Nations Unies

CAT/C/47/D/374/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 janvier 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 374/2009

Décision adoptée par le Comité contre la tortureà sa quarante-septième session (31 octobre-25 novembre 2011)

Présentée par:

S. M., H. M. et A. M. (représentés par un conseil, Sanna Vestin)

Au nom de:

S. M., H. M. et A. M.

État partie:

Suède

Date de la communication:

11 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

21 novembre 2011

Objet:

Expulsion des requérants vers l’Azerbaïdjan

Questions de fond:

Risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Questions de procédure:

Griefs insuffisamment étayés

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(quarante-septième session)

concernant la

Communication no 374/2009

Présentée par:

S. M., H. M. et A. M. (représentés par un conseil, Sanna Vestin)

Au nom de:

S. M., H. M. et A. M.

État partie:

Suède

Date de la communication:

11 novembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 novembre 2011,

Ayant achevé l’examen de la requête no 374/2009, présentée par S. M., H. M. et A. M. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.Les auteurs de la communication, datée du 11 novembre 2008 et du 9 février 2009, sont M. S. M. (né en 1950) et Mme H. M. (née en 1955). La communication est également présentée au nom de leur fille, A. M. (née en 1992). Les requérants affirment que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Ils sont représentés par un conseil, Sanna Vestin.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Les requérants sont originaires de l’enclave du Haut-Karabakh. Déplacés depuis 1988, ils vivaient près de Bakou. S. M. est arménien chrétien par sa mère; tant son apparence que son accent sont typiquement arméniens. À cause de cela, toute la famille a subi des persécutions à caractère ethnique en Azerbaïdjan. S. M. affirme que l’une de ses sœurs s’est suicidée après avoir été violée devant lui. C’est pourquoi, pour réduire les risques de persécution, il a décidé de laisser sa femme et sa fille en Azerbaïdjan et de chercher du travail à l’étranger, à Moscou; il ne leur rendait visite que de temps à autre. Malgré cela, les persécutions n’ont pas cessé. Sa femme a été frappée par des voisins et a eu la jambe cassée; leur fille aussi a été blessée.

2.2En 2002, la famille a demandé l’asile en Suède, mais elle a été déboutée et, le 19 août 2004, expulsée vers l’Azerbaïdjan. À l’arrivée, S. M. et H. M. ont présenté leurs documents d’identité à la police azerbaïdjanaise. Mais avant de remettre les requérants aux autorités locales, les policiers suédois avaient rendu à la femme de S. M. deux documents indiquant que son mari était d’origine arménienne, qu’elle avait placés dans ses bagages. Lors de la fouille de leurs bagages, les documents en question ont été découverts et les agents ont considéré qu’il y avait eu tentative de dissimulation d’informations importantes. Les membres de la famille ont subi un lourd interrogatoire accompagné de violences de la part d’agents du Service de la sécurité nationale. Ils ont été détenus à l’aéroport pendant quatre jours sans être correctement nourris ni hébergés. S. M. a eu des dents cassées et le bras tordu, et a été frappé à coups de pied et de poing. H. M. a été interrogée, tabassée et agressée sexuellement. La famille a ensuite passé dix jours dans un hôpital près de Bakou. Il a été constaté que S. M. avait des problèmes cardiaques et présentait des signes d’artériosclérose; H. M. portait des traces de coups et blessures, notamment une lésion au crâne. Leur fille avait été témoin de certaines des violences infligées à sa mère et elle souffre depuis de stress post-traumatique. Après leur remise en liberté, le Service de la sécurité nationale les a appelés à plusieurs reprises pour les interroger encore. Leur fille n’a pas pu s’inscrire à l’école. Les requérants se sont adressés à diverses institutions et organisations, dont l’ambassade des États-Unis d’Amérique, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et une organisation de femmes, en vue de quitter le pays car ils craignaient pour leur vie.

2.3En décembre 2004, les requérants sont retournés en Suède où ils ont demandé l’asile le 13 décembre 2004. Ils ont fourni à l’appui de leur demande plusieurs documents, notamment des certificats médicaux, un document attestant que la mère de S. M. est arménienne et une lettre émanant d’une organisation de femmes en Azerbaïdjan. Le Conseil des migrations n’a pas demandé d’examen médical. Au lieu de cela, les requérants ont été dirigés par la section suédoise d’Amnesty International vers le Centre de prise en charge des victimes de crises et de traumatismes de l’hôpital de Danderyd, à Stockholm. D’après les conclusions de l’examen psychiatrique, S. M. avait fait état de persécutions pouvant être assimilées à de la torture et on pouvait tenir pour certain qu’il avait véritablement été interrogé sous la torture de la manière qu’il avait décrite. Il ressortait également de l’examen médico-légal que rien ne contredisait ses allégations de mauvais traitements. Pour ce qui est de H. M., l’expertise psychiatrique a abouti à la conclusion qu’elle avait des pensées suicidaires, qu’elle présentait les critères d’un syndrome de stress post-traumatique et qu’elle avait incontestablement vécu les faits qu’elle avait décrits. Les résultats de l’examen médico-légal pouvaient confirmer qu’elle avait été soumise à la torture.

