Nations Unies

CRPD/C/21/D/34/2015

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

29 avril 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 34/2015 * , **

Communication présentée par :

V. F. C. (représenté par le Comité Español de Representantes de Personas con Discapacidad et l’Asociación para la Integración Laboral de los Policías Locales con Discapacidad)

Au nom de :

V. F. C.

État partie :

Espagne

Date de la communication :

16 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 70 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 novembre 2015.

Date des constatations :

2 avril 2019

Objet:

Droit à la non-discrimination en ce qui concerne le maintien dans l’emploi ou la continuité de l’emploi (affectation à des fonctions de substitution)

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Obligations générales au titre de la Convention ; égalité et non-discrimination ; travail et emploi ; aménagements raisonnables

Article(s) de la Convention :

3 a), b), c), d) et e) ; 4 (par. 1 a), b) et d) et 5) ; 5 (par. 1, 2 et 3) ; 13 (par. 2) ; 27 a), b), e), g) i) et k)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 c) et d)

1.L’auteur de la communication est V. F. C., de nationalité espagnole, né le 5 juillet 1979. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des alinéas a), b), e), g), i) et k) de l’article 27, lus seuls et conjointement avec les alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 3, les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5 et le paragraphe 2 de l’article 13 de la Convention. Il est représenté par le Comité Español de Representantes de Personas con Discapacidad et l’Asociación para la Integración Laboral de los Policías Locales con Discapacidad. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 3 mai 2008.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 20 mai 2009, l’auteur a eu un accident de la route qui lui a causé un handicap moteur permanent.

2.2Le 20 juillet 2010, le Ministère du travail et de l’immigration a déclaré que l’auteur était en situation d’incapacité permanente d’exercer sa profession. Comme suite à cette déclaration, l’auteur a été contraint de prendre sa retraite et licencié des forces de police locales.

2.3Le 30 juillet 2010, l’auteur a soumis au Conseil municipal de Barcelone une demande d’affectation à des fonctions de substitution, à un poste de travail adapté à son handicap. Il a également demandé le versement des salaires et des cotisations de sécurité sociale impayés depuis son licenciement des forces de police locales. Il a fondé sa demande sur la réglementation de la Communauté autonome de Catalogne, à savoir la loi no 16/1991 du 10 juillet sur les forces de police locales. Le 15 septembre 2010, le Conseil municipal de Barcelone a rejeté la demande de l’auteur en s’appuyant sur le paragraphe 2 de l’article 7 du Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone (ordonnance).

2.4Le 14 mars 2011, l’auteur a déposé un recours contentieux-administratif contre la décision du Conseil municipal de Barcelone auprès du tribunal administratif no 13 de Barcelone. Il a affirmé que le paragraphe 2 de l’article 7 du règlement mentionné au paragraphe précédent était nul et non avenu, au motif qu’il violait ses droits fondamentaux au travail et à la réadaptation professionnelle (art. 35 et 40 de la Constitution), à l’intégration des personnes handicapées (art. 49), à l’accès à la fonction publique et au maintien dans la fonction publique (art. 23) et à la dignité de la personne (art. 10). Il a également mis en avant la contradiction qui existait entre la réglementation de la Communauté autonome (loi no 16/1991), qui autorise l’affectation à des fonctions de substitution, et l’ordonnance susmentionnée, qui la restreint.

2.5Le tribunal administratif no 13 de Barcelone a partiellement fait droit au recours de l’auteur et a annulé la décision du Conseil municipal de Barcelone. Il a estimé que l’ordonnance contestée violait des droits fondamentaux tels que l’accès à la fonction publique et le maintien dans la fonction publique dans des conditions d’égalité avec les autres et de non-discrimination (art. 23 et 14 de la Constitution). Il a également estimé que l’affectation de l’auteur à des fonctions de substitution devait être décidée en fonction des résultats de l’expertise médicale prévue par la loi no 16/1991.

2.6Le 13 juillet 2012, le Conseil municipal de Barcelone a fait appel du jugement mentionné au paragraphe précédent auprès de la Haute Cour de Catalogne. Le 18 septembre 2012, l’auteur a formé un recours en annulation de la décision rendue en appel, en répétant les arguments qu’il avait présentés à l’appui de dans son appel du 14 mars 2011, et en faisant également valoir que les dispositions de l’ordonnance en question étaient contraires à la législation nationale (art. 141 de la loi générale sur la sécurité sociale), qui ne restreint pas l’affectation à des fonctions de substitution. Le 9 juillet 2013, la Haute Cour de Catalogne a fait droit au recours formé par le Conseil municipal de Barcelone et a annulé la décision attaquée, en s’appuyant sur le paragraphe 2 de l’article 7 de l’ordonnance, qui ne permet pas l’affectation à des fonctions de substitution en cas d’incapacité permanente totale. De l’avis de la Haute Cour de Catalogne, le plaignant s’étant retrouvé en situation de retraite totale et forcée en application dudit article, la loi no 16/1991 ne lui était pas applicable puisqu’il avait perdu son statut d’agent de la police locale.

