NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/90/D/1365/200529 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-dixième session9-27 juillet 2007

DÉCISION

Communication n o  1365/2005

Présentée par:

Souleymane Camara (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

25 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 février 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la décision:

24 juillet 2007

Objet: Mauvais traitements infligés au détenu

Questions de procédure: Recevabilité

Questions de fond: Torture ou peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Articles du Pacte: 2, 7, 9, 10, 14, 16 et 17

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-dixième session

concernant la

Communication n o  1365/2005**

Présentée par:

Souleymane Camara (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

25 mai 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 24 juillet 2007,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communicationest M. Souleymane Camara, ressortissant du Mali où il réside actuellement. Il se dit victime de violations par le Canada des articles 2, 7, 9, 10, 14, 16 et 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 10 juin 2002 ou vers cette date, l’auteur a été arrêté et emmené au poste de police de la division sud d’Edmonton, où on lui a demandé de signer un document, faute de quoi il serait placé en garde à vue. Il soutient ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation ni de la nature de ce document. Comme il refusait de signer, on l’a placé dans une cellule et on lui demandait sans cesse s’il avait changé d’avis. Quand il a demandé aux policiers d’arrêter de le harceler, plusieurs d’entre eux l’ont «agressé» physiquement, le plaquant au sol, si bien qu’il s’est blessé à la tête et au genou. On l’a alors emmené au poste de police de la division centrale d’Edmonton où on lui a refusé à maintes reprises des soins médicaux et des comprimés contre son mal de tête. Le lendemain, il a été déféré devant un juge qui a fixé la date de l’audience. Il disposait des services d’un interprète. Le jour suivant, le juge de paix a prononcé la relaxe.

2.2Le 12 juin 2002 ou vers cette date, l’auteur a été, pour la seconde fois, arrêté et placé en garde à vue au poste de police de la division sud d’Edmonton. On ne l’aurait pas informé des raisons de son arrestation. L’un des policiers, qui croyait qu’il venait du Rwanda ou du Congo, aurait dit que ses compatriotes étaient tous des «tueurs paranoïaques». On lui a demandé en français de se dévêtir. Comme il corrigeait le français du policier, celui‑ci s’est mis en colère et l’a déshabillé, pendant qu’on filmait la scène. L’auteur a été libéré au bout de trois jours, après avoir déposé une caution. Le 24 septembre 2002, on l’a de nouveau arrêté avant de le mettre en liberté quelques heures plus tard. Le 24 décembre 2002, il s’est plaint à la police d’Edmonton du traitement qui lui avait été réservé les 10 et 12 juin 2002. Il déclare que le bureau de la Couronne aurait offert d’abandonner les poursuites engagées contre lui s’il acceptait de retirer sa plainte contre les agents du Service de police d’Edmonton. Il aurait rejeté ce marchandage.

2.3Le 21 août 2003, le chef de la police par intérim a informé l’auteur que, après enquête, les allégations de mauvais traitements qu’il avait portées contre les policiers avaient toutes été rejetées «faute de preuves». Les 4 et 25 septembre 2003, l’auteur a été informé que les autres plaintes qu’il avait formulées avaient été rejetées faute de preuves ou parce qu’il les avait retirées.

2.4L’auteur a été arrêté de nouveau le 23 avril 2003 et placé en détention au centre de détention provisoire d’Edmonton jusqu’au 9 septembre 2003. Lorsqu’il s’est plaint de la mauvaise qualité et de l’insuffisance de la nourriture au centre, les médecins de l’établissement ont recommandé de prévoir un régime alimentaire spécial pour lui. Du 20 mai au 6 juin 2003, on lui aurait refusé de l’eau et de la nourriture [en quantité suffisante]. L’auteur a fini par bénéficier d’un régime alimentaire spécial à partir du 7 juin 2003.

