Nations Unies

CAT/C/TJK/CO/2

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

21 janvier 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le deuxième rapport périodique du Tadjikistan, adoptées par le Comitéà sa quarante-neuvième session(29 octobre-23 novembre 2012)

1.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique du Tadjikistan (CAT/C/TJK/2) à ses 1108e et 1111e séances (CAT/C/SR.1108 et 1111), les 7 et 8 novembre 2012. À ses 1126e et 1127e séances (CAT/C/SR.1126 et 1127), le 20novembre 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission du deuxième rapport périodique de l’État partie, qui suit les directives générales concernant la forme et le contenu des rapports périodiques. Il regrette toutefois que l’État partie n’ait pas répondu aux questions posées dans le cadre de la procédure de suivi.

3.Le Comité apprécie aussi le dialogue franc et ouvert qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie ainsi que les réponses écrites à la liste des points à traiter (CAT/C/TJK/Q/2/Add.1) et les renseignements complémentaires apportés oralement par la délégation.

B.Aspects positifs

4.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures législatives prises au cours de la période considérée, notamment:

a)L’adoption, en mars 2007, du Code de procédure administrative;

b)L’adoption, en mars 2008, du Code de procédure pénale afin d’introduire une audience de mise en détention et de transférer du parquet aux juges la faculté d’autoriser la détention avant jugement;

c)L’adoption, en mars 2008, de la loi relative au Commissaire des droits de l’homme, et la nomination, en mai 2009, du Premier Commissaire aux droits de l’homme (Médiateur);

d)L’adoption, en décembre 2008, du Code des infractions administratives;

e)Les modifications apportées en juillet 2009 à la loi relative à la Cour constitutionnelle afin d’élargir les pouvoirs et les compétences de cette juridiction.

5.Le Comité accueille aussi avec satisfaction:

a)Le moratoire sur la peine de mort décrété en 2004 et la création, en avril 2010, d’un groupe de travail chargé d’étudier la question de l’abolition de la peine de mort dans le Code pénal et la possibilité de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

b)La visite effectuée dans le pays en mai 2012 par le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture et peines prévues

6.Le Comité salue l’introduction dans le Code pénal de l’article 143-1 qui vise à rendre la définition de la torture entièrement conforme à l’article premier de la Convention mais relève avec inquiétude que les peines d’emprisonnement prévues pour les auteurs d’actes de torture non récidivistes, d’une durée égale ou inférieure à cinq ans, ne sont pas à la mesure de la gravité du crime de torture (art. 1er et 4).

Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier l ’ article 143-1 du Code pénal afin de garantir que les peines applicables à l ’ infraction de torture reflètent la gravité de l ’ acte, comme l ’ exige l ’ article 4 de la Convention.

Loi d’amnistie

7.Le Comité note avec une vive inquiétude que la loi d’amnistie de 2011 confère une assez grande discrétion aux organes du parquet pour ce qui est de commuer, de réduire ou de suspendre les peines dans les cas de condamnation pour actes de torture, comme dans le cas de trois agents de police condamnés pour leur implication dans le décès en garde à vue d’Ismoil Bachajonov (art. 2).

L ’ État partie devrait veiller à ce que la loi d ’ amnistie dispose clairement qu ’ aucun condamné reconnu coupable de torture ne peut faire l ’ objet d ’ une amnistie et à c e que cette interdiction soit stricte ment respectée dans la pratique.

