Comité des disparitions forcées
Rapport de suivi des communications individuelles*
A.Introduction
1.Le présent rapport est soumis en application de l’article79 du Règlement du Comité, qui dispose que le Rapporteur spécial ou le groupe de travail chargé de vérifier que les États ont pris des mesures pour donner effet aux constatations du Comité rend régulièrement compte des activités de suivi au Comité.
2.On trouvera dans le présent rapport les renseignements que le Comité a reçus au sujet de la suite donnée aux constatations concernant la communication no1/2013 (Yrusta c. Argentine), qu’il a adoptées à sa dixième session, et des décisions qu’il a adoptées à cet égard en séance plénière, conformément aux critères d’évaluation suivants :
Critères d’évaluation |
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Réponse ou mesures satisfaisantes |
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A |
Les mesures adoptées sont satisfaisantes dans l’ensemble |
Réponse ou mesures partiellement satisfaisantes |
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B1 |
Des mesures concrètes ont été prises mais des renseignements supplémentaires sont nécessaires |
B2 |
Des mesures initiales ont été prises mais des mesures et des renseignements supplémentaires sont nécessaires |
Réponse ou mesures insatisfaisantes |
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C1 |
Une réponse a été reçue mais les mesures prises ne permettent pas de mettre en œuvre les constatations ou recommandations |
C2 |
Une réponse a été reçue mais elle est sans rapport avec les constatations ou recommandations |
Défaut de coopération avec le Comité |
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D1 |
Aucune réponse n’a été reçue à une ou plusieurs recommandations ou à une partie d’une recommandation |
D2 |
Aucune réponse n’a été reçue après un ou plusieurs rappels |
Les mesures prises vont à l’encontre des recommandations du Comité |
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E |
La réponse indique que les mesures prises vont à l’encontre des constatations ou recommandations du Comité |
B.Communication no 1/2013, Yrusta c. Argentine
Constatations adoptées le : |
11 mars 2016 |
Date limite initiale pour la présentation par l’État partie de son rapport de suivi : |
21 septembre 2016 |
Réponses de l’État partie : |
22 septembre, 24 octobre et 15 décembre 2016 : demandes de prolongation du délai |
Décision du Rapporteur spécial : |
Deux prolongations ont été accordées. La deuxième fois (le 27 octobre 2016), l’État partie a été informé que si le Comité n’avait pas reçu le rapport de suivi à la date indiquée, il procéderait à l’évaluation des mesures prises pour donner effet à ses recommandations en se fondant sur les informations à sa disposition. Cette décision a été réaffirmée en réponse à la demande de prolongation supplémentaire en date du 15 décembre 2016. |
Commentaires des auteures : |
18 décembre 2016 : les auteures réaffirment qu’aucune mesure n’a été prise pour donner effet aux constatations du Comité et fournissent des informations sur les démarches entreprises par les proches de la victime en vue de faire appliquer les recommandations du Comité. |
Mesure prise : |
25 avril 2017 : lettre de suivi adressée à l’État partie par le Rapporteur spécial au nom du Comité rappelant que, en application du paragraphe 14 des constatations adoptées par le Comité, l’État partie était prié « de lui faire parvenir, dans un délai de six mois à partir de la date de transmission des présentes constatations, des renseignements sur les mesures qu’il aura[it] prises pour donner suite aux recommandations ». |
Le Comité a relevé : |
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•Que plus d’un an après la transmission desdites constatations, l’État partie n’avait toujours pas fourni d’informations au titre du suivi ; |
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•Que d’après les informations disponibles sur la suite donnée aux constatations, l’État partie n’aurait pas adopté de mesures pour donner effet aux constatations et que, par conséquent, l’atteinte aux droits des auteures perdurait et s’aggravait. |
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Au vu de ce qui précède, le Comité a informé l’État partie de sa décision de prendre acte de l’application insatisfaisante, à cette date, des recommandations figurant dans son rapport à l’Assemblée générale et de réexaminer la suite donnée aux constatations à sa prochaine session. |
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Commentaires supplémentaires des auteures : |
13 juin 2017 : |
Les auteures demandent des renseignements sur l’état d’avancement du processus de suivi. Elles font savoir qu’il n’a pas encore été donné suite aux constatations du Comité. |
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Elles indiquent avoir rencontré des représentants du Secrétariat d’État aux droits de l’homme à Buenos Aires à la suite de la décision du Comité (date non précisée). À cette occasion, les autorités se sont engagées à avancer dans la mise en œuvre de la décision. Elles se sont en particulier engagées à prendre des mesures pour faire progresser l’enquête et à veiller à ce que l’affaire soit confiée aux juridictions fédérales, compétentes en matière de disparitions forcées. Elles se sont, en outre, engagées à prendre des mesures de réparation en faveur des victimes. Cependant, aucune mesure n’a été adoptée à cet effet. |