2.5Le 24 mai 2003, deux des gardiens ont contraint l’auteur à se déshabiller sous le regard de trois détenues et cinq gardiennes. Les 9, 14 et 19 juillet 2003, des gardiens l’auraient «aspergé de gaz poivre», enfermé dans une cellule obscure et froide, menotté, lui auraient bandé les yeux et l’auraient contraint à marcher à reculons alors qu’il avait les chevilles entravées par des chaînes. Lors du dernier incident, deux gardiens l’ont forcé à se coucher à terre, se sont mis debout sur son dos, lui ont tiré les oreilles et plié les poignets jusqu’à ce qu’ils saignent. L’auteur se plaint que son courrier était ouvert et qu’à trois occasions durant sa détention, des codétenus déjà condamnés l’ont attaqué, le blessant à deux reprises.

2.6L’auteur a ultérieurement saisi l’ombudsman. Les 2 et 14 juillet 2003, il a été informé qu’une enquête serait ouverte sur l’allégation selon laquelle on lui aurait refusé de l’eau et de la nourriture en quantité suffisante, mais que l’agression qu’il aurait subie de la part des gardiens ne relevait pas de la compétence du bureau de l’ombudsman étant donné qu’il s’agissait d’une infraction pénale. Le 29 juillet 2003, l’auteur a été informé que l’enquête serait étendue à l’allégation selon laquelle le directeur du centre de détention provisoire ne l’aurait pas autorisé à se plaindre à la police. Le 17 septembre 2003, l’ombudsman a classé l’affaire après avoir conclu que l’auteur n’avait pas été privé d’une alimentation suffisante, mais qu’il avait refusé de manger parce qu’il voulait un régime alimentaire spécial, ce qu’on a fini par lui accorder. Il a aussi conclu que l’auteur avait été autorisé à se plaindre à la police.

2.7Le 9 septembre 2003, l’auteur a été expulsé du Canada vers le Mali. Après son expulsion, il a contesté les résultats de l’enquête menée par le Service de police d’Edmonton (par. 2.3) auprès du Law Enforcement Review Board (Commission chargée des plaintes contre la police) de l’Alberta. Par lettre du 13 novembre 2003, la Commission lui a fait savoir que les requérants, au même titre que les policiers mis en cause, étaient tenus de se présenter devant elle pour déposer sous serment. Elle statuerait par écrit sur la base de cette déposition. Le 26 mai 2004, elle a rappelé à l’auteur que les règles de procédure voulaient qu’il assistât à l’audience. Se fondant sur un échange de correspondance électronique avec l’auteur, la Commission a supposé que celui‑ci était à ce moment‑là dans l’incapacité de se présenter devant elle et conclu ne pas être en mesure d’examiner l’affaire. Le 7 juillet 2004, l’auteur a répondu que si on l’avait expulsé c’était précisément pour entraver le processus judiciaire en l’empêchant d’attaquer les policiers en justice. Il a prié la Commission d’examiner son affaire en se fondant sur les pièces disponibles auprès des autorités judiciaires et policières canadiennes. La Commission n’a pas donné suite à sa demande et a refusé d’examiner sa plainte à partir d’un dossier qu’il lui avait adressé depuis le Mali.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les mauvais traitements que lui ont infligés les policiers des postes de police des divisions sud et centrale d’Edmonton et du centre de détention provisoire (par. 2.1, 2.2, 2.4 et 2.5), y compris le refus de lui donner de l’eau et de la nourriture [en quantité suffisante], constituent une violation de l’article 7 du Pacte. En outre, il soutient que le Service de police d’Edmonton n’a pas fait preuve d’impartialité et d’indépendance lorsqu’il a enquêté sur ses plaintes.

3.2L’auteur affirme par ailleurs que ses arrestations répétées, sans qu’il soit informé des motifs de celles‑ci, étaient arbitraires et contraires à l’article 9 du Pacte, et que l’ouverture de son courrier, l’outrage que le personnel féminin lui a fait subir alors qu’il était nu, violaient l’article 17 du Pacte.