Garanties juridiques fondamentales

8.Le Comité prend note des garanties de procédure introduites par le Code de procédure pénale de 2010, dont l’obligation d’enregistrer la détention dans les trois heures de l’arrivée au poste de police (art. 94.1), le droit à l’assistance d’un avocat (art. 22.1 et 49.2) et le droit de ne pas rester détenu pendant plus de soixante-douze heures à compter de l’arrestation (art. 92.3). Il s’inquiète toutefois de ce que, du fait du manque de clarté sur le moment où l’intéressé est considéré comme en détention en vertu du Code (art. 91.1) les détenus ne sont pas protégés par les garanties juridiques fondamentales entre leur arrestation et la reconnaissance officielle de la détention. Il ressort de certaines informations que, en pratique et dans la majorité des cas, les détenus ne bénéficient pas du droit d’avoir rapidement accès à un avocat et à un médecin indépendant, du droit d’aviser un proche et d’autres garanties juridiques qui les préserveraient du risque de torture. Le Comité est en particulier préoccupé par les informations provenant de nombreuses sources selon lesquelles les fonctionnaires de police ne tiennent pas de registre précis de toutes les périodes de privation de liberté, n’enregistrent pas les suspects dans les trois heures suivant leur arrivée au poste de police, ne respectent pas le délai de soixante-douze heures après lequel le suspect doit être libéré ou transféré d’un poste de police à un centre de détention avant jugement, et n’informent pas les membres de la famille du transfert de détenus d’un lieu de détention à un autre. En outre, le Comité note avec préoccupation qu’en vertu de l’article 111-1 du Code de procédure pénale, les juges sont habilités à autoriser la détention avant jugement en se fondant uniquement sur la gravité des faits reprochés, et que la détention avant jugement peut être prolongée jusqu’à dix-huit mois (art. 2).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à prendre sans délai des mesures efficaces pour que, en droit et dans la pratique, tous les détenus bénéficient de toutes les garanties juridiques dès leur appréhension. L ’ État partie devrait en particulier:

a) Modifier le Code de procédure pénale de fa çon que l ’ arrestation commence dès le moment de l ’ appréhension effective;

b) Établir un registre officiel , central , dans lequel l ’ arrestation sera immédiatement et rigour eusement consignée, avec au minimum les renseignements suivants: i) l ’ heure de l ’ arrestation; ii) le motif de l ’ arrestation; iii) le nom du ou des policiers ayant procédé à l ’ arrestation; iv) le lieu où la personne est détenue et les éventuels transferts ultérieurs; v) le nom des responsables de la garde. Les fonctionnaires qui ne consignent pas ces informations devr o nt être tenus pour responsables;

c) Veiller à ce que les suspects soient informés de leurs droits dès le moment de leur appréhension ainsi que des motifs de leur détention;

d) Garantir aux suspects le droit d ’ avoir accès à un avocat de leur choix dès le moment de l ’ appréhension et le droit de s ’ entretenir avec lui en privé, notamment en adoptant des dispositions lég islatives à cette fin ;

e) Veiller à ce que toute personne arrivant dans un centre de détention fasse systématiquement l ’ objet d ’ un examen médical, et à ce que, si le détenu le demande , l ’ examen soit pratiqué par un médecin indépendant, sans que cette possibilité soit subordonnée à l ’ autorisation ou à la demande des autorités;

f) Prévoir l ’ obligation de déférer rapidement les détenus devant un juge conformément aux normes internationales et réduire la durée (actuellement fixée à soixante-douze heures) de la garde à vue;

g) Modifier le Code de procédure pénale pour supprimer le délai de douze heures donné aux membres des forces de l ’ ordre pour informer les membres de la famille de l ’ arrestation d ’ une personne;

h) Modifier le Code de procédure pénale pour garantir que les tribunaux n ’ autorisent pas le placement en détention avant jugement e n se fondant uniquement sur la gravité d es faits reprochés et que l a détention avant jugement ne puisse pas être prolongée en l ’ absence de motifs dûment fondés présentés par le parquet.

Allégations de torture et de mauvais traitements

9.Le Comité est profondément préoccupé par les allégations nombreuses et concordantes, corroborées par plusieurs sources, concernant l’utilisation courante de la torture et des mauvais traitements sur des suspects, principalement pour leur extorquer des aveux aux fins de l’action pénale, surtout durant les premières heures de l’interrogatoire en garde à vue ainsi que dans les établissements de détention temporaire et de détention avant jugement gérés par le Comité d’État chargé de la sécurité nationale et par le Département de la lutte contre la criminalité organisée (art. 2, 10, 11, 12, 13, 15 et 16).