2.4En 2005, alors qu’elle regardait les actualités concernant l’Azerbaïdjan, H. M. aurait reconnu le fonctionnaire du Service de la sécurité nationale qui l’avait agressée, lequel occupe à présent un poste de haut rang au département du contrôle des frontières. Elle avait alors décidé de parler de l’agression sexuelle qu’elle avait subie de la part de cet agent et une requête supplémentaire à ce sujet avait été adressée au Conseil des migrations.

2.5Le 17 mars 2006, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile des requérants. Sans mettre en question le fait qu’ils avaient été agressés et harcelés, le Conseil a indiqué que les incidents en question n’avaient pas nécessairement eu lieu après l’exécution de la mesure d’expulsion en 2004. Il a conclu que les auteurs de ces actes n’avaient pas agi pour le compte des autorités et qu’il serait possible pour les requérants de vivre en Azerbaïdjan.

2.6Les requérants ont fait appel de la décision du Conseil des migrations devant le Tribunal des migrations. L’audience a eu lieu le 7 mai 2007. Plusieurs documents ont été communiqués par la suite au Tribunal, dont une lettre du bureau du HCR à Stockholm indiquant que les directives du HCR de 2003 concernant l’Azerbaïdjan restaient valables et qu’un Arménien renvoyé dans ce pays risquerait de subir des pressions de la part des services de sécurité. Le Conseil des migrations était opposé à l’appel au motif que les directives du HCR s’appliquaient aux Arméniens et aux familles mixtes alors que la famille de S. M. n’appartenait ni à l’une ni à l’autre catégorie. Un autre document, émanant du bureau du HCR à Bakou, avait été communiqué pour la première fois aux autorités de l’immigration.

2.7Le 7 septembre 2007, le Tribunal des migrations a débouté les requérants, considérant que les certificats médicaux ne contenaient pas des conclusions suffisamment catégoriques quant aux mauvais traitements allégués et que les voies de fait dénoncées avaient été commises par des individus isolés, non par des agents de l’État. Le Tribunal des migrations a également contesté l’origine ethnique mixte de la famille, faisant valoir que les certificats de naissance des enfants montraient que les deux parents étaient enregistrés comme Azéris de souche en Azerbaïdjan. Le Tribunal a noté en outre que de 1976 à 1996, S. M. avait travaillé à l’aéroport de Bakou et qu’en 2000, il avait acquis un permis de conduire, deux éléments indiquant que les origines arméniennes de sa mère ne lui posaient aucun problème avec les autorités. De plus, la famille avait pris des contacts avec trois écoles différentes ainsi qu’avec le Ministère de l’éducation pour faire inscrire leur fille dans un établissement, ce qui attestait l’absence de persécution de la part des autorités. Le Tribunal a déclaré que les avis formulés par le HCR et Amnesty International ne prouvaient pas que des persécutions cautionnées par l’État étaient commises en Azerbaïdjan ou que la famille de S. M. avait été persécutée; il a par ailleurs relevé un certain nombre d’incohérences dans les témoignages des requérants. Ces derniers font toutefois observer que le Tribunal des migrations n’a pas rendu sa décision à l’unanimité, un juge ayant exprimé une opinion dissidente en leur faveur.

2.8Les requérants ont saisi la Cour d’appel des migrations, faisant valoir que le Tribunal des migrations n’avait pas dûment tenu compte des rapport médicaux établis par des experts en matière de torture et n’avait pas pris en considération les informations concernant le pays émanant des experts du HCR et d’Amnesty International. Le 3 janvier 2008, l’autorisation de faire appel a été refusée par la Cour d’appel des migrations. L’expulsion a été programmée pour le 12 juin 2008. Depuis cette date, S. M. et H. M. vivent dans la clandestinité. Leur fille a été placée dans une famille et va à l’école en Suède.

2.9Les requérants affirment en outre que leur cas a reçu un large écho dans les médias en Suède. Plusieurs articles ont été publiés. En octobre 2007, les camarades de classe de leur fille ont organisé une manifestation pour protester contre la mesure d’expulsion. En mai 2008, l’évêque a adressé une lettre ouverte au Directeur général du Conseil des migrations. C’est principalement après la décision du Tribunal des migrations et dans les semaines qui ont précédé la date fixée pour leur expulsion que leur famille a fait l’objet de cette publicité. Les requérants affirment que cette situation est susceptible d’aggraver le risque qu’ils soient soupçonnés par les autorités azerbaïdjanaises d’être des ennemis du régime. Enfin, en 2008, lorsqu’un de leurs fils s’est rendu en Azerbaïdjan pour obtenir un document, il a été interrogé à l’aéroport, sans subir de mauvais traitements, au sujet de son lieu de résidence en Suède et du but de son séjour, et au sujet de ses parents, dont on lui a dit que la police «les attendait».

2.10À une date non précisée, le conseil des requérants a sollicité le réexamen de leur cas auprès du Conseil des migrations, affirmant que de nouvelles circonstances faisaient obstacle à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, à savoir la large publicité donnée à leur cas en Suède et le fait que les autorités azerbaïdjanaises s’intéressaient à la famille, comme cela avait été constaté lors du séjour de leur fils en Azerbaïdjan. Les liens sociaux qu’A. M. avait tissés en Suède pendant sept ans, et de nouveaux rapports psychiatriques confirmant que l’état de santé mentale des requérants ne s’était pas amélioré, ont été invoqués comme des obstacles supplémentaires à l’exécution de la mesure d’expulsion. Le 3 juillet 2008, le Conseil des migrations a rejeté leur demande de réexamen au motif que les circonstances invoquées ne représentaient qu’une modification d’arguments qu’ils avaient déjà avancés précédemment dans leurs demandes d’asile. Le 27 août 2008, le Tribunal des migrations a confirmé cette décision.

