NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.

RESTREINTE *

CCPR/C/90/D/1173/2003

26 septembre 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-dixième session

9-27 juillet 2007

CONSTATATIONS

Communication no 1173/2003

Présentée par : Abdelhamid Benhadj (représenté par M. Rachid Mesli)

Au nom de : Ali Benhadj (son frère)

État partie : Algérie

Date de la communication : 31 mars 2003 (date de la lettre initiale)

Références : Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 14 juillet 2003 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption

des constatations : 20 juillet 2007

Objet : détention arbitraire

Question de procédure : Procuration

Questions de fond : droit à la liberté et à la sécurité de la personne; arrestation et détention arbitraires ; droit à être traité avec humanité et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; droit à un procès équitable ; tribunal compétent, indépendant et impartial ; droit à la liberté d’expression 

Articles du Pacte : 7, 9, 10, 12, 14, et 19

Article du Protocole facultatif : ---

Le 20 juillet 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté en annexe en tant que constatations concernant la communication N o  1173/2003 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES – quatre-vingt-dixième session -

concernant la

Communication No 1173/2003**

Présentée par : Abdelhamid BENHADJ (représenté par M. Rachid Mesli)

Au nom de : Ali BENHADJ (son frère)

État partie : Algérie

Date de la communication : 31 mars 2003 (date de la lettre initiale)

Date de l’adoption

des constatations : 20 juillet 2007

Le Comité des droits de l’homme , institué en vertu de l’article 28 du Pacte i n ternational relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication N o 1173/2003, présentée par Abdelhamid BENHADJ au nom de Ali BENHADJ (son frère) en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été commun i quées par les auteurs de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1. L’auteur de la communication, datée du 31 mars 2003, est Abdelhamid BENHADJ, qui présente la communication au nom de son frère, Ali BENHADJ, né le 16 décembre 1956 à Tunis. L’auteur indique que son frère est victime de violations par l’Algérie des articles 7 ; 9 ; 10 ; 12 ; 14 et 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par M. Rachid Mesli. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteur

Ali Benhadj est un des membres fondateurs et, à la date de présentation de la communication, le vice-président du Front Islamique du Salut (FIS), parti politique algérien agrée par l’Etat partie depuis le 12 septembre 1989, après l’instauration du pluralisme politique. Dans la perspective de la prochaine échéance électorale et suite aux victoires du FIS aux élections communales de 1990, le gouvernement algérien devait faire adopter une nouvelle loi électorale qui a suscité la condamnation unanime de tous les partis d’opposition algériens. En protestation contre cette loi le FIS a organisé une grève générale accompagnée de sit-in pacifiques sur les places publiques. Après quelques jours de grèves et de marches pacifiques, les parties ont convenus de mettre un terme à ce mouvement de protestation en échange d’une révision prochaine de la loi électorale. Cependant, le 3 juin 1991, le chef du gouvernement a été prié de démissionner et les places publiques étaient prises d’assaut par l’armée algérienne.

Le 29 juin 1991 Ali Benhadj a été arrêté par la sécurité militaire au siège de la télévision d’état où il s’était rendu pour exprimer la position de son parti. Il a été présenté le 2 juillet 1991 devant le procureur militaire de Blida pour être inculpé de « crime contre la sureté de l’Etat » et « d’atteinte au bon fonctionnement de l’économie nationale ». Il lui a été notamment reproché d’avoir organisé une grève, que le parquet du tribunal avait qualifié d’insurrectionnelle car elle aurait causé un grave préjudice économique à la nation. Les avocats constitués pour défendre Ali Benhadj ont contesté le bien fondé des poursuites dont il faisait l’objet devant la juridiction militaire, ainsi que la régularité de l’instruction assurée par un magistrat militaire subordonné au parquet. D’après la défense , la juridiction avait été instituée pour éliminer de la scène politique les dirigeants du principal parti d’opposition, et elle était incompétente en l’espèce, ne pouvant connaître que des infractions à la loi pénale et au code de justice militaire commises par des militaires dans l’exercice de leurs fonctions, ou des crimes commis par des civils lorsque ceux-ci agissent comme complice d’une infraction dont l’auteur principal est un militaire. La compétence du tribunal militaire en matière d’infractions à caractère politique prévue par une loi de 1963 avait été supprimée de fait par l’instauration d’une Cour de sûreté de l’Etat spécialement instituée pour connaître ce type d’infractions en 1971. Cette juridiction elle-même avait été dissoute après l’instauration du pluralisme politique en 1989, la règle générale de compétence devant donc s’appliquer.

