NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1041/20017 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-dixième session9-27 juillet 2007

CONSTATATIONS

Communication n o 1041/2001

Présentée par:

Shevkhie Tulyaganova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Refat Tulyaganov (fils décédé de l’auteur)

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

12 décembre 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision du Rapporteur spécial en application de l’article 92 et de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 décembre 2001 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

20 juillet 2007

Objet: Condamnation à mort à l’issue d’un procès inéquitable avec recours à la torture pendant l’enquête préliminaire

Questions de fond: Torture, procès inéquitable, privation arbitraire de la vie

Questions de procédure: Appréciation des faits et des éléments de preuve, justification des griefs

Articles du Pacte: 6, 7, 9, 14, 15 et 16

Article du Protocole facultatif: 2

Le 20 juillet 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1041/2001, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-dixième session

concernant la

Communication n o 1041/2001**

Présentée par:

Shevkhie Tulyaganova (non représentée par un conseil)

Au nom de:

Refat Tulyaganov (fils décédé de l’auteur)

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

12 décembre 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2003,

Ayant achevé l’examen de la communication no1041/2001 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Refat Tulyaganov, au titre du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur est Mme Shevkhie Tulyaganova, de nationalité ouzbèke, née en 1955. Elle présente la communication au nom de son fils, Refat Tulyaganov (exécuté depuis lors), qui au moment de la présentation de la communication était en attente d’exécution après avoir été condamné à mort par le tribunal municipal de Tachkent le 5 juillet 2001. Elle affirme que son fils a été victime de violations par l’Ouzbékistan des droits qui lui sont garantis aux articles 6, 9, 14, 15 et 16 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil.

1.2Quand il a enregistré la communication, le 24 décembre 2001, et en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution du fils de l’auteur tant que l’examen de l’affaire serait en cours. Le 27 septembre 2002, l’auteur a fait savoir au Comité qu’elle avait été informée que son fils avait été exécuté le 18 janvier 2002, en dépit de la demande du Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 7 janvier 2001, Refat Tulyaganov a été arrêté à Tachkent avec deux amis, Kim et Urinov, parce qu’il était soupçonné de meurtre. Les trois hommes étaient accusés d’avoir planifié et exécuté en réunion le meurtre d’un certain Temur Salikhov, et d’avoir tenté de tuer deux autres personnes, Ruslan Salikhov et Ruslan Fayzrakhmanov, plus tôt dans la journée. Selon les enquêteurs, leur acte était motivé par le fait que Temur Salikhov (à l’époque camarade de classe de Tulyaganov et de Kim) avait témoigné que le fils de l’auteur et Kim avaient agressé un chauffeur de taxi et lui avaient volé son argent, témoignage sur la foi duquel ils avaient été condamnés à huit et neuf ans d’emprisonnement respectivement. Après avoir exécuté leur peine, ils ont décidé de punir Temur Salikhov.

2.2Le 6 janvier 2001, tard dans la soirée, les trois hommes se sont rendus dans un bar‑discothèque de Tachkent où se trouvait Temur Salikhov. L’établissement a fermé le 7 janvier 2001 vers 5 heures. Tulyaganov, Kim et Urinov ont attendu la sortie de Salikhov. Lorsque ce dernier a quitté les lieux, accompagné de son frère et d’une connaissance, Fayzrakhmanov, le fils de l’auteur et Kim lui ont demandé de leur dire pourquoi il avait témoigné contre eux en 1998. À un moment donné, Tulyaganov et Salikhov ont commencé à se battre et le frère de Salikhov a essayé de les séparer. Tulyaganov a alors donné un coup de couteau à ce dernier puis au compagnon des deux frères avant d’assener trois coups de couteau au thorax à Temur Salikhov. Selon l’auteur, son fils a seulement essayé de se protéger parce qu’il était agressé.

2.3Temur Salikhov a été emmené aux urgences mais n’a pas pu être réanimé. Selon le médecin légiste, une hémorragie était à l’origine du décès. L’auteur affirme que le décès était dû en fait aux soins inadéquats et tardifs qui lui avaient été dispensés à l’hôpital.

2.4Le 5 juillet 2001, le tribunal municipal de Tachkent a déclaré les trois accusés coupables de meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes et de tentatives de meurtre, et a condamné Tulyaganov à la peine de mort et les deux coaccusés à dix‑huit ans et vingt ans de réclusion respectivement. Le 21 août 2001, la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent a examiné le recours de Tulyaganov et a confirmé la condamnation à mort. La Cour suprême a ensuite examiné l’affaire selon la procédure de contrôle et la condamnation à mort a été confirmée.

2.5L’auteur affirme qu’immédiatement après son arrestation, son fils a été battu et torturé pour qu’il avoue sa culpabilité et qu’une pression «morale et psychologique» a été exercée sur lui. Selon un arrêt de la Cour suprême daté du 20 février 1996, l’utilisation de preuves obtenues par des méthodes d’enquête illégales, telles que la contrainte physique ou la pression psychologique n’est pas autorisée. L’auteur affirme également que l’avocat de son fils a déposé une demande auprès du Département de police du district pour que son client soit examiné par un médecin afin de déterminer s’il avait été soumis à des mauvais traitements mais l’enquêteur chargé de l’affaire a rejeté sa demande.

2.6L’auteur affirme que son fils a été condamné à une peine particulièrement sévère et non justifiée. À l’appui de ses propos, elle présente les arguments suivants:

a)La peine prononcée ne correspond pas à la personnalité de son fils. Après avoir purgé la peine prononcée en 1998, il a commencé à travailler, s’est inscrit à l’université et a mené une vie normale, comme l’ont attesté par écrit les autorités universitaires, son employeur et ses voisins;

b)Les enquêteurs et le tribunal ont violé l’article 82 du Code de procédure pénale, parce qu’ils n’ont pas établi «l’objet du crime, la nature et l’ampleur du préjudice, l’existence d’un lien causal entre les caractéristiques de la personnalité de l’accusé et de la partie lésée». Le tribunal n’a pas tenu compte du fait que le meurtre n’était pas prémédité mais était plutôt la conséquence d’une profonde émotion que son fils a ressentie brusquement en réaction aux blessures et à l’humiliation que lui avait causées Temur Salikhov. L’auteur se réfère à un rapport médical versé au dossier de l’affaire, selon lequel son fils a été sérieusement blessé;

c)En application de l’arrêt de la Cour suprême sur la pratique des tribunaux dans les affaires de meurtre avec préméditation, la qualification prévue au paragraphe 2 a) de l’article 97 du Code pénal renvoie à des situations de meurtre avec préméditation dont deux ou plusieurs personnes sont victimes simultanément, c’est‑à‑dire à des circonstances qui diffèrent de celles de la présente affaire. Malgré cela, les tribunaux ont déclaré son fils coupable en application de cette disposition;

d)Son fils a également été reconnu coupable en application du paragraphe 2 c) de l’article 97 du Code pénal applicable au meurtre d’une personne sans défense, bien qu’il n’ait pas été établi que pendant la rixe Temur Salikhov était dans cet état. L’auteur affirme que la condamnation de son fils en application du paragraphe 2 d) de l’article 97 du Code pénal (meurtre avec intention d’empêcher une personne d’accomplir son devoir professionnel ou public) est sans fondement. Les tribunaux n’ont pas établi à quel moment le fils de l’auteur avait décidé de tuer les personnes qui accompagnaient Salikhov;

e)Contrairement à la règle exigeant un examen approfondi des éléments de preuve dans les affaires de meurtre, la préméditation n’a pas été prouvée dans le cas de son fils. Plusieurs témoins ont affirmé que la rencontre entre les personnes concernées, le 7 janvier, était fortuite. La conclusion du tribunal selon laquelle les trois coaccusés avaient tout planifié n’était donc pas justifiée. Le tribunal de première instance a fondé sa conclusion sur 20 éléments de preuve énoncés dans le jugement, mais n’a pas établi que le meurtre avait été prémédité;

f)Les tribunaux ont qualifié les actes de son fils, entre autres dispositions, en application du paragraphe 2 g) de l’article 97 du Code pénal (meurtre commis d’une manière particulièrement violente). Or on ne peut parler de violence particulière que dans les cas où, avant d’être privée de vie, la victime est soumise à des tortures ou à un traitement humiliant et endure une souffrance particulière. Dans le cas d’espèce, le meurtre a eu lieu en présence du frère de la victime et d’une autre personne de leur connaissance. Si le meurtre avait été prémédité, Tulyaganov aurait dû être certain que son plan allait réussir. Selon l’auteur, cette conclusion est réfutée par les éléments de preuve versés au dossier;

g)Au cours des premières phases du procès, le fils de l’auteur a été intimidé et menacé pendant l’audience par les familles des victimes. Le père de Salikhov a déclaré qu’il veillerait à ce qu’avant la fin du procès Tulyaganov soit «violé». Les proches des victimes ont également agressé l’auteur elle-même. Le Président du tribunal n’a pas essayé d’interrompre ces incidents parce que, selon l’auteur, le tribunal avait pris le parti des victimes, manquant ainsi à son devoir d’impartialité et d’objectivité. L’auteur affirme que les éléments de preuve versés au dossier n’ont pas été complètement et objectivement examinés parce qu’aussi bien l’enquête que le procès ont été menés de manière accusatoire;

h)Le jugement du tribunal municipal de Tachkent était contraire à la règle de la Cour suprême relative aux jugements des tribunaux, en date du 2 mai 1997. Le tribunal n’a trouvé aucune circonstance atténuante, ce qui confirme le caractère formaliste et biaisé de la motivation du jugement. L’auteur note que le repentir d’un criminel qui aide à élucider un crime constitue une circonstance atténuante en droit ouzbek. Elle rappelle, en ce qui concerne la précédente condamnation pénale de son fils, qu’il avait été libéré pour bonne conduite et qu’il avait bénéficié d’une opinion positive au travail comme par ses voisins;

i)Le crime était aussi imputable aux victimes compte tenu de leur comportement. L’auteur affirme que l’examen médical dont ont fait l’objet son fils et les victimes montre que ce n’est pas ce dernier qui a ouvert les hostilités. Les actes des frères Salikhov et de leur compagnon, Fayzrakhmanov, ont été indûment assimilés à la légitime défense et la procédure pénale ouverte contre eux a été interrompue à tort;

j)Le mobile du meurtre a, selon l’auteur, été créé de toutes pièces par un enquêteur.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir que les faits tels qu’elle les rapporte constituent une violation de l’article 6 du Pacte, de l’article 14, de l’article 15 et de l’article 16.

Observations de l’État partie

4.Le 23 mai 2002, l’État partie a confirmé que l’auteur avait été condamné à la peine capitale, le 5 juillet 2001, par le tribunal municipal de Tachkent pour avoir commis un meurtre avec préméditation et circonstances aggravantes en frappant de trois coups de couteau dans le cœur un homme âgé de 20 ans, Temur Salikhov, et tenté de tuer Ruslan Salikhov et le dénommé Fayzrakhmanov. Le 21 août 2001, la chambre d’appel du tribunal municipal de Tachkent a confirmé la condamnation à mort. La Cour suprême a à son tour confirmé la décision des deux juridictions inférieures. Selon l’État partie, la culpabilité de Tulyaganov a été établie au moyen des éléments de preuve figurant au dossier. En le déclarant coupable, les tribunaux ont aussi tenu compte du fait qu’il avait déjà été condamné pour des infractions pénales par le passé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1En date du 27 septembre 2002, l’auteur a présenté de nouvelles informations et formulé ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle joint une copie du certificat de décès qui montre que l’exécution de son fils par peloton a eu lieu le 18 janvier 2002. Elle rappelle que l’État partie n’a donné aucune explication au sujet du non‑respect de la demande de mesures provisoires du Comité.

5.2L’auteur note que l’État partie donne délibérément une version erronée des faits de la cause, étant donné que Temur Salikhov est mort des suites d’une hémorragie parce qu’il n’a pas reçu à temps les soins médicaux requis et qu’il n’a pas succombé directement à ses blessures.

5.3L’auteur note que l’État partie ne mentionne pas les conclusions de l’examen médical subi par son fils pendant l’enquête préliminaire, d’où il ressort qu’il avait subi des blessures graves.

5.4La réponse de l’État partie n’explique pas pourquoi son fils a été accusé de tentative de meurtre sur la personne de Ruslan Salikhov et de Fayzrakhmanov. À ce propos, l’auteur affirme que selon les conclusions de l’examen médical de ces deux personnes, ils ne souffraient que de blessures sans gravité causées par un couteau, c’est‑à‑dire de légères lésions qui ne mettaient pas leur vie en danger.

Inobservation de la demande de mesures provisoires adressée par le Comité

6.1L’auteur affirme que l’État partie a fait exécuter son fils alors que sa communication avait été enregistrée au titre du Protocole facultatif et qu’une demande de mesures provisoires de protection lui avait été adressée. Le Comité rappelle que tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité des droits de l’homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers affirmant être victimes de violations d’un des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité de façon à lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier (art. 5, par. 1 et 4). Pour l’État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations.

6.2Indépendamment d’une violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, un État partie contrevient gravement à ses obligations en vertu du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur estime que son fils s’est vu dénier des droits qui lui sont garantis par différents articles du Pacte. Cette communication lui ayant été notifiée, l’État partie a contrevenu à ses obligations en vertu du Protocole facultatif en procédant à l’exécution de la victime présumée avant que le Comité n’ait mené l’examen à bonne fin et n’ait pu formuler ses constatations et les lui communiquer.

6.3Le Comité rappelle que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 92 de son règlement intérieur, conformément à l’article 39 du Pacte, est essentielle au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif. Le non‑respect de cet article, en particulier par une action irréparable comme, en l’espèce, l’exécution de Refat Tulyaganov, compromet la protection des droits consacrés dans le Pacte, assurée par le Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note que, comme l’exige le paragraphe 2 a) et b) de l’article 5 du Protocole facultatif, la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et qu’il n’est pas contesté que les recours internes ont été épuisés.

7.3Le Comité a pris note du grief de l’auteur qui affirme que les droits garantis à son fils par l’article 9 du Pacte ont été violés. En l’absence de toute information utile à ce propos, cette partie de la communication est déclarée irrecevable faute d’avoir été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité a noté que les allégations de l’auteur (voir par. 2.6 plus haut) quant à la manière dont les tribunaux ont traité l’affaire de son fils et qualifié ses actes peuvent soulever des questions au regard des paragraphes 1 et 2 de l’article 14 du Pacte. Il relève cependant que toutes ces allégations ont trait essentiellement à l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que c’est généralement aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Certes, déterminer si un procès a été conduit conformément à l’article 14 du Pacte relèverait de sa compétence mais, en l’espèce, le Comité estime que, comme le dossier ne contient pas de copies des pièces judiciaires, des minutes du procès ni des conclusions d’experts qui pourraient lui permettre de vérifier si le procès a effectivement été entaché des vices allégués, l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation de cet article. Dans ces circonstances, cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité note également que l’auteur a fait état d’une violation des droits garantis à son fils par les articles 15 et 16 du Pacte sans préciser en quoi ces dispositions avaient été violées. Dans ces circonstances, le Comité considère que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, dans la mesure où elle n’a pas été suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

7.6Le Comité considère que les autres allégations, qui semblent soulever des questions au regard de l’article 6, de l’article 7 et du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, ont été suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et les déclare donc recevables.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2L’auteur affirme que son fils a été battu et torturé par les enquêteurs pour qu’il avoue sa culpabilité. Selon elle, contrairement à l’arrêt de la Cour suprême du 20 février 1996, le tribunal municipal de Tachkent s’est fondé sur les aveux de son fils pour établir sa culpabilité et le condamner. L’auteur affirme également que l’avocat de son fils a adressé au Département de police du district une demande pour que son client soit examiné par un médecin de façon à déterminer s’il avait été soumis à des mauvais traitements par l’enquêteur chargé de l’affaire, mais que le Département a rejeté sa requête. Ces allégations ont également été portées à l’attention de la présidence de la République lorsque le fils de l’auteur a demandé la grâce présidentielle mais il n’y a eu aucune réponse. Le Comité rappelle que lorsqu’une allégation de mauvais traitement, contraire à l’article 7, est formulée, l’État partie est tenu de procéder à une enquête rapide et impartiale. En l’espèce l’État partie n’a pas réfuté les allégations de l’auteur et n’a pas non plus apporté, en l’espèce, la moindre information indiquant qu’une enquête avait été menée à ce propos. Dans ces circonstances, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur, et le Comité considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

8.3Le Comité rappelle qu’une condamnation à mort prononcée à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. En l’espèce, il y a eu condamnation à mort en violation des garanties énoncées à l’article 7 et au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, et donc aussi une violation du paragraphe 2 de l’article 6.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits garantis au fils de l’auteur par l’article 7 et le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte lus conjointement avec l’article 6.

10.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à Mme Tulyaganova un recours utile sous la forme d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité était compétent pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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