3.3L’auteur ajoute que son expulsion, le 9 septembre 2003, soit une semaine avant la date à laquelle il devait comparaître devant le tribunal, fixée au 18 septembre 2003, était programmée en vue de le priver de son droit d’accès aux tribunaux dans des conditions d’égalité, où il aurait pu faire valoir ses accusations à l’encontre des policiers.

3.4En ce qui concerne les voies de recours internes, l’auteur affirme qu’à son retour au Mali, le 17 septembre 2003, il a rencontré le consul du Canada qui lui a fait savoir qu’il n’avait pas le droit de retourner au Canada et ne pourrait donc pas assister à quelque audience que ce soit.

Observations de l’État partie quant à la recevabilité et au fond de la communication et commentaires de l’auteur

4.1Le 19 août 2005, l’État partie a contesté la communication tant en ce qui concerne la recevabilité que le fond et les faits en cause. Il a communiqué les informations détaillées qu’il avait adressées, le 24 février 2004, au Rapporteur spécial sur la torture en réponse à des allégations du même ordre dont ce dernier avait été saisi. En ce qui concerne les faits, l’État partie fait valoir que l’auteur, ressortissant du Mali, est arrivé au Canada le 11 octobre 1997 muni d’un visa d’étudiant qui l’autorisait à y demeurer jusqu’au 31 août 2000. Le 5 décembre 2000, les autorités se sont aperçues que la date d’expiration de son visa était dépassée et que l’auteur se trouvait donc au Canada sans permis. Le 12 décembre 2000, son visa d’étudiant a été renouvelé et il a été autorisé à demeurer au Canada jusqu’au 30 avril 2002.

4.2Le 10 juin 2002, l’auteur a été arrêté parce qu’il aurait agressé, la veille, son camarade de chambre. Il a été emmené au poste de police de la division sud d’Edmonton où il a été accusé de voies de fait. Après son transfert au poste de la division centrale, il a été libéré sous caution le lendemain par un juge de paix, à plusieurs conditions, dont celle d’éviter tout contact avec le plaignant. L’auteur a ensuite violé son engagement à trois reprises, d’où ses arrestations les 12 juin et 2 décembre 2002, à l’issue desquelles il a été remis en liberté. Dans l’intervalle, le 18 septembre 2002, on lui a refusé la prorogation de son visa d’étudiant, parce qu’il ne s’était pas rendu à la convocation le jour dit.

4.3Le 2 avril 2003, l’audience à laquelle l’auteur comparaissait pour agression s’est déroulée en français, à sa demande, et le jugement a été mis en délibéré. Le 23 avril 2003, l’auteur a été arrêté sur la base de quatre nouveaux chefs d’inculpation: deux touchant des dégradations commises sur une mosquée et deux pour violation des conditions de sa libération sous caution, parce qu’il aurait pris contact avec la victime de l’agression. Il est demeuré en détention faute de pouvoir acquitter la caution. Le 25 avril 2003, les autorités d’immigration l’ont arrêté et placé en détention en application d’une ordonnance de détention car on estimait peu probable qu’il comparût aux audiences à venir. Le 27 juin 2003, l’auteur a été jugé coupable d’agression et condamné à une peine de douze mois de mise à l’épreuve avec sursis.

4.4Le 30 juillet 2003, comme l’auteur avait été condamné et que, de toute évidence, il n’était pas de nationalité canadienne, une ordonnance d’expulsion a été prise contre lui. Il n’a pas sollicité le contrôle juridictionnel de cette décision mais a demandé à ce qu’il soit procédé à un examen des risques avant renvoi sans expliquer pourquoi il pourrait avoir besoin d’être protégé s’il rentrait au Mali. Le 15 août 2003, il a été établi qu’il n’avait pas besoin d’être protégé. Cette fois non plus, il n’a pas demandé l’autorisation de faire procéder au contrôle juridictionnel de cette décision. Selon l’État partie, lorsque des ressortissants étrangers sont sur le point d’être expulsés mais qu’ils font l’objet de poursuites pénales, les services de l’immigration examinent la nature des faits qui leur sont reprochés. Si ceux‑ci ne sont pas graves, le bureau du procureur de la Couronne peut mettre fin aux poursuites afin de permettre l’expulsion. Vu le peu de gravité des chefs d’inculpation qui continuaient de peser sur l’auteur, celui‑ci a été expulsé le 9 septembre 2003, et, le 18 septembre 2003, le tribunal a mis fin aux poursuites encore engagées contre lui. L’État partie nie que le procureur chargé de l’affaire ait offert d’abandonner les derniers chefs d’inculpation retenus contre l’auteur si celui‑ci acceptait de retirer ses plaintes contre des agents du Service de police d’Edmonton.