2.7Le 30 septembre 2012, l’auteur a formé auprès de la Cour constitutionnelle un recours en amparo contre la décision rendue par la Haute Cour de Catalogne. Il a affirmé que cette décision constituait une violation du droit à une protection judiciaire effective (art. 24 de la Constitution) en lien avec le droit à l’égalité et à la légalité (art. 9, par. 2 et 3, de la Constitution). Le 18 novembre 2014, la Cour constitutionnelle a fait savoir à l’auteur que son recours en amparo était irrecevable au motif qu’il n’avait pas épuisé les voies de recours à sa disposition faute, en particulier, d’avoir introduit un recours en annulation. Dans la communication soumise au Comité, l’auteur a avancé trois raisons de renoncer à déposer un tel recours : une telle démarche n’est pas obligatoire, selon l’interprétation donnée par la Cour constitutionnelle ; son efficacité est douteuse puisque le recours est formé contre l’organe judiciaire qui a rendu la décision contestée ; la réglementation applicable est complexe, confuse et contradictoire, ce qui crée une insécurité juridique et peut laisser sans défense ceux dont les droits fondamentaux ont été violés.

2.8Le 21 avril 2015, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Sa requête a été jugée irrecevable au motif qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). L’auteur affirme que cette décision de rejet est insuffisamment fondée et que son cas n’a pas été examiné sur le fond. À cet égard, il renvoie à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme selon laquelle, dans ces circonstances, son cas ne peut être considéré comme ayant été examiné par une autre procédure internationale.

2.9Compte tenu de ce qui précède, l’auteur soutient qu’il a épuisé les recours internes, tant administratifs que judiciaires, ainsi que la possibilité de former un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des alinéas a), b), e), g), i) et k) de l’article 27, lus seuls et conjointement avec les alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 3, les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5 et le paragraphe 2 de l’article 13 de la Convention, en ce que, par le biais de sa législation interne, il a exercé une discrimination arbitraire à son égard en le contraignant à se retirer de ses fonctions d’agent de la police locale et en refusant de l’affecter à des fonctions de substitution, au motif de son incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle. Il affirme que le Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone est ouvertement discriminatoire puisqu’il prévoit un traitement différent en fonction des différentes situations de handicap définies par l’administration, alors même que le classement dans telle ou telle catégorie de handicap n’est pas fondé sur les résultats d’un examen médical visant à évaluer la possibilité d’affecter l’intéressé(e) à des tâches ou des fonctions de substitution aux tâches ou fonctions traditionnellement ou habituellement liées à son emploi (fonctions habituelles). Le règlement en question prévoit donc des solutions différentes pour une même situation de fait, à savoir la perte ou la diminution des capacités, sans qu’il soit possible d’apprécier et d’évaluer, au moyen d’un examen médical, la capacité de la personne concernée à exercer les fonctions de substitution considérées. De plus, il n’encourage pas l’emploi des personnes handicapées dans le secteur public, puisque celles‑ci ne sont pas autorisées à conserver leur emploi en occupant des fonctions différentes de celles qu’elles ne peuvent plus exercer en raison de leur handicap. Il n’encourage pas non plus la réintégration des personnes handicapées puisqu’elles sont, au contraire, licenciées de la fonction publique et contraintes de prendre leur retraite. Renvoyant à l’observation générale no 2 (2014) du Comité sur l’accessibilité, l’auteur fait valoir que le règlement susmentionné ne prévoit pas qu’il soit procédé à des aménagements raisonnables afin que les personnes ayant une incapacité permanente totale puissent exercer des fonctions de substitution sur leur lieu de travail ou à leur poste habituel.

3.2L’auteur affirme également que l’État partie a violé les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, lus conjointement avec l’article 27, en ce qu’il n’a pas abrogé les dispositions de la législation nationale qui sont incompatibles avec la Convention et que subsiste la discrimination à l’égard des personnes handicapées qui ont été reconnues comme étant dans une situation d’incapacité permanente totale de travailler. Il ajoute que les pratiques discriminatoires n’ont pas non plus été éliminées par l’État partie, puisque la réglementation susmentionnée sert à mettre en œuvre et à justifier des pratiques discriminatoires sur les plans tant administratif que judiciaire. Il affirme également que, bien que les législations nationale et régionale (communautés autonomes) interdisent la discrimination fondée sur le handicap et prévoient l’obligation de procéder à des ajustements pour garantir l’accès des personnes handicapées à la fonction publique, elles ne contiennent aucune disposition concernant les situations d’incapacité acquise qui garantisse l’égalité et la non-discrimination des personnes handicapées et leur permette de conserver leur emploi.

3.3L’auteur affirme en outre que l’État partie a violé les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5, lus conjointement avec l’article 27. Il déclare avoir été victime de discrimination, puisqu’en application de l’ordonnance susmentionnée, il s’est vu refuser l’accès à des fonctions de substitution au motif que son handicap était qualifié d’incapacité permanente totale de travailler, alors que les personnes relevant des autres catégories de handicap sont autorisées à exercer des fonctions de substitution. Il ajoute que cette discrimination est due au fait que, dans son cas, le degré d’incapacité a été établi au moyen d’une procédure administrative, sans que ses compétences ou ses aptitudes à exercer des fonctions du substitution aient été évaluées au moyen d’un examen médical.

