NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1468/200630 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑dixième session9‑27 juillet 2007

DÉCISION

Communication n o  1468/2006

Présentée par:

Herman Winkler (représenté par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

31 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 mai 2006 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

24 juillet 2007

Objet: Traitement discriminatoire d’adoptés adultes

Questions de procédure: «Même question» examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement; non‑épuisement des recours internes; appréciation des faits et des éléments de preuve

Questions de fond: Égalité devant les tribunaux, immixtion arbitraire dans la vie familiale, discrimination

Articles du Pacte: 2 (par. 1), 14 (par. 1), 17 et 26

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 a) et b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑dixième session

concernant la

Communication n o 1468/2006**

Présentée par:

Hermann Winkler (représenté par un conseil, M. Alexander H. E. Morawa)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

31 janvier 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Hermann Winkler, citoyen autrichien né le 23 novembre 1957. Il affirme être victime de violation par l’Autriche du paragraphe 1 de l’article 14, de l’article 17, lu seul ou conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par un conseil, M. Alexander Morawa. L’Autriche est devenue partie au Protocole facultatif le 10 décembre 1987.

Exposé des faits

2.1Après avoir perdu ses parents (en 1968 et 1974, respectivement) l’auteur a rencontré au milieu des années 80 un couple âgé sans enfant, Alfred et Rosa Laubmaier. Rosa Laubmaier possédait un appartement à Salzbourg mais, la plupart du temps, elle vivait avec son mari dans un autre appartement ainsi que dans une résidence située au bord d’un lac en Haute‑Autriche. Mme Laubmaier avait pour seuls parents une nièce, Mme Schwaighofer, et ses descendants, dont Johannes Krauss.

2.2L’auteur devint bientôt très proche du couple, qui commença même, dès 1985, à envisager la possibilité de l’adopter. Les Laubmaier souhaitaient avant tout trouver quelqu’un pour s’occuper d’eux lorsqu’ils en auraient besoin. L’auteur n’était pas intéressé au début mais, plusieurs années après, lorsqu’il a commencé à songer aux études secondaires de ses enfants, il a étudié sérieusement la proposition. Les Laubmaier et l’auteur ont conclu un contrat d’adoption par écrit et l’ont signé les 4 et 12 juillet 1990, respectivement. En vertu de la loi autrichienne, l’adoption confère aux parents adoptifs et aux enfants adoptés des droits égaux à ceux que donne la naissance biologique. L’adoption de mineurs comme de personnes adultes s’effectue par voie de contrat entre le(s) parent(s) adoptif(s) et l’adopté, mais la loi impose certaines limites et certains préalables à l’adoption d’adultes. En ce qui concerne les droits de succession, les enfants adoptés jouissent du même statut au regard de la loi que les enfants biologiques légitimes. Le contrat d’adoption doit être soumis à l’approbation d’un tribunal compétent par les futurs parents adoptifs et l’enfant adopté, le contrat étant homologué si les conditions spécifiées par la loi sont satisfaites. Dans le cas de l’auteur, le contrat d’adoption n’a pas été soumis à l’homologation du tribunal, comme le veut la loi.

2.3L’auteur s’est marié en 1988 et a eu deux enfants (nés en 1985 et 1989, respectivement). La famille ayant des problèmes de logement, la femme de l’auteur et ses enfants allèrent vivre avec les parents de celle‑ci dans la province de Styrie tandis que l’auteur, qui était policier, demeurait à Salzbourg pendant la semaine faute d’avoir pu obtenir sa mutation dans la police locale en Styrie. Les Laubmaier souhaitaient que l’auteur et les membres de sa famille emménagent dans leur appartement à Salzbourg mais ces derniers ayant pris l’habitude de vivre à la campagne, il se révéla difficile pour l’auteur de les faire revenir à Salzbourg. Les Laubmaier avaient à l’égard de l’auteur des exigences qui étaient incompatibles avec son horaire de travail au sein des forces de police. En conséquence, les Laubmaier et l’auteur convinrent d’annuler le contrat d’adoption et signèrent à cet effet le 14 novembre 1990 un document qu’ils firent légaliser. Ils n’en restèrent pas moins très proches. Le 7 février 1991, les Laubmaier indiquèrent par écrit à l’auteur qu’ils voulaient garder le contrat d’adoption de juillet 1990 bien qu’il eût été annulé par l’officier public, rétablissant ainsi l’adoption tel que stipulé dans ledit contrat. Là encore, la décision ne fut pas soumise à l’approbation d’un tribunal. En octobre 1992, les Laubmaier auraient rédigé une lettre déclarant qu’ils voulaient annuler l’adoption, sans toutefois conférer d’effet juridique à cette lettre, et la relation parents‑enfant se poursuivit jusqu’au décès des Laubmaier en 1994.

