NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1370/200522 août 2007

FRANÇAISOriginal: ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑dixième session9‑27 juillet 2007

DÉCISION

Communication n o  1370/2005

Présentée par:

José Antonio González Roche et Rosa Muñoz Hernández (représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

1er septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 mars 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

24 juillet 2007

Objet: Appréciation des preuves et réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure; retard excessif dans la procédure; absence de procès-verbal in extenso; présomption d’innocence

Questions de procédure: Non-épuisement des recours internes; défaut de fondement des violations alléguées

Questions de fond: Droit à ce que les preuves, la déclaration de culpabilité et la condamnation soient réexaminées par une juridiction supérieure conformément à la loi

Article du Pacte: 14 (par. 1 et 5)

Article du Protocole facultatif: 2

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑dixième session **

concernant la

Communication n o  1370/2005

Présentée par:

José Antonio González Roche et Rosa Muñoz Hernández (représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

1er septembre 2002 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs de la communication, datée du 1er septembre 2002, sont José Antonio González Roche et Rosa Muñoz Hernández, nés respectivement en 1967 et en 1959. Ils affirment être victimes de violations par l’Espagne des paragraphes 1, 2, 3 c) et 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Espagne le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil, José Luis Mazón Costa.

Exposé des faits

2.1Les auteurs indiquent que le 14 février 1996, ils se sont rendus à l’île Margarita (Venezuela) pour fêter la Saint‑Valentin. Un individu nommé Pedro López García, originaire du même village que Rosa Muñoz Hernández, voyageait dans le même avion qu’eux, à des fins personnelles. À son retour en Espagne, le 21 février 1996, Pedro López García a été arrêté à l’aéroport pour possession de cocaïne. En septembre 1996, la police a arrêté les auteurs, les accusant d’avoir introduit de la cocaïne en Espagne en revenant de leur voyage à l’île Margarita, en février 1996. Les auteurs étaient inculpés sur la base de la déclaration de Pedro López García les accusant.

2.2Le 8 mars 1999, l’Audiencia Provincialde Madrid a condamné chacun des auteurs à un emprisonnement de huit ans et un jour et à une amende de 110 millions de pesetas, pour trafic de cocaïne. Les auteurs ont formé devant la deuxième chambre du Tribunal suprême un pourvoi en cassation qui a été rejeté le 21 novembre 2001. Ils ont ensuite formé un recours en amparo devant le Tribunal constitutionnel, qui l’a également rejeté en date du 1er juillet 2002.

2.3Les auteurs ont adressé une demande de grâce au Ministère de la justice, en faisant valoir la violation de droits protégés par le Pacte. Ils ont demandé à l’Audiencia Provincial de surseoir à l’exécution de la peine, ce qui leur a été accordé.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’ils ont été privés de leur droit à un réexamen complet, par une juridiction supérieure, de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées à leur encontre, conformément au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, en ce qu’ils n’ont pu obtenir que le Tribunal suprême apprécie la crédibilité de la déclaration de Pedro López García, preuve déterminante sur laquelle était fondée leur condamnation. Ils soutiennent que ce dernier les a impliqués parce qu’il avait conclu un arrangement avec le procureur pour obtenir une diminution de sa peine, laquelle a été effectivement ramenée à trois ans de prison. Ils ajoutent que le Tribunal suprême a écarté la possibilité d’examiner la crédibilité des témoignages, déclarant que cet examen «ne [pouvait] être effectué que par un tribunal qui [aurait] pris connaissance directement, c’est-à-dire avec sa capacité de discernement, et immédiatement de ces déclarations», et ils rappellent la jurisprudence du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez.

3.2Les auteurs affirment que l’absence de procès-verbal in extenso de l’audience publique constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, car sans procès-verbal consignant tout ce qui s’est passé à l’audience, il ne saurait y avoir de procès équitable. Ils considèrent en outre que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte a été violé dans la mesure où il ne peut y avoir de recours utile sans procès-verbal in extenso. Ils affirment que le recours en amparo serait inutile et que le Tribunal constitutionnel a nié en outre que l’absence de procès-verbal in extenso constituait un vice de procédure.

3.3Rosa Muñoz Hernández affirme que son droit à la présomption d’innocence a été violé étant donné que le Tribunal suprême a établi sa culpabilité sur la base de simples conjectures et suppositions et non d’une preuve irréfutable. Elle déclare qu’en se fondant sur la déclaration de Pedro López García, le Tribunal a supposé que Rosa Muñoz Hernández, parce qu’elle était la compagne de José Antonio González Roche, devait connaître les activités liées au trafic de drogues, et qu’il était improbable qu’une employée de maison puisse s’offrir un voyage de 1 000 euros et obtenir l’autorisation de s’absenter de son travail pendant une semaine. Elle ajoute qu’elle n’a pas eu le bénéfice du doute.