3.4Enfin, en ce qui concerne la violation du paragraphe 2 de l’article 13, lu conjointement avec l’article 27, l’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité et affirme que les magistrats espagnols ne sont pas dûment formés aux dispositions de la Convention. La législation qui lui a été appliquée au cours de la procédure administrative et judiciaire, à l’issue de laquelle il a été contraint de prendre sa retraite, a été interprétée sans tenir compte du contenu et des incidences des obligations internationales qui s’imposent à l’Espagne en sa qualité d’État partie à la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 29 avril 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il soutient que celle-ci devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, en application de l’alinéa b) du paragraphe 2 du Protocole facultatif. Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication de l’auteur recevable, l’État partie soutient que les griefs ne sont pas fondés et que les droits de l’auteur au titre de la Convention ont été respectés.

4.2L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours judiciaires prévus par la législation espagnole pour la protection des droits fondamentaux qui, selon l’auteur, ont été violés. En particulier, il estime que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui auraient permis de former un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, plus haute juridiction du pays et garante du respect des droits fondamentaux. Pour des raisons imputables à l’auteur, il n’a pas été formé de recours en annulation, procédure qui a pour but de préserver le caractère subsidiaire du recours en amparo et d’éviter ainsi que la juridiction constitutionnelle soit saisie sans donner au préalable aux juridictions ordinaires la possibilité de statuer sur la violation des droits fondamentaux qui pourrait constituer le fondement d’un éventuel recours en amparo et, s’il y a lieu, d’y apporter réparation. En d’autres termes, la procédure en question exige que tous les droits fondamentaux dont la violation est alléguée par une partie soient soumis à un contrôle judiciaire ordinaire, avant qu’une juridiction constitutionnelle puisse examiner les allégations en question. Dans le cadre de la procédure judiciaire devant le tribunal administratif de Barcelone, l’auteur avait invoqué la violation de ses droits fondamentaux à la non-discrimination et à l’exercice de fonctions publiques (art. 14 et 23 de la Constitution). Toutefois, lorsqu’il a formé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, contre la décision de la Haute Cour de Catalogne, l’auteur a également affirmé que son droit à une protection judiciaire effective (art. 24 de la Constitution) avait été violé. La Cour constitutionnelle a donc estimé que l’auteur n’avait pas épuisé toutes les voies de recours, étant donné qu’un recours en annulation l’aurait obligé à invoquer la violation de son droit à une protection juridictionnelle effective devant la dernière instance judiciaire ordinaire qui avait examiné son cas, c’est-à-dire la Haute Cour de Catalogne. L’État partie considère que le dépôt d’un recours en annulation est une condition préalable à la formation d’un recours en amparo, alors que l’auteur estime qu’il s’agit d’une démarche facultative.

4.3En ce qui concerne le fond, l’État partie affirme, en premier lieu, qu’il n’y a pas eu violation du droit à un procès équitable, puisque l’auteur a eu toute possibilité, en droit interne, de contester les décisions des autorités administratives ou judiciaires qui ont rejeté ses demandes.

4.4L’État partie affirme également qu’il n’y a aucune raison de considérer que la législation nationale ou l’application de cette législation est discriminatoire dans le cas allégué par l’auteur. Tout d’abord, il convient de noter que le système juridique espagnol prévoit différentes conséquences juridiques dans différentes situations de handicap et laisse une certaine marge d’appréciation à l’organisme chargé d’évaluer chaque situation. Selon la législation interne de l’État partie, l’organe compétent pour la classification administrative des situations de handicap est l’Institut national de sécurité sociale qui, en l’espèce, a établi l’incapacité permanente totale de l’auteur à exercer sa profession habituelle. S’appuyant sur le paragraphe 2 de l’article 7 de l’ordonnance d’application de la loi no 16/1991 sur les forces de police locales, mentionnée au paragraphe 2.3 ci-dessus, l’Institut a décidé la mise à la retraite forcée de l’auteur, ce qui a entraîné pour celui-ci l’impossibilité d’être affecté à des fonctions de substitution ou à toute autre fonction. Cette décision s’appuie également sur le statut des agents de la fonction publique, qui prévoit que les fonctionnaires perdent leur statut d’agent de l’État lorsqu’ils prennent leur retraite complète, qui peut être décidée par une déclaration d’incapacité permanente totale. En d’autres termes, de l’avis de l’État partie, la question à examiner n’est pas de savoir s’il existe ou non la possibilité physique pour la personne déclarée comme étant en incapacité permanente totale d’exercer des tâches ou des fonctions qui ne sont pas habituelles dans son travail, mais plutôt d’examiner si le règlement d’application de la loi no 16/1991, qui dispose qu’une telle qualification administrative d’incapacité est incompatible avec l’exercice de fonctions de substitution, a été correctement appliqué. Selon la législation espagnole, les personnes qui ne sont plus fonctionnaires ne peuvent être affectées à des fonctions de substitution.