2.4Le 3 novembre 1988, Mme Laubmaier écrivit son testament dans lequel elle spécifiait que son mari hériterait de la propriété au bord du lac, qui, en cas de décès de l’intéressé, reviendrait à la nièce de Mme Laubmaier, Mme Schwaighofer. Elle spécifiait également que Johannes Krauss hériterait de l’appartement de Salzbourg. Le 13 février 1991, Mme Laubmaier modifia son testament de 1988en spécifiant qu’à la mort de son mari, la propriété au bord du lac reviendrait non plus à sa nièce, Mme Schwaighofer, mais à l’auteur. Elle supprima également de son testament le paragraphe qui léguait à son arrière petit‑neveu, Johannes Krauss, son appartement de Salzbourg, laissant ainsi ouverte la question de savoir à qui reviendrait cet appartement.

2.5Au début du printemps de 1994, Mme Schwaighofer prit contact avec les Laubmaier et leur offrit son assistance. Les Laubmaier mirent à sa disposition l’appartement de Salzbourg et lui confièrent un compte d’épargne qu’elle pouvait utiliser pour ses propres besoins.

2.6M. et Mme Laubmaier décédèrent le 14 avril et le 6 juin 1994, respectivement. On découvrit que Mme Laubmaier avait modifié son testament le 26 mai 1994, léguant à sa nièce la totalité de ses biens à l’exception de son appartement. Le testament ainsi modifié ne réglait pas la question de savoir à qui revenait l’appartement de Salzbourg. Étant donné que Mme Schwaighofer n’acceptait pas l’héritage et refusait de signer une déclaration d’acceptation, l’auteur déclara qu’il accepterait l’héritage compte tenu de son statut de fils adoptif.

2.7Le 1er juillet 1994, l’auteur adressa une requête au tribunal de district d’Oberndorf près de Salzbourg pour lui demander d’homologuer le contrat d’adoption de juillet 1990 mais omit de faire le nécessaire pour modifier son nom et prendre le patronyme de Laubmaier, ce qui était l’une des conditions spécifiées dans le contrat d’adoption. Le tribunal de district rejeta sa requête, de même que le tribunal régional et la Cour suprême. Ces derniers indiquèrent toutefois que l’homologation aurait dû en principe être accordée si l’auteur s’était conformé à l’exigence du changement de patronyme. Au terme d’une série de procédures, le tribunal régional de Salzbourg autorisa le 25 juin 1997 le contrat d’adoption. Suite à cette décision, le tribunal de district de Salzbourg transféra, par ordonnance du 7 juillet 1999, la totalité de l’héritage à l’auteur.