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Les auteures précisent également qu’elles ont été en contact permanent avec le département du Secrétariat d’État aux droits de l’homme chargé des différends internationaux, mais qu’aucune avancée n’a été enregistrée à cause de la réticence du gouvernement provincial. |
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17 juillet 2017 : |
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Les auteures indiquent n’avoir reçu aucune réponse de la part de l’État partie, qui n’a toujours pas publié la décision, mené une enquête en bonne et due forme, ni appliqué la recommandation du Comité tendant à ce qu’il accorde réparation aux auteures et leur octroie rapidement une indemnisation juste et adéquate, conformément aux paragraphes 4 et 5 de l’article 24 de la Convention. |
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Réponse de l’État partie : |
8 septembre 2017 : |
L’État partie fait des observations sur les mesures prises en ce qui concerne chacune des recommandations du Comité. |
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a)Reconnaître la qualité de victime aux auteures, afin qu’elles puissent participer effectivement aux enquêtes conduites sur la mort et la disparition forcée de leur frère : |
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L’État partie indique que les sœurs Yrusta n’ont pas qualité pour se constituer partie civile dans le cadre de la procédure pénale et notamment de l’enquête sur les causes du décès de Roberto Agustín Yrusta car, en vertu de l’article 93 du Code de procédure pénale de la province de Santa Fe, seule la personne lésée par un délit entraînant la mise en mouvement de l’action publique,ou ses héritiers réservataires, ont qualité pour se constituer partie civile dans la procédure pénale. En conséquence, le 24 juin 2015, la Cour d’appel pénale de la première circonscription judiciaire de Santa Fe a rejeté le recours en inconstitutionnalité et a confirmé la décision du juge d’instruction de rejeter la constitution de partie civile des sœurs Yrusta. |
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Les auteures n’ont pas non plus qualité pour agir en tant que partie civile dans l’enquête menée par les juridictions fédérales. |
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Toutefois, les auteures ont le droit, en tant que victimes, de participer aux enquêtes conformément à l’article 80 du Code de procédure pénale de la province de Santa Fe. C’est ce qu’elles font, par l’intermédiaire de leur représentant, qui a demandé en leur nom que soit produite toute une série de moyens de preuve. |
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b)Veiller à ce que l’enquête menée dans l’affaire ne se limite pas aux causes de la mort de M. Yrusta mais comporte aussi une enquête approfondie et impartiale sur sa disparition lors de son transfert de Córdoba à Santa Fe : |
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L’État partie indique que deux enquêtes sont menées dans le cadre de l’affaire de M. Yrusta : une enquête sur le décès de M. Yrusta, menée par les tribunaux ordinaires de la province de Santa Fe, et une enquête sur sa disparition forcée, menée par les juridictions fédérales après le renvoi de l’affaire ordonné par la Cour suprême de justice de Santa Fe le 18 octobre 2016. L’État partie décrit les mesures d’enquête qui ont été prises tout au long de la procédure et indique que, selon la Cour suprême de justice de Santa Fe, la prévention de disparition forcée s’est éteinte avant le décès de M. Yrusta, étant donné que celui-ci avait déjà repris contact avec sa famille, qui avait connaissance de l’endroit où il se trouvait. Le tribunal fédéral a fait appel au Bureau du Procureur général de la nation chargé de la lutte contre la violence institutionnelle, dont la mission consiste à engager les procédures pénales, à diriger les enquêtes et à contrôler les jugements rendus dans les affaires concernant des infractions consommées au moyen de la violence institutionnelle, dont les victimes sont essentiellement des personnes en situation de vulnérabilité. |
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c)Poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises : |
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Les affaires pénales en question sont en cours. L’État partie fait également valoir que, le 18 mars 2014, les services compétents de la Cour suprême de justice de Santa Fe (Secretaría de Gobierno) a ordonné la conduite d’une enquête administrative concernant l’exercice des fonctions du président de la Cour et du procureur chargé de l’enquête sur le décès de M. Yrusta. Dans un arrêt de septembre 2016, la quatrième chambre de la Cour d’appel pénale de Santa Fe a conclu que tant le juge que le procureur avaient commis des irrégularités au cours de l’instruction. Le 16 mai 2017, il a été demandé au juge et au procureur en cause de fournir des éléments pertinents à leur décharge compte tenu des charges qui pesaient contre eux. L’instruction des dossiers est en cours. |