4.5En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas étayé suffisamment ses allégations de violations de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Ses allégations ne sont pas corroborées et sont même contredites par des éléments de preuve documentaires. Le 10 juin 2002, après avoir été emmené au poste de police de la division sud, il s’est tout d’abord montré coopératif. Le policier qui l’a arrêté a tenté de le remettre en liberté moyennant une citation à comparaître − qui permet à un inculpé d’être libéré. Bien qu’on lui ait expliqué la teneur de cette note en anglais comme en français, l’auteur a refusé de la signer et de se présenter à l’audience le jour fixé.

4.6Comme l’auteur ne voulait absolument pas se présenter à l’audience, le policier qui l’avait arrêté a décidé de le déférer devant un juge de paix et demandé qu’il bénéficie d’une libération conditionnelle. C’est pourquoi il a fallu le transférer au poste de la division centrale, où il a été placé dans une cellule en attendant un moyen de transport. Alors que le policier qui avait procédé à l’arrestation fermait la porte de la cellule, l’auteur a tenté de s’enfuir. Le policier a alors estimé qu’il fallait le fouiller et a demandé à quatre collègues de l’aider. Bien qu’on lui ait demandé à plusieurs reprises de coopérer, l’auteur a refusé d’obtempérer. Deux policiers l’ont alors menotté, les mains dans le dos, puis ils l’ont mis sur le ventre et fouillé. Ils n’ont pas employé plus de force que nécessaire pour maîtriser l’auteur. Un brigadier a observé la fouille et estimé qu’elle s’était déroulée dans les règles. Il ressort de l’enquête qui a suivi que l’auteur s’était légèrement écorché le genou, mais qu’il n’avait pas besoin de soins médicaux. S’agissant de son prétendu mal de tête, il est à noter que le Service de police d’Edmonton ne peut fournir que des médicaments prescrits par un médecin aux personnes détenues dans des centres de détention temporaire. On a jugé que le mal de tête de l’auteur ne relevait pas de l’urgence médicale.

4.7La plainte de l’auteur a donné lieu à une enquête de la section des affaires internes du Service de police d’Edmonton, qui a précisé que celle‑ci concernait un policier en particulier, qui avait contribué à maîtriser et à fouiller l’auteur. Il est ressorti de l’enquête que, faute de preuves déterminantes pour étayer ou réfuter l’allégation, la plainte «n’était pas fondée». L’État partie soutient qu’en l’espèce les mesures prises par les policiers étaient raisonnables, proportionnées et ne constituaient pas un recours excessif à la force. L’auteur ne s’est pas plaint d’avoir été frappé ou maltraité, et il ne portait pas non plus de traces de blessures qui auraient pu être attribuées à des mauvais traitements. L’État partie ajoute qu’il a enquêté sur les allégations de l’auteur aussi rapidement et aussi sérieusement que possible.

