22 août 1991 et le 22 août 2002, respectivement.

Rappel des faits présentés par l’auteur

L’auteur est née le 3 mars 1986 dans la province chinoise de Sichuan. Elle a mené en Chine une vie pénible. Elle n’a guère reçu d’instruction. À la mort de sa grand-mère, elle a vécu dans la rue. Elle a été maltraitée, violée et forcée à la prostitution en Chine.

L’auteur a été emmenée aux Pays-Bas avec plusieurs autres personnes par des trafiquants qui voulaient les prostituer. On les a conduites dans une maison d’où elles ont fui. MmeZheng est restée une nuit chez un jeune homme. Une Chinoise l’a ensuite hébergée et lui a fait faire de durs travaux ménagers. Environ huit mois plus tard, sa grossesse est devenue manifeste et elle a été jetée à la rue. Le 22 juin 2003, elle a donné naissance à une fille.

MmeZheng a demandé l’asile le 28 avril 2003, alors qu’elle était enceinte. Pendant la seconde audition, elle a parlé des mauvais traitements qu’elle avait subis, notamment l’intimidation et le viol.

Le 1er mai 2003, le Service de l’immigration et des naturalisations a rejeté la demande d’asile de l’auteur car elle ne pouvait pas donner de précisions concernant son voyage de Chine aux Pays-Bas, n’avait pas de pièces d’identité et avait attendu huit mois avant de demander l’asile. Le 27 mai 2003, le tribunal du district de La Haye, sis à Zwolle, l’a déboutée de son appel au motif qu’elle ne serait pas en danger si elle retournait en Chine.

Le 1er mai 2003, le Service de l’immigration a refusé de lui accorder un permis de séjour pour cause de minorité ou de maternité au motif que la Chine offrait suffisamment de soins aux mineurs et avait les moyens de s’occuper des mères célibataires et de leurs enfants. Le 19 août 2003, la demande en révision formée par l’auteur a été déclaré infondée. Le 16 septembre 2003, elle a interjeté appel auprès du tribunal du district, qui l’a déboutée le 13 février 2006 en refusant toute mesure provisoire. Le Tribunal s’est fondé uniquement sur une publication du Ministère des affaires étrangères selon laquelle la Chine fournissait des soins suffisants aux mineurs et aux mères célibataires. Le 13 mars 2006, l’auteur s’est pourvue devant le Conseil d’État. Son pourvoi a été rejeté le 24 juillet 2006.

Le 17 août 2006, l’auteur a présenté au Service de l’immigration une demande exceptionnelle, invoquant la durée de son séjour aux Pays-Bas et son adaptation à la culture néerlandaise. Le permis de séjour lui a été refusé par une décision du 26 septembre 2006 et elle a fait un appel. Elle a été déboutée le 16 mai 2007. Son pourvoi en révision du 11 juin 2007 est encore en instance au tribunal du district.

Teneur de la plainte

L’auteur se plaint d’être victime d’une violation par l’État partie de l’article 6 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Elle souligne que cet article protège les femmes contre la traite et la prostitution forcée. Elle affirme que, bien que l’État partie en ait conscience dans une certaine mesure et veuille tout faire pour réprimer ce crime, il a tendance à en oublier la nature et à agir d’une manière contraire à l’article 6 de la Convention.

L’auteur affirme que, bien qu’on sache communément que de nombreuses femmes sont victimes de la traite en Chine, il est difficile de déterminer comment les trafiquants opèrent étant donné qu’un vaste réseau de personnes travaillent en secret. Elle affirme qu’il est difficile, voire impossible, de poursuivre les responsables, qu’on ne sait où trouver, et que le témoignage d’une seule personne ne suffit pas pour détruire un réseau et poursuivre les responsables.

L’auteur indique qu’en droit néerlandais, une femme peut obtenir un permis de séjour si elle signale à la police qu’elle a été victime de la traite et si la police ouvre une enquête judiciaire pour trouver les responsables.

L’auteur affirme que les agents de l’immigration ont omis de lui dire qu’elle pouvait signaler à la police qu’elle avait subi des mauvais traitements et obtenir de ce fait un permis de séjour spécial. Elle ajoute qu’ils auraient dû réaliser à la deuxième audition qu’elle avait été victime d’esclavage et de prostitution; son dossier médical indiquait qu’elle avait été traumatisée. Enfin, ils auraient dû s’inquiéter des signes d’oppression évidents qu’elle présentait.

