NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/CR/30/114 mai 2003

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrentième session28 avril‑16 mai 2003

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

AZERBAÏDJAN

1.Le Comité a examiné le deuxième rapport périodique de l’Azerbaïdjan (CAT/C/59/Add.1) à ses 550e, 553e et … séances, tenues les 30 avril, 1er mai et … 2003 (CAT/C/SR.550, 553 et …), et a adopté les conclusions et recommandations suivantes.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique de l’Azerbaïdjan, ainsi que les renseignements fournis oralement par la délégation de haut niveau. Il se félicite particulièrement des assurances de l’État partie selon lesquelles celui‑ci s’emploiera sérieusement à donner suite aux préoccupations et recommandations formulées par le Comité.

3.Le rapport, qui traite surtout des dispositions légales et ne fournit pas de renseignements détaillés sur l’application concrète de la Convention, n’est pas pleinement conforme aux directives du Comité concernant les rapports. Le Comité insiste sur le fait que le prochain rapport périodique devrait contenir des renseignements plus précis au sujet de l’application.

B. Aspects positifs

4.Le Comité prend note des faits nouveaux positifs ci‑après:

a)Les efforts faits par l’État partie pour prendre en compte les observations finales antérieures du Comité, notamment par la promulgation de l’important décret présidentiel du 10 mars 2000;

b)La déclaration faite au titre de l’article 22 de la Convention, permettant à des particuliers de présenter des communications au Comité;

c)La ratification de plusieurs traités importants relatifs aux droits de l’homme, en particulier la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants;

d)Les importantes réformes juridiques et législatives engagées par l’État partie, notamment l’adoption d’un nouveau Code pénal et d’un nouveau Code de procédure pénale;

e)L’introduction dans le nouveau Code pénal de l’infraction de torture, et le fait que l’État partie a indiqué que des condamnations ont été prononcées du chef de cette infraction;

f)Le fait que les centres de détention provisoire ont été placés sous l’autorité du Ministère de la justice, au lieu de celle du Ministère de l’intérieur;

g)La création du poste de médiateur;

h)Les assurances données par l’État partie selon lesquelles il prend des mesures pour réduire l’incidence de la tuberculose dans les lieux de détention;

i)L’accord conclu avec le Comité international de la Croix‑Rouge, permettant aux représentants du CICR d’avoir accès sans restriction aux condamnés dans les lieux de détention, ainsi que l’assurance donnée par l’État partie que l’accès des organisations non gouvernementales aux établissements pénitentiaires, aux fins de visite et d’examen des conditions de détention, est illimité.

C. Sujets de préoccupation

5.Le Comité est préoccupé par:

a)La persistance de nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements qui seraient infligés dans les locaux de la police et les locaux de détention temporaire, ainsi que dans les centres de détention provisoire et dans les prisons;

b)Le fait que la définition de la torture figurant dans le nouveau Code pénal n’est pas pleinement conforme à celle de l’article premier de la Convention, notamment parce que l’article 133 omet de mentionner les fins, énoncées dans la Convention, auxquelles la torture est pratiquée, limite les actes de torture au fait d’infliger des coups systématiques ou de se livrer à d’autres actes de violence et n’établit pas la responsabilité pénale des agents de la fonction publique qui ont donné leur consentement tacite à la torture;

c)L’absence de renseignements concernant l’application de l’article 3 de la Convention, qui interdit de livrer une personne à un pays où elle court un risque réel d’être soumise à la torture, ainsi que sur les droits et garanties accordés aux personnes concernées.

6.Le Comité est également préoccupé par l’écart important que l’on observe entre le cadre législatif et son application concrète, jugeant inquiétants les éléments suivants:

a)Le fait qu’en dépit de nouvelles dispositions légales, la magistrature ne semble pas être indépendante;

b)Selon les informations reçues, certaines personnes seraient maintenues en garde à vue par la police bien au‑delà de la durée maximum de 48 heures prévue par le Code de procédure pénale et, dans des cas exceptionnels, des personnes pourraient être gardées jusqu’à 10 jours en détention temporaire dans les locaux de la police;

c)Dans bien des cas, les personnes qui se trouvent en garde à vue ou dans des centres de détention provisoire ne bénéficient pas d’un accès rapide et approprié à un conseil indépendant et à un médecin, garantie importante contre la torture; beaucoup de personnes en garde à vue se verraient contraintes de renoncer à leur droit à l’assistance d’un avocat, et l’examen par un médecin expert n’aurait lieu que sur ordre des autorités et non à la demande du détenu;

d)Le fait que, malgré la recommandation du Rapporteur spécial sur la question de la torture, le centre de détention provisoire du Ministère de la sécurité nationale continue de fonctionner et de relever de la compétence des mêmes autorités que celles qui sont chargées de l’instruction;

e)Des défenseurs et organisations de défense des droits de l’homme auraient été victimes de harcèlement et d’agressions;

f)Un régime particulièrement sévère est appliqué aux détenus purgeant des peines d’emprisonnement à perpétuité;

g)Selon les informations reçues, la possibilité pour un détenu de présenter une requête ou une plainte serait indûment limitée par la censure exercée sur la correspondance et par le fait que les autorités n’assurent pas la protection des plaignants contre d’éventuelles représailles;

h)Selon les informations reçues, les nombreuses allégations de torture et de mauvais traitements ne donneraient pas lieu sans délai de la part de l’État partie à une enquête impartiale et approfondie, et son effort pour poursuivre les responsables présumés serait insuffisant;

i)Il n’a pas été mis en place d’organe indépendant chargé de visiter et/ou de superviser les lieux de détention, et l’accès des organisations non gouvernementales aux établissements pénitentiaires est entravé;

j)Le fait que très rares sont les victimes qui ont été indemnisées;

k)Selon les informations reçues, les juges refuseraient, dans bien des cas, de tenir compte des indices visibles des tortures et mauvais traitements subis par les détenus et n’ordonneraient pas d’examen médical indépendant ni de complément d’enquête.