4.8Pour ce qui est de la plainte selon laquelle, du 19 mai au 9 juin 2003, on lui aurait refusé de l’eau et de la nourriture en quantité suffisante, l’État partie déclare que, le 23 avril 2003, l’auteur a été examiné par un médecin après son admission au centre de détention provisoire. L’auteur a demandé un régime sans porc pour des raisons d’ordre religieux, régime qui a été approuvé. Le 20 mai 2003, aux questions que lui posait un agent du service pénitentiaire afin de savoir pourquoi l’auteur refusait de manger − il avait sauté trois repas de suite selon la feuille de service −, ce dernier a répondu qu’il n’avait pas faim. Comme cela se fait habituellement, il a été conduit à l’infirmerie où l’on a contrôlé sa consommation d’aliments et de liquides sur vingt‑quatre heures. L’auteur a précisé qu’il mangerait les types d’aliments suivants: baguette au petit déjeuner, pas de pain pour le déjeuner et le dîner, mais du riz, du poulet, du poisson, du bœuf, des légumes, des pommes de terre et des fruits. L’État partie explique que c’est un(e) diététicien(ne) qui conçoit les menus du centre de détention provisoire d’Edmonton sur la base de directives nutritionnelles établies. Le même menu est servi à tous les détenus, sauf exception d’ordre médical ou religieux. L’auteur a continué de refuser de manger, disant qu’il ne mangerait que ce qu’il avait demandé expressément. Les feuilles de service indiquent qu’on lui a offert de la nourriture et des boissons à chaque repas. À compter du 29 mai, il a pu bénéficier d’un régime alimentaire spécial, mais pendant cette période, il s’est contenté de boire un supplément nutritionnel liquide et de manger de temps à autre. Comme il se plaignait des quantités servies, à partir du 4 juin, on a doublé ses rations pour l’encourager à manger. L’État partie avance qu’à aucun moment au cours de la période considérée l’auteur ne s’est plaint d’être «privé d’eau et de nourriture». S’il est exact qu’il n’a pas pris beaucoup de repas, il est tout aussi évident que c’était là son choix. Comme il refusait de manger, de gros efforts ont été faits pour contrôler son état de santé physique et mental et l’encourager à manger.

4.9Quant à la plainte faisant état d’«agressions» de la part des gardiens les 9, 14 et 19 juin 2003, l’État partie soutient qu’elle n’est pas fondée, l’auteur ayant refusé de fournir les précisions qu’on lui demandait. Cependant, il fait valoir que, d’après le dossier, les choses se sont déroulées de la façon suivante. Le 10 juin 2003, l’auteur a été admis en observation à l’infirmerie parce qu’il avait sauté trois repas de suite. Rien n’indique que l’auteur ait été impliqué dans un autre incident ce jour‑là, ni le 14 juin. Mais l’auteur a pu se tromper de date car, le 15 juin 2003, le dossier indique qu’il a fallu user de moyens de contrainte après qu’il eut craché sur la caméra de surveillance et menacé le personnel. Il a réussi à se dégager des entraves de contention et, alors que le personnel essayait de les récupérer, il les faisait tournoyer autour de lui et refusait de se plier aux ordres. On l’a averti qu’on ferait usage de l’aérosol à gaz poivre (oleoresin capsicum) s’il n’obéissait pas aux consignes. Comme il refusait d’obtempérer, le personnel a utilisé l’aérosol et l’a menotté. L’auteur a été immédiatement décontaminé et examiné par l’infirmière de service, qui a noté qu’il ne présentait aucune lésion. L’État partie fait valoir que l’utilisation de capsicum oléorésineux (produit biologique, non chimique, plus communément connu sous le nom de «gaz poivre») était mesurée, proportionnelle et raisonnable vu le comportement de l’auteur et respectait tout à fait les consignes et les limites imposées en la matière par les documents directifs. Après avoir enquêté sur cet incident, la police a estimé qu’il n’existait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’ouverture de poursuites contre l’un quelconque des agents du centre de détention provisoire.

4.10L’État partie évoque un autre incident dont il a été pris acte, survenu le 9 juin 2003. À 10 heures du matin, l’auteur, qui exigeait son petit déjeuner, a nui à la tranquillité en cognant sur la porte de sa cellule et en lui donnant des coups de pied. Bien qu’on lui ait dit que, le week‑end, le petit déjeuner était servi à 11 heures, il a continué à s’agiter. L’équipe d’intervention d’urgence est alors arrivée pour l’emmener ailleurs. On lui a demandé de se mettre à genoux sur sa couchette pour qu’on puisse le menotter. Comme il refusait, on l’a averti à trois reprises que s’il n’obtempérait pas on recourrait au gaz poivre, ce qui fut fait. Après que le gaz eut agi, l’auteur a été menotté et examiné par une infirmière. Selon l’État partie, l’auteur s’est plaint de cet incident à la police, laquelle, après enquête, a conclu à l’insuffisance des éléments de preuve pour engager des poursuites pénales. L’utilisation de l’aérosol était justifiée et raisonnable et elle n’a été ni arbitraire, ni excessive.