L’auteur souligne qu’il importe de se rappeler que toute victime évoquant son cas auprès d’un organisme public tel que le Service de l’immigration se rend très vulnérable, notamment parce que le risque est grand qu’un membre du réseau de trafiquants apprenne qu’elle s’est adressée aux autorités.

L’auteur affirme que l’État partie a violé l’article 6 de la Convention en n’accordant pas l’attention voulue à sa demande d’asile alors qu’elle était encore mineure et en ne lui apportant ni l’aide juridique spécialisée ni la protection ni le soutien dont elle avait besoin. Elle ajoute que les agents de l’immigration n’ont pas tenu compte de son faible niveau d’instruction ni du fait qu’elle était mineure. De ce fait, elle n’a pu préciser comment elle était arrivée aux Pays-Bas ni de quelle localité de Chine elle venait. Ils ne lui ont pas non plus conseillé d’aller signaler à la police ce qu’elle avait subi.

Par la faute de l’État partie, l’auteur a été traumatisée pendant la procédure d’asile et est devenue suicidaire à cause de la précarité de sa situation. Elle soutient que la politique de l’immigration de l’État partie revient à incriminer la victime de la traite parce qu’elle ne peut décrire son parcours ou présenter une pièce d’identité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Dans sa réponse du 7 août 2007, l’État partie soutient que la communication n’est pas recevable parce que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes ni apporté suffisamment d’éléments à l’appui de ses dires.

S’agissant de l’épuisement des recours internes concernant la procédure d’asile, l’État partie soutient que l’auteur aurait pu faire appel du jugement rendu le 27 mai 2003 par le tribunal du district de La Haye devant la Division de la juridiction administrative du Conseil d’État (Afdeling bestuursrechtspraak van de Raad van State). Il soutient aussi que l’auteur n’a pas saisi les tribunaux internes sur le fond en ce qui concerne la prétendue violation de l’article 6 de la Convention, lui ôtant ainsi la possibilité d’y remédier. L’État partie rappelle à cet égard la décision du Comité dans l’affaire Constance Ragan Salgado c. Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d ’ Irlande du Nord (communication no11/2006).

L’État partie note aussi que l’appel de l’auteur contre la décision du 26 septembre 2006 lui refusant un permis de séjour a été rejeté le 16 mai 2007 et que son pourvoi en révision du 11 juin 2007 est encore en instance au tribunal du district.

De plus, l’État partie affirme que la présente communication n’a pas été motivée aux fins de sa recevabilité. L’auteur évoque l’article 6 de la Convention en termes très généraux sans indiquer en quoi il a été violé en l’espèce.

Pour ces raisons, l’État partie soutient que la communication est irrecevable en vertu des paragraphes 1 et 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

Tout en se réservant le droit de faire plus tard des observations complémentaires sur le fond, l’État partie estime infondée l’assertion selon laquelle le Service de l’immigration aurait fait preuve de négligence en ne disant pas à l’auteur qu’elle pouvait signaler aux autorités de police qu’elle avait été victime de la traite et faire ainsi valoir ses droits dans le cadre du système spécial de protection des victimes, des témoins et des informateurs (le « système B9 »). L’État partie indique que ce système permet aux victimes de la traite qui ont saisi les autorités de police de recevoir, pour la durée de l’enquête et de l’action pénale contre les suspects, un permis de séjour temporaire susceptible d’être ensuite converti en permis permanent si d’impérieuses raisons humanitaires le justifient. Il soutient que l’auteur n’a fait aucune déclaration probante ni présenté aucun document à l’appui de sa demande d’asile. Il note qu’elle n’a guère pu donner d’informations sur son identité, sur les membres de sa famille, sur son passé ni sur la façon dont elle est arrivée aux Pays-Bas. Il note aussi qu’elle n’a pas pu donner les noms de ses parents ni de la grand-mère par laquelle elle dit avoir été élevée, ni indiquer de quelle ville de Chine elle était partie, quels pays elle avait traversés ou par quels moyens de transport elle était arrivée aux Pays-Bas. Elle n’a pas pu non plus indiquer qui l’avait accompagnée dans son voyage, ni où et avec qui elle avait résidé pendant huit mois environ avant de faire sa demande d’asile. L’auteur n’a pas donné d’autres informations lors des phases ultérieures de la procédure, c’est-à-dire lorsqu’elle a eu l’occasion de réagir à la notification du 1er mai 2003 lui signifiant que sa demande d’asile allait être rejetée, ou dans l’avis d’objection qu’elle a présenté le 7 mai 2003 dans le cadre de la procédure menée pour obtenir un permis de séjour. L’État partie conclut donc que rien dans les déclarations de l’auteur n’aurait dû amener le Service de l’immigration à lui dire qu’elle pouvait signaler aux autorités de police qu’elle avait été victime de la traite. Même si elle l’avait fait, il est peu probable que les autorités aient décidé de faire une enquête, pour les mêmes raisons.

L’État partie souligne que l’auteur a été assistée dans ses recours internes par un conseiller juridique qui, s’il y avait eu lieu de le faire, lui aurait probablement dit qu’elle pouvait s’adresser aux autorités de police et demander la protection prévue dans le cadre du système B9.

Enfin, l’État partie indique que même lorsque l’auteur a su qu’elle pouvait signaler aux autorités de police qu’elle avait été victime de la traite, elle ne l’a pas fait.

L’État partie conclut que, si le Comité jugeait la communication recevable, sa décision serait infondée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Dans sa réplique du 20 septembre 2007, l’auteur affirme avoir épuisé les recours internes. Elle explique que l’État partie fait une distinction nette (un « cloisonnement ») entre deux groupes de réfugiés, les demandeurs d’asile (asiel), qui affirment qu’ils auraient à craindre pour leur vie s’ils devaient retourner dans leur pays, et les réfugiés ordinaires (régulier), tels que les victimes de la traite qui font une demande de permis de séjour. La Division de la juridiction administrative du Conseil d’État appliquerait ce cloisonnement. L’auteur soutient donc que la question de l’épuisement des recours internes ne se pose pas pour ce qui est de la demande d’asile et que, le Conseil d’État ayant rejeté son pourvoi concernant sa demande de permis de séjour le 24 juillet 2006, tous les recours internes ont été épuisés.

L’auteur dit avoir clairement indiqué dans sa communication en quoi l’article 6 de la Convention a été violé. Elle a dit lors de sa deuxième audition au Service de l’immigration qu’elle avait été contrainte de coucher avec des hommes, violée à plusieurs reprises et séquestrée. Elle maintient que l’absence de réaction de l’État partie face aux informations qu’elle lui a fournies constitue un manquement aux obligations visées à l’article 6 de la Convention. L’État partie dispose d’équipes spécialisées qui s’occupent de la question très délicate de la traite et le Service de l’immigration aurait dû au moins signaler à l’auteur qu’elle pouvait s’adresser à la police.

L’auteur affirme qu’elle n’était pas à même de donner des informations précises sur ce qui lui était arrivé à cause de son faible niveau d’instruction et du traumatisme qu’elle avait subi. Elle ajoute qu’en tout état de cause ce n’est pas au Service de l’immigration mais au parquet qu’il appartient de décider s’il y a suffisamment d’éléments pour ouvrir une enquête en cas d’allégation de traite. Elle répète qu’elle aurait dû bénéficier d’une attention particulière de la part d’équipes spécialisées qui auraient dû enquêter pour déterminer s’il y avait lieu d’engager une procédure dans le cadre du système B9.

L’auteur conteste l’interprétation de l’État partie selon laquelle son ancien avocat n’avait pas engagé de procédure dans le cadre du système B9 parce que ce n’était pas nécessaire. Il peut ne pas l’avoir fait pour de nombreuses autres raisons, notamment parce qu’il y a quelques années, beaucoup d’avocats ignoraient encore l’existence de cette procédure.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

Tout en prenant note de l’argument de l’auteur selon lequel il importe peu qu’elle n’ait pas épuisé tous les recours qu’elle pouvait exercer dans le cadre de la procédure d’asile parce que le système B9 n’en fait pas partie, l’État partie estime que cela ne change rien au fait qu’elle n’a pas épuisé ces recours internes.

S’agissant de la procédure de demande de permis de séjour, l’État partie maintient que l’auteur n’a pas apporté d’éléments à l’appui de ses griefs en ce qui concerne l’article 6 de la Convention. Il rappelle aussi que la nouvelle procédure que l’auteur a engagée pour obtenir un permis de séjour temporaire en faisant valoir qu’elle avait été victime de la traite est encore en instance et qu’elle n’a toujours pas signalé son cas à la police, ce qui fait que la procédure prévue dans le cadre du système B9 n’a pas pu être engagée.

Sur le fond de la communication, l’État partie répète que l’auteur n’a pas fourni de preuves à l’appui de sa demande d’asile. Rien ne permettait donc au Service de l’immigration de penser qu’il devait lui conseiller de signaler à la police qu’elle avait été victime de la traite. L’État partie admet que ce n’est pas au Service de l’immigration mais bien à la police de décider si les informations présentées pourraient donner lieu à une enquête. Il note qu’en l’espèce l’auteur n’a pas dit que le Service de l’immigration avait pris une telle décision. S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel beaucoup de ceux qui apportent une aide juridique ignorent qu’on peut signaler un cas de traite, l’État partie note que l’auteur, pourtant au fait de cette possibilité désormais, ne s’est toujours pas présentée à la police.

Examen de la recevabilité

Selon l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité décide si une communication est ou n’est pas recevable en vertu du Protocole facultatif. Selon le paragraphe 4 de l’article 72 dudit règlement, il le fait avant de se prononcer sur le fond.

Le Comité s’est assuré que l’affaire n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et n’avait pas déjà été examinée.

Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif parce que tous les recours internes n’ont pas été épuisés, ni pour ce qui est de l’asile, l’auteur n’ayant pas fait appel de la décision prise le 27 mai 2003 par le Tribunal du district de La Haye devant la Division de la juridiction administrative du Conseil d’État, ni pour ce qui est de l’obtention du permis de séjour, son pourvoi en révision du 11 juin 2007 étant encore en instance. Le Comité rappelle que le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif lui interdit de déclarer une communication recevable sans avoir vérifié que « tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen ». Il note que le seul article de la Convention sur lequel l’auteur se fonde concernant les faits de l’espèce est l’article 6. Il note également que l’auteur n’a saisi les autorités de l’État partie d’aucune question relevant de cette disposition et que, sachant que le trafic des êtres humains peut motiver l’octroi d’un permis de séjour, elle n’a pas profité de cette possibilité en s’adressant à la police. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’auteur d’une communication doit saisir les tribunaux nationaux sur le fond avant de s’adresser au Comité afin que les autorités et juridictions nationales puissent examiner ses griefs. Le Comité note en outre que le pourvoi en révision de l’auteur est encore en instance et qu’elle n’a pas établi que cette procédure excédait des délais raisonnables ou qu’il était improbable qu’elle obtienne réparation par ce moyen. Le Comité rappelle la jurisprudence du Comité des droits de l’homme selon laquelle un simple doute quant à l’efficacité des procédures ne dispense pas l’intéressé de l’obligation d’épuiser les recours internes. Tout en étant sensible à l’impossibilité pour l’auteur d’expliquer comment elle a pu se rendre de Chine aux Pays-Bas, à son analphabétisme, aux difficultés qu’elle a rencontrées en se retrouvant très tôt orpheline et aux conditions de vie pénibles qu’elle a connues depuis son arrivée aux Pays-Bas, le Comité ne peut se saisir de l’affaire tant que l’auteur n’a pas recouru à la procédure prévue par la loi néerlandaise. Par ce motif, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes juge la présente communication irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, les recours internes n’ayant pas été épuisés.

En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif au motif que tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

Opinion individuelle dissidente de Mary Shanthi Dairiam,Violeta Neubauer et Silvia Pimentel membres du Comité

Nous estimons que la communication est recevable. Nous notons l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes parce que tous les recours internes n’ont pas été épuisés, ni pour ce qui est de l’asile, l’auteur n’ayant pas fait appel de la décision prise le 27 mai 2003 par le Tribunal du district de La Haye devant la Division de la juridiction administrative du Conseil d’État, ni pour ce qui est de l’obtention du permis de séjour, le pourvoi en révision du 11 juin 2007 étant encore en instance. Nous rappelons que le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif interdit au Comité de déclarer une communication recevable sans avoir vérifié que « tous les recours internes ont été épuisés, à moins que la procédure de recours n’excède des délais raisonnables ou qu’il soit improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen ». Nous estimons que la plainte porte sur la question de la traite et que ni la procédure d’asile ni celle visant à obtenir permis de séjour, toutes deux engagées pour d’autres motifs que la traite, ne sont en cause. Nous estimons que l’État partie se doit de protéger les victimes d’un crime international tel que la traite des êtres humains et de donner aux agents de l’autorité publique une formation leur permettant de reconnaître les victimes de ce crime et de les informer des moyens de protection dont ils disposent. Nous notons aussi que les victimes de la traite se trouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité et méritent donc de recevoir des indications sur les recours qu’il y a lieu d’exercer.

Nous estimons que les allégations de l’auteur se rapportant à l’article 6 de la Convention sont suffisamment motivées aux fins de la recevabilité et les déclarons recevables.

Nous avons examiné la présente communication en tenant compte de toutes les indications communiquées par l’auteur et par l’État partie, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

L’article 6 de la Convention dispose que « les États parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des dispositions législatives, pour réprimer, sous toutes leurs formes, le trafic des femmes et l’exploitation de la prostitution des femmes ».

S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie a violé l’article 6 de la Convention, nous notons que l’État partie à répondu qu’à aucun moment l’auteur n’avait fermement établi qu’elle avait été victime de la traite ni saisi les tribunaux internes sur le fond en ce qui concerne cette violation, le privant ainsi d’une possibilité de réparer, et qu’elle n’avait évoqué l’article 6 qu’en des termes très généraux. Nous notons que, selon l’État partie, l’auteur n’a donné aucune information, que ce soit lorsqu’elle a demandé l’asile ou à un stade ultérieur de la procédure, permettant au Service de l’immigration de penser qu’elle avait été victime de la traite et qu’il devait lui faire savoir qu’elle pouvait demander la protection prévue dans le cadre du système B9. Nous notons aussi que, selon l’État partie, même si l’auteur s’était adressée à la police, celle-ci n’aurait probablement pas ouvert une enquête, faute d’informations. Nous notons enfin l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur, pourtant informée par son conseil, n’a toujours pas engagé de procédure dans le cadre du système B9.

Nous trouvons toutefois dans les comptes rendus des auditions et dans les rapports joints à la communication de nombreux éléments qui auraient dû amener les agents de l’immigration à se douter qu’elle avait été victime de la traite. Par exemple, comme l’affirme l’auteur, ils auraient dû noter à la deuxième audition qu’elle avait été victime d’esclavage et de prostitution, forcée de coucher avec des hommes, violée à plusieurs reprises et séquestrée. Ce sont des signes évidents que l’auteur a été victime de la traite, selon la définition donnée aux paragraphes a) et b) de l’article 3 du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme), auquel les Pays-Bas sont devenus partie le 27 juillet 2005. Nous notons également que l’auteur a un niveau d’instruction limité, au point qu’elle ne peut expliquer comment elle a voyagé de Chine aux Pays-Bas, qu’elle ne sait pas lire et qu’ayant perdu ses parents très jeune, elle a été abandonnée et s’est trouvée dans l’indigence à la mort de sa grand-mère. Nous notons enfin que le rapport médical joint à la communication confirme que l’auteur présente les signes caractéristiques d’une victime de la traite.

Vu la nature du crime de la traite et la difficulté pour les victimes, souvent ignorantes et traumatisées, de donner des détails précis sur ce qu’elles ont vécu, nous estimons que le Service de l’immigration n’a pas agi avec la diligence qu’exigeait la situation de l’auteur lorsque, n’ayant pas réalisé qu’elle avait peut-être été victime de la traite, il ne l’a pas informée de ses droits, notamment de la possibilité d’engager une procédure dans le cadre du système B9. En vertu du Protocole de Palerme, cette obligation ressort clairement de l’article 6. En outre, nous tenons à rappeler que dans les observations finales adressées à l’État partie en 2007, le Comité l’a prié instamment de fournir toutes les prestations nécessaires aux victimes de la traite, qu’elles soient capables de coopérer ou non.

En vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, nous estimons que les faits dont le Comité a été saisi révèlent qu’il y a eu violation de l’article 6 de la Convention et adressons à l’État partie les recommandations suivantes :

I.S’agissant de l’auteur de la communication : prendre des mesures afin de déterminer si elle a effectivement été victime de la traite et, si c’est le cas, prendre en sa faveur les mesures de protection visées à l’article 6 du Protocole de Palerme.

II.En général :

a)Prendre des mesures pour que les gardes frontière, les policiers et les agents de l’immigration reçoivent une formation appropriée de sorte qu’ils puissent reconnaître rapidement les victimes de la traite en leur posant les questions adéquates; fournir des instructions afin que les méthodes d’audition tiennent compte de la vulnérabilité des victimes de la traite souffrant de troubles post-traumatiques.

b)Veiller à ce que les victimes présumées de la traite bénéficient de services et de conseils et soient informées des procédures à suivre pour obtenir une protection spéciale.

Nous tenons en outre à souligner à l’intention de l’État partie qu’un des buts essentiels du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, lorsqu’il est invoqué par des femmes, est de donner aux États parties l’occasion de prendre conscience des lacunes de ses procédures, de ses institutions juridiques et administratives et des processus de mise en œuvre du système juridique qui empêchent les femmes d’exercer les recours prévus, et donc de prendre des mesures pour remédier à ces lacunes.

(Signé) Mary Shanti DairiamVioleta NeubauerSilvia Pimentel