Le premier tour des élections législatives du 26 décembre 1991 a été remporté par le FIS, et dès le lendemain des résultats officiels, le procureur militaire devait faire part aux avocats de la défense de son intention de mettre fin aux poursuites engagées contre Ali Benhadj. Cependant, le 12 janvier 1992 le président de la république « démissionnait », l’état d’urgence était proclamé, les élections législatives annulées, et des camps « d’internement administratif » ouverts dans le sud de l’Algérie. Le 15 juillet 1992 le tribunal militaire de Blida a rendu, en l’absence du requérant, un jugement le condamnant à douze années de réclusion criminelle. Le pourvoi en cassation introduit contre cette décision a été rejeté par la Cour suprême le 15 février 1993, rendant ainsi définitive la condamnation pénale.

Lors de la présentation de la communication, M. Benhadj était toujours en prison. Tous ses co-accusés ont été libérés après avoir purgé une partie de leur peine. Durant sa détention, il a été soumis à divers formes de détention et traité d’une manière différente selon qu’il ait été considéré par les autorités militaires comme un interlocuteur politique ou non. Ainsi, il a été détenu de juillet 1991 à avril 1993 à la prison militaire de Blida où il a fait l’objet de brutalités physiques, notamment pour avoir demandé à être traité conformément à la loi et au règlement carcéral, et également pour avoir refusé certaines sollicitations politiques des autorités militaires. Il a été ensuite transféré à la prison civile de Tizi-Ouzou où il a été soumis à l’isolement total dans le quartier des condamnés à mort pendant plusieurs mois. Il a été de nouveau transféré à la prison militaire de Blida, jusqu’à ce que des négociations politiques n’échouent et qu’il soit transféré le 1 février 1995 dans une caserne militaire de l’extrême sud de l’Algérie. Il y a été détenu au secret pendant quatre mois et six jours et soumis au régime du cachot dans une cellule exigüe, sans aération ni possibilité d’hygiène. Suite à cette détention, il a été transféré dans une résidence d’Etat habituellement réservée aux hauts dignitaires en visite en Algérie, de nouvelles négociations s’étaient ouvertes entre une « commission nationale » présidée par le Général Liamine Zeroual et les dirigeants du FIS.

Le jour de l’échec de ces négociations, que le Général Zeroual a attribué à M. Benhadj, il a été transféré de nouveau dans l’extrême sud de l’Algérie dans un lieu de détention secret, probablement une caserne de sécurité militaire. Il y a été enfermé dans un cachot exigu , ne disposant d’aucune ouverture sur l’extérieur sinon une trappe s’ouvrant dans le plafond, dans un isolement complet, où il a perdu la notion du temps. Il y a été enfermé pendant deux ans. On l’a autorisé à écrire à toutes les autorités officielles (Président, chef du gouvernement, ministre de la justice, autorités militaires), et on la assuré que ses lettres parviendraient aux destinataires. Il a engagé de nombreuses grèves de la faim, qui ont été violemment réprimés par les agents qui assuraient sa garde. Il ne pouvait recevoir ni la visite de sa famille ni à fortiori celle de ses avocats.

En automne 1997 il a été de nouveau transféré à la prison militaire de Blida où il a été gardé au secret, et maltraité pendant près de deux ans. Sa famille a donc ignoré son lieu de détention et s’il était encore en vie quatre ans durant. Ce n’est qu’en mars 1999 qu’elle a été avisée de son lieu de détention et autorisée à lui rendre visite. En janvier 2001, sa famille a remarqué que ses conditions de détention s’étaient de nouveau détériorées à la suite de lettres envoyées par Ali Benhadj au Président de la République. Le 16 janvier 2001, M. Mesli a saisi le Groupe de travail de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire du cas de M. Benhadj. Le 3 décembre 2001, le Groupe de travail a rendu un avis selon lequel sa privation de liberté était arbitraire et contraire aux articles 9 et 14 du Pacte. Le groupe de travail a prié l’Etat partie « de prendre les mesures nécessaires pour remédier à la situation et la mettre en conformité avec les normes et principes énoncés dans la déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte » . Aucune mesure n’a été prise par l’Etat partie.

Teneur de la plainte

L’auteur fait valoir que les faits tels que présentés par lui-même font apparaître des violations des articles 7, 9, 10, 12, 14, et 19 du Pacte en ce qui concerne son frère Ali Benhadj.