À titre d ’ urgence, l ’ État partie devrait prendre immédiatement des mesures efficaces pour prévenir et faire disparaître la pratique de la torture et des mauvais traitements dans tout le pays, en particulier pendant la garde à vue et dans les établissements de détention temporaire et de détention avant jugement gérés par le Comité chargé de la sécurité nationale et par le Département de la lutte contre la criminalité organisée. Le Comité engage aussi instamment l ’ État partie à:

a) Faire o uvrir rapidement des enquêtes efficaces et impartiales sur tous les cas et toutes les allégations de torture et de mauvais traitements;

b) Poursuivre en justice les auteurs d ’ actes de torture et de mauvais traitements, et rendre publiquement compte de l ’ issue des poursuites;

c) Assurer l ’ enregistrement vidéo de tous les interrogatoires et installer des dispositifs de vidéosurveillance dans tou te s les salles de s locaux de garde à vue où peuvent se trouver les détenus, sauf dans les cas où il y a risque d ’ attein t e au droit du détenu au respect de la vie privée et du caractère confidentiel des communications avec son avocat ou son médecin . Les enregistrements vidéo doivent être conservés en lieu sûr et être mis à la disposition des enquêteurs, des détenus et de leurs avocats;

d) Réaffirmer sans ambiguïté le caractère absolu de l ’ interdiction de la torture et faire publiquement savoir que quiconque commettrait de tels actes, en serait complice ou y participerait, serait tenu personnellement responsable devant la loi, ferait l ’ objet de poursuites pénales et encourrait les peines appropriées.

Décès en détention

10.Le Comité est préoccupé par les informations de l’État partie et d’organisations non gouvernementales concernant plusieurs cas de décès en détention, notamment les décès de Ismonboy Boboev, Usman Boboev, Khurshed Bobokalonov, Alovuddin Davlatov, Murodov Dilshodbek, Hamza Ikromzoda, Khamzali Ikromzoda, Safarali Sangov et Bahromiddin Shodiev, ainsi que par l’absence d’enquêtes diligentes et impartiales sur ces décès (art. 2, 12 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à faire mener rapidement des enquêtes impartiales et efficaces sur tous les décès de détenus, à évaluer l ’ éventuelle responsabilité des fonctionnaires concernés , et à veiller à ce que les responsables soient punis et que les familles des victimes soient indemnisées. Le Comité demande à l ’ État partie de donner des renseignements à jour et complets sur tous les cas signalés de décès en détention, notamment le lieu, la cause du décès et l ’ issue des enquêtes menées, en indiquant notamment si les responsables ont été punis et si les familles des victimes ont été indemnisées.

Enquêtes et impunité

11.Le Comité note avec une profonde préoccupation que les allégations de torture et de mauvais traitements ne font pas rapidement l’objet d’enquêtes impartiales et efficaces, et ne donnent pas lieu à des poursuites judiciaires, ce qui crée un climat d’impunité. Il relève également avec inquiétude qu’en vertu de l’article 28 1) du Code de procédure pénale, une juridiction, un juge, un procureur ou un enquêteur peut mettre un terme à l’action pénale et exonérer l’accusé de toute responsabilité pénale. Une telle décision peut être prise en cas de repentance, de conciliation avec la victime, de changement de situation ou d’expiration du délai de prescription (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait:

a) Prendre des mesures concrètes pour établir un mécanisme efficace et indépendant d ’ enquêtes qui n ’ ait pas de lien avec l ’ organe chargé d ’ instruire l ’ affaire;

b) Ouvrir rapidement des enquêtes impartiales et approfondies sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, et traduire l ’ auteur présumé en justice;

c) Abroger les dispositions du Code de procédure pénale permettant de mettre fin à l ’ action pénale et d ’ exonérer le défendeur de toute responsabilité pénale lorsqu ’ il s ’ agit d ’ affaires de torture et de mauvais traitements.