Teneur de la plainte

3.1Les requérants affirment que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan constituerait une violation par la Suède de l’article 3 de la Convention. Ils mettent en particulier l’accent sur les actes de torture et les mauvais traitements dont ils ont été victimes à leur retour en Azerbaïdjan après leur première expulsion en 2004, ainsi que sur les persécutions qu’ils ont subies du fait de leur origine ethnique avant de quitter le pays en 2002.

3.2Les requérants affirment en outre que les autorités suédoises se sont focalisées sur des incohérences mineures au lieu d’examiner comme il convenait leurs allégations de persécution fondée sur leurs origines mixtes. Même s’ils ont surestimé le temps qu’ils ont passé en détention à l’aéroport, s’ils ont oublié les dates des convocations au KBG ou s’ils ont été incapables d’expliquer comment des passeurs avaient pu leur fournir des passeports, ces éléments n’enlèvent rien à la réalité de l’expérience traumatisante qu’ils ont vécue ou des blessures qu’ils ont subies. Leur récit des faits est corroboré par des rapports médicaux et il ont de bonnes raisons de craindre d’être à nouveau soumis à la torture et à des traitements humiliants lors d’un deuxième retour.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 11 décembre 2009, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il indique que S. M., H. M. et leur fille A. M. sont arrivés pour la première fois en Suède le 29 mars 2002 et y ont demandé l’asile le 2 avril 2002. Ils avaient déclaré être originaires de la province du Haut-Karabakh en Azerbaïdjan, qu’ils avaient quittée en 1998, et avoir vécu depuis lors comme des personnes déplacées à la suite des persécutions qu’ils avaient dû endurer du fait que S. M. avait l’apparence physique et l’accent d’un Arménien. S. M. avait été frappé, avait subi des traitements dégradants et avait dû quitter son emploi à cause de ses origines ethniques mixtes. H. M. avait été violée à plusieurs reprises et frappée une fois, également à cause des origines mixtes de la famille. À la suite d’un différend dans un magasin de proximité, elle avait été placée en détention pendant trois jours. Les requérants invoquaient des raisons humanitaires justifiant l’octroi d’un permis de séjour à leur fille. Ils déclaraient aussi ne pas avoir d’activités politiques.

4.2La première demande d’asile avait été rejetée par le Conseil des migrations au motif que les Arméniens ne faisaient pas l’objet de discrimination ni de persécutions cautionnées par l’État en Azerbaïdjan et que la situation générale des membres de ce groupe ethnique ne pouvait à elle seule constituer un motif d’octroi de l’asile. Pour le Conseil, il n’avait pas été démontré que les requérants seraient victimes de persécution s’ils retournaient dans leur pays d’origine. Les problèmes de santé qu’ils invoquaient ne présentaient pas un caractère de gravité de nature à justifier un sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion les concernant. Les requérants ont saisi la Commission de recours des étrangers, qui a confirmé la décision du Conseil des migrations en mars 2004. La décision de non-admission sur le territoire a pris effet le 19 août 2004. Les requérants ont ultérieurement déposé une nouvelle demande de permis de séjour, que la Commission de recours des étrangers a rejetée au motif que la décision d’expulsion avait déjà été exécutée.

4.3Les requérants sont retournés en Suède le 10 décembre 2004 et ont déposé une deuxième demande d’asile le 14 décembre 2004. À la demande de H. M., les autorités suédoises ont traité son cas séparément. Cependant, les dossiers fournis par les requérants étaient pratiquement identiques ou du moins très similaires. L’entretien de demande d’asile a eu lieu le 20 janvier 2005. Les requérants ont déclaré qu’à leur arrivée à Bakou en 2004, les policiers suédois les avaient remis aux autorités azerbaïdjanaises et étaient partis. Ils avaient été interrogés et on leur avait demandé de présenter des documents contenant des informations au sujet de leur origine ethnique. Après avoir été interrogé sur la raison pour laquelle la famille était arrivée par un vol charter et sur le but de son séjour en Suède, S. M. a été passé à tabac. On lui a également tenu des propos désobligeants. H. M. et A. M. ont également été interrogées. Les requérants ont été contraints de signer un document indiquant qu’ils résideraient à une certaine adresse, où la police les a conduits, après quatre ou cinq jours d’interrogatoire à l’aéroport. Le lendemain, ils ont été convoqués au Service de la sécurité à Bakou, où ils ont été interrogés et brutalisés. Ils ont dû se présenter au Service de sécurité cinq ou six fois avant que S. M. finisse par être hospitalisé. Après son séjour à l’hôpital, la famille est entrée dans la clandestinité et n’a plus eu aucun contact avec les autorités depuis. Les origines mixtes de S. M. font d’eux une cible pour les autorités de leur pays d’origine. Ils sont entrés en contact avec le HCR et l’ambassade des États-Unis, qui n’ont pu leur venir en aide. Pour ce qui est de leur état de santé, S. M. a déclaré qu’il souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique et de plusieurs lésions corporelles résultant des traitements subis à son retour en Azerbaïdjan. H. M. a déclaré qu’elle avait été hospitalisée à Bakou pendant dix jours pour des maux de dos dus aux coups qu’elle avait reçus pendant son interrogatoire.