S’agissant des allégations relatives aux articles 9, 12 et 19 du Pacte, l’inculpation d’Ali Benhadj pour atteinte à la sûreté de l’Etat a un caractère politique : aucun fait précis pouvant recevoir une qualification pénale n’a, en effet, pu être établi par l’accusation. Il lui a été reproché d’avoir initié une grève politique que les autorités militaires, et non les autorités civiles légales, avaient qualifiée d’insurrectionnelle. Cette grève avait été réprimée dans le sang par l’armée algérienne malgré son caractère pacifique et les garanties données par le chef du gouvernement. Or, et à supposer qu’une action de protestation politique puisse recevoir une qualification pénale, ce qui n’est pas le cas dans la législation interne, ce mouvement de protestation avait pris fin à la suite d’un accord intervenu entre le chef du gouvernement et le parti co-présidé par Ali Benhadj. Son arrestation par les services de sécurité militaire au siège de la télévision d’Etat où il s’était rendu pour s’exprimer, et son inculpation devant une juridiction militaire, avaient de toute évidence pour seul but d’éliminer de la scène politique algérienne l’un des principaux dirigeants d’un parti d’opposition.

Quant aux allégations relatives à l’article 14, les règles minima en matière d’équité n’ont pas été respectées. Ali Benhadj a été condamné par un tribunal incompétent, partial et inéquitable pour des motifs strictement politiques. Le procès du requérant n’a pas été public. La défense a demandé à l’ouverture du procès que celui-ci se tienne publiquement et que l’audience soit ouverte à tous. Cette demande a été rejetée sans que le tribunal n’avance de justifications légales et sans que le huit clos ne soit prononcé. Certains avocats constitués ont été empêchés d’accéder au tribunal par des militaires postés en barrage sur toutes les routes d’accès . Ali Benhadj a été empêché de s’exprimer dès l’ouverture du procès par le procureur militaire qui assurait, en violation de la loi, la police de l’audience, et qui imposait ses décisions au président du tribunal lui-même. Le procès d’Ali Benhadj s’est déroulé en son absence, ayant été expulsé manu militari de la salle d’audience sur ordre du procureur militaire pour avoir protesté contre les conditions dans lesquelles il se tenait.

Enfin, la juridiction militaire, incompétente, ne pouvait être ni équitable ni impartiale. Cette juridiction relève en effet du ministère de la défense et non du ministère de la justice et elle est composée d’officiers dépendant hiérarchiquement de ce ministère (juge d’instruction, magistrats et président de la juridiction de jugement nommés par le ministre de la défense). C’est le ministre de la défense qui prend l’initiative des poursuites et il a la faculté d’interpréter la loi relative à la compétence du tribunal militaire. Les poursuites et la condamnation par une telle juridiction ainsi que la privation de liberté constituent une violation de l’article 14.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

Le 12 novembre 2003, l’Etat partie rappelle qu’Ali Benhadj a été arrêté en juin 1991 consécutivement à un appel à la violence généralisée qui a été lancé en partie par Ali Benhadj à travers une directive signée de sa main. Cet appel fait suite à l’échec d’une tentative d’insurrection qu’il a préparé en partie et organisée dans le but d’instaurer par la violence un état théocratique. C’est dans le cadre de cette situation exceptionnelle, et pour garantir une bonne administration de la justice qu’il a été traduit devant un tribunal militaire qui contrairement aux allégations de la source est compétent en vertu de la loi algérienne pour connaître des faits qui lui sont reprochés. Ni l’article 14 du Pacte, ni l’observation générale du Comité sur cet article, ni les autres normes internationales ne considèrent qu’en soi, un procès devant des juridictions autres que les tribunaux ordinaires constitue nécessairement une violation du droit à un procès équitable. Le Comité a eu l’occasion de le rappeler dans le cadre d’examen des communications à propos des tribunaux d’exception et des tribunaux militaires.

L’Etat partie signale qu’Ali Benhadj n’est plus détenu puisqu’il a été libéré le 2 juillet 2003. Il n’est plus astreint à aucune restriction concernant sa liberté de circulation et n’est pas assigné à résidence comme le prétend l’auteur.

Ali Benhadj a été poursuivi et jugé par un tribunal militaire dont l’organisation et la compétence sont prévues par l’ordonnance no 71-28 du 22 avril 1971 portant Code de justice militaire. Contrairement aux allégations, le tribunal militaire est composé de trois magistrats désignés par arrêté conjoint du ministre de la justice, Garde des Sceaux, et du ministre de la défense nationale. Il est présidé par un magistrat professionnel de l’ordre judiciaire de droit commun, soumis statutairement à la loi portant statut de la magistrature et dont le déroulement de la carrière et la discipline relèvent du Conseil supérieur de la magistrature, organe constitutionnel présidé par le Chef de l’Etat. Les décisions du tribunal militaire peuvent être attaquées par voie de pourvoi devant la Cour suprême pour les causes et dans les conditions prévues par les articles 495 et suivant du Code de procédure pénale. S’agissant de leur compétence, les tribunaux militaires peuvent connaître, en plus des infractions spéciales d’ordre militaire, des infractions contre la sûreté de l’Etat telles que définies par le Code pénal, lorsque la peine encourue est supérieure à cinq années d’emprisonnement. Dans ce cas, les tribunaux militaires peuvent juger quiconque commettrait une infraction de cette nature, quelle que soit sa qualité de militaire ou de non militaire. C’est en conformité et sur la base de cette législation qu’Ali Benhadj a été poursuivi et jugé par le tribunal militaire de Blida, dont la compétence se fonde sur l’article 25 de l’ordonnance précitée. L’Etat partie relève que la question de l’incompétence de la juridiction militaire n’a pas été soulevée devant les juges de fond. Elle a été évoquée pour la première fois devant la Cour suprême qui l’a rejetée.