2.8Suite à ce transfert de la succession Laubmaier, l’arrière petit‑neveu de la mère adoptive de l’auteur, Johannes Krauss, engagea des poursuites contre l’auteur, contestant son droit à la succession en ce qui concernait l’appartement de Salzbourg appartenant aux défunts. Il affirmait que l’intention de Mme Laubmaier de lui léguer l’appartement n’était pas remise en cause par les modifications successives de son testament ni par l’adoption de l’auteur. Le 5 janvier 2001, le tribunal régional de Salzbourg a donné raison à M. Krauss et ordonné à l’auteur de consentir à ce que l’appartement soit transféré au neveu. Le jugement contient le paragraphe suivant:

«En résumé, le tribunal a le sentiment que le défendeur [l’auteur] a agi de manière assez calculatrice. Ayant le contrat d’adoption “dans la poche”, il a conduit les Laubmaier à penser que le reste n’importait plus, et a évité ainsi d’avoir à être proche d’eux, ce qui était sans aucun doute épuisant. Le fait qu’il se soit approprié les deux biens immobiliers lors de la procédure de succession, alors qu’on lui aurait simplement promis l’appartement, donne de lui une mauvaise image. Et il ne s’est pas soucié de la volonté des défunts de préserver leur patronyme, ce qui renforce cette image.».

L’auteur a fait appel du jugement et a été débouté le 14 mai 2001 par la cour d’appel de Linz, qui l’a toutefois autorisé à se pourvoir devant la Cour suprême. Le 6 septembre 2001, celle‑ci a rejeté l’appel comme irrecevable.

2.9Le 8 novembre 2001, l’auteur a reçu une lettre anonyme affirmant que Mme Laubmaier avait l’intention de léguer son appartement non pas à M. Krauss mais bien à lui‑même en tant que fils adoptif. À cette lettre était jointe une note écrite à la main par Mme Laubmaier le 23 octobre 1989 et modifiée le 7 janvier 1993. En conséquence, le 15 novembre 2001, l’auteur a engagé une action pour demander la réouverture de l’instance devant le tribunal régional de Salzbourg. Le 30 août 2002, le tribunal a rejeté sa demande. L’auteur a introduit un recours devant la cour d’appel de Linz, qui l’a débouté le 19 février 2003 au motif que les nouveaux éléments de preuve produits n’étaient pas recevables. L’auteur s’est pourvu devant la Cour suprême, se plaignant en particulier de l’absence d’équité dans la procédure et de n’avoir pu être entendu sur les éléments que la cour d’appel avait pris en considération pour rendre sa décision. La Cour suprême a rejeté le pourvoi le 12 juin 2003 mais cet arrêt n’a été communiqué à l’auteur que le 29 juillet 2003.

2.10Le 19 août 2003, l’auteur a porté plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme, invoquant des violations de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article premier du premier Protocole. Sa requête a été déclarée irrecevable le 24 octobre 2003, au motif qu’elle ne faisait apparaître aucune violation des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que du fait du caractère manifestement arbitraire des décisions de justice à l’égard des adultes adoptés, l’État partie a violé son droit à l’égalité devant les tribunaux en vertu de l’article 14, paragraphe 1, ainsi que son droit à l’égalité en vertu de l’article 26 du Pacte. Il soutient que la loi impose certaines restrictions à l’adoption de personnes adultes. Les adoptés adultes et leurs parents adoptifs doivent prouver l’existence d’une relation parents‑enfant alors que dans le cas des mineurs, la simple intention d’établir une telle relation est jugée suffisante. En outre, les personnes qui sollicitent l’approbation d’un contrat d’adoption concernant un adulte doivent démontrer qu’il existe des circonstances particulières justifiant l’adoption. En considérant les adoptions d’adultes comme «faibles», la justice autrichienne leur confère une certaine connotation négative, ce qui a des conséquences très concrètes sur la façon dont les adultes adoptés sont perçus et traités dans les affaires portées devant les tribunaux (en particulier les affaires de succession). De fait, l’auteur affirme que le juge et la cour d’appel ont eu tendance de façon perceptible à favoriser activement les membres de la famille biologique éloignés au détriment de l’auteur.