Torture et mauvais traitements dans les forces armées

12.Le Comité note la création de permanences téléphoniques d’urgence et d’unités mobiles de surveillance pour traiter du problème du bizutage et des mauvais traitements infligés aux conscrits par des officiers ou d’autres soldats dans l’armée, mais il note avec inquiétude que ces pratiques n’ont pas cessé dans l’État partie (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures pour interdire et faire disparaître la pratique du bizutage et les mauvais traitements dans les forces armées et veiller à ce que des enquêtes impartiales et approfondies soient rapidement ouvertes sur toutes les plaintes dénonçant de tels actes. S ’ il existe des preuves de bizutage, l ’ État partie devrait établir les responsabilités des auteurs directs et de tous ceux concernés dans la chaîne de commandement, poursuivre et sanctionner les responsables par des peines à la mesure de la gravité des actes commis, rendre publics les résultats des enquêtes, et assurer aux victimes une indemnisation et les moyens d ’ une réadaptation complète notamment une assistance médicale et psychologique appropriée.

Preuves obtenues par la torture et absence d’enquêtes d’office

13.Le Comité accueille avec satisfaction l’introduction, en mars 2008, de l’article 88 3) dans le Code de procédure pénale, en vertu duquel les preuves obtenues par «la force physique, la contrainte, des actes cruels, inhumains et d’autres méthodes illégales» ne peuvent pas être utilisées dans une affaire pénale, ainsi que la décision de la Cour suprême de juin 2012 précisant la notion d’irrecevabilité des preuves obtenues par des moyens illégaux, mais il est préoccupé par l’absence d’un mécanisme efficace de contrôle et par la non-application de ces dispositions dans la pratique. Il est aussi préoccupé par les informations selon lesquelles les juges rejettent fréquemment les plaintes pour torture lorsqu’elles sont formulées par des défendeurs et le parquet refuse d’ouvrir une enquête à moins qu’une plainte soit officiellement déposée (art. 15).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à garantir, dans la pratique, que des déclarations obtenues par la torture ne soient pas utilisées comme preuves dans une procédure judiciaire. L ’ État partie devrait veiller à ce qu ’ à chaque fois qu ’ une personne affirme que des aveux lui ont été extorqués par la torture la procédure soit suspendue jusqu ’ à ce que les griefs aient fait l ’ objet d ’ une enquête approfondie. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de réexaminer les cas de condamnations fondées uniquement sur des aveux.

Conditions de détention

14.S’il donne à l’État partie acte des initiatives prises pour améliorer les conditions de vie dans les prisons et les centres de détention avant jugement, le Comité reste préoccupé par:

a)Les informations selon lesquelles il n’y a pas l’eau chaude, les conditions sanitaires sont insuffisantes, la ventilation fait défaut, il n’y a pas le nécessaire pour faire sécher le linge, ce qui favorise les infections respiratoires et d’autres maladies, et selon lesquelles également les détenus manquent de produits d’hygiène personnelle, de nourriture et de soins médicaux;

b)Les régimes inutilement sévères appliqués aux prisonniers condamnés à la réclusion à perpétuité qui, d’après les informations reçues, sont maintenus dans un isolement quasi total, pendant des durées allant parfois jusqu’à vingt-trois heures par jour, dans de petites cellules sans aération, et n’ont pas le droit de communiquer avec un avocat, de voir leur famille plus d’une fois par an et de faire diverses activités;

c)Le fait qu’il n’y ait toujours pas d’inspections systématiques et indépendantes de tous les lieux de détention par des observateurs nationaux ou internationaux, notamment le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Le Comité note que le Médiateur peut certes effectuer de telles visites, mais il estime préoccupant que le résultat de ces inspections ne soit pas rendu public;

d)L’absence d’un mécanisme de plainte à la disposition des détenus; l’État partie indique qu’il leur est possible de dénoncer des actes de torture ou des mauvais traitements par écrit au moyen d’enveloppes fermées, mais il semble que celles‑ci ne parviennent pas aux autorités concernées et les détenus n’ont souvent pas de quoi écrire;

e)Le fait que le nombre, l’emplacement et la capacité des établissements pénitentiaires du Tadjikistan, ainsi que le nombre de détenus, soient des informations qualifiées de «secret d’État».

