NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.

GÉNÉRALE

CAT/C/CR/31/6

11 février 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente et unième session10‑21 novembre 2003

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Cameroun

Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Cameroun (CAT/C/34/Add.17) à ses 585e, 588e et 590e séances, tenues les 18, 19 et 20 novembre 2003 (CAT/C/SR.585, 588 et 590) et a adopté les conclusions et recommandations suivantes.

Introduction

Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport du Cameroun, qui a été établi conformément aux directives du Comité, et qui contient des réponses aux précédentes recommandations du Comité. Il remarque toutefois que le rapport, soumis fin 2002, ne couvre que la période 1996-2000. Le Comité se félicite de la présence d’une délégation composée d’experts de haut niveau, qui a répondu aux nombreuses questions qui lui ont été posées.

Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction les éléments suivants:

a)L’effort accompli par l’État partie pour adopter des mesures législatives de mise en application de la Convention;

b)Le démantèlement en 2001, conformément à la recommandation du Comité, du commandement opérationnel de Douala, chargé de la lutte contre le grand banditisme;

c)L’augmentation du nombre de fonctionnaires de police, conformément à la recommandation du Comité;

d)Le projet de construire des prisons supplémentaires pour remédier à la surpopulation carcérale, et la mesure de grâce collective accordée en novembre 2002 permettant la libération immédiate de 1 757 détenus;

e)L’assurance donnée par la délégation selon laquelle la vérification de la situation individuelle des prévenus et des appelants devra à terme aboutir à l’élargissement de l’éventail des personnes en détention préventive, notamment les mineurs, les femmes et les malades;

f)Le projet de restructurer le Comité national des droits de l’homme et des libertés (CNDHL), en vue de lui conférer un plus grand degré d’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif, et de donner une meilleure visibilité à son action;

g)La finalisation en cours d’une loi contre les violences faites aux femmes;

h)La création d’un comité technique ad hoc pour la mise en œuvre du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, en vue de la ratification de ce Statut;

i)La création de neuf nouvelles juridictions en 2001.

Sujets de préoccupation

Le Comité rappelle qu’en 2000 il avait constaté que la torture semblait être une pratique fort répandue au Cameroun, et se déclare préoccupé par des informations faisant état de la persistance de cette situation. Il exprime son inquiétude face aux contradictions profondes existant entre les allégations concordantes faisant état de violations graves de la Convention et les informations apportées par l’État partie. Le Comité, en particulier, se déclare préoccupé par:

a)Des informations relatives à l’usage systématique de la torture dans les commissariats de police et de gendarmerie, après l’arrestation;

b)La persistance d’une surpopulation extrême dans les prisons camerounaises, au sein desquelles les conditions de vie et d’hygiène mettraient en danger la santé et la vie des détenus, et équivaudraient à des traitements inhumains et dégradants. Les soins médicaux seraient payants, et la séparation des hommes et des femmes ne serait pas toujours garantie en pratique. Le Comité note avec inquiétude, en particulier, le nombre élevé de décès survenus à la prison centrale de Douala depuis le début de l’année (25 selon l’État partie, 72 selon les ONG);

c)Des informations faisant état de tortures, mauvais traitements et détentions arbitraires commis sous la responsabilité de certains chefs traditionnels, avec parfois l’appui des forces de l’ordre.

Le Comité constate avec préoccupation que:

a)Le projet de code de procédure pénale n’a toujours pas été adopté;

b)Le délai de garde à vue, selon le projet de code de procédure pénale, pourra être prorogé de 24 heures par 50 kilomètres séparant le lieu d’arrestation du lieu de garde à vue;

c)Les délais de garde à vue ne seraient pas respectés en pratique;

d)Les délais de garde à vue sont trop longs dans le cadre de la loi n° 90/054 du 19 décembre 1990 contre le grand banditisme (15 jours renouvelables une fois), et de la loi no 90/047 du 19 décembre 1990 relative à l’état d’urgence (jusqu’à deux mois renouvelables une fois);

e)Le recours aux registres dans tous les lieux de détention n’a pas encore été systématisé;

f)Il n’existe pas de prescription légale fixant la durée maximale de la détention préventive;

g)Le système de supervision des lieux de détention n’est pas effectif, que la tutelle de l’administration pénitentiaire relève du Ministère de l’administration territoriale, que les commissions de surveillance des lieux de détention n’ont pu se réunir régulièrement, et que, selon certaines informations, les procureurs et le Comité national des droits de l’homme et des libertés ne visitent que rarement les lieux de détention;

h)La notion d’«ordre manifestement illégal» manque de précision, et comporte un risque de limiter le champ d’application de l’article 2, paragraphe 3, de la Convention;

i)Les appels formulés devant la juridiction administrative demandant l’annulation des mesures de reconduite à la frontière ne sont pas suspensifs, ce qui peut conduire à une violation de l’article 3 de la Convention.

Le Comité, tout en saluant l’effort accompli par l’État partie pour transmettre des informations relatives aux poursuites des agents de l’État coupables de violations des droits de l’homme, est préoccupé par des informations faisant état de l’impunité des auteurs d’actes de torture. Il s’inquiète en particulier:

a)De ce que les gendarmes ne peuvent être poursuivis, dans le cas d’infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions, qu’après autorisation du Ministère de la défense;

b)D’informations selon lesquelles des poursuites auraient été effectivement engagées contre les auteurs de tortures dans les seuls cas où un décès de la victime était suivi de manifestations publiques;

c)Du fait que l’affaire dite des «Neuf de Bépanda» n’ait toujours pas été résolue à ce jour;

d)De la réticence des victimes ou de leurs proches de porter plainte, par ignorance, manque de confiance, et peur de représailles;

e)D’informations faisant état de la recevabilité de preuves obtenues sous la torture devant les juridictions.

Le Comité s’inquiète en outre:

a)De la compétence donnée aux tribunaux militaires pour juger des civils en cas d’infractions à la législation sur les armes de guerre et assimilées;

b)De l’absence de législation relative à l’interdiction des mutilations génitales féminines;

c)Du fait que le Code pénal organise l’exemption de peine de l’auteur d’un viol si celui-ci se marie avec la victime.

Recommandations

Le Comité exhorte l’État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre fin à la pratique de la torture sur son territoire. Il recommande que l’État partie:

a)Fasse cesser immédiatement la torture dans les commissariats de police, les gendarmeries et les prisons. L’État partie devrait assurer une supervision effective de ces lieux de détention, permettre aux ONG d’y effectuer des visites, et renforcer les capacités des commissions de surveillance des prisons. Le CNDHL et les procureurs devraient effectuer des visites plus fréquentes dans tous les lieux de détention;

b)Procède immédiatement à une enquête indépendante relative aux décès survenus dans la prison centrale de Douala, et traduise en justice les responsables;

c)Adopte des mesures urgentes pour faire baisser le taux de surpopulation carcérale. L’État partie devrait adopter une loi fixant la durée maximale de la détention préventive, envisager de libérer immédiatement les délinquants ou suspects emprisonnés pour la première fois pour des infractions mineures, en particulier s’ils sont âgés de moins de 18 ans, ceux-ci ne devant pas être incarcérés tant que le problème de la surpopulation carcérale n’aura pas été réglé;

d)Garantisse la gratuité des soins dans les prisons, assure en pratique le droit des détenus à une nourriture suffisante, et rende effective la séparation des hommes et des femmes;

e)Fasse cesser immédiatement les tortures, mauvais traitements et détentions arbitraires commis sous la responsabilité des chefs traditionnels du Nord. Le Comité, prenant acte de l’assurance de la délégation selon laquelle des poursuites sont engagées en de tels cas, recommande à l’État partie d’accroître ses efforts. Les populations concernées devraient être dûment informées de leurs droits et des limites de l’autorité et des pouvoirs de ces chefs traditionnels.