Ali Benhadj a bénéficié de toutes les garanties que lui reconnaissent la loi et les instruments internationaux. Dès son arrestation, le juge d’instruction lui a notifié les accusations portées contre lui. Il s’est fait assister, au cours de l’information judiciaire et au cours de son procès de dix-neuf avocats, et devant la cour suprême par huit avocats. Il a utilisé les voies de recours offertes par la loi, puisqu’il a introduit un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Cette dernière a rejeté le recours.

Concernant l’allégation que le procès n’aurait pas été public, elle est inexacte et tend à faire croire la thèse selon laquelle il n’a pas été autorisé à assister au déroulement de son procès, ni à se défendre contre les accusations portées à son encontre. En réalité, et dès l’ouverture du procès, il a refusé de comparaître devant le tribunal militaire, alors même qu’il avait été cité régulièrement, en même temps que ses avocats avaient été convoqués. Constatant son absence à l’audience, le président du tribunal lui a adressé une sommation à comparaitre, notifiée conformément à l’article 294 du Code de procédure pénale et 142 du Code de justice militaire. Devant son refus de comparaître, un procès verbal de constat a été dressé, avant que le président du tribunal ne décide de passer outre aux débats, conformément aux dispositions sus mentionnées. Néanmoins, tous les actes de procédure concernant le déroulement des débats ont été régulièrement notifiés à l’accusé et des procès verbaux en ont été dressés. Que l’on juge un accusé en son absence n’est contraire ni à la législation nationale ni aux dispositions du Pacte : si l’article 14 stipule que toute personne accusée d’une infraction a le droit d’être présente à son procès, il ne dit pas que la justice ne peut être rendue lorsque le prévenu refuse délibérément, et de son seul chef, de comparaître aux audiences du tribunal. Le Code de procédure pénale et le Code de justice militaire permettent au tribunal de passer outre aux débats lorsqu’un prévenu persiste dans son refus de comparaitre devant lui. Cette forme légale de procéder trouve sa justification dans le fait que la justice doit être rendue en toutes circonstances et que le comportement négatif d’un accusé ne saurait en entraver indéfiniment le cours.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’Etat partie

Le 19 mai 2004, M. Mesli fournit une procuration au nom d’Ali Benhadj en date du 13 mars 2004. Sur la recevabilité de la communication, il relève qu’aucune objection n’a été formulée par l’Etat partie.

Ali Benhadj a été libéré le 2 juillet 2003. A la veille de sa libération il lui a été demandé de renoncer à toute activité de quelque nature qu’elle soit. Il a refusé de signer un document en ce sens, tendant à lui faire accepter de renoncer à ses droits civils et politiques. Au lendemain de sa libération, un communiqué officiel conjoint des autorités militaires et du ministère de l’intérieur lui notifiait par voie de presse l’interdiction d’exercer ses droits les plus élémentaires sous le prétexte que de telles interdictions étaient accessoires à sa peine principale de réclusion. Ali Benhadj a fait l’objet de plusieurs interpellations, toujours dans le but de lui interdire toute activité. Il continue de faire l’objet de nombreuses menaces et mesures de harcèlement.