L ’ État partie devrait:

a) A llouer des ressources budgétaires suffisantes pour améliorer les conditions de vie dans tous les lieux de détention;

b) Supprimer la pratique consistant à placer à l ’ isolement total les prisonniers condamnés à la réclusion à perpétuité, améliorer leurs conditions de vie et abroger les dispositions qui limitent les contacts de ces prisonniers avec leur avocat et leurs proches;

c) P rendre à titre prioritaire des dispositions concrètes pour ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention et établir un mécanisme national de prévention efficace, doté de moyens suffisants et habilité à effectuer régulièrement, sans avis préalable et sans restrictions, des visites indépendantes dans tous les lieux de détention, pendant l esquelles les inspecteurs puissent s ’ entretenir seul à seul avec les détenus. En attendant, accorder aux représentants du CICR et des organisations non gouvernementales indépendantes un accès illimité à tous les lieux de détention et veiller à ce que le M édiateur, accompagné de professionnels de santé, effectue régulièrement des visites inopinées dans tous les lieux de privation de liberté , y compris dans les locaux de la police, et rende public le résultat de ces inspections;

d) M ettre en place un système efficace, accessible et confidentiel pour recueillir et traiter les plaintes pour torture ou mauvais traitements dans tous les lieux de détention, en veillant à ce que: i) tout détenu puisse s ’ adresser au Procureur , à sa demande, sans restrictions et sans surveillance; ii) toutes les plaintes soient examinées sans délai, de manière impartiale et diligente ; iii) les responsables soient punis de peines appropriées; iv) les plaignants n ’ aient pas à craindre de représailles;

e) Rendre publics le nombre, l ’ emplacement et la capacité des centres de détention du pays, ainsi que le nombre de détenus, conformément à la déclaration faite dans ce sens par la délégation.

Plaintes, représailles et protection des victimes, des témoins et des défenseursdes droits de l’homme

15.Le Comité est préoccupé par des informations selon lesquelles les victimes et les témoins de torture ou de mauvais traitements ne dénoncent pas ces actes auprès des autorités parce qu’ils craignent des représailles et parce que les plaintes ne reçoivent pas la suite voulue. En outre, il note que les infractions de calomnie et d’insulte ont été supprimées du Code pénal en juillet 2012, mais il reste préoccupé par des informations indiquant que des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme qui dénoncent des cas de torture et de mauvais traitements sont victimes de harcèlement et d’intimidation. En particulier il est préoccupé d’apprendre que des victimes présumées de torture et leurs proches, des journalistes, des avocats, des experts médicaux et des défenseurs des droits de l’homme qui s’étaient adressés au Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants lorsque celui-ci s’était rendu au Tadjikistan en mai 2012 ont par la suite fait l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation de la part des autorités. De plus, si le Comité prend note des renseignements donnés par la délégation, il reste préoccupé par le fait que l’Association des jeunes juristes du Tadjikistan (Amparo), membre de la Coalition contre la torture dont des représentants avaient rencontré le Rapporteur spécial lors de sa venue, a été fermée récemment, après que le Ministère de la justice eut demandé sa dissolution pour des motifs administratifs et que le tribunal municipal de Khujand eut pris une décision à cet effet le 24 octobre 2012 (art. 12 et 13).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à mettre en place un mécanisme indépendant, efficace et accessible, doté des moyens voulus, pour aider les victimes et les témoins à dénoncer les actes de torture auprès des autorités et pour faciliter le traitement de ces plaintes, conformément à l ’ engagement pris dans ce sens par l ’ État partie à l ’ issue de l ’ Examen périodique universel de mars 2012. L ’ État partie devrait également veiller à ce que , dans la pratique, les plaignants et les organisations de la société civile so ie nt protégés contre toute forme de mauvais traitement s , d ’ intimidation ou de représailles qui serait motivée par leur plainte, et que des mesures disciplinaires appropriées, ou pénales le cas échéant, so ie nt prises contre les agents de la force publique qui se seraient rendus coupables de tels actes.