3.2À l’appui de ses affirmations concernant le manque d’objectivité et l’arbitraire manifestés à son endroit, l’auteur renvoie au jugement rendu en première instance par le tribunal régional de Salzbourg le 5 janvier 2001, dans lequel il est précisé qu’il était un individu «calculateur», ayant trompé ses parents adoptifs et œuvré sans relâche pour obtenir d’eux autant de possessions matérielles que possible, alors que l’auteur affirme que son dossier n’étaye pas de telles conclusions. Il se plaint également que le tribunal de première instance ait inclus des jugements de valeur dans le «récapitulatif des faits» pour discréditer l’auteur, sans justifier ses affirmations. À son avis, en procédant ainsi, le but du tribunal était de créer l’impression que l’auteur avait été poussé par des motifs pécuniaires lorsqu’il avait accepté l’adoption. L’auteur déclare en outre que le parti pris des juges à son encontre se répète dans le choix du vocabulaire utilisé pour traduire leur scepticisme. Enfin, les tribunaux auraient utilisé des éléments de preuve «de manière sélective» et au détriment de l’auteur.

3.3L’auteur demande au Comité d’examiner comment les éléments de preuve ont été appréciés et comment les juges se sont comportés lorsqu’ils ont rendu leur jugement. Selon lui, cet examen fera apparaître un parti pris solidement ancré des juges à son encontre parce qu’il est un adopté adulte. Il affirme que le Comité est également compétent pour examiner l’interprétation d’une disposition testamentaire dans la mesure où cette interprétation a un caractère arbitraire.

3.4L’auteur affirme en outre être victime d’une violation de l’article 17, lu seul et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2, car l’État partie s’est immiscé dans sa vie familiale. Il soutient que la relation entre parents et enfants adoptifs relève de l’article 17. Il estime que le droit de léguer ses biens, spécialement en cas de décès, à un descendant ou à un autre membre de la famille, est englobé dans le droit à la vie familiale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 3 juillet 2006, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il déclare que le grief de l’auteur porte simplement sur l’action en matière de succession engagée par lui à propos de l’appartement de Salzbourg et il s’inscrit en faux contre l’évaluation qui est faite, dans la communication, de la conduite de cette procédure et de l’appréciation des éléments de preuve par le tribunal de Salzbourg, ainsi que du jugement rendu par celui‑ci le 5 janvier 2001.

4.2L’État partie conteste la recevabilité de la communication pour trois motifs. Il soutient que la question dont est saisi le Comité est «la même» que celle qui a été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. Il invoque l’article 5, paragraphe 2 a) du Protocole facultatif et la réserve qu’il a émise et rappelle que l’auteur a déposé une requête le 19 août 2003 devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable le 4 novembre 2003. Les faits sur lesquels repose la plainte déposée par l’auteur auprès de la Commission européenne des droits de l’homme et du Comité sont les mêmes. Dans sa communication à la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteur a allégué une violation de son droit à un procès équitable et impartial (art. 6 de la Convention européenne) et une violation du droit de propriété.

4.3L’État partie rappelle que, dans la communication qu’il a adressée au Comité, l’auteur allègue des violations de l’article 2, paragraphe 1; de l’article 14, paragraphe 1; et des articles 17 et 26 du Pacte. Selon l’État partie, les articles 14 et 6 de la Convention européenne sont similaires, respectivement, à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 14, du Pacte. Il concède que la Convention ne contient pas de disposition équivalente à celle de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte, mais considère que la plainte porte, en substance, sur les vices de procédure qui auraient entaché les débats du tribunal et qui constituent aussi l’objet de la plainte déposée devant la Commission européenne des droits de l’homme. L’État partie admet que le Comité aura peut‑être à examiner la plainte au titre de l’article 17. Il fait cependant valoir qu’en ce qui concerne cet article, l’auteur conteste exclusivement l’appréciation des faits et des éléments de preuve et que les vices de procédure allégués sont essentiellement les mêmes que ceux dont il s’est plaint devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie conclut que la communication a bien été «examinée» par la Cour européenne et qu’elle est donc irrecevable.

4.4L’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. L’auteur se plaint que le juge qui a présidé les débats au tribunal régional de Salzbourg n’était pas impartial. Le système judiciaire autrichien prévoit un recours approprié et utile en pareil cas: une demande en récusation du juge peut être déposée conformément à la section 19, paragraphe 2, de la loi sur la compétence des juges. Si la requête est acceptée, le juge est dessaisi de l’affaire et les mesures qu’il a prises au cours de la procédure sont déclarées nulles et non avenues. Ne s’étant pas prévalu de cette possibilité, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

4.5En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle la loi ne traite pas de façon égale les enfants adoptés et les adultes adoptés, l’État partie note que l’intéressé aurait dû soulever ces questions au cours de la procédure judiciaire d’approbation de la demande d’adoption, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de la Constitution fédérale. Le tribunal aurait alors été dans l’obligation, en vertu de l’article 140, paragraphe 1, de la Constitution, d’introduire une requête dûment motivée auprès de la Cour constitutionnelle pour qu’elle réexamine les lois applicables dans de telles procédures. En vertu de cette disposition, l’auteur aurait pu déposer lui‑même une telle requête. Ne l’ayant pas fait, il n’a donc pas épuisé les recours internes.

4.6L’État partie soutient que l’auteur cherche essentiellement à obtenir un réexamen de la décision sur le fond prise par les autorités judiciaires nationales, en particulier s’agissant des conclusions relatives aux éléments de fait et de preuve. Il affirme que le but de la communication est clairement de faire jouer au Comité le rôle d’une quatrième instance, qui réexaminerait l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme.

4.7Selon l’État partie, la communication peut être interprétée comme contestant le système juridique autrichien relatif à l’adoption des adultes. Il fait valoir que l’auteur a bénéficié de l’adoption et ne peut donc pas s’estimer lésé. Il note qu’un examen in abstracto des dispositions juridiques n’est pas recevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur la recevabilité

5.1Dans une lettre datée du 5 septembre 2006, l’auteur estime qu’il n’y pas de raison de déclarer la communication irrecevable au regard de l’article 17. Il explique en outre que, bien que les faits sur lesquels reposent les plaintes qu’il a déposées devant la Cour européenne des droits de l’homme et devant le Comité soient les mêmes, ses griefs sont différents. Sa communication au Comité renvoie au libellé même de l’article 14, paragraphe 1, qui est unique en son genre et garantit un droit supplémentaire qui n’est pas énoncé dans la norme parallèle de la Convention européenne: le droit à l’égalité devant les tribunaux et son corollaire, l’interdiction d’une pratique discriminatoire par les tribunaux. L’auteur allègue une pratique discriminatoire par les tribunaux, en se référant à l’article 2, paragraphe 1, à l’article 14, paragraphe 1, et à l’article 26 lus conjointement. Cet aspect va au‑delà d’une adhésion formelle aux règles de procédure et déborde donc le champ de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne.

5.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que la récusation des juges, bien qu’elle soit formellement possible en droit autrichien, n’offre pas un recours utile pour remédier à la partialité d’un juge étant donné que les règles pour l’administration des preuves sont extrêmement contraignantes. Il évoque les principes généraux et la pratique en Autriche concernant la récusation des juges. Il se réfère à la jurisprudence de la Cour suprême et indique que dans les affaires civiles, à la différence des affaires pénales, les juges peuvent également être récusés après qu’ils se sont prononcés sur le fond, si les raisons justifiant la récusation ne sont apparues que lorsque ou après que la juridiction inférieure a rendu son jugement.

5.3L’auteur soutient en outre que la partialité du juge n’est devenue manifeste que dans son jugement écrit du 5 janvier 2001, dans lequel il s’est montré arbitraire en exprimant un ressentiment injustifié à l’égard de l’auteur. Étant donné que la partialité du juge ne s’était pas manifestée avant le prononcé du jugement, l’auteur n’a pas été en mesure de le récuser avant qu’il ne rende sa décision. C’est pourquoi il a soulevé la question en appel, affirmant que plusieurs déclarations du juge n’étaient pas fondées et trahissaient son parti pris.