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d)Accorder aux auteures une réparation et les indemniser rapidement, équitablement et de manière adéquate, conformément aux paragraphes 4 et 5 de l’article 24 de la Convention : |
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Un dialogue a été engagé avec les auteures en vue de convenir des termes d’une réparation adéquate. |
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e)Prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect effectif des garanties de non-répétition prévues à l’alinéa d) du paragraphe 5 de l’article 24, notamment en mettant en place et en tenant à jour des registres conformément aux prescriptions de la Convention, et en garantissant l’accès à l’information à toutes les personnes ayant un intérêt légitime conformément aux articles 17 et 18 de la Convention : |
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L’État partie indique qu’au niveau fédéral, il existe deux registres permettant de consigner les actes de violence institutionnelle : |
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•Le registre du Service d’enregistrement, d’informatisation et de suivi des plaintes pour actes de torture et autres formes de violence institutionnelle, qui est placé sous la responsabilité de la Direction nationale des politiques de lutte contre la violence institutionnelle, et qui relève du pouvoir exécutif ; |
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•Le registre du Programme de lutte contre la violence institutionnelle, qui est placé sous l’autorité du Bureau du Défenseur général de la nation, organe indépendant du pouvoir doté d’une autonomie de fonctionnement. |
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f)Rendre publiques les présentes constatations et en diffuser largement le contenu, en particulier, mais pas exclusivement, auprès des membres des forces de sécurité et du personnel pénitentiaire chargés de s’occuper des personnes privées de liberté : |
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L’État partie indique que des démarches ont été entreprises en ce sens avec les autorités provinciales. |
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Commentaires des auteures : |
17 septembre 2017 : |
Les auteures considèrent que l’interprétation qui a été faite de l’article 93 du Code de procédure pénale de Santa Fe est arbitraire et que le fait de restreindre la qualité de partie civile aux héritiers réservataires de la victime n’est pas conforme à l’esprit de la loi. La participation des proches de la victime à l’établissement de la vérité n’est pas une question de terminologie. En outre, les auteures signalent qu’elles exercent la garde de la mère de M. Yrusta, sa seule héritière, dont l’état de santé est fragile depuis un certain temps. Cela a été signalé aux autorités de l’État partie, mais n’a pas été pris en compte. Les auteures estiment que la loi donne qualité aux membres de la famille pour se constituer partie civile. Par conséquent, la partie civile a le droit, si elle est héritière réservataire, d’être partie à la procédure pénale en son nom et non en tant qu’héritière d’un droit de la victime. Dans le cas présent, les dispositions du droit successoral qui ont motivé le refus de constitution de partie civile des auteures donnent la priorité au transfert des droits et obligations découlant de la succession du défunt. Or, la capacité d’ester en justice reconnue par le Code de procédure pénale pour se constituer partie civile dans le cas d’infractions entraînant la mise en mouvement de l’action publiquen’a aucun rapport avec l’application du droit successoral. Les auteures estiment par conséquent que bien que n’étant pas intéressées à la succession, elles devraient pouvoir se constituer partie civile pour exercer leur droit à la vérité. |
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Les auteures indiquent que la qualité de victime, telle que reconnue dans le système procédural de Santa Fe, a un caractère limité et restrictif. La victime ne jouit pas du pouvoir d’initiative pour demander que soient produits des moyens de preuve, ou engager des démarches procédurales. Les auteures soulignent qu’il n’a été donné suite à aucune des dispositions demandées en matière de preuve. Les témoignages reçus dans le cadre de l’enquête n’ont pas pu être contrôlés par les victimes puisque celles-ci ne disposent pas d’informations sur l’évolution de l’enquête. Compte tenu de ce qui précède, les auteures réitèrent leur demande d’être reconnues partie civile dans le cadre de l’enquête menée dans l’affaire concernant leur frère. |
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Décisions prises en séance plénière : |
[B2] : Des mesures initiales ont été prises, mais des mesures et des renseignements supplémentaires sont nécessaires. |
Le Rapporteur spécial enverra une lettre à l’État partie, au nom du Comité, dans laquelle il rendra compte des progrès accomplis dans la mise en œuvre des constatations du Comité et demandera des informations supplémentaires sur les mesures prises pour mettre en œuvre lesdites constatations. |