4.5De plus, l’État partie considère que l’auteur n’a pas étayé ses allégations de violation de son droit à l’égalité et à la non-discrimination en faisant mention dans sa communication d’autres législations régionales qui autoriseraient l’affectation à des fonctions de substitution, sauf en cas d’incapacité permanente absolue de travailler ou d’invalidité de taux élevé, ou de la législation régissant le Corps des pompiers catalans, qui prévoit l’affectation à des fonctions de substitution en cas d’incapacité. De l’avis de l’État partie, ces différences sont dues aux différents degrés d’autonomie territoriale que l’ordre constitutionnel espagnol accorde aux différentes communautés autonomes ou aux différences qui existent entre la fonction de pompier et celle de policier, différences qui justifieraient une réglementation différente.

4.6L’État partie estime que les réglementations visées au paragraphe 4.4 ci-dessus s’appliquent à toute personne ayant été déclarée en incapacité permanente totale, de sorte qu’il ne peut être question d’une application discriminatoire de la réglementation interne. Dans le cas d’espèce, la loi n’a pas été appliquée à l’auteur d’une manière différente de celle qui aurait été appliquée à un tiers se trouvant exactement dans la même situation de fait et de droit, et dans la même catégorie de lésion.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Le 22 juin 2016, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il réaffirme qu’il a épuisé les voies administratives et judiciaires ordinaires, qui ont abouti à l’arrêt rendu par la Haute Cour de Catalogne. Il considère que le recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, qui dans son cas a été déclaré irrecevable pour non-épuisement des recours juridictionnels disponibles, est une voie de recours à caractère subsidiaire et exceptionnel. Le recours en annulation, qui consiste à déposer, auprès du tribunal ayant rendu la décision contestée, une demande de réexamen de toutes les allégations de violation des droits fondamentaux non précédemment invoquées, est une procédure déroutante qui laisse sans protection les titulaires de droits fondamentaux. De plus, un tel recours, qui doit être présenté devant la même juridiction que celle qui a rendu la décision contestée, est d’une efficacité douteuse et ne permet pas de garantir l’impartialité des décisions prises.

5.2En ce qui concerne le fond, l’auteur conteste les arguments présentés par l’État partie en vue de démontrer qu’il n’a pas violé l’article 13 de la Convention. L’auteur réaffirme que la communication ne porte pas sur l’accès formel à une procédure, mais plutôt sur le défaut d’application des droits énoncés dans la Convention dans le cadre d’une procédure judiciaire engagée au niveau national. Pour étayer sa position, il fait tenir un récent arrêt de la Cour constitutionnelle qui applique la Convention afin de protéger les droits d’une personne handicapée dont les intérêts n’ont pas été correctement protégés au cours d’une procédure judiciaire. En d’autres termes, selon l’auteur, la méconnaissance et la non-application de la Convention par les organes juridictionnels dans la résolution des litiges juridiques peuvent laisser les titulaires de droits sans protection et constituer une distorsion du droit. De plus, l’auteur renvoie aux dispositions de la Constitution (art. 10, par. 2) concernant l’obligation d’interpréter la réglementation interne relative aux droits fondamentaux et aux libertés publiques conformément aux traités et accords internationaux qui portent sur les mêmes sujets et que l’Espagne a ratifiés. Enfin, il renvoie aux arrêts de la Cour constitutionnelle dans lesquels celle-ci a conclu que l’article en question doit également être appliqué en tenant compte de la jurisprudence des organes internationaux chargés de contrôler le respect des traités internationaux.

5.3En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle il n’y a pas eu de discrimination, l’auteur réaffirme que la législation espagnole qui lui a été appliquée est discriminatoire dans l’abstrait, en ce qu’elle empêche les personnes dont les capacités sont réduites d’être affectées à des fonctions de substitution sur la base d’une évaluation de leurs capacités réelles et effectives à exercer une fonction autre que celles habituellement associées à l’emploi considéré. En effet, en empêchant les personnes en incapacité permanente totale de bénéficier d’une évaluation de leur capacité à exercer des fonctions de substitution, la disposition appliquée à l’auteur − plus précisément, le paragraphe 2 de l’article 7 du Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone (ordonnance) − est discriminatoire à l’égard des personnes ayant un handicap qui les empêche de conserver leur emploi, en l’espèce, une fonction publique telle que celle d’agent de la police locale. En traitant de manière inégale (certaines personnes bénéficient d’une affectation à des fonctions de substitution, d’autres non) des personnes qui se trouvent dans la même situation factuelle (diminution de leurs capacités à exercer les fonctions habituellement associées au poste qu’elles occupent), l’État partie exerce une discrimination à l’égard de personnes handicapées et ne tient pas compte des capacités réelles et effectives qui pourraient faire l’objet d’une évaluation des capacités à exercer des fonctions de substitution, ni de la possibilité de procéder à des ajustements raisonnables qui leur permettent d’exercer des fonctions de substitution ou des fonctions complémentaires. L’auteur fait également observer que la répartition territoriale ou juridictionnelle des régions autonomes prévue par le système constitutionnel espagnol ne peut être organisée ou configurée de manière contraire aux dispositions de la Convention, comme prévu au paragraphe 5 de l’article 4.

5.4L’auteur joint à sa communication le texte d’un projet de loi, en cours d’examen par le parlement autonome catalan, tendant à unifier le traitement et l’affectation à des fonctions de substitution des agents des forces de police régionales (Mossos d ’ Esquadra) et locales ainsi que des pompiers, dont l’objectif est de mettre fin à la discrimination fondée sur le handicap de certaines personnes. Selon l’auteur, le projet de loi en question établit de manière explicite que la réglementation actuelle est discriminatoire et contraire aux dispositions des articles 1 et 27 de la Convention.

5.5Enfin, l’auteur joint à sa communication le texte de trois décisions administratives rendues par l’Institut national de sécurité sociale, dans lesquelles celui-ci déclare que l’affectation à des fonctions de substitution et la déclaration d’incapacité au sein du Corps des pompiers catalans sont compatibles, et met en question l’argument de l’État partie selon lequel la déclaration d’incapacité permanente totale entraîne la mise à la retraite forcée et rend donc impossible l’affectation à des fonctions de substitution de toute personne qui n’est plus en service actif.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Le 9septembre 2016, l’État partie a soumis ses observations sur les commentaires de l’auteur. Il réaffirme ses arguments au sujet de la recevabilité de la plainte et soutient que le caractère subsidiaire du recours en amparo devant la Cour constitutionnelle ne doit pas être interprété comme signifiant que le dépôt préalable d’un recours en annulation est non obligatoire et purement facultatif. Cette subsidiarité signifie au contraire que toute violation des droits fondamentaux énoncés au paragraphe2 de l’article53 de la Constitution doit être examinée par la juridiction ordinaire compétente la plus élevée avant qu’un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle puisse être déclaré recevable. Par conséquent, bien que l’issue procédurale d’un recours en annulation soit une question contingente, qui dépend des circonstances de l’affaire, il ne s’agit pas d’un recours inefficace ou inutile. Ce moyen de recours, qui est similaire au recours en révision, est défini comme tel dans les limites du pouvoir discrétionnaire dont jouit le législateur en matière de procédure.

6.2L’État partie soutient que l’arrêt de la Cour constitutionnelle est sans lien matériel avec le cas présent puisqu’il porte sur la participation d’une personne handicapée à une procédure judiciaire et sur des violations des droits de la défense qui découleraient de la difficulté d’informer la personne intéressée de décisions affectant ses droits pendant la procédure. En revanche, dans le cas présent, le handicap est le facteur principal et déterminant dans la prise de décisions concernant les intérêts de l’auteur, et celui-ci a eu un accès suffisant à la justice.

6.3Enfin, l’État partie réaffirme sa position selon laquelle la législation interne est de nature générale et abstraite, et qu’elle vise donc toutes les personnes auxquelles s’adressent les règles sur l’incapacité et l’affectation à des fonctions de substitution, prévoit des conséquences juridiques différentes selon les différences constitutives qui sont évaluées et pondérées dans chaque cas par le législateur (national, régional ou local). En outre, l’État partie renvoie à la directive de l’Union européenne relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail pour affirmer qu’il existe en l’espèce une différence légitime qui s’est exprimée par des moyens appropriés et nécessaires respectant les droits de l’auteur. Par conséquent, aucun traitement inégal de nature discriminatoire à l’égard de l’auteur n’a pu être établi.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité constate que l’auteur a déposé un recours auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, basé sur les mêmes faits que ceux soumis au Comité. Par décision du 4 juin 2015, la Cour européenne a estimé que ce recours «ne remplissait pas les critères de recevabilité énoncés aux articles34 et 35 de la Convention». Le Comité rappelle que lorsque la Cour européenne fonde une déclaration d’irrecevabilité non seulement sur des motifs de recevabilité, mais aussi sur un examen au fond de l’affaire, il convient de considérer que «la même question» a été examinée au sens de l’alinéac) de l’article2 du Protocole facultatif. Toutefois, le Comité considère que, compte tenu du caractère succinct de la décision de la Cour européenne, et en particulier de l’absence de tout argument ou précision justifiant le rejet de la plainte de l’auteur sur le fond, il n’est pas en mesure de déterminer avec certitude que le grief présenté par l’auteur a déjà été examiné, même de façon limitée, quant au fond. En conséquence, il considère que les dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes au motif que l’auteur n’a pas présenté de recours en annulation contre la procédure, condition préalable à l’introduction d’un recours en amparo, et que l’amparo a été rejeté par la Cour constitutionnelle sur cette base. L’État partie a déclaré que la législation en vigueur exige le dépôt d’un recours en annulation dans tous les cas où les violations des droits fondamentaux alléguées dans le recours en amparo n’ont pas été préalablement examinées par les tribunaux ordinaires. Le Comité considère que seuls les recours qui ont une chance raisonnable d’aboutir aux fins de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif doivent être épuisés. En l’espèce, il constate que l’auteur a invoqué ses griefs de discrimination fondée sur le handicap devant le tribunal administratif no 13 de Barcelone et devant le tribunal supérieur de justice de Catalogne, épuisant ainsi les recours ordinaires, et qu’il a également déposé un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle. Il constate également que l’État partie n’a pas démontré dans quelle mesure la présentation d’un recours en annulation devant la Haute Cour de Catalogne aurait eu des chances d’aboutir, étant donné que la Cour avait déjà statué sur les plaintes de l’auteur concernant la discrimination fondée sur le handicap et que, conformément au paragraphe 1 de l’article 241 de la loi organique du pouvoir judiciaire, cette décision préalable aurait été un motif de rejet du recours en annulation. L’État partie n’a pas non plus démontré que l’introduction du recours en annulation aurait interrompu le délai de trente jours prévu pour l’introduction du recours en amparo. À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut qu’il n’a pas été établi que, dans les circonstances particulières de l’affaire, le recours en annulation aurait constitué un recours utile pour la protection des droits invoqués devant le Comité. Il considère donc que les conditions requises à l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Le Comité constate qu’en l’espèce l’auteur a présenté dans le délai et la forme prescrits son grief de violation des droits de l’homme qui font l’objet de la présente plainte, à savoir le droit à la continuité de l’emploi public et du droit à l’égalité et à la non‑discrimination, devant les cours ou tribunaux ordinaires qui ont examiné son cas en première et en deuxième instance, à savoir, respectivement, le tribunal administratif de Barcelone et la Haute Cour de Catalogne. Il souligne que le fait que l’auteur a ajouté une allégation de violation du droit à une protection juridictionnelle effective lorsqu’il a présenté son recours en amparo devant la Cour constitutionnelle, et que cela a finalement constitué le motif de son irrecevabilité, ne saurait laisser l’auteur sans protection et faire obstacle à l’examen sur le fond du grief de violation de ses droits au travail (continuité de l’emploi) et à l’égalité et à la non-discrimination. Il considère qu’aux fins de l’examen de la recevabilité, l’auteur a épuisé les recours disponibles en droit interne en ce qui concerne les droits fondamentaux à l’égalité et à la non-discrimination et à l’emploi public.

7.5Toutefois, le Comité constate que, dans les recours introduits auprès des juridictions ordinaires, l’auteur n’a présenté aucun argument concernant le droit à une protection judiciaire effective et son lien avec d’éventuelles violations du droit d’accès à la justice des personnes handicapées. Il considère donc que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne ses griefs au titre du paragraphe 2 de l’article 13 de la Convention et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Par conséquent, et en l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qui concerne les allégations de l’auteur au titre des alinéas a), b), e), g), i) et k) de l’article 27, lus seuls et conjointement avec les alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 3, les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, et les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5 de la Convention. Il procède donc à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

8.2En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire des alinéas a), b), e), g), i) et k) de l’article 27, lus seuls et conjointement avec les alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 3, les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, et les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5 de la Convention, la question que le Comité doit examiner est celle de savoir si l’État partie a violé les droits de l’auteur, par l’application d’une règle du Conseil municipal de Barcelone (art. 7, par. 2 du Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone) qui empêche l’affectation à des fonctions de substitution des personnes qui ont été contraintes de prendre leur retraite en raison d’une incapacité permanente totale d’exercer les fonctions habituelles de la police locale.

8.3Le Comité prend note des arguments que l’auteur a présentés à l’appui des griefs qu’il tire des articles 5 et 27 de la Convention, selon lesquels il a fait l’objet d’une discrimination directe, fondée sur le handicap, qui l’a empêché de conserver son emploi d’agent de la police locale, puisqu’il a été contraint de prendre sa retraite comme suite à une déclaration d’invalidité permanente totale, ce qui l’a mis dans l’impossibilité de demander son affectation à des fonctions de substitution. L’auteur affirme que la déclaration ou qualification administrative de son handicap, émanant de l’Institut national de sécurité sociale, ne tient pas compte de sa capacité à exercer des fonctions de substitution ou des fonctions complémentaires, comme le prévoit l’article 43 de la loi no 16/1991 du 10 juillet 1991 relative aux forces de police locales, qui exige de procéder à un « avis médical » précis afin d’évaluer toute autre capacité que la personne évaluée pourrait avoir. Il signale également l’existence d’autres législations régionales qui établissent expressément la compatibilité entre la déclaration d’invalidité permanente totale et l’affectation à des fonctions de substitution, ou de la réglementation de la Generalitat de Catalunya régissant l’affectation des membres du Corps des pompiers à des fonctions de substitution, qui prévoit également une telle compatibilité, ainsi que de décisions administratives de l’Institut national de sécurité sociale et d’autres décisions judiciaires qui déclarent la compatibilité entre la perception d’une pension d’invalidité permanente totale et l’affectation à des fonctions de substitution. En outre, le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels l’auteur n’a fait l’objet d’aucune discrimination, puisque la réglementation interne a été élaborée en tenant compte de la marge de liberté d’organisation accordée au législateur pour traiter des différents degrés de handicap et de leur compatibilité avec la perception de pensions d’invalidité ou avec les emplois du secteur public. À cet égard, l’État partie réaffirme que la distinction entre les degrés de handicap sert un objectif légitime, de sorte qu’il ne s’agirait pas d’une réglementation discriminatoire fondée sur le handicap. L’État partie soutient également que ces règles ont été appliquées de manière cohérente et sur la base de l’égalité, tant à l’auteur qu’à toutes les personnes qui ont fait l’objet d’une déclaration administrative d’incapacité permanente totale. Si l’État partie n’ignore pas que l’auteur peut, dans la pratique, avoir la capacité d’exercer des fonctions autres que les tâches habituelles requises par ses fonctions d’agent de police, il réaffirme que la question à examiner en l’espèce est de savoir s’il convient de s’interroger sur l’application cohérente de dispositions visant à déterminer qui, parmi les personnes dont la capacité d’exercer les fonctions d’agent de police locale est diminuée, peut être affecté à des fonctions de substitution.

8.4Le Comité rappelle que l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention impose aux États parties l’obligation générale de prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits énoncés dans la Convention, y compris ceux qui ont trait au travail et à l’emploi. Il rappelle également qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 27 de la Convention, les États parties sont tenus de reconnaître aux personnes handicapées le droit de conserver leur emploi sur la base de l’égalité avec les autres, de prendre toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, pour interdire la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait au maintien dans l’emploi, et de faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés pour les personnes qui ont acquis un handicap en cours d’emploi. Il rappelle en outre, comme il l’a indiqué dans son observation générale no 6, que pour assurer l’égalité de facto au sens de la Convention, les États parties doivent veiller à ce qu’il n’y ait pas de discrimination fondée sur le handicap dans le cadre du travail et de l’emploi, et renvoie aux conventions pertinentes qui ont été conclues dans le cadre de l’Organisation internationale du Travail (OIT), telles que la Convention de 1958 concernant la discrimination (emploi et profession) (no 111) et la Convention de 1983 sur la réadaptation professionnelle et l’emploi des personnes handicapées (no 159), que l’Espagne a signées et ratifiées. L’article 7 de la Convention no 159 de l’OIT dispose que les autorités compétentes des États parties devront prendre des mesures en vue de fournir et d’évaluer des services d’orientation professionnelle et de formation professionnelle destinés à permettre aux personnes handicapées de conserver leur emploi.

8.5Le Comité rappelle que la Convention interdit toutes les formes de discrimination à l’égard des personnes handicapées, y compris le refus d’aménagement raisonnable. Ainsi, toutes les formes de discrimination sont également contraires à la Convention, et il n’est pas approprié de différencier les degrés de gravité supposés dans la violation du droit à l’égalité et à la non-discrimination. Il ajoute que l’obligation de procéder à des aménagements raisonnables est une obligation ex nunc, c’est-à-dire qu’elle doit être respectée dès le moment où une personne handicapée doit accéder à des situations ou des environnements non accessibles, ou veut exercer ses droits. À cette fin, il est nécessaire que le porteur de devoirs engage un dialogue avec la personne handicapée, en vue de la faire participer à la recherche de solutions qui lui permettent de mieux exercer ses droits et de renforcer ses capacités. Le Comité souligne que le préambule de la Convention appelle l’attention sur la diversité des personnes handicapées et ajoute que tout mécanisme institutionnel de dialogue au sujet des aménagements raisonnables doit tenir compte de la situation propre à chaque personne.

8.6Le Comité constate que l’État partie a promulgué la loi générale relative aux droits des personnes handicapées et à leur inclusion sociale, dans le but de rendre sa législation conforme aux normes établies par la Convention. Cette loi dispose que, pour garantir le droit à l’égalité des chances des personnes handicapées, les autorités publiques doivent établir des mesures contre la discrimination et des mesures d’action positive (art. 64, par. 1). De l’avis du Comité, les stratégies de gestion des compétences, qui permettent aux autorités publiques de promouvoir les compétences de leurs fonctionnaires ayant acquis un handicap, y compris la mise en place d’aménagements raisonnables, font partie des mesures de lutte contre la discrimination. Si l’obligation de procéder à des aménagements raisonnables est une obligation ex nunc, c’est-à-dire qu’elle doit être respectée dès le moment où une personne handicapée en a besoin, les États parties doivent prendre toutes les mesures préventives nécessaires pour permettre aux autorités publiques de gérer les capacités de manière à ce que les droits des personnes handicapées soient réalisés au mieux. Afin d’évaluer la pertinence, l’opportunité et l’efficacité d’un aménagement raisonnable, il convient de prendre en compte les coûts financiers, les ressources disponibles, la taille de la partie chargée de l’aménagement (dans son intégralité), l’effet de la modification sur l’institution concernée ou d’évaluer les actifs dans leur ensemble, plutôt que les seules ressources d’une unité ou d’un département au sein d’une structure. Le Comité constate qu’en l’espèce, la possibilité d’un dialogue visant à évaluer et à promouvoir les capacités de l’auteur au sein des forces de police a été totalement écartée puisque son statut de fonctionnaire lui a été retiré au moment de sa mise à la retraite forcée, et qu’il n’a pas eu la possibilité de demander un aménagement raisonnable pour lui permettre d’exercer des fonctions de substitution. Le Comité constate également que l’État partie n’a fourni aucune information qui permette de conclure qu’il n’y avait pas, au sein des forces de police dans lesquelles l’auteur était en service d’autres fonctions qu’il aurait pu exercer.

8.7Le Comité rappelle que la recherche d’un aménagement raisonnable doit se faire dans un esprit de coopération et d’interaction et tendre vers le meilleur équilibre possible entre les besoins des employés et ceux des employeurs. Il a examiné la législation de diverses juridictions nationales et des études universitaires pour acquérir une connaissance approfondie du concept d’aménagement raisonnable. Lorsqu’il s’agit d’établir les mesures d’aménagement raisonnable à adopter, l’État partie doit veiller à ce que les pouvoirs publics déterminent les aménagements efficaces à apporter pour que l’employé puisse s’acquitter de ses fonctions principales. Lorsque des mesures efficaces (qui ne créent pas de charge indue) ne peuvent être identifiées et mises en œuvre, l’affectation de l’employé à des fonctions de substitution doit être considérée comme une mesure d’aménagement raisonnable de dernier recours. Dans ce contexte, il incombe aux autorités de l’État partie de prendre toutes les mesures d’ajustement raisonnable nécessaires pour adapter les postes existants aux besoins particuliers de l’employé concerné.

8.8Le Comité considère que l’affectation à des fonctions de substitution, réglementée de diverses manières dans la législation espagnole, est la configuration ou le mécanisme institutionnel qui vise à concilier les obligations découlant pour l’État partie du droit au travail (continuité de l’emploi) et du droit à l’égalité et à la non-discrimination. Le Comité constate que, selon l’article 43 de la loi générale no 16/1991, toute personne dont la capacité est diminuée peut être affectée à des fonctions de substitution. Il constate également que, selon le paragraphe 2 de l’article 7 du Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone, les membres des forces de police concernées dont les capacités sont diminuées et qui ont été déclarés comme ayant une incapacité permanente totale, ne peuvent pas demander leur affectation à des fonctions de substitution. Il constate en outre que lorsqu’il a procédé à l’évaluation administrative du handicap de l’auteur, l’Institut national de sécurité sociale n’a pas examiné l’éventuelle capacité de celui-ci à exercer des fonctions de substitution ou d’autres fonctions complémentaires. De plus, le Comité note que l’article 43 de la loi générale no 16/1991 prévoit qu’il est procédé à un examen médical spécial visant à évaluer les autres capacités des personnes dont certaines capacités sont diminuées, ce qui ne s’est pas produit dans le cas de l’auteur. À cet égard, il fait observer que, si l’auteur a vu diminuer ses capacités à exercer les fonctions habituellement liées au travail de policier, cela n’exclut pas qu’il aurait pu développer des capacités à exercer des fonctions de substitution ou d’autres fonctions complémentaires au sein des mêmes forces de police.

8.9En l’espèce, le Comité considère que les règles qui ont privé l’auteur d’une affectation à des fonctions de substitution, à savoir le paragraphe2 de l’article7 du Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone, ne permettent pas de garantir les droits que l’auteur tient de la Convention, en particulier la possibilité de faire évaluer son handicap particulier dans la perspective d’un renforcement de son aptitude à exécuter des fonctions de substitution ou d’autres fonctions complémentaires. Il constate qu’en tentant de prendre en considération de manière objective les différents degrés de handicap en vue de déterminer, sur la base de l’égalité, les conditions dans lesquelles le droit à une pension d’invalidité est compatible avec le maintien dans l’emploi, le Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone empêche toute évaluation des capacités à exercer des fonctions de substitution des personnes qui ont été déclarées comme ayant une incapacité permanente totale, ce qui porte atteinte à leur droit au travail, comme dans le cas allégué par l’auteur.

8.10Le Comité considère donc que les règles appliquées à l’auteur pour l’empêcher d’exercer des fonctions de substitution ou d’engager un dialogue visant à lui permettre d’exercer des fonctions complémentaires aux tâches habituellement liées à la fonction de policier sont contraires aux droits énoncés aux articles 5 et 27 de la Convention. Il considère également qu’étant donné que le paragraphe 2 de l’article 7 du Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone empêche tous ceux qui ont été déclarés en incapacité permanente totale de demander leur affectation à des fonctions de substitution, l’auteur a été victime d’une discrimination fondée sur son handicap, en ce qui concerne le maintien dans l’emploi d’agent de la fonction publique qu’il occupait, en violation de l’article 5, qui protège le droit des personnes handicapées à l’égalité et à la non-discrimination, et de l’article 27, qui protège le droit au travail et à l’emploi des personnes handicapées. En ce qui concerne l’article 5 de la Convention, le Comité considère que les faits présentés par l’auteur relèvent de l’une des formes de discrimination interdites par la Convention, qu’elle soit considérée comme une discrimination directe ou comme un refus d’aménagement raisonnable. De plus, en ce qui concerne l’article 27 de la Convention, le Comité considère que, dans le cas présent, la discrimination relative au maintien dans l’emploi découle du refus de tout dialogue ou mesure visant à évaluer la capacité à exercer des fonctions de substitution des personnes qui, comme l’auteur, ont été déclarées comme ayant une incapacité permanente totale. Il considère en outre que, si l’État partie poursuit un objectif légitime au moyen du mécanisme institutionnel d’affectation à des fonctions de substitution de ses employés ou fonctionnaires, l’ordonnance appliquée à l’auteur constitue une violