NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1384/2005

22 août 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-dixième session

9 – 27 juillet 2007

DÉCISION

Communication N o  1384/2005

Présentée par:

Robert et Marie-Françoise Petit (représentés par un conseil, Alain Garay)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

France

Date de la communication:

1er novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 15 avril 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

24 juillet 2007

Objet: contestation du montant d’une indemnisation pour arrachage de pieds de vigne

Questions de procédure: examen précédent par la Cour européenne des droits de l’homme

Question de fond: droit à un procès équitable

Articles du Pacte: 14 et 15

Articles du Protocole facultatif: 5, paragraphe 2 a)

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONALRELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-dixième session

concernant la

Communication n o  1384/2005 **

Présentée par:

Robert et Marie-Françoise Petit (représentés par un conseil, Alain Garay)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

France

Date de la communication:

1er novembre 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

1.Les auteurs de la communication, datée du 1er novembre 2004, sont Robert et Marie-Françoise Petit, de nationalité française. Ils affirment être victimes de violations par la France des articles 14 et 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils sont représentés par un conseil, Alain Garay. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la France respectivement les 4 février 1981 et 17 mai 1984.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1M. Petit a conclu un bail emphytéotique en 1965 concernant des parcelles de terre en Corse avec Mme Corteggiani, la propriétaire de ces parcelles. L’auteur, qui y avait planté des vignes, a décidé de procéder à l’arrachage de ces vignes, ce qui lui donnait droit au bénéfice d’une aide de la Communauté européenne sous la forme d’une prime d’arrachage distribuée par l’Office National Interprofessionnel des Vins (ONIVINS). L’arrachage des vignes nécessitait, selon l’ONIVINS, l’accord de la propriétaire. Celle-ci conditionna son accord au versement d’une partie de la prime à son compte (« somme de 300 000 francs à valoir sur 50% de la prime »), concluant avec l’auteur un contrat à cet effet le 15 mai 1991. Le Domaine d’Albaretto dont l’auteur est le fondateur et associé unique bénéficia de la prime d’arrachage sur la base de son rendement. La prime d’arrachage fut versée le 30 décembre 1992 sur le compte de Mme Petit, mais rien ne fut versé à la propriétaire qui porta plainte contre les auteurs.

2.2Le 8 avril 1998, la juge d’instruction chargé de l’affaire, Melle Spazzola, ordonna son renvoi devant le tribunal correctionnel. Le 1er décembre 1998, le tribunal de grande instance de Bastia, statuant en tant que tribunal correctionnel, déclara M. Petit coupable d’abus de confiance et d’escroquerie et Mme Petit coupable de recel d’objet obtenu par abus de confiance. L’un des juges du tribunal de grande instance était Melle Spazzola qui avait agi en tant que juge d’instruction dans la même affaire, ce qui est contraire au droit interne.

2.3Par arrêt du 15 décembre 1999, la Cour d’appel de Bastia confirma la culpabilité des auteurs, mais requalifia les faits d’escroquerie en abus de confiance. Il ressort de l’arrêt que deux magistrats conjoints ont siégé en la cause, l’un en tant que représentant du Ministère public (Monsieur Mesclet, avocat général) et l’autre en tant que Conseiller, juge du siège (Madame Mesclet), ce qui est contraire au droit interne. Par arrêt du 18 octobre 2000, la Cour criminelle de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des auteurs, déclarant que le moyen tiré du fait que les deux époux Mesclet avaient siégé en la cause reposait sur une erreur purement matérielle dans les mentions de l’arrêt.

2.4Les auteurs ont porté une première affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (enregistrée sous le no 27582/02). Le 21 septembre 2004, la Cour déclara leur requête irrecevable au motif que « la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles ».

2.5Dans une procédure distincte, le Domaine d’Albaretto réclama une prime plus importante sur la base d’une erreur concernant le rendement. Le 23 juin 1993, l’ONIVINS rejeta cette demande. Le 11 août 1993, le Domaine d’Albaretto demanda l’annulation de cette décision devant le tribunal administratif de Paris. Le dossier fut d’abord transféré au Conseil d’État, puis au tribunal administratif de Bastia qui rejeta la demande d’annulation le 22 octobre 1998. Le 11 avril 2002, la cour administrative d’appel de Marseille confirma la décision du tribunal administratif de Bastia. Le 19 mars 2003, le Conseil d’État rejeta le pourvoi formé par le Domaine d’Albaretto, au motif qu’aucun de ses moyens n’était de nature à permettre l’admission de la requête.

2.6Le 23 août 2002, M. Petit a formulé une seconde requête devant la Cour européenne des droits de l’homme au nom du Domaine d’Albaretto (enregistrée sous le no 41247/02). Dans cette requête, il se plaignait de la durée excessive de la procédure devant les juridictions administratives. Cette requête a fait l’objet d’un règlement amiable, acté par décision de la Cour européenne des droits de l’homme du 1er juin 2004 mettant ainsi fin à la procédure contentieuse. Cette décision reprend les termes du règlement amiable au terme duquel l’auteur a déclaré :

« Je note que le gouvernement français est prêt à me verser la somme de 7000 (sept mille) euros en vue d’un règlement amiable de l’affaire ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.

J’accepte cette proposition et renonce par ailleurs à toute autre prétention à l’encontre de la France à propos des faits à l’origine de ladite requête. Je déclare l’affaire définitivement réglée.

Le présente déclaration s’inscrit dans le cadre du règlement amiable auquel le Gouvernement et moi-même sommes parvenus »

2.7Parallèlement, M. Petit a formé une troisième requête devant la Cour européenne des droits de l’homme en son nom et au nom du Domaine d’Albaretto (enregistrée sous le no 36883/03). Dans cette requête, il alléguait une violation de l’article 6 de la Convention mettant en cause l’absence de motivation de l’arrêt du Conseil d’État du 19 mars 2003 et l’équité de la procédure d’admission des pourvois. Il alléguait également une violation de l’article 13 de la Convention car il n’aurait pas bénéficié d’un recours effectif. Enfin, il alléguait une violation de l’article 1 du Protocole no 1 de la Convention car la prime d’arrachage était d’un niveau trop faible. Par décision du 25 janvier 2005, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré cette requête irrecevable au motif que « la Cour n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles ».

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs estiment être victimes d’une violation l’article 14 du Pacte. Ils déclarent que la composition irrégulière du tribunal de grande instance de Bastia et de la Cour d’appel de Bastia est contraire aux principes d’impartialité et de procès équitable protégés par l’article 14.

3.2Les auteurs estiment être victimes d’une violation de l’article 15 du Pacte pour avoir été condamnés pour abus de confiance en application de l’article 408 de l’ancien Code pénal, au lieu de l’article 314-1 du nouveau Code pénal.

3.3En ce qui concerne la procédure engagée pour contester le montant de la prime d’arrachage, les auteurs dénoncent la durée excessive de la procédure juridictionnelle suivie devant les juridictions administratives suite au litige avec l’ONIVINS, puisque l’affaire a été renvoyée au tribunal administratif de Bastia en février 1994 et la décision finale n’a été prise par le Conseil d’État qu’en mars 2003. Ils font valoir le caractère inéquitable et obscur de la procédure d’admission du pourvoi en cassation devant le Conseil d’État, ce qui constituerait une violation de leur droit à un recours effectif au sens de l’article 14 du Pacte. Ils estiment que l’ONIVINS n’a pas pris en compte leurs observations. Enfin, ils estiment que le faible montant de la prime d’arrachage qu’ils ont reçue constitue une atteinte au respect de leurs biens.

3.3Les auteurs déclarent avoir épuisé toutes les voies de recours internes. En outre, ils estiment que la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas « examiné » leur affaire au sens de l’article 5, paragraphe 2 (a), du Protocole facultatif et de la réserve de l’État partie.

3.4Les auteurs demandent le versement de dommages-intérêts compensateurs du préjudice subi.

Commentaires de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 15 juin 2005, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. En premier lieu, il rappelle qu’il a formulé une réserve à l’article 5, paragraphe 2 (a), du Protocole facultatif and invoque la jurisprudence du Comité sur ce type de réserve. Il note qu’il s’agit des mêmes individus que devant la Cour européenne des droits de l’homme et qu’ils invoquent les mêmes droits substantiels devant le Comité. Les auteurs n’avancent aucun fait nouveau dans la communication par rapport à ceux déjà présentés dans la requête devant la Cour et se limitent à reproduire la même plainte devant une autre instance internationale. La réserve de l’État partie s’applique donc en l’espèce.

4.2L’État partie estime que les plaintes concernant les articles 14 et 15 ont déjà été examinées par la Cour européenne des droits de l’homme qui n’a « relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles » dans sa décision du 21 septembre 2004 (requête no 27582/02).

4.3Par note verbale du 16 janvier 2007, l’État partie fait valoir que la partie du grief concernant la durée excessive de la procédure a été réglée au terme d’une procédure amiable (avec l’assistance de la Cour européenne, requête no 41247/02). Il conclut donc à l’irrecevabilité de cette partie de la communication.

4.4En ce qui concerne les autres griefs liés à la procédure engagée pour contester le montant de la prime d’arrachage, l’État partie souligne qu’ils ont déjà été examinés par la Cour européenne des droits de l’homme qui n’a « relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles » dans son arrêt du 25 janvier 2005 (requête no 36883/03).

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires du 20 janvier 2007, les auteurs insistent sur le fait que la réserve de l’État partie ne s’applique pas car la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas « examiné » leurs griefs sur le fond.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a constaté que deux plaintes similaires déposées par les auteurs ont été déclarées irrecevables par la Cour européenne des droits de l’homme les 21 septembre 2004 (requête no 27582/02) et 25 janvier 2005 (requête no 36883/03). Dans ces deux décisions, la Cour « n’a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention et ses protocoles ». Le Comité rappelle qu’au moment de son adhésion au Protocole facultatif, l’État partie a formulé une réserve à propos du paragraphe 2 a) de l’article 5 à l’effet d’indiquer que le Comité « n’a pas compétence pour examiner une communication d’un particulier si la même question est examinée ou a déjà été examinée par d’autres instances internationales d’enquête ou de règlement ». Le Comité constate que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà « examiné » l’affaire au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 dans la mesure où ses décisions des 21 septembre 2004 et 25 janvier 2005 ne portaient pas uniquement sur des questions de procédure.

6.3Le Comité note que le seul grief qui n’a pas été examiné par la Cour européenne des droits de l’homme et relatif à la durée excessive de la procédure (requête no 41247/02) a fait l’objet d’un règlement amiable dont la Cour a pris acte par décision du 1er juin 2004. Cette plainte auprès de la Cour avait été formulée au nom du Domaine d’Albaretto. Par contre, le Comité relève que M. Petit a signé la déclaration de règlement amiable (voir par.2.6 ci-dessus). Dans ces circonstances, le Comité considère que, bien que M. Petit ait signé la déclaration en tant que représentant du Domaine d’Albaretto, il apparaît que, par son utilisation de la première personne, il s’est aussi engagé à titre personnel à respecter le règlement amiable. Le Comité conclut que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà suffisamment « examiné » ce grief au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 et que la réserve de l’État partie s’applique en l’espèce.

7.En conséquence, le Comité décide :

a) que la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a) du Protocole facultatif ;

b) que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Le texte est aussi traduit en arabe, en chinois et en russe aux fins du rapport annuel.]

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