4.4À l’appui de leur deuxième demande, les requérants ont fourni une multitude de documents, dont plusieurs rapports médicaux. D’après ces rapports, S. M. a d’importants problèmes de santé mentale. Le médecin a conclu qu’à elle seule, l’expertise psychiatrique permettait de tenir pour établi qu’il avait été interrogé sous la torture de la manière qu’il avait décrite. Les petites cicatrices qu’il portait pouvaient être apparues aux dates et de la manière qu’il avait indiquées. Rien ne permettait de dire que le très mauvais état de sa dentition ne résultait pas des mauvais traitements physiques qu’il avait subis. L’expert a noté en outre que les cicatrices qu’il portait ne présentaient pas de caractéristiques particulières et que, de ce fait, l’expertise ne pouvait être considérée comme entièrement concluante; il a toutefois estimé qu’elle pouvait confirmer que S. M. avait été torturé de la manière qu’il avait décrite.

4.5Le 17 mars 2006, le Conseil des migrations a rejeté la demande d’asile déposée par les requérants. Il n’a pas mis en question le fait qu’ils avaient fait l’objet de sévices et de harcèlement, même si cela ne signifiait pas que ces incidents avaient eu lieu après leur renvoi en Azerbaïdjan en 2004. Le Conseil a conclu que les auteurs de ces actes devaient être considérés comme des criminels plutôt que des représentants des autorités du pays et qu’il ne s’agissait donc pas d’une affaire de persécution cautionnée par l’État. Après une évaluation globale de toutes les circonstances, le Conseil a estimé, sur la base des informations disponibles, qu’il devait être possible pour les requérants de vivre en Azerbaïdjan. Par conséquent, ils n’étaient pas des réfugiés ou des personnes ayant besoin d’un autre type de protection. Le Conseil a déclaré que, d’après les renseignements dont il disposait, le Gouvernement azerbaïdjanais fournissait des médicaments gratuitement aux personnes atteintes de troubles mentaux et que la plupart des maladies pouvaient être traitées en Azerbaïdjan. Il a estimé que S. M. et A. M. ne pouvaient être considérés comme souffrant de maladies qui mettaient leur vie en danger ou d’un état de santé justifiant l’octroi d’un permis de séjour. La deuxième demande déposée par H. M. a été rejetée essentiellement pour les mêmes motifs.

4.6Les requérants ont fait appel devant le Tribunal des migrations. Ils ont fait valoir qu’ils avaient présenté un récit crédible et cohérent des tortures qu’ils avaient subies et que la simple crainte d’être forcés à retourner en Azerbaïdjan pouvait leur causer un préjudice irréparable. Ils ont également affirmé que A. M. présentait des symptômes très marqués de souffrance psychique et qu’elle s’était rendue plusieurs fois à la clinique psychiatrique pour enfants et adolescents. H. M. a déclaré que les rapports médicaux corroboraient ses allégations de sévices graves subis à son retour dans son pays d’origine.

4.7Les requérants ont joint une communication écrite d’un représentant du HCR indiquant que les Arméniens et les personnes d’origine ethnique mixte qui retournaient en Azerbaïdjan après avoir demandé l’asile à l’étranger couraient un risque élevé. La communication indiquait également qu’il était peu probable que l’Azerbaïdjan accepte de les accueillir de nouveau et que, si tel était le cas, ils risquaient fort de subir des pressions de la part des services de sécurité ou d’être traités sans aucune compassion par la majorité du reste de la population. Elle rappelait aussi que la majorité des Arméniens vivant en Azerbaïdjan dissimulaient leur identité. Les requérants ont également joint une communication écrite par un représentant d’Amnesty International Suède, déclarant notamment qu’ils devaient être considérés comme un couple mixte. H. M. a fourni en outre un document émanant d’une organisation œuvrant au renforcement des droits des femmes en Azerbaïdjan.

4.8Le Conseil des migrations s’est dit opposé à ce qu’il soit fait droit à l’appel, arguant que les requérants n’avaient pas démontré de manière convaincante qu’ils devaient être considérés comme des réfugiés ou comme des personnes ayant besoin d’une protection pour d’autres raisons, et qu’ils ne pouvaient prétendre au permis de séjour pour aucun autre motif. Leurs récits respectifs ne pouvaient servir de base à l’évaluation du risque de persécution ou d’autres traitements inhumains ou dégradants car ils présentaient plusieurs incohérences qui entamaient, de manière générale, la crédibilité de leurs affirmations. Pour ce qui était des problèmes de santé invoqués, rien n’indiquait que les requérants ne pourraient pas recevoir des soins médicaux appropriés en Azerbaïdjan.

4.9Le 7 septembre 2007, le Tribunal des migrations a rejeté l’appel formé par les requérants, déclarant que les rapports médicaux et autres pièces écrites fournis n’étayaient pas les allégations des requérants quant aux circonstances dans lesquelles ils auraient subi des mauvais traitements. Les documents en question contenaient des informations contradictoires. De plus, ceux qui émanaient du HCR et d’Amnesty International ne prouvaient pas que des persécutions cautionnées par l’État étaient commises en Azerbaïdjan à l’encontre des personnes d’origine arménienne. En conséquence, le Tribunal a conclu que les requérants n’avaient pas démontré qu’ils risquaient d’être torturés à leur retour.

4.10Les requérants ont fait appel du jugement, avançant que le Tribunal des migrations avait fait une appréciation erronée des éléments de preuve produits. Le 21 décembre 2007, la Cour d’appel des migrations leur a refusé l’autorisation de faire appel. Les requérants ont alors déposé de nouvelles demandes auprès du Conseil des migrations, invoquant l’apparition de circonstances nouvelles qui leur donnaient droit à un permis de séjour ou, à défaut, justifiaient un réexamen de leur cas. Ces demandes ont été rejetées au motif que les circonstances en question correspondaient à de simples modifications d’éléments qui figuraient déjà dans les demandes d’asile précédentes des requérants. Le Tribunal des migrations a confirmé la décision rendue par le Conseil des migrations.

4.11En ce qui concerne la recevabilité de la requête, l’État partie indique qu’à sa connaissance, la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et il reconnaît que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. Il fait toutefois valoir que lorsque les requérants prétendent qu’ils risquent d’être traités d’une manière contraire aux dispositions de la Convention, ils n’apportent pas le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité et que, par conséquent, la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention.

4.12Si le Comité devait déclarer la requête recevable, il lui faudrait déterminer si, en renvoyant les requérants en Azerbaïdjan, la Suède manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ni refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. L’État partie rappelle que, pour déterminer s’il y a violation de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence dans le pays considéré d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Cependant, comme le Comité l’a souligné à maintes reprises, il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque.

4.13À propos de la situation des droits de l’homme en Azerbaïdjan, l’État partie admet que les actes de torture, les passages à tabac provoquant un décès, les brutalités policières et les arrestations arbitraires ne sont pas rares. Les Arméniens d’Azerbaïdjan ont une mauvaise réputation dans le reste de la population. Bien qu’ils puissent être victimes de harcèlement, les Arméniens ne peuvent être considérés comme la cible d’une discrimination cautionnée par l’État. La discrimination à l’égard des Arméniens de souche a posé problème en 2006 et les ressortissants azerbaïdjanais d’origine arménienne dissimulaient fréquemment celle-ci en demandant officiellement que l’appartenance ethnique indiquée sur leur passeport soit modifiée. La façon dont certains agents de la force publique avaient traité des Arméniens avait donné lieu à des plaintes. Des cas de harcèlement et d’extorsion avaient été rapportés. Toutefois, d’après le rapport du Département d’État des États-Unis, aucun cas de discrimination contre des Arméniens n’avait été signalé en 2008. De plus, d’après une enquête menée en 2003 par le partenaire opérationnel du HCR, la discrimination contre les Arméniens de souche ne relevait pas d’une politique officielle reconnue en Azerbaïdjan, mais il existait véritablement une certaine discrimination à leur encontre dans la vie quotidienne, tolérée par les autorités. Cette discrimination ne constituait pas en soi une persécution mais, dans le cas de certaines personnes, il était possible que ses effets cumulés correspondent effectivement à une persécution. L’État partie observe en outre que le fait qu’aucun cas de discrimination n’a été signalé en 2008 témoigne d’une amélioration de la situation.

4.14L’État partie affirme en outre que les circonstances évoquées dans les documents susmentionnés ne suffisent pas en elles-mêmes à établir que le renvoi des requérants en Azerbaïdjan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Ce ne serait le cas que si les requérants étaient en mesure de démontrer qu’ils risquent personnellement d’être soumis à la torture. D’après la jurisprudence du Comité, aux fins de l’article 3 de la Convention, l’individu concerné doit courir personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé dans le pays vers lequel il est renvoyé. L’État partie se réfère à l’Observation générale no1 du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables, c’est-à-dire de recueillir et de produire des éléments de preuve à l’appui de sa version des faits. Dans ce contexte, lorsqu’elles examinent une demande d’asile en vertu de la loi sur les étrangers, les autorités suédoises de l’immigration appliquent les mêmes types de critères que le Comité lorsqu’il examine une plainte au titre de la Convention. Les autorités nationales qui procèdent aux entretiens avec les demandeurs d’asile sont très bien placées pour apprécier la crédibilité des allégations d’une personne affirmant que si elle était expulsée, elle risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Le cas des requérants a été examiné par les autorités et les juridictions suédoises à plusieurs reprises. Le Conseil des migrations et le Tribunal des migrations ont étudié attentivement leurs demandes de permis de séjour, ainsi que leurs demandes de réexamen des décisions. Il convient donc d’accorder un grand poids aux décisions des autorités suédoises.

4.15L’État partie déclare que les griefs des requérants au titre de l’article 3 de la Convention ne sont pas étayés car les renseignements communiqués sont incohérents, vagues et, dans une certaine mesure, contradictoires. H. M. a fourni un document émanant d’une organisation qui s’emploie au renforcement des droits des femmes azerbaïdjanaises, dans lequel il est indiqué que S. M. et H. M. ont toujours fait partie de l’opposition. Or cette affirmation a été contestée par H. M. à l’audience. Le document contenait donc des informations qui ne correspondaient pas aux déclarations de H. M. ni aux renseignements fournis antérieurement, ce qui ne pouvait lui conférer qu’une faible valeur de preuve. Quant aux avis médicaux communiqués par les requérants (par. 4.4 ci-dessus), ils n’ont pas été jugés concluants. L’un des experts médicaux a rencontré H. M. une seule fois. Le certificat médico-légal a été jugé très vague car il indiquait simplement qu’il ne pouvait être exclu que les lésions dont souffrait S. M. lui avaient été infligées de la manière qu’il avait décrite. Un autre certificat se bornait à indiquer que H. M. avait pu être soumis à la torture, ce qui était trop vague pour étayer ses allégations de mauvais traitements.

4.16Amnesty International et le HCR ont adressé au Tribunal des migrations des communications écrites en faveur des requérants. D’après Amnesty International, si les requérants étaient renvoyés contre leur gré en Azerbaïdjan, ils risquaient d’y subir de nouvelles persécutions dont la nature et l’ampleur justifieraient que l’asile leur soit accordé, et il convenait de leur offrir une protection en Suède. Un document du HCR indiquait que les Arméniens et les personnes d’origine ethnique mixte qui revenaient en Azerbaïdjan après avoir demandé l’asile à l’étranger couraient un risque élevé dans le pays. Le document expliquait également qu’il n’était guère probable que l’Azerbaïdjan accepte de les accueillir et que, si tel était le cas, ils subiraient des pressions de la part des services de sécurité ou seraient traités sans aucune compassion par la majorité de la population. L’État partie affirme que les communications d’Amnesty International et du HCR ne sont guère pertinentes au regard du cas des requérants. D’après le certificat de naissance de S. M., le père de celui-ci était de nationalité azerbaïdjanaise et sa mère d’origine arménienne. Son patronyme est typiquement azerbaïdjanais et les certificats de naissance des enfants montrent que les deux parents sont enregistrés comme des Azerbaïdjanais de souche. Les membres de la famille ont été accueillis en tant qu’Azerbaïdjanais lorsqu’ils ont été expulsés de Suède. D’après le HCR, il est fort probable qu’ils n’auraient pas pu entrer dans le pays s’ils y avaient été enregistrés comme Arméniens de souche ou comme personnes d’origine ethnique mixte. L’État partie en déduit qu’il n’est guère probable que les requérants soient considérés comme étant Arméniens ou d’origine ethnique mixte, que ce soit par les autorités azerbaïdjanaises ou par d’autres personnes. Il rappelle en outre qu’en 2000 encore, S. M. avait obtenu un nouveau permis de conduire et qu’en 2004 les requérants s’étaient vu délivrer de nouveaux passeports.

4.17L’État partie affirme également qu’à supposer que les requérants soient considérés comme étant d’origine ethnique mixte, ils n’ont pas démontré qu’ils risqueraient de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il admet que les Arméniens et les personnes d’origine ethnique mixte rencontrent des difficultés dans la société azerbaïdjanaise. Cependant, d’après le rapport du HCR «International Protection Considerations Regarding Azerbaijani Asylum-Seekers and Refugees»de septembre 2003, la discrimination contre les Arméniens de souche, bien que tolérée dans une certaine mesure par les autorités, ne relève pas d’une politique officielle en Azerbaïdjan, et le niveau de discrimination n’est pas suffisant pour constituer une persécution. L’État partie affirme que rien ne donne à penser que la situation générale des Arméniens dans le pays s’est aggravée depuis 2003; au contraire, des informations récentes font état d’une légère amélioration.

4.18Les requérants ont également invoqué un document émanant du bureau du HCR à Bakou, qui résume les propos que S. M. a tenus le 24 août 2004 après que la famille avait été renvoyée en Azerbaïdjan. S. M. a déclaré que lui-même et sa famille avaient été détenus et interrogés pendant deux jours à l’aéroport. Ils avaient été autorisés à quitter l’aéroport parce que son état de santé et celui de sa fille s’étaient détériorés. S. M. a aussi déclaré que lui-même et sa femme avaient été convoqués à une date donnée et qu’ils avaient été interrogés une heure durant et menacés d’emprisonnement. Le frère de S. M., qui vivait à Bakou avec leur mère arménienne, n’avait pas subi les mêmes difficultés à cause de son origine ethnique. Le document ne fait aucune mention des mauvais traitements que S. M. aurait subis lors de l’interrogatoire à l’aéroport. De plus, d’après le même document, S. M. a déclaré que les forces de sécurité l’avaient détenu à l’aéroport avec sa famille pendant deux jours, alors qu’il avait dit aux autorités suédoises que la détention avait duré quatre ou cinq jours. Ces incohérences entament la crédibilité générale du récit que font les requérants de ce qu’ils ont vécu après leur expulsion vers l’Azerbaïdjan. De surcroît, on peut s’étonner que le frère de S. M., qui vit apparemment avec leur mère arménienne, n’ait pas rencontré les mêmes difficultés du fait de son origine ethnique, et voir là une totale contradiction.

4.19Les requérants se sont également contredits au sujet de ce qui s’était passé après le séjour de S. M. à l’hôpital en septembre 2004. S. M. et H. M. ont indiqué séparément, par écrit, qu’ils avaient été interrogés quelques jours avant de quitter le pays. Ils ont ensuite tous deux indiqué, toujours séparément, qu’après cette hospitalisation ils étaient entrés dans la clandestinité et n’avaient plus jamais été interrogés. À l’audience, ils ont modifié leur récit et sont revenus à la première version, expliquant qu’ils avaient voulu dire s’être cachés de la communauté et de la police locale mais non du KBG. La véracité de leurs déclarations a alors été remise en question.

4.20S. M. a affirmé que pour sortir d’Azerbaïdjan, lui-même et sa famille avaient utilisé des passeports provisoires qu’ils avaient obtenus avec l’aide d’une organisation. Or, si les autorités s’étaient intéressées aux requérants, il est peu probable qu’ils auraient pu obtenir des passeports. De plus, si les requérants avaient subi les traitements allégués, cette information aurait été portée à l’attention de l’ambassade de Suède, soit par d’autres ambassades ou des institutions avec lesquelles elle entretenait des relations, soit par les organisations de défense des droits de l’homme, très actives en Azerbaïdjan. En conséquence, l’État partie juge improbable que les requérants aient subi les violations alléguées à leur retour en Azerbaïdjan. Le fait que l’ambassade de Suède ne disposait d’aucune information concernant les incidents en question et que les renseignements contenus dans le document émanant du bureau du HCR à Bakou ne correspondent pas au récit des requérants devant les autorités suédoises met en question la véracité de leurs allégations de mauvais traitements.

4.21L’État partie rappelle que si des tortures subies dans le passé font partie des éléments à prendre en considération pour procéder à l’appréciation visée à l’article 3, le facteur déterminant est l’existence ou non de motifs sérieux de penser que les requérants subiraient un traitement contraire aux dispositions de la Convention s’ils retournaient dans leur pays d’origine. Étant donné que les requérants ont quitté le pays en décembre 2004, rien ne suggère qu’ils pourraient encore intéresser les Azerbaïdjanais.

4.22Pour conclure, l’État partie estime que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par les requérants ne suffisent pas à démontrer que le risque présumé de torture est réel, prévisible et personnel. En conséquence, l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention. Les requérants n’ayant pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis, la communication devrait être déclarée irrecevable car manifestement dénuée de fondement. Pour ce qui est du fond, l’État partie déclare que la requête ne fait apparaître aucune violation de la Convention.

Commentaires des requérants sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 31 mars 2010, les requérants ont affirmé que le spécialiste qui avait procédé aux expertises psychiatriques figurait parmi les plus éminents en Suède pour le diagnostic des actes de torture et des traumatismes. Quant à l’opinion de l’État partie selon laquelle les documents soumis par Amnesty International et le HCR ne prouvent pas que des persécutions cautionnées par l’État sont commises en Azerbaïdjan contre des personnes d’origine arménienne, les requérants relèvent que les deux organisations ont noté que les demandeurs d’asile d’origine arménienne ou d’origine ethnique mixte peuvent courir un risque élevé à leur arrivée en Azerbaïdjan, par exemple celui de subir des pressions de la part des forces de sécurité. En conséquence, compte tenu de ces informations ainsi que des expériences traumatisantes et des pressions qu’ils ont déjà subies en Azerbaïdjan, leur renvoi les exposerait à un risque élevé de mauvais traitements de la part d’agents de l’État ou d’autres personnes agissant à titre officiel. Le fait qu’aucun nouveau cas de discrimination contre des Arméniens n’a été signalé au cours d’une année donnée ne peut servir à prouver que ce type de discrimination a cessé, d’autant que diverses autres sources concordantes indiquent que des Arméniens vivant en Azerbaïdjan s’efforcent de dissimuler leur origine ethnique.

5.2Les requérants contestent également l’argument de l’État partie, qui affirme que s’ils avaient été considérés comme des Arméniens de souche ou des personnes d’origine ethnique mixte, il est peu probable qu’ils auraient été acceptés en Azerbaïdjan. Dans ce contexte, ils rappellent qu’en réalité, les documents attestant que S. M. est d’origine arménienne n’ont pas été remis aux agents du contrôle des frontières mais ont été découverts dans les bagages de la famille après le départ des policiers suédois qui les escortaient. Lorsque les agents du contrôle des frontières ont découvert que S. M. essayait de dissimuler ses origines, l’hostilité à l’égard de la famille s’est accrue. Les requérants ajoutent que les frères et sœurs de S. M. ont aussi connu différentes sortes de difficultés, que l’un des frères au moins a quitté le pays et que l’une des sœurs s’est suicidée après avoir été violée. Les autres s’efforcent de dissimuler leur origine ethnique, et le fait qu’ils y parviennent ne signifie pas que les requérants seraient en sécurité s’ils retournaient dans le pays.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.Dans sa lettre du 4 octobre 2010, l’État partie a rappelé qu’il avait douté de la véracité du récit des requérants, qui affirmaient avoir été victimes de mauvais traitements à leur retour en Azerbaïdjan en 2004, en raison des incohérences que présentait ce récit (voir, entre autres, les paragraphes 4.15 et 4.18 ci-dessus). Il a également contesté l’idée que les autorités azerbaïdjanaises s’intéresseraient encore aux requérants, même si les allégations de ces derniers concernant les motifs de leur départ d’Azerbaïdjan étaient considérées comme étayées. En conséquence, l’État partie réitère ses observations précédentes et maintient que les éléments de preuve et les circonstances invoqués par les requérants ne suffisent pas à démontrer que le risque de torture allégué est prévisible, réel et personnel, et que leur expulsion vers l’Azerbaïdjan ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires supplémentaires des requérants

7.1Dans une lettre datée du 26 octobre 2010, le conseil des requérants a indiqué que la fille des requérants avait reçu l’autorisation de rester en Suède. Elle a été placée chez son frère avec la famille de celui-ci. Cette décision était liée à l’obstacle qui s’opposait à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, à savoir le fait que l’on ne pouvait compter sur aucun adulte pour s’occuper d’elle en Azerbaïdjan vu que ses grands-parents étaient décédés et que ses parents (les requérants) vivaient dans la clandestinité. Il a également été tenu compte de son état de santé, de son adaptation en Suède, des expériences traumatisantes qu’elle a vécues et de l’anamnèse de ses problèmes psychiatriques.

7.2Dans une lettre datée du 22 novembre 2010, le conseil a déclaré que la demande de regroupement familial avec leur fille déposée par les requérants avait été rejetée au motif qu’ils vivaient dans la clandestinité depuis plus de deux ans et que leur fille pourrait bénéficier d’une protection de remplacement. Par conséquent, l’arrêté d’expulsion demeure exécutoire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes. Il note que l’État partie reconnaît que les recours internes ont été épuisés et constate donc que les requérants se sont conformés aux dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

8.3L’État partie affirme que la requête est irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention car l’allégation des requérants, qui prétendent qu’ils risquent d’être soumis à la torture à leur retour en Azerbaïdjan, n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité est d’avis que les arguments dont il est saisi soulèvent des questions qui doivent être examinées sur le fond et pas seulement au regard de la recevabilité. En conséquence, il déclare la requête recevable au titre de l’article 3 de la Convention et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

9.2Le Comité note que l’État partie a délivré un permis de séjour à la fille des requérants, A. M. Par conséquent, il décide de ne pas examiner la partie de la requête concernant celle-ci.

9.3Le Comité doit déterminer si, en expulsant les requérants vers l’Azerbaïdjan, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

9.4Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que les requérants risqueraient d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés en Azerbaïdjan, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence dans le pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives (art. 3, par. 1). Il s’agit cependant de déterminer si les intéressés risquent personnellement d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel ils seraient renvoyés. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans un pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’un individu risque d’être soumis à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble systématique de violations flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

9.5Le Comité rappelle son Observation générale no 1 sur l’application de l’article 3, dans laquelle il expose qu’il doit déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant risque d’être soumis à la torture s’il est expulsé, refoulé ou extradé dans son pays d’origine. Il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable, mais il doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». Par ailleurs, dans l’exercice de ses compétences en application de l’article 3 de la Convention, le Comité accordera un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Toutefois, le Comité n’est pas lié par de telles constatations, et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

9.6Le Comité note que les requérants affirment qu’ils risquent d’être soumis à la torture en Azerbaïdjan en raison des origines mixtes de S. M., qui font de la famille une cible pour les autorités. Ils affirment également qu’à cause des origines arméniennes de S. M., toute la famille a subi des persécutions à caractère ethnique et qu’ils ont été frappés et persécutés par des voisins ainsi que par des agents de l’État (policiers). Ils déclarent en outre qu’ils ont été placés en détention, interrogés, frappés et agressés sexuellement (H. M.) par des membres du Service de la sécurité nationale, y compris à l’aéroport lorsqu’ils ont été renvoyés de Suède en août 2004 et lors d’interrogatoires ultérieurs.

9.7Le Comité observe que les allégations de torture des requérants sont corroborées par des rapports médicaux dignes de foi émanant du Centre de prise en charge des victimes de crises et de traumatismes de Stockholm. À la lumière de ce qui précède et compte tenu du traitement infligé aux requérants à leur retour en Azerbaïdjan en août 2004 et des informations générales dont le Comité dispose, indiquant que les comportements hostiles de la part de la population à l’égard des Arméniens de souche vivant dans le pays sont encore très répandus, que les personnes d’origine arménienne sont exposées à la discrimination dans la vie quotidienne, qu’elles sont harcelées par des fonctionnaires de rang inférieur, qui leur réclament parfois des pots-de-vin, lorsqu’elles déposent une demande de passeport et qu’elles dissimulent souvent leur identité en modifiant la mention de leur origine ethnique sur leur passeport, le Comité considère que le renvoi des requérants en Azerbaïdjan les exposerait à un risque personnel, réel et prévisible de torture au sens de l’article 3 de la Convention. En conséquence, le Comité conclut que l’expulsion des requérants vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi de S. M. et de H. M. en Azerbaïdjan constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

11.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (anciennement art. 112) de son règlement intérieur, le Comité souhaite recevoir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures que l’État partie aura prises pour donner suite à la présente décision.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]