L’Etat partie se contente de réaffirmer le caractère conforme à la légalité interne du procès du requérant devant le tribunal militaire, qui serait compétent pour connaître des infractions à caractère politique. Il prétend également que la question de l’incompétence du tribunal militaire n’a pas été soulevée par les prévenus devant la juridiction du jugement. M. Mesli indique que la question de la compétence a fait l’objet d’une requête tendant à voir déclarer l’incompétence de la juridiction militaire devant la chambre d’accusation présidée par le président du tribunal militaire. Cette demande a été rejetée, et réitérée in limine litis par dépôt de conclusions écrites à l’ouverture du procès. La demande n’a pas été examinée par le président du tribunal militaire, qui a déclaré l’adjoindre au fond pour statuer. Suite aux exactions physiques subies par Ali Benhadj, en présence de ses avocats, la défense s’est retirée en signe de protestation. Sur la composition du tribunal militaire, si cette juridiction est bien présidée par un magistrat professionnel de l’ordre judiciaire, celui-ci est nommé par arrêté conjoint du ministre de la défense et du ministre de la justice. Cette juridiction comprend en outre deux assesseurs militaires, n’ayant ni la qualité ni les compétences en matière de magistrature et désignés par le seul ministre de la défense nationale auquel ils sont subordonnés. Ces deux assesseurs disposent d’une voix chacun lors des délibérations prises à la majorité des voix. Lors de l’audience du jugement le tribunal militaire de Blida était donc composé du président ainsi que de deux membres des forces armées en service actif, tout deux obéissant aux ordres de leur hiérarchie, le ministre de la défense nationale. Il parait évident pour le conseil que le tribunal militaire de Blida, au lendemain d’un coup d’Etat militaire et dans un contexte d’état d’urgence décrété le 12 février 1992, ne pouvait être ni indépendant ni impartial.

Si le Comité ne considère pas, qu’en soi, un procès devant des juridictions militaires constitue nécessairement une violation du droit à un procès équitable, cela s’entend dans un cadre d’indépendance de la justice reposant sur une séparation effective des pouvoirs inhérente à une société démocratique. Sur la question des procès des civils devant des tribunaux militaires, le Comité a fait observer dans son Observation générale 13 (par. 4) que « dans certains pays, ces tribunaux militaires et d’exception n’offrent pas les strictes garanties d’une bonne administration de la justice conformément aux prescriptions de l’article 14, qui sont indispensables à la protection effective des droits de l’homme ». Le Comité a également considéré que le droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial était tellement fondamental qu’il s’agissait d’un droit absolu ne pouvant souffrir aucune exception . Sur le caractère public du procès, le conseil verse aux débats un communiqué des dix-neuf avocats de la défense du 18 juillet 1992 à l’issue du procès et qui énumère un certain nombre de violations.

M. Mesli relève que l’Etat partie ne formule aucune observation sur les mauvais traitements d’Ali Benhadj pendant sa détention, sur sa détention au secret pendant quatre ans, ni sur sa détention dans une caserne militaire du département des renseignements et de la sécurité pendant au moins deux années . Le traitement dont a fait objet Ali Benhadj constitue une violation des articles 7 et 10 du Pacte.

Commentaires additionnels de l’Etat partie

Le 27 septembre 2004, l’Etat partie relève que la procuration donnée par Ali Benhadj au M. Mesli n’est pas authentifiée et qu’elle ne peut donc être prise en considération. Le Comité a défini les conditions de recevabilité des communications qui doivent être présentées soit par la victime elle-même, soit en cas d’incapacité par une tierce personne, qui doit alors justifier de son pouvoir d’agir au nom de la victime. Cette condition n’est pas remplie dans le cas d’espèce, puisqu’en l’absence d’authentification de la procuration versée au dossier par le M. Mesli, rien ne prouve qu’un pouvoir ait été donné par Ali Benhadj à ce dernier pour agir en son nom. En conséquence, le Comité doit constater l’absence d’authentification de la procuration et rejeter en la forme la requête.

Sur le fond et en ce qui concerne le déroulement du procès, l’Etat partie considère avoir présenté suffisamment d’éléments d’information lui permettant de se faire une conviction. Il sollicite du Comité de lui adjuger le bénéfice de ses précédentes écritures. En ce qui concerne les « nouvelles violations » dont fait l’objet Ali Benhadj, il a été condamné à une peine de réclusion criminelle et s’est vu notifier un certain nombre d’interdictions qui sont en fait des peines dites accessoires à la peine principale et qui sont prévues par l’article 4 alinéa 3 et l’article 6 du Code pénal. Ces peines accessoires n’ont pas à être prononcées et s’appliquent de plein droit au condamné, et ne sont donc pas une violation des droits fondamentaux d’Ali Benhadj. En ce qui concerne les allégations de mauvais traitements dont aurait fait l’objet Ali Benhadj au cours de sa détention, celles-ci ne sont pas étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

Le Comité note que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou d’un règlement, comme l’exige le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

Sur la question de la validité de la procuration présentée par M. Mesli, le Comité rappelle que « normalement, la communication doit être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant ; une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication » . Dans le cas présent, M. Mesli a indiqué qu’Ali Benhadj était en détention à la date de la présentation de la communication initiale. Le Comité considère donc que la procuration présentée par M. Mesli au nom du frère d’Ali Benhadj suffisait aux fins de l’enregistrement de la communication . De plus, M. Mesli a depuis fourni une procuration signée par Ali Benhadj, qui l’autorise expressément et de manière certaine en l’espèce à le représenter devant le Comité. Il conclut donc que la communication a été valablement soumise au Comité.