5.4L’auteur affirme qu’il n’a pas demandé un examen in abstracto de la législation interne mais qu’au contraire il a fourni des informations sur le cadre réglementaire et la façon dont il a été appliqué dans son cas. Les violations de ses droits ne découlent pas de ce que les tribunaux ont décidé mais bien de la façon dont ils sont parvenus à leur conclusion. Il soutient donc que sa communication est recevable.

Délibérations du Comité

6.1 Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2L’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que la «même question» a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier en ce qui concerne la plainte de l’auteur au titre de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte. Il note également que l’auteur soutient que la requête qu’il a adressée à la Cour européenne des droits de l’homme diffère de celle qu’il a adressée au Comité. La plainte qu’il a soumise à la Cour européenne au titre de l’article 6 de la Convention européenne était fondée sur une violation alléguée de son droit à un jugement équitable et impartial, alors que sa plainte devant le Comité est fondée sur une violation alléguée de son droit à l’égalité devant les tribunaux.

6.3Le Comité rappelle que, en dépit de certaines différences dans l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne et de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte par les organes compétents, tant la teneur que la portée de ces dispositions sont largement convergentes. Compte tenu des analogies entre ces deux textes et de la réserve émise par l’État partie, le Comité doit déterminer si la décision de la Cour européenne constitue un «examen» de la «même question» que celle dont il est saisi. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle une décision d’irrecevabilité qui supposait l’examen, au moins implicite, d’une plainte quant au fond équivaut à un «examen», aux fins de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif. Il rappelle qu’il faut considérer que la Cour européenne ne s’est pas contentée d’examiner des critères de recevabilité purement formels lorsqu’elle a déclaré la communication irrecevable au motif qu’elle ne faisait «apparaître aucune violation des droits et libertés énoncés dans la Convention ou ses Protocoles». Le Comité estime que l’affirmation de l’auteur selon laquelle le jugement rendu par le tribunal régional de Salzbourg le 5 janvier 2001, évaluant en termes négatifs la conduite de l’auteur, démontre le parti pris du tribunal et équivaut à un traitement inéquitable, est foncièrement identique à l’affirmation contenue dans la requête qu’il a adressée à la Cour européenne des droits de l’homme selon laquelle le principe d’une procédure équitable a été violé. Le Comité considère donc qu’il lui est impossible de réexaminer la décision prise par la Cour européenne concernant la requête de l’auteur au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne. Il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 a), du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est de la plainte de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, selon laquelle les adoptés adultes et les adoptés mineurs ne sont pas égaux au regard de la loi, en particulier s’agissant de l’obligation qui incombe aux adoptés adultes de prouver l’existence préalable d’une relation parents‑enfant, le Comité note que l’État partie a indiqué qu’un recours est disponible en vertu de l’article 7, paragraphe 1, de la Constitution fédérale. Il note en outre que l’auteur n’a contesté ni l’existence ni l’efficacité potentielle de ce recours, dont il aurait pu se prévaloir s’il avait souhaité contester l’inégalité alléguée de la loi devant les tribunaux internes. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 5, paragraphe 2 b), du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne la plainte de l’auteur au titre de l’article 17, selon laquelle l’État partie s’est immiscé de façon arbitraire dans sa vie familiale en se prononçant d’une façon discriminatoire sur les questions de succession, le Comité considère que cette requête équivaut à demander le réexamen de l’appréciation des éléments de preuve par les tribunaux internes. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle c’est en principe aux tribunaux des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les éléments de fait et de preuve, ou d’examiner l’interprétation de la législation nationale par les tribunaux nationaux, sauf s’il est établi que cette appréciation ou cette interprétation ont été manifestement arbitraires ou ont représenté un déni de justice. Compte tenu des éléments dont dispose le Comité, l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son grief touchant l’arbitraire manifesté à son égard. Le Comité considère donc que la plainte de l’auteur au titre de l’article 17 est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’article 5, paragraphe 2 a) et b), du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur, par l’intermédiaire de son conseil.

[Adopté en anglais (version originale), en français, en espagnol et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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