Violence contre les femmes et les enfants

16.Le Comité constate avec une profonde préoccupation qu’aucune loi ne réprime les actes de violence contre les femmes, bien qu’il existe depuis 2009 un projet de loi sur la «protection sociale et juridique contre la violence dans la famille»; il est également très préoccupé par les informations selon lesquelles la violence dans la famille est très fréquente, par les difficultés que rencontrent les victimes pour porter plainte et par la réticence des agents de la force publique à intervenir face à de tels actes. Le Comité s’inquiète en outre de ce qu’aucune loi n’interdise les châtiments corporels sur les enfants, alors que leur usage serait très répandu à la maison, à l’école et dans d’autres institutions éducatives (art. 2, 12, 13 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et réprimer la violence à l ’ égard des femmes et des enfants, notamment au moyen des mesures suivantes:

a) A dopter rapidement le projet de loi sur la «protection sociale et juridique contre la violence dans la famille » et criminaliser les actes de cette nature;

b) P rendre des mesures efficaces pour que les femmes et les enfants victimes de violence, notamment de violence au foyer , puissent exercer leur droit de plainte, pour que ces plaintes soient examinées attentivement, et pour que leurs auteurs soient poursuivis et punis de peines appropriées;

c) A dopter une loi interdisant explicitement les châ timents corporels dans tous les contextes ;

d) Assurer une protection immédiate aux victimes de violence au foyer ou de violence sexuelle, ainsi que des voies de recours, notamment en ordonnant l ’ éloignement des auteurs et en offrant un accueil en foyer et une aide à la réadaptation;

e ) D ispenser une formation aux agents de la force publique, aux juges et aux procureurs sur les moyens d ’ effectuer le traitement, l ’ instruction et le suivi, en respectant la sensibilité de la victime et la confidentialité, des plaintes pour violence au foyer ou pour violence sexuelle et des cas de traite de pers onnes et de violence à l ’ égard des enfants;

f) Mener des campagnes de sensibilisation sur les conséquences préjudiciables des châtiments corporels infligés aux enfants et de la violence au foyer ou de la violence  sexuelle.

Indépendance de la magistrature

17.Le Comité accueille avec satisfaction le Programme de réforme juridique et judiciaire en deux phases, qui vise à renforcer le pouvoir judiciaire par des mesures telles qu’une meilleure rémunération des juges, mais il constate avec préoccupation que le système judiciaire reste faible et inefficace, qu’il subit l’influence du Conseil de la justice, organe qui serait subordonné au Président et à l’exécutif, et que c’est le Président qui est responsable de la nomination et de la révocation des juges (art. 2, 12 et 13).

L ’ État partie devrait prendre des mesures pour garantir que le pouvoir judiciaire soit totalement indépendant et impartial dans l ’ exercice de ses fonctions, et revoir le régime de nomination, de promotion et de révocation des juges afin de le rendre conforme aux normes internationales pertinentes, notamment aux Principes fondamentaux relatifs à l ’ indépendance de la magistrature (approuvés par l ’ Assemblée générale dans ses résolutions 40/32 du 29 novembre 1985 et 40/146 du 13 décembre 1985).

Non-refoulement et extradition

18.Le Comité note avec préoccupation que le Code de procédure pénale ne contient aucune disposition qui interdise de manière absolue l’extradition ou l’expulsion d’une personne qui court un risque de torture, et que la loi n’établit pas de procédures claires pour contester devant la justice la légalité d’une mesure d’extradition ou d’expulsion. Il est aussi profondément préoccupé par des informations selon lesquelles l’État partie aurait demandé l’extradition de personnes soupçonnées d’appartenance à des groupes islamiques interdits, qui auraient été placées au secret et à l’isolement à leur arrivée au Tadjikistan et torturées ou maltraitées par des agents de la force publique. Le Comité est préoccupé en outre par des informations faisant état de la situation de certaines personnes risquant d’être victimes de torture en cas de renvoi, qui avaient saisi la Cour européenne des droits de l’homme et qui ont été enlevées dans un pays voisin par des membres des forces de sécurité tadjikes, puis ramenées de force au Tadjikistan, où elles ont ensuite été soumises à des tortures ou à des mauvais traitements. De même, il est préoccupé par des informations selon lesquelles, en octobre 2012, Abdulvosi Latipov, ancien membre de l’Opposition tadjike unie, aurait été enlevé en Fédération de Russie et renvoyé au Tadjikistan, où il serait détenu au secret (art. 3).

L ’ État partie devrait:

a) Inscrire clairement dans la loi, et respecter dans la pratique, ses obligations relatives au principe du non-refoulement qui découlent de l ’ article 3 de la Convention, y compris l ’ obligation d ’ accorder à toute personne passible d ’ extradition le droit de faire appel de cette décision, et celle de s ’ abstenir de demander et d ’ accepter des assurances diplomatiques d ’ un État lorsqu ’ il existe des motifs sérieux de croire que la personne en cause risque d ’ être soumise à la torture. L ’ État partie devrait donner au Comité des renseignements détaillés sur tous les cas où de telles assurances ont été données;

b) Mettre un terme à la pratique consistant à enlever des personnes dans d ’ autres États et à les rapatrier de force au Tadjikistan où elles sont ensuite détenues au secret, et veiller à empêcher tout acte de torture ou mauvais traitements;

c) Faire connaître le lieu de détention d ’ Abdulvosi Latipov et s ’ assurer que ce dernier n ’ est pas soumis à la torture ou à des mauvais traitements et que ses droits fondamentaux sont pleinement garantis, notamment qu ’ il peut consulter en temps voulu un avocat indépendant.

Formation

19.Le Comité relève avec satisfaction que des programmes de formation aux droits de l’homme ont été organisés à l’intention des agents de la force publique, des juges, des procureurs et du personnel du Ministère de l’intérieur pendant la période considérée, ainsi que la création d’un groupe de travail, dirigé par le Président de la Cour constitutionnelle, chargé d’informer les agents de la force publique sur l’interdiction de la torture et de les sensibiliser à cet égard. Il reste cependant préoccupé par le fait que les agents de la force publique et les professionnels de santé n’ont pas la formation voulue pour évaluer et traiter de manière adéquate les cas de violence au foyer à l’égard des femmes, notamment de viol, les cas de violence à l’égard des enfants et les cas de traite de personnes. Il s’inquiète en outre de ce que les services de médecine légale ne disposent pas, semble-t-il, de personnel médical qui sache examiner les cas de torture conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) (art. 10).

L ’ État partie devrait renforcer les connaissances des agents de la force publique, des juges, des procureurs et du personnel de l ’ administration pénitentiaire sur les obligations découlant de la Convention et procéder à une évaluation complète de l ’ incidence des formations dispensées dans ce domaine. Il devrait dispenser également aux professionnels concernés, en particulier aux professionnels de santé, une formation sur l ’ utilisation du Protocole d ’ Istanbul pour détecter et attester les signes de torture et de mauvais traitements. Il devrait en outre dispenser aux agents de la force publique et aux professionnels de santé une formation qui leur permette d ’ évaluer et de traiter de manière adéquate les cas de violence au foyer contre les femmes, notamment de viol, les cas de violence contre les enfants et les cas de traite de personnes.

Justice des mineurs

20.Le Comité relève l’adoption du Plan d’action national pour la réforme du système de justice pour mineurs 2010-2015, mais reste préoccupé par le manque de tribunaux et de juges spécialisés dans ce domaine. Il est préoccupé également par des informations selon lesquelles les enfants sont souvent placés en détention avant jugement et mis à l’isolement à titre de mesure disciplinaire dans le centre de détention pour mineurs, punis de longues peines privatives de liberté pour des infractions mineures, ou privés des garanties juridiques fondamentales, y compris l’accès à un avocat; il serait également fréquent que des enfants soient maltraités par des policiers qui cherchent par ce moyen à les faire avouer, ce qui en aurait poussé certains à se suicider ou tenter de se suicider (art. 11, 12 et 16).

Le Comité engage instamment l ’ État partie à:

a) Mettre en place un système de justice pour mineurs efficace et opérationnel, et conforme aux normes internationales, notamment à l ’ Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l ’ administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) et aux Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad);

b) Revoir la situation de tous les enfants condamnés à un emprisonnement afin de s ’ assurer que les peines privatives de liberté ne sanctionnent que les infractions pénales graves, et veiller à ce que le placement d ’ un mineur à l ’ isolement cellulaire ne soit utilisé qu ’ en dernier recours, dans des cas très exceptionnels, pour une durée aussi courte que possible et sous stricte supervision judiciaire, et qu ’ il soit susceptible de contrôle juridictionnel;

c) Garantir que les droits des enfants soient respectés dans tous les lieux de détention, notamment le droit d ’ être assisté d ’ un défenseur, et prévoir à cette fin un nombre suffisant d ’ avocats ayant les compétences et la formation requises;

d) Prendre des mesures efficaces pour empêcher que des enfants ne soient maltraités dans le cadre des enquêtes de police, et veiller à ce que de tels actes donnent lieu à une enquête et à ce que leurs auteurs fassent l ’ objet de sanctions disciplinaires ou pénales appropriées.

Mesures de réparation, notamment indemnisation et moyens de réadaptation

21.Le Comité s’inquiète de ce que la législation de l’État partie ne contienne aucune disposition prévoyant explicitement le droit des victimes de torture d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, y compris en bénéficiant des moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible, comme l’exige l’article 14 de la Convention. Il regrette également que l’État partie n’ait pas fourni de données sur le montant des indemnités éventuellement accordées par les tribunaux aux victimes de violations de la Convention, notamment celles qui ont été soumises à la torture ou à des mauvais traitements entre 1995 et 1999 et les 35 victimes de traite renvoyées au Tadjikistan en 2007 en provenance d’autres pays. Le Comité note également qu’aucune information n’est disponible sur les éventuels services de soins et d’aide à la réadaptation, y compris la réadaptation physique et psychosociale et la réinsertion sociale, qui sont proposés aux victimes (art. 14).

L ’ État partie devrait veiller à ce que la législation nationale contienne des dispositions précises sur le droit des victimes de torture d ’ obtenir réparation et d ’ être indemnisées équitablement et de manière adéquate pour le préjudice subi, y compris en bénéficiant des moyens nécessaires à leur réadaptation la plus complète possible . Il devrait, dans la pratique, assurer une réparation à toutes les victimes de torture ou de mauvais traitements, en leur accordant une indemnisation équitable et adéquate et en favorisant leur réadaptation la plus complète possible , que les auteurs de ces actes aient ou non été traduits en justice, et ce, notamment, aux victimes de la traite, aux personnes qui ont été torturées ou maltraitées entre 1995 et 1999, et aux proches des personnes décédées en garde à vue.

Le Comité appelle l ’ attention de l ’ État partie sur l ’ Observation générale n o  3 (2012), adoptée récemment, relative à l ’ article 14 de la Convention, qui a pour objet d ’ expliquer le contenu et la portée des obligations des États parties en ce qui concerne la réparation complète à assurer aux victimes de torture.

Collecte de données

22.Le Comité regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, enquêtes, poursuites et condamnations concernant des cas de torture et de mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre et des forces de sécurité, des militaires ou des agents pénitentiaires, ainsi que sur la traite, la violence au foyer et la violence sexuelle, et sur les réparations proposées aux victimes.

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques relatives à la surveillance de la mise en œuvre de la Convention au niveau national, y compris des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations dans les affaires de torture et de mauvais traitements, sur la traite, la violence au foyer et la violence sexuelle, ainsi que sur les réparations, notamment l ’ indemnisation et l ’ aide à la réadaptation proposées aux victimes.

23.Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques dès que possible. Il l’invite également à envisager de ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, c’est-à-dire la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Protocole facultatif s’y rapportant, le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

24.Le Comité recommande également à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention, afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications.

25.L’État partie est invité à diffuser largement le rapport qu’il a soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

26.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 23 novembre 2013, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité formulées aux paragraphes 8 a) et b), 9 a), 11 c) et 14 a), b), c) et d) du présent document: a) mener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces; b) renforcer ou faire respecter les garanties juridiques pour les détenus; c) poursuivre et punir les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements.

27.Le Comité invite l’État partie à lui faire parvenir son prochain rapport périodique, qui sera le troisième, le 23 novembre 2016 au plus tard. À cette fin, il l’invite à accepter d’établir son rapport conformément à la procédure facultative qui consiste à transmettre à l’État partie une liste de points avant que celui-ci n’établisse son rapport périodique, et à le faire savoir d’ici au 23 novembre 2013. Les réponses à cette liste constitueront le prochain rapport périodique de l’État partie au titre de l’article 19 de la Convention.