En ce qui concerne la question de la plainte portée au titre de l’article 12 du Pacte, le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur ne démontrent pas en quoi ils portent atteintes au droit de circuler librement sur le territoire de l’Etat partie, et décide que les éléments présentés ne sont pas suffisants pour étayer la plainte, aux fins de la recevabilité. En ce qui concerne la question des plaintes portées au titre des articles 7 ; 9 ; 10 ; 14 et 19 du Pacte, le Comité considère en l’espèce que les éléments présentés par l’auteur sont suffisants pour étayer les plaintes, aux fins de la recevabilité. Le Comité conclut donc que la communication est recevable au titre des dispositions précitées.

Examen au fond

Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

Le Comité note qu’Ali Benhadj a été arrêté en 1991 et condamné par un tribunal militaire le 15 juillet 1992 à douze années de réclusion criminelle, pour atteinte à la sûreté de l’état et au bon fonctionnement de l’économie nationale. Il a été relâché le 2 juillet 2003. Le Comité rappelle l’allégation qu’Ali Benhadj a été détenu dans un lieu secret du 1 février 1995 pendant 4 mois et 6 jours, ainsi que pendant quatre années supplémentaires et ce jusqu’en mars 1999. Pendant ces périodes, sa famille a ignoré son lieu de détention et s’il était encore en vie. Le Comité note que l'État partie n'a pas répondu aux allégations de l’auteur sur la détention au secret d’Ali Benhadj.

Le Comité rappelle que la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d'une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l'article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d'enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où l'auteur a communiqué au Comité des allégations précises et où tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut estimer ces allégations fondées si l'État partie ne les réfute pas en apportant des preuves et des explications satisfaisantes.

Le Comité relève l’allégation de l’auteur selon laquelle pendant plusieurs années de détention au secret Ali Benhadj a été privé d’accès à un défenseur, et qu’il n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de sa détention. L’Etat partie n’a pas répondu à ces allégations. Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 4 de l’article 9, un contrôle judiciaire de la légalité de la détention doit inclure la possibilité d’ordonner la libération du détenu si la détention est déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte, en particulier celles du paragraphe 1 de l’article 9. Dans le cas d’espèce, Ali Benhadj a été détenu dans plusieurs prisons et dans des lieux de détention secrets à trois reprises et pendant plus de quatre ans, sans possibilité d’examen judiciaire quant au fond de la question de savoir si cette détention était compatible avec le Pacte. En conséquence, et en l'absence d'explications suffisantes de l'État partie, le Comité conclut à une violation du paragraphe 4 de l'article 9 du Pacte.

En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 10 du Pacte, le Comité relève que d’après l’auteur Ali Benhadj a fait l’objet de brutalités physiques à plusieurs reprises pendant sa détention et qu’il a été détenu plusieurs mois dans le quartier des condamnés à mort. De plus, d’après l’auteur, lors de la première détention au secret il a été soumis au régime du cachot dans une cellule exigüe sans aération ni condition d’hygiène, et qu’ensuite il a été enfermé dans un cachot dont les dimensions ne lui permettaient pas ni de se tenir debout, ni de s’allonger. Le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ou de contrainte autre que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées dans le respect de l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus notamment . En l'absence de renseignements concrets de la part de l'État partie sur les conditions de détention d’Ali Benhadj, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 1 de l'article 10 ont été violés. Compte tenu de cette conclusion concernant l'article 10, disposition du Pacte traitant spécifiquement de la situation des personnes privées de liberté et consacrant pour cette catégorie de personnes les éléments visés plus généralement à l'article 7, il n'est pas nécessaire d'examiner séparément les plaintes relatives à l'article 7. Le Comité considère également qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les autres plaintes relatives à l’article 9 du Pacte.

En ce qui concerne le grief de violations de l'article 14 du Pacte, l’auteur a indiqué que la composition du tribunal elle-même viole les règles en matière d’équité, que le procès d’Ali Benhadj n’a pas été public sans que le tribunal n’avance de justifications légales, et sans que le huit-clos ne soit prononcé, et enfin que certains de ses avocats n’ont pas été autorisés à comparaître devant le tribunal.

Sur la compétence du tribunal militaire à juger l’affaire, l’Etat partie indique que les tribunaux militaires peuvent connaître des infractions contre la sûreté de l’Etat lorsque la peine encourue est supérieure à cinq années d’emprisonnement, sur la base de l’article 25 de l’ordonnance no 71-28 du 22 avril 1971. Le Comité relève qu’Ali Benhadj a été représenté devant le tribunal militaire, et qu’il s’est pourvu en cassation devant la Cour suprême, qui a confirmé la décision du tribunal. Sur le fait que le procès n’ai pas été public, le Comité relève que l’Etat partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur, sauf pour indiquer que l’allégation est « parfaitement inexacte ». Enfin, sur l’allégation que certains des avocats n’ont pas pu comparaître devant le tribunal, l’Etat partie a indiqué qu’Ali Benhadj et ses co-accusés se sont fait assister, au cours de l’information judiciaire et au cours du procès de dix-neuf avocats, et devant la cour suprême par huit avocats.

8.8 En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle son Observation générale 13 selon laquelle bien que le Pacte n’interdise pas le jugement de civils par des tribunaux militaires, de tels procès doivent être exceptionnels et doivent se dérouler dans des conditions garantissant véritablement les pleines garanties prévues à l’article 14. Il incombe à l’Etat partie poursuivant des civils devant des tribunaux militaires de justifier une telle pratique. Le Comité estime que l’Etat partie doit démontrer, relativement à la catégorie spécifique des personnes en question, que les tribunaux civils ordinaires ne sont pas en mesure d’entreprendre ces procès, que d’autres formes alternatives de tribunaux civils spéciaux ou de haute sécurité ne sont pas adaptées à cette tâche et que le recours à des tribunaux militaires garantit la pleine protection des droits de l’accusé, conformément à l’article 14. L’Etat partie doit par ailleurs démontrer comment les tribunaux militaires garantissent la pleine protection des droits de l’accusé, conformément à l’article 14. Dans le cas présent, l’Etat partie n’a pas démontré les raisons pour lesquelles le recours à un tribunal militaire était nécessaire. Dans ses commentaires sur la gravité des accusations à l’encontre de M. Benhadj, l’Etat partie n’a pas indiqué les raisons pour lesquelles les tribunaux civils ordinaires ou d’autres formes alternatives de tribunaux civils n’étaient pas adéquats pour le juger. De même, la simple invocation des dispositions juridiques internes pour le procès par les tribunaux militaires de certaines catégories de délits graves ne peut justifier, aux termes du Pacte, le recours à de tels tribunaux. L’Etat partie n’a pas démontré en l’espèce le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire, ce qui signifie que le Comité n’a pas besoin d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties au titre de l’article 14. Le Comité conclut que le procès et la condamnation de M. Benhadj par un tribunal militaire révèlent une violation de l’article 14 du Pacte.

8.9 Quant au fait qu’Ali Benhadj a été condamné en son absence à douze années de réclusion criminelle, au cours d’une procédure du déroulement de laquelle il a refusé de comparaître, le Comité rappelle que les garanties énoncées à l’article 14 ne peuvent être interprétés comme excluant forcément les jugements rendus en l’absence de l’accusé, quelles que soient les raisons de l’absence de l’accusé. En effet, les jugements rendus en l’absence de l’accusé sont dans certaines circonstances (par exemple, lorsque l’accusé, qui a été informé de l’audience suffisamment à l’avance, refuse d’être présent) acceptables, dans l’intérêt de la justice . Dans le cas présent, le Comité relève que d’après l’Etat partie, Ali Benhadj et ses avocats ont été cités régulièrement et que le tribunal a adressé à Ali Benhadj une sommation à comparaître, et que c’est à ce stade que le Président du tribunal a décidé de passer outre aux débats. Le Comité relève que l’auteur n’a pas répondu à ces explications de l’Etat partie, et conclut que le jugement en l’absence d’Ali Benhadj ne fait pas apparaître une violation de l’article 14 du Pacte.

8.10 Quant à l’allégation de violation de l’article 19, le Comité rappelle que la liberté d’information et la liberté d’expression sont les pierres angulaires de toute société libre et démocratique. De telles sociétés, par essence, autorisent les citoyens à s’informer sur les solutions de remplacement éventuelles au système ou partis politiques au pouvoir, et à critiquer ou évaluer ouvertement et publiquement leur gouvernement sans crainte d’intervention ou de répression de sa part, dans les limites fixées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. En ce qui concerne les allégations qu’Ali Benhadj a été arrêté et inculpé à des fins politiques, et que les interdictions dont il fait objet depuis sa libération ne sont pas prévues par la loi, le Comité note qu’il ne dispose pas d’éléments suffisants pour conclure à une violation de l’article 19.

Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l'article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l'État partie des articles 9, 10 et 14 du Pacte.

Conformément au paragraphe 3 de l'article 2 du Pacte, l'État partie est tenu d'assurer un recours utile à Ali Benhadj. L’Etat partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour en faire sorte que l’auteur obtienne une réparation appropriée, y compris sous forme d’indemnisation pour l’angoisse que sa famille et lui-même ont subie. L'État partie est d'autre part tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l'avenir.

Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en français (version originale), en espagnol et en anglais. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Abdelfattah AMOR

Dans le paragraphe 8.7 des présentes constatations le Comité, après avoir affirmé que :

« l’Etat partie n’a pas démontré en l’espèce le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire, ce qui signifie que le Comité n’a pas besoin d’examiner si le tribunal militaire a, dans les faits, apporté toutes les garanties au titre de l’article 14 »

conclut que :

« le procès et la condamnation de M. Benhadj par un tribunal militaire relèvent une violation de l’article 14 du Pacte »

Le Comité reprend ainsi, mais dans un style plus habituel, la position qu’il a prise sur la même question, dans l’affaire Madani et que j’estime juridiquement mal fondée.(communication n°1172/2003 avec mon opinion dissidente et celle de M. Ahmed Tawfik Khalil)

Je souhaiterais renvoyer à mon opinion dissidente sur l’affaire Madani, dont je confirme les termes et le contenu parfaitement applicables à la présente espèce, et y ajouter les éléments suivants :

1°- comme dans l’affaire Madani, le Comité a mis en application avant son adoption la nouvelle observation générale n°32 sur l’article 14, venue remplacer l’observation générale n°13, étant précisé que les constatations sur l’affaire Benhadj ont été adoptées le 20 juillet 2007, avant l’adoption de la nouvelle observation générale le 25 juillet 2OO7, ce qui rend la position du Comité fort contestable. Outre les questions de principe tenant à la rétroactivité, on notera plus concrètement que l’Etat n’étant pas averti à l’avance de la « règle » applicable, n’a pas été mis en mesure de développer son argumentaire à cet égard ;

2°- en réalité, le Comité n’a pas fait simplement oeuvre d’interprétation, comme il a le droit de le faire en vertu de ses compétences implicites, mais il a plutôt fait œuvre de création, en posant une « règle » nouvelle qui ne peut être justifiée au regard du pacte. C’est là une question fondamentale qui interpelle les limites de la compétence du Comité à déterminer sa propre compétence compte tenu des obligations et engagements souscrits par les Etats parties au pacte ;

3°- même si l’on devait s’inscrire dans la logique arrêtée par le Comité, force est de constater que le Comité n’a pas pris sur lui d’en tenir compte lui-même. « L’Etat partie n’a pas démontré en l’espèce, le besoin d’avoir recours à un tribunal militaire » estime le Comité. L’Etat a bien, pourtant, indiqué qu’il y avait une « situation exceptionnelle », faisant suite à une «tentative d’insurrection » et que M. Benhadj a été traduit devant un tribunal militaire pour garantir une bonne administration de la justice et que ce tribunal est établi par la loi pour connaître, outre des infractions militaires, des atteintes à la sûreté de l’Etat lorsque la peine encourue est supérieures à cinq ans d’emprisonnement et cela dans le respect des garanties reconnues par la loi et les instruments internationaux.. Le Comité aurait pu, ou plutôt aurait dû, examiner les arguments de l’Etat partie tendant à démonter le bien-fondé du recours à un tribunal militaire et les rejeter au cas où il les jugerait insuffisamment pertinents. Il ne l’a pas fait coupant ainsi la branche sur laquelle il a voulu s’installer. Il n’a pas estimé nécessaire d’examiner non plus si les garanties et procédures prévues à l’article 14 étaient ou non respectées, ce qui était pourtant l’essentiel.

Au total les appréhensions à l’égard des tribunaux militaires et des tribunaux d’exception, que je partage pleinement avec de nombreux membres du Comité, n’autorisent pas ce dernier à se démarquer de la rigueur juridique qui a fait sa réputation et consolidé sa crédibilité. Elles ne l’autorisent pas, non plus, à aller au delà des compétences qui sont les siennes ni à tirer argument de la nature de la juridiction saisie pour ne pas vérifier si toutes les garanties et procédures prévues à l’article 14 du pacte sont ou non respectées. La flexibilité du droit n’est source de richesse et de progrès que dans la mesure où elle ne réduit pas le droit au méta-droit.

( Signé ) Abdelfattah Amor

[Fait en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle (dissidente) de M. Ahmed T. Khalil, membre du Comité

Je tiens à ce qu’il soit consigné que je ne saurais souscrire au point de vue exprimé au paragraphe 8.8 des constatations sur la communication n o 1173/2003, Benhadj c. Algérie , dans lequel le Comité constate une violation par l’État partie de l’article 14 du Pacte.

Ma position est fondée sur les mêmes considérations que celles exposées en détail dans mon opinion dissidente sur les constatations sur la communication n o 1172/2003, Abbassi Madani c. Algérie .

( Signé ) Ahmed T. Khalil

[ Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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