3.4Les auteurs affirment que cinq ans et trois mois se sont écoulés entre la date de leur arrestation, en septembre 1996, et le rejet du recours en amparo, en juillet 2002, ce qui constitue une violation du droit d’être jugés sans retard excessif, prévu au paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte. Ils soutiennent que ce retard est injustifié.

3.5Les auteurs déclarent qu’en omettant de se prononcer sur le grief de violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, le Tribunal constitutionnel a violé cette disposition ainsi que le paragraphe 1 du même article. Ils font valoir qu’un organe juridictionnel qui ne se prononce pas sur une requête porte atteinte aux garanties judiciaires.

Observations de l’État partie

4.1Dans ses écritures du 30 avril et du 4 août 2005, l’État partie affirme que la communication doit être déclarée irrecevable, en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif, pour non‑épuisement des recours internes, absence manifeste de fondement et abus du droit de présenter des communications. Il ajoute que dans les recours qu’ils ont eux‑mêmes formés, les auteurs font allusion aux éléments de preuve qui ont été examinés par les juridictions internes, bien qu’ils en contestent les conclusions, et qu’il ressort clairement de la décision du Tribunal suprême que les éléments de preuve ont bien été réexaminés.

4.2Selon l’État partie, il n’apparaît pas qu’il y ait eu une limitation quelconque de la preuve ou de son réexamen. En l’espèce, le Tribunal suprême a apprécié et réexaminé les éléments de fait et de preuve, et il n’y a donc pas lieu d’établir une comparaison avec l’affaire Gómez Vásquez. L’État partie rappelle que conformément à la jurisprudence du Comité, lorsque le pourvoi en cassation au pénal a donné lieu à un réexamen approfondi de la déclaration de culpabilité et de la peine, il ne saurait y avoir violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

4.3L’État partie affirme qu’il n’y a pas eu de retard excessif dans la procédure, car il s’agissait d’une affaire complexe, portant sur une infraction commise par une organisation criminelle et dans laquelle 10 personnes étaient jugées simultanément; de plus, ce grief n’a pas été soulevé devant les juridictions internes.

4.4L’État partie soutient qu’il n’existe pas de droit reconnu à un procès-verbal in extenso et que, par ailleurs, le procès-verbal a été signé par les avocats des auteurs, qui auraient pu formuler leurs allégations à ce moment‑là. Il ajoute que le déroulement de la procédure orale est consigné dans un procès‑verbal authentifié par le greffier et qu’il ne s’agit pas d’un résumé comme le prétendent les auteurs, mais du compte rendu de ce qui s’est véritablement passé. Selon l’État partie, la question centrale que soulève la communication porte sur les faits déclarés prouvés par le jugement. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits.

4.5L’État partie affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés aux fins de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, puisque les plaintes des auteurs relatives à de supposées limitations du réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation n’ont pas été formulées devant le Tribunal suprême et que, dans le cas de Mme Muñoz Hernández, la question n’a même pas été soulevée dans le recours en amparo. Les auteurs ne se sont pas davantage plaints d’un retard excessif dans la procédure, ni devant le tribunal de première instance ni devant le Tribunal suprême.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leur lettre du 31 octobre 2005, les auteurs affirment que le pourvoi en cassation ne donne pas lieu au réexamen complet de la condamnation, comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il ne permet d’examiner ni la crédibilité des déclarations des témoins ni l’appréciation des éléments de preuve par le tribunal de première instance, sauf dans le cas extrême d’une erreur commise dans l’examen d’un document incontestable ou faisant foi et non contredit par d’autres preuves, ce qui est rare. Ils ajoutent qu’ils ont été condamnés sur la base de témoignages à charge qui n’ont pas pu être réexaminés par une juridiction supérieure.

5.2Les auteurs affirment que l’erreur dans l’appréciation de la preuve ne peut pas être invoquée dans le pourvoi en cassation devant le Tribunal suprême, alors qu’elle peut l’être dans les recours formés contre d’autres décisions en matière pénale. L’unique allégation qu’ils pouvaient formuler était celle de violation du droit à la présomption d’innocence, ce qu’ils ont fait. Les auteurs font valoir que depuis la décision du Comité dans l’affaire Gómez Vásquez, l’État partie tente d’adapter son langage aux exigences du Comité, mais qu’en réalité il continue à n’effectuer qu’un examen limité des condamnations et non un réexamen intégral ou authentique. Ils déclarent que le Tribunal suprême se contente d’examiner la «rationalité de l’appréciation de la preuve», et non l’appréciation elle‑même.