4.11Quant à l’allégation selon laquelle, le 24 mai 2003, l’auteur aurait été vu, alors qu’il était déshabillé, par du personnel féminin, l’État partie relève que l’on n’a pas trouvé trace d’une quelconque plainte adressée au directeur du centre de détention provisoire au sujet de cet incident, alors que l’ombudsman avait informé l’auteur que c’était la procédure à suivre avant de le saisir. L’État partie soutient que cette plainte est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes ou, à titre subsidiaire, qu’elle n’est pas étayée aux fins de la recevabilité. Il ressort du dossier que c’est l’auteur qui a créé les conditions dans lesquelles il s’est retrouvé nu, étant donné qu’il a lui‑même ôté les vêtements de sécurité qu’on lui avait demandé de revêtir alors qu’il était hébergé dans le service 2D (unité de santé mentale). À la place, il s’est enveloppé dans une couverture de sécurité. Dans la nuit du 23 au 24 mai, il a recouvert l’objectif de la caméra du service, après quoi on l’a transféré temporairement dans une autre unité. De retour dans sa cellule, il s’est mis à déchirer sa couverture pour masquer la caméra. La couverture lui a été retirée. Le 25 mai, il a ôté l’alèse de son matelas et s’est mis à «la porter». Plus tard dans la journée, on lui a redonné sa couverture, mais il a continué de refuser de porter les vêtements de sécurité. Il est possible que l’auteur ait été vu par du personnel féminin ou des détenues alors qu’il était dévêtu, mais cela est de son propre fait et non parce que les gardiens auraient cherché délibérément à le ridiculiser ou à l’humilier.

4.12Quant aux plaintes de l’auteur selon lesquelles il aurait été arrêté arbitrairement, l’État partie indique que la section des affaires internes du Service de police d’Edmonton a enquêté sur ces deux plaintes et estimé que, pour ce qui était de la première arrestation, l’allégation était sans fondement car l’auteur avait été informé des raisons de son arrestation en anglais et en français. Pour ce qui était de la seconde, après avoir parlé avec le policier chargé de l’enquête, l’auteur avait décidé de ne pas porter plainte. De plus, il ne s’est jamais plaint dans le cadre d’une procédure interne de ne pas avoir été informé des raisons de son arrestation. L’État partie est donc d’avis que ces plaintes sont irrecevables parce qu’elles ne sont pas fondées et que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées.

4.13S’agissant des griefs au titre de l’article 14, à savoir que l’expulsion de l’auteur avait été «programmée» pour l’empêcher de déposer contre des agents du Service de police, l’État partie considère que les plaintes de l’auteur contre la police et le personnel du centre de détention provisoire sont d’ordre administratif et ne relèvent donc pas à proprement parler d’une action en justice, c’est‑à‑dire d’une «cause» au sens du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. À titre subsidiaire, il estime cette plainte insuffisamment fondée. Lorsque l’auteur a été expulsé, ses plaintes avaient déjà fait l’objet d’une enquête dont les conclusions concernant deux de ses allégations lui avaient été transmises. Sa communication donne à entendre qu’il se proposait de déposer en justice au sujet des sévices qu’il aurait subis aux mains de policiers, mais il aurait pu le faire plus tôt, au moment où il a été jugé pour agression, le 2 avril 2003. Les juridictions pénales sont par nature habilitées à écarter ou rejeter des charges lorsque le comportement de la police est mis en cause. Dans le cas où la plainte de l’auteur serait fondée sur son incapacité apparente à présenter son recours devant la Commission chargée des plaintes contre la police, l’État partie soutient que l’auteur avait été informé par celle‑ci, dans sa lettre du 13 novembre 2003, qu’il était tenu de se présenter en personne à l’audience pour déposer sous serment. Il aurait pu demander à la Commission de prendre d’autres dispositions compte tenu des circonstances de l’affaire pour que son recours soit malgré tout examiné quand bien même il était dans l’incapacité de se présenter en personne, ou bien il aurait pu demander le contrôle juridictionnel de la décision de la Commission de classer son recours sans suite.

4.14Quant aux plaintes au titre du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 16 du Pacte, l’État partie estime que l’auteur n’ayant pas indiqué en quoi ces droits avaient été violés, elles sont irrecevables car non étayées. Pour ce qui est de celle, au titre de l’article 17, selon laquelle son courrier était ouvert, l’État partie affirme qu’en l’absence de dossier donnant à penser que l’auteur se serait plaint auprès du directeur du centre de détention provisoire, elle est irrecevable faute d’épuisement des recours. À titre subsidiaire, il soutient que l’ouverture du courrier des détenus est autorisée et strictement limitée par la législation de la province et est soumise à des contrôles minutieux en bonne et due forme. S’agissant de la plainte faisant état de la violation du même article au motif que l’auteur aurait été vu déshabillé par du personnel féminin et des détenues, l’État partie renvoie aux faits décrits plus haut. Se référant à la plainte au titre de l’article 2 du Pacte, il soutient que le paragraphe 3 de l’article 2 ne reconnaît pas de droit indépendant à un recours et que cette plainte est donc incompatible avec les dispositions du Pacte.

5.Dans ses commentaires du 21 juillet 2006 sur les observations de l’État partie, l’auteur conteste la présentation des faits par l’État partie et réitère ses plaintes initiales.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité note que l’État partie, qui a fourni de nombreux éléments d’information pour expliquer chacun des incidents qui auraient violé les droits de l’auteur, conteste chacune des plaintes formulées par celui‑ci. L’auteur se contente de rejeter la version de tous les événements avancée par l’État partie, mais sans corroborer les mauvais traitements qu’il aurait subis aux mains des autorités de police de l’État partie ni produire de preuves, médicales ou autres, à l’appui de ses plaintes. Le Comité observe par ailleurs que la majorité de ces plaintes, en particulier celles concernant les mauvais traitements et le refus d’eau et de nourriture en quantité suffisante, ont fait l’objet d’enquêtes de la part, soit de l’ombudsman, soit du Service de police d’Edmonton, lesquels ont conclu qu’aucune d’elles n’était étayée. L’auteur fait valoir que ces organes n’étaient ni impartiaux, ni indépendants, mais n’explique pas sur quoi il fonde ses reproches. Le fait qu’une enquête débouche sur des conclusions défavorables à l’auteur ne traduit pas en soi un manque d’indépendance de la part de l’organe qui a mené l’enquête. Selon l’État partie, si des plaintes n’ont pas fait l’objet d’enquêtes, c’est soit parce qu’elles n’ont été portées devant aucune autorité interne, soit parce qu’elles n’ont pas été portées devant l’autorité compétente (arrestation arbitraire, nudité, ouverture de la correspondance). L’auteur ne le conteste pas. Quant à la plainte formulée par l’auteur selon laquelle on l’aurait expulsé pour l’empêcher de déposer devant un tribunal, le Comité note que l’auteur n’a pas précisé quelle procédure orale était prévue au moment de son expulsion, ni quelle était la juridiction concernée. Cette plainte est donc irrecevable faute d’avoir été étayée.

6.2Pour tous ces motifs, le Comité estime que l’auteur n’a étayé aucune de ses plaintes aux fins de la recevabilité et qu’en outre il n’a pas épuisé les voies de recours internes s’agissant de ses plaintes pour arrestations arbitraires, déshabillage forcé et ouverture de courrier. La communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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