D. Recommandations

7.Le Comité recommande à l’État partie:

a)De veiller à ce que l’infraction de torture inscrite dans la législation nationale réponde pleinement à la définition figurant à l’article premier de la Convention;

b)De garantir que, dans la pratique, personne ne puisse être maintenu en garde à vue plus de 48 heures et de supprimer la possibilité de garder une personne en détention temporaire dans les locaux de la police pendant une durée pouvant atteindre 10 jours;

c)De donner aux fonctionnaires de police, aux autorités d’enquête et au personnel des centres de détention provisoire des instructions indiquant clairement qu’ils doivent respecter le droit des personnes détenues d’avoir accès à un avocat dès leur mise en détention et à un médecin sur leur demande, et non pas seulement après que les autorités de détention y ont consenti par écrit. L’État partie devrait garantir la pleine indépendance des médecins experts;

d)De faire passer le centre de détention provisoire du Ministère de la sécurité nationale sous l’autorité du Ministère de la justice, ou de le fermer;

e)D’assurer pleinement l’indépendance de la magistrature, conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature;

f)De veiller à ce que soit créé sans délai le nouvel ordre des avocats et de prendre des mesures garantissant qu’un nombre suffisant d’avocats qualifiés et indépendants soient en mesure d’agir dans des affaires pénales;

g)D’assurer la pleine indépendance du Médiateur;

h)D’assurer pleinement la protection des défenseurs et organismes de défense des droits de l’homme non gouvernementaux;

i)De faire en sorte que toute personne ait le droit de former un recours contre toute décision de l’extrader vers un pays où elle court un risque réel d’être soumise à la torture;

j)D’intensifier ses efforts d’éducation et de formation de la police, du personnel des prisons, des responsables de l’application des lois, des magistrats et des médecins quant à leur obligation de protéger contre la torture et les mauvais traitements toutes personnes détenues sous la garde de l’État. Il importe particulièrement de former ces personnels à détecter les signes de torture ou de mauvais traitements et à documenter de tels actes;

k)De garantir le droit de plainte des détenus en leur assurant l’accès à un avocat indépendant, en réexaminant les règles relatives à la censure de la correspondance et en établissant des garanties concrètes mettant les plaignants à l’abri de représailles;

l)De réexaminer le traitement appliqué aux personnes purgeant des peines d’emprisonnement à perpétuité pour veiller à ce qu’il soit conforme aux dispositions de la Convention;

m)D’instituer un système d’inspections régulières et indépendantes de tous les lieux de détention et de faciliter dans la pratique l’accès des organisations non gouvernementales aux établissements pénitentiaires, notamment en donnant aux autorités appropriées des instructions à cet effet;

n)De veiller à ce que toutes les allégations de torture et de mauvais traitements fassent l’objet sans délai d’enquêtes impartiales et approfondies, et de créer un organe indépendant habilité à recevoir et instruire toutes les plaintes faisant état de tortures ou autres mauvais traitements infligés par des agents de l’État. L’État partie devrait aussi s’assurer que le décret présidentiel du 10 mars 2000 est bien appliqué à cet égard;

o)De veiller à ce que, dans la pratique, les victimes d’actes de torture se voient garantir un recours, une indemnisation et des moyens de réadaptation;

p)De diffuser largement dans le pays, dans des langues appropriées, les rapports soumis au Comité, les conclusions et les recommandations de ce dernier ainsi que les comptes rendus analytiques des séances consacrées à l’examen de ces rapports.

8.Le Comité demande à l’État partie de fournir dans son prochain rapport périodique:

a)Des informations détaillées, notamment des statistiques, sur la mise en œuvre concrète de ses lois et des recommandations du Comité, concernant en particulier les droits des personnes placées en garde à vue et en détention provisoire, l’application de la loi de 1998 sur la réparation et des autres dispositions législatives pertinentes, l’application de l’article 3 de la Convention, ainsi que le mandat et les activités du Médiateur;

b)Des statistiques détaillées, ventilées par infraction, région, origine ethnique et sexe sur les plaintes pour actes de torture et sévices commis par des fonctionnaires chargés de l’application des lois, ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales et disciplinaires en rapport avec ces plaintes.

9.Le Comité se félicite des assurances données par la délégation, selon lesquelles un complément d’information sur les questions qui attendent encore une réponse, sera présenté par écrit.

10.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir d’ici un an des renseignements sur la suite que celui‑ci aura donnée à ses recommandations figurant aux alinéas c, f, h, i et n du paragraphe 7 ci‑dessus.

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