5.3Les auteurs soutiennent que dans un arrêt du 26 décembre 2000, le Tribunal suprême a fait une déclaration de caractère général, indiquant qu’un pourvoi en cassation ne permettait en aucun cas de demander l’examen de la crédibilité des déclarations faites lors du procès, et affirmant qu’un tel examen «ne [pouvait] être effectué que par un tribunal qui [aurait] pris connaissance directement, c’est‑à‑dire avec sa capacité de discernement, et immédiatement de ces déclarations». Ils font valoir que le pourvoi en cassation ne peut porter que sur des points de droit et sur une interprétation du droit à la présomption d’innocence qui suppose que les preuves soient obtenues légalement, ainsi que du droit de ne pas être condamné en l’absence de preuve à charge.

5.4Les auteurs affirment que la procédure pénale a été d’une longueur excessive, puisqu’elle a duré cinq ans et trois mois sans qu’aucune circonstance ne justifie un tel retard. Ils soutiennent que dans ses constatations concernant la communication no 526/1993, Hill c. Espagne, le Comité a estimé que la longueur de la procédure, qui avait duré trois ans, avait été excessive, alors même que l’État partie avait précisé que ce retard était dû à la complexité de l’affaire.

5.5Les auteurs affirment qu’à la différence de la procédure civile, la procédure pénale espagnole ne donne pas lieu à la rédaction d’un procès-verbal in extenso, raison pour laquelle il est impossible de faire réexaminer les preuves. Ils déclarent que l’absence d’examen effectif ou complet de la condamnation et le retard excessif ont bien été invoqués dans le recours en amparo et qu’en outre les États parties ont impérativement l’obligation de garantir une procédure pénale d’une durée raisonnable. Ils ajoutent que dans sa décision d’irrecevabilité, le Tribunal constitutionnel ne s’est pas référé à la plainte portant sur l’absence de double degré de juridiction.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle l’absence de procès‑verbal in extenso de l’audience publique a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dans la mesure où, faute de compte rendu reflétant l’intégralité des débats, il a été impossible de conduire un procès équitable. Cependant, le Comité constate que, comme l’indique l’État partie, les auteurs n’ont pas soulevé ce grief devant les tribunaux espagnols. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes n’ayant pas été épuisés.

6.4En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que, comme l’affirme l’État partie, la plainte portant sur la durée excessive de la procédure n’a pas été présentée devant les juridictions nationales. Le Comité considère par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes n’ayant pas été épuisés.

6.5Le Comité prend note des arguments des auteurs qui affirment avoir été privés de leur droit à un réexamen complet de la déclaration de culpabilité et de leur condamnation par une juridiction supérieure, garanti au paragraphe 5 de l’article 14, étant donné que le Tribunal suprême n’a pas examiné la crédibilité de la déclaration de Pedro López García, et que dans le cas de Rosa Muñoz Hernández, il y a eu violation du droit à la présomption d’innocence, le Tribunal suprême ayant établi sa culpabilité sur la base de simples conjectures. Les auteurs font en outre valoir que le fait que le Tribunal constitutionnel ne se soit pas prononcé sur la violation présumée du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte constitue une violation de cette disposition ainsi que du paragraphe 1 du même article. L’État partie objecte que dans le cas des auteurs, le Tribunal suprême a procédé à une appréciation et un réexamen approfondis des éléments de fait et de preuve, et il rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle c’est généralement aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les éléments de fait et de preuve, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

6.6Le Comité constate qu’il est indiqué dans la copie de la décision de la chambre pénale du Tribunal suprême en date du 20 novembre 2001, concernant José Antonio González Roche, que le Tribunal a tenu compte des déclarations d’autres coïnculpés, des documents liés à l’achat des billets, des indices tirés de l’examen de son compte bancaire et de sa situation de chômeur et, dans le cas de Rosa Muñoz Hernández, que le Tribunal a également pris en considération la preuve indirecte que constituaient l’activité professionnelle et les moyens financiers de l’intéressée par rapport au coût du voyage en question, pour parvenir à la conclusion que les preuves, bien que fondées sur des indices, suffisaient à justifier la condamnation. En conséquence, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs allégations au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité, et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication et à leur conseil.

[Adopté en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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