Le Comité recommande en outre que l’État partie:

a)Adopte de toute urgence et assure la mise en œuvre effective d’une loi énonçant le droit de toutes les personnes gardées à vue, dans les premières heures de la détention, d’accéder à un avocat de leur choix et à un médecin indépendant, et d’informer leurs proches de leur détention. Le Comité rappelle en outre que toute prolongation de garde à vue devrait être autorisée par un magistrat;

b)Renonce, dans son projet de code de procédure pénale, à la possibilité de proroger le délai de garde à vue en fonction de la distance qui sépare le lieu d’arrestation du lieu de garde à vue, et assure le strict respect des délais de garde à vue en pratique;

c)Fasse en sorte que les gardes à vue effectuées en vertu de la loi sur l’état d’urgence se conforment aux normes internationales en matière de droits de l’homme, et qu’elles n’excèdent pas une durée supérieure à celle requise par les exigences de la situation. L’État partie devrait supprimer les possibilités de gardes à vue administrative et militaire;

d)Systématise de toute urgence le recours aux registres dans tous les lieux de détention;

e)Sépare la police des autorités chargées des prisons, par exemple en transférant la tutelle de l’administration pénitentiaire au Ministère de la justice;

f)Clarifie la notion d’«ordre manifestement illégal», de façon à ce que les agents de l’État, en particulier les agents de police, les militaires, les gardiens de prison, les magistrats et avocats, en mesurent clairement les implications. Une formation spécifique devrait être assurée à ce propos;

g)Confère un caractère suspensif à l’appel d’un étranger contre la décision de la juridiction administrative de confirmer une mesure de reconduite à la frontière.

Le Comité recommande à l’État partie de multiplier ses efforts pour mettre fin à l’impunité des auteurs d’actes de torture, en particulier en:

a)Enlevant toutes restrictions, en particulier par le Ministère de la défense, à la poursuite des gendarmes, et en donnant compétence aux juridictions de droit commun pour connaître des infractions commises par des gendarmes dans l’exercice de leurs fonctions en matière de police judiciaire;

b)Poursuivant son enquête pour résoudre l’affaire des «Neuf de Bépanda». Le Comité recommande également qu’une enquête approfondie soit opérée sur les agissements du commandement opérationnel de Douala pendant la durée de son fonctionnement, et, par extension, sur toutes les unités antigangs qui seraient encore actuellement en service;

c)Veillant à ce que ses autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale, chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture a été commis. À cette fin, le Comité recommande que soit créé un organe indépendant habilité à recevoir et instruire toutes les plaintes faisant état de tortures ou autres mauvais traitements infligés par des agents de l’État;

d)Assurant la protection des victimes et des témoins contre toute intimidation ou mauvais traitement, et en informant la population de ses droits, notamment en matière de plainte contre les agents de l’État;

e)Adoptant dans les plus brefs délais une loi rendant irrecevables les preuves obtenues sous la torture dans toutes procédures, et assurant sa mise en œuvre dans la pratique.

Le Comité recommande en outre aux autorités camerounaises:

a)De procéder à la réforme du CNDHL en vue d’un meilleur respect des Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme (Principes de Paris);

b)De réduire la compétence des tribunaux militaires aux infractions purement militaires;

c)D’édicter une loi relative à l’interdiction des mutilations génitales féminines;

d)De revoir sa législation en vue de mettre fin à l’exemption de peine de l’auteur d’un viol si celui-ci se marie avec la victime;

e)D’envisager de ratifier le Protocole facultatif à la Convention contre la torture.

Le Comité recommande que les présentes conclusions et recommandations, de même que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen du troisième rapport périodique de l’État partie, soient largement diffusées dans le pays dans les langues appropriées.

Le Comité recommande que le prochain rapport périodique contienne des informations précises sur les garanties minimales actuelles en matière de contrôle juridictionnel et de droits des personnes gardées à vue, et sur leur mise en œuvre dans la pratique.

Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite que celui‑ci aura donnée à ses recommandations figurant aux paragraphes 8 b) et c); 9 c) et d); et 10 a) ci‑dessus. En particulier, le Comité désire recevoir des informations précises sur les poursuites et sanctions prononcées contre des chefs traditionnels, et les faits qui leur ont été reprochés. Un état détaillé de la situation dans la prison centrale de Douala est également attendu.

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