NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/CR/29/223 décembre 2002

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ CONTRE LA TORTUREVingt‑neuvième session11‑22 novembre 2002

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

VENEZUELA

1.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique du Venezuela (CAT/C/33/Add.5) à ses 538e , 541e et 545e séances, tenues les 18, 19 et 21 novembre 2002 (CAT/C/SR.538, 541 et 545) et a adopté les conclusions et recommandations suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique du Venezuela, qui aurait dû être soumis en août 1996, a été reçu en septembre 2000 et actualisé en septembre 2002. Ce rapport contient les renseignements que l’État partie aurait dû faire figurer dans le troisième rapport périodique, lequel était attendu en août 2000.

3.Le Comité note que dans le rapport figurent d’amples renseignements sur les dispositions juridiques entrées en vigueur depuis la présentation du précédent rapport mais aucune indication sur les faits touchant à l’application dans la pratique de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ainsi, le rapport ne mentionne aucun cas ou aucune affaire porté devant les autorités judiciaires, administratives ou autres ayant juridiction pour les questions visées dans la Convention.

4.Le Comité disposait aussi d’un complément d’information fourni par l’État partie ainsi que d’un rapport établi spécialement par le Bureau du Défenseur du peuple. Les affaires exposées dans ce document et ses annexes ont été très utiles au Comité pour évaluer le respect des obligations incombant à l’État partie en vertu de la Convention.

5.Le Comité remercie l’État partie d’avoir dépêché une délégation nombreuse et compétente, composée de représentants gouvernementaux et du Bureau du Défenseur du peuple, avec lesquels il a eu un dialogue franc et constructif qui a facilité l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

6.Le Comité se félicite de l’entrée en vigueur, le 30 décembre 1999, de la nouvelle Constitution de la République bolivarienne du Venezuela, qui incorpore des avancées dans le domaine des droits de l’homme. En particulier, le Comité juge positif que la Constitution:

a)Confère rang constitutionnel aux traités, pactes et conventions relatifs aux droits de l’homme, pose leur primauté dans l’ordre interne, indique que leurs dispositions sont d’application immédiate et directe et dispose que l’absence de textes d’application relatifs à ces droits n’en affecte pas l’exercice;

b)Reconnaisse à chaque personne le droit d’adresser des pétitions ou plaintes aux organismes internationaux créés à cet effet pour obtenir la protection de ses droits fondamentaux, disposition qui est conforme à la déclaration faite par l’État partie en 1994 en vertu de l’article 22 de la Convention;

c)Impose à l’État l’obligation d’enquêter sur les infractions attentatoires aux droits de l’homme et de réprimer ces infractions, déclare imprescriptibles les actions les visant, et écarte s’agissant desdites infractions toute disposition, telle que l’amnistie et la grâce, susceptible de se traduire par l’impunité;

d)Investisse les juridictions ordinaires de jugement de la compétence de connaître des violations des droits de l’homme et des crimes contre l’humanité;

e)Impose à l’État l’obligation d’indemniser intégralement les victimes de violations des droits de l’homme et reconnaisse le droit des victimes d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés ou tolérés par des agents de l’État à une réadaptation et une réparation;

f)Réglemente de manière adéquate les garanties concernant la détention, telles que: l’exigence d’un mandat judiciaire préalable pour procéder à toute arrestation ou détention, sauf en cas de flagrant délit; l’élévation au rang de principe constitutionnel de l’obligation − déjà inscrite dans le Code de procédure pénale − de présenter tout détenu à l’autorité judiciaire dans les 48 heures; la règle générale consistant à laisser l’inculpé en liberté, la détention provisoire étant l’exception;

g)Reconnaisse une série de garanties aux détenus, telles que l’accès à un avocat depuis le moment de la détention et l’interdiction d’obtenir des aveux en recourant à la torture;

h)Rende obligatoire d’accorder l’extradition des personnes poursuivies pour atteinte aux droits de l’homme et institue pour le jugement de telles personnes une procédure publique, orale et courte.

7.Le Comité considère particulièrement importante l’institution du Bureau du Défenseur du peuple, en tant qu’organisme autonome chargé de promouvoir, défendre et faire respecter les droits et garanties consacrés par la Constitution et les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par le Venezuela.

8.Le Comité prend note avec satisfaction de l’adoption de diverses dispositions législatives ainsi que de la mise en place d’un certain nombre de structures dans différents secteurs de l’administration de l’État, qui attestent l’importance attachée à une protection et une promotion accrues des droits de l’homme. En ce qui concerne les premières, les lois organiques portant respectivement sur les états d’exception, sur les réfugiés et les demandeurs d’asile, sur le ministère public et sur la protection de l’enfant et de l’adolescent revêtent une importance particulière. En ce qui concerne les secondes, il convient d’insister sur la Direction des droits de l’homme créée au sein du Ministère de l’intérieur et de la justice.

9.Le Comité accueille également avec satisfaction la ratification, en décembre 2000, du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

C. Sujets de préoccupation

10.Le Comité est préoccupé par les faits suivants:

a)Malgré les ambitieuses réformes législatives entreprises par l’État partie, la torture n’est toujours pas érigée en infraction spécifique dans la législation vénézuélienne, contrairement aux dispositions de l’article premier de la Convention;

b)Les nombreuses plaintes faisant état de tortures, de traitements cruels, inhumains ou dégradants, d’abus d’autorité et de comportements arbitraires de la part d’agents des organes de sûreté de l’État tendent à indiquer que les dispositions à caractère protecteur de la Constitution et du Code de procédure pénale sont inopérantes;

c)Les plaintes faisant état d’abus de pouvoir et de recours indu à la force comme méthode de contrôle, en particulier durant des manifestations et protestations;

d)Les plaintes faisant état de menaces et d’attaques visant des minorités sexuelles et des militants transsexuels, en particulier dans l’État de Carabobo;

e)L’information selon laquelle les personnes portant plainte pour mauvais traitements de la part de fonctionnaires seraient la cible de menaces et d’actes de harcèlement et selon laquelle les témoins et victimes ne bénéficieraient pas d’une protection adéquate;

f)L’absence d’enquêtes rapides et impartiales sur les plaintes visant des faits de tortures et autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que l’inexistence d’une procédure institutionnelle et accessible propre à garantir aux victimes d’actes de torture l’exercice de leur droit d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, comme le prescrit l’article 14 de la Convention;

g)L’ampleur du phénomène de la violence entre codétenus et de la violence à l’encontre des détenus dans les prisons, de la part des agents de l’administration pénitentiaire, avec pour résultat des blessures graves et parfois la mort. Les conditions matérielles précaires régnant dans les établissements pénitentiaires sont également préoccupantes;

h)L’absence d’informations, notamment de données statistiques, ventilées par sexe, groupe ethnique, région géographique et type et lieu de détention, sur la torture et les autres formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

D. Recommandations

11.Le Comité recommande à l’État partie:

a)D’adopter une législation faisant de la torture une infraction pénale. Conformément à la disposition transitoire no 4 de la nouvelle Constitution, cette adoption doit se faire par l’intermédiaire d’une loi spéciale ou d’une réforme du Code pénal, dans un délai d’un an − déjà largement dépassé − à compter de la mise en place de l’Assemblée nationale;

b)D’adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir des enquêtes immédiates et impartiales à chaque fois qu’est déposée une plainte pour tortures ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants. Pendant la durée de l’enquête les agents impliqués devraient être suspendus de leurs fonctions;

c)D’adopter des mesures en vue d’encadrer et institutionnaliser le droit des victimes de la torture d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, ainsi que de mettre en place des programmes destinés à leur assurer une réadaptation physique et mentale la plus complète possible, comme le Comité l’avait déjà recommandé dans ses précédentes conclusions et recommandations;

d)De poursuivre les activités d’éducation et de promotion relatives aux droits de l’homme, en particulier à l’interdiction des actes de torture, à l’intention des fonctionnaires chargés de l’application des lois et du personnel médical;

e)D’adopter des mesures tendant à améliorer les conditions matérielles de détention dans les établissements pénitentiaires et d’éviter tant la violence entre codétenus que le recours à la violence à leur encontre par le personnel pénitentiaire. Il est en outre recommandé à l’État partie de renforcer les procédures indépendantes d’inspection des prisons.

12.Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des statistiques ventilées, notamment, en fonction de la nationalité, de l’âge et du sexe des victimes et en fonction des services auxquels appartiennent les inculpés, concernant les cas d’actes relevant de la Convention qui ont été examinés par les juridictions internes, en mentionnant le résultat des enquêtes qui ont été menées et les suites qu’elles ont eues pour les victimes en termes de réparation et d’indemnisation.

13.Le Comité invite l’État partie à présenter son quatrième rapport périodique le 20 août 2004 au plus tard et à diffuser largement les présentes conclusions et recommandations.

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