NATIONS UNIES

CAT

Convention contre

la torture et autres peines

ou traitements cruels,

inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/CR/33/310 décembre 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente‑troisième sessionGenève, 15‑26 novembre 2004

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, territoires dépendants de la Couronne et territoires d’outre‑mer

1.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Royaume‑Uni de Grande‑Bretagne et d’Irlande du Nord, des territoires dépendants de la Couronne et des territoires d’outre‑mer (CAT/C/67/Add.2) à ses 624e et 627e séances, tenues les 17 et 18 novembre 2004 (CAT/C/SR.624 et 627), et a adopté les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le quatrième rapport périodique du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, attendu pour le 6 janvier 2002, a été reçu le 6 novembre 2003. À l’instar du précédent rapport, il était conforme aux directives du Comité relatives à l’établissement de ses rapports périodiques, notamment en ce qui concerne les réponses, faites point par point, aux recommandations précédentes du Comité. Le Comité accueille favorablement les renseignements détaillés communiqués par l’État partie et se félicite que les institutions et les organisations non gouvernementales concernées par la protection des droits de l’homme aient été invitées à participer à l’établissement de ce rapport. Le Comité donne acte des réponses exhaustives fournies par écrit à la liste des points à traiter ainsi que des réponses détaillées fournies par écrit et oralement aux questions posées par ses membres au cours de l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

3.Le Comité note:

a)Les réactions de l’État partie à certaines des recommandations précédentes du Comité, notamment la fermeture de certains établissements pénitentiaires où les conditions de détention avaient été jugées critiquables, la confirmation qu’aucune balle en plastique n’a été tirée par la police ni par l’armée en Irlande du Nord depuis septembre 2002, et la dissolution de la Royal Ulster Constabulary;

b)L’entrée en vigueur en 2000 de la loi sur les droits de l’homme de 1998;

c)L’entrée en vigueur de la loi de 2003 sur les mutilations sexuelles féminines réprimant les actes commis par des nationaux ou résidents du Royaume-Uni, que ce soit dans l’État partie ou à l’étranger; enfin, l’engagement pris par l’État partie d’empêcher les sociétés britanniques de fabriquer, de vendre ou d’acheter du matériel conçu essentiellement aux fins de torture ou autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

d)La décision en date du 24 mars 1999 du Comité judiciaire de la Chambre des Lords dans l’affaire R. v. Bartle and the Commissioner of Police for the Metropolis, ex parte Pinochet, selon laquelle, d’une part, les tribunaux de l’État partie sont compétents pour connaître des actes de torture commis à l’étranger et, d’autre part, un ancien chef d’État n’est pas couvert par l’immunité s’agissant de tels crimes;

e)La création d’une commission indépendante des plaintes contre la police pour l’Angleterre et le pays de Galles et, en Irlande du Nord, du Bureau du Médiateur de la police et de la Commission des droits de l’homme d’Irlande du Nord;

f)L’assurance de l’État partie selon laquelle les forces armées, les conseillers militaires et autres fonctionnaires britanniques déployés dans des opérations à l’étranger sont «en tout temps soumis au droit pénal anglais», notamment à l’interdiction de la torture et des mauvais traitements;

g)Les affirmations de l’État partie selon lesquelles «les éléments de preuve obtenus au moyen de tout acte de torture par des fonctionnaires britanniques, ou dont les autorités britanniques seraient complices, ne seraient pas recevables dans une procédure pénale ou civile au Royaume‑Uni» et le Ministre de l’intérieur n’a pas l’intention d’invoquer ni de présenter «d’éléments de preuve dont on sait ou dont on croit savoir qu’ils ont été obtenus par la torture»;

h)En ce qui concerne les îles Vierges britanniques, la création d’un comité de coordination des rapports relatifs aux droits de l’homme; en ce qui concerne Guernesey, l’adoption de la loi de 2000 sur les droits de l’homme du bailliage de Guernesey; en ce qui concerne l’île de Man, l’adoption de la loi de 2001 sur les droits de l’homme; et, en ce qui concerne les Bermudes, le mécanisme d’examen des plaintes mis en place par la loi de 1998 relative aux plaintes dirigées contre la police; et

i)La réaffirmation par l’État partie de sa condamnation sans réserve de la torture; la ratification rapide par l’État partie du Protocole facultatif se rapportant à la Convention; enfin, son soutien actif à la ratification universelle de la Convention et de son Protocole facultatif, par son action diplomatique, des projets concrets et le financement de la recherche.

C. Sujets de préoccupation

4.Le Comité est préoccupé par:

a)Le fait qu’il subsiste des discordances entre les prescriptions de la Convention et les dispositions du droit interne de l’État partie qui, même après l’adoption de la loi relative aux droits de l’homme, présente toujours des lacunes, notamment:

i)Le fait qu’alors que l’article 15 de la Convention interdit à quiconque, où que ce soit, d’utiliser des éléments de preuve obtenus par la torture, la législation de l’État partie a été, en dépit des assurances de l’État partie mentionnées au paragraphe 3 g) plus haut, interprétée comme n’excluant les éléments de preuve obtenus par la torture que lorsque les agents de l’État partie en étaient complices;

ii)Le fait que bien que l’article 2 de la Convention stipule qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour justifier la torture, le paragraphe 4 de l’article 134 de la loi sur la justice pénale autorise l’auteur de l’acte de torture à se défendre d’une accusation d’infliction intentionnelle d’une douleur ou d’une souffrance aiguë en soutenant qu’il a agi sous couvert «d’une autorité, d’une justification ou d’une excuse légitime», défense qui n’est pas restreinte par la loi sur les droits de l’homme hors des frontières de l’État partie, où cette loi ne s’applique pas; en outre, le paragraphe 5 de l’article 134 de la loi sur la justice pénale prévoit une possibilité de défense pour un acte autorisé en droit étranger même si cet acte est illégal en vertu de la législation de l’État partie;

b)L’acceptation limitée par l’État partie de l’applicabilité de la Convention aux actions de ses forces à l’étranger, en particulier son explication selon laquelle «les parties de la Convention qui ne sont applicables qu’aux territoires placés sous la juridiction d’un État partie ne peuvent être applicables aux actions du Royaume-Uni en Afghanistan et en Iraq»; le Comité fait observer que les protections prévues par la Convention s’appliquent à tous les territoires placés sous la juridiction d’un État partie et considère que ce principe porte sur toutes les régions placées de fait sous le contrôle effectif des autorités de l’État partie;

c)Les arguments factuels et juridiques incomplets présentés au Comité pour justifier les dérogations aux obligations internationales relatives aux droits de l’homme qui incombent à l’État partie et les pouvoirs exceptionnels énoncés dans la quatrième partie de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité; de même, s’agissant de l’Irlande du Nord, l’absence de renseignements précis sur la nécessité du maintien des dispositions d’urgence concernant cette juridiction qui figurent dans la loi de 2000 sur le terrorisme;

d)Les assurances diplomatiques qu’aurait acceptées l’État partie en matière de refoulement dans des circonstances où ses normes minimales concernant de telles assurances, notamment les dispositions pour un contrôle après le retour, et les garanties d’une procédure équitable ne sont pas d’une parfaite limpidité et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une évaluation quant à leur compatibilité avec l’article 3 de la Convention;

e)Le recours par l’État partie à la détention pour une durée virtuellement illimitée de nationaux étrangers suspectés de participation au terrorisme international en vertu de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité et le régime sévère appliqué dans la prison de Belmarsh;

f)Les enquêtes effectuées par l’État partie sur un certain nombre de décès causés par le recours à une force meurtrière, survenus entre l’entrée en vigueur de la Convention en 1988 et celle de la loi sur les droits de l’homme en 2000, qui n’ont pas été entièrement conformes à ses obligations internationales;

g)Les informations selon lesquelles des conditions insatisfaisantes régneraient dans les lieux de détention de l’État partie, notamment: nombre considérable de décès en détention avant jugement, violence entre prisonniers, surpeuplement, persistance de l’emploi de seaux hygiéniques; et les informations selon lesquelles les femmes seraient détenues dans des conditions inacceptables à la prison de Hydebank Wood où les installations, l’organisation, les méthodes de garde et les soins médicaux ne tiendraient aucun compte de leurs besoins propres, où les gardiens seraient à 80 % des hommes et où des menaces inappropriées et des incidents touchant les femmes détenues ont été signalés;

h)Les cas signalés de bizutage suivi de lésions auto‑infligées et de suicides dans les forces armées, et la nécessité de procéder à une enquête publique approfondie sur ces incidents et de prendre les mesures préventives qui s’imposent;

i)Enfin, les allégations et plaintes dirigées contre le personnel des services d’immigration, notamment des plaintes faisant état de recours à une force excessive dans l’expulsion de déboutés du droit d’asile.

D. Recommandations

5.Le Comité recommande à l’État partie:

a)De prendre les mesures appropriées, compte tenu des vues du Comité, pour veiller − expressément si nécessaire − à ce que les moyens de défense opposables à une accusation faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 134 de la loi sur la justice pénale soit conforme aux prescriptions de la Convention;

b)D’examiner, compte tenu de l’expérience qu’il a acquise depuis la ratification de la Convention et de la jurisprudence du Comité, ses lois et son droit coutumier pour faire en sorte qu’ils soient pleinement conformes aux obligations imposées par la Convention; par souci de précision et de commodité, l’État partie devrait publier un recueil des dispositions juridiques pertinentes;

c)De réévaluer son mécanisme d’extradition, dans la mesure où celui‑ci prévoit que le Ministre de l’intérieur doit prendre des décisions sur des questions telles que celle de l’aptitude médicale à être jugé, qui sont normalement du ressort des tribunaux;

d)De refléter comme il convient, de façon formelle, par exemple en l’incorporant dans une loi ou dans un engagement pris devant le Parlement, l’intention du Gouvernement, telle qu’elle a été exprimée par la délégation, de ne pas invoquer ni présenter dans aucune procédure d’éléments de preuve dont on sait ou dont on croit savoir qu’ils ont été obtenus par la torture; l’État partie devrait également offrir aux particuliers un moyen de contester la légalité de tout élément de preuve, dans toute procédure, dont il y aurait de bonnes raisons de croire qu’il a été obtenu par la torture;

e)D’appliquer les articles 2 et/ou 3 selon qu’il conviendra aux transferts de détenus placés sous la garde d’un État partie à la garde, de fait ou en droit, de tout autre État;

f)De rendre publics les résultats de toutes enquêtes sur le comportement qu’auraient eu ses forces en Iraq et en Afghanistan, en particulier celles qui révèlent des actions qui pourraient être contraires à la Convention, et de prendre des dispositions en vue d’un examen indépendant des conclusions de ces enquêtes, le cas échéant;

g)De réexaminer ses procédures d’examen, en vue de renforcer l’évaluation périodique indépendante de la justification continue des dispositions exceptionnelles tant de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité, que de la loi de 2000 sur le terrorisme, compte tenu de la durée écoulée depuis que les dispositions exceptionnelles pertinentes sont en vigueur, des réalités factuelles sur le terrain et des critères devant être remplis pour qu’un état d’urgence puisse être déclaré;

h)D’examiner d’urgence les solutions que l’on pourrait substituer à la détention illimitée en vertu de la loi de 2001 sur la lutte contre le terrorisme, la criminalité et la sécurité;

i)De préciser au Comité le nombre de cas d’extradition ou d’expulsion sous réserve d’assurances ou de garanties diplomatiques qui se sont produits depuis le 11 septembre 2001, la teneur minimale de ces assurances ou garanties exigée par l’État partie, et les mesures de surveillance ultérieure qu’il a prises dans de telles affaires;

j)De veiller à ce que le comportement des agents de l’État partie, notamment ceux qui procèdent à des interrogatoires dans tout lieu de détention situé outre‑mer soit strictement conforme aux prescriptions de la Convention et que toute infraction à la Convention dont l’État partie aurait connaissance fasse l’objet d’une enquête rapide et impartiale, et, si nécessaire de poursuites pénales engagées par l’État devant une juridiction appropriée;

k)De prendre toutes mesures utiles pour examiner les enquêtes sur les décès causés par l’utilisation d’une force meurtrière en Irlande du Nord qui n’ont pas été élucidés, d’une manière qui, comme l’ont dit les représentants de l’État partie, «suscite la confiance du public»;

l)De mettre au point un plan d’action d’urgence prévoyant notamment un recours approprié à des sanctions pénales, pour donner suite aux sujets de préoccupation soulevés par le Comité au paragraphe 4 g), ainsi que de prendre des mesures appropriées pour tenir compte des problèmes propres aux femmes;

m)D’envisager de désigner la Commission des droits de l’homme d’Irlande du Nord comme l’un des organes de surveillance prévus par le Protocole facultatif;

n)D’envisager d’offrir de manière régulière des examens médicaux avant − et en cas d’échec après − toute expulsion forcée par la voie aérienne;

o)D’envisager de mettre au point un instrument de collecte centrale de statistiques sur les questions soulevées par la Convention dans les prisons et les autres lieux de détention de l’État partie;

p)Enfin, de faire la déclaration prévue à l’article 22 de la Convention.

6.Le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans le délai d’un an, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations figurant aux alinéas d, e, f, g, h, i, j et l du paragraphe 5 ci‑dessus.

7.Le Comité demande à l’État partie de présenter son prochain rapport périodique, attendu pour le 6 janvier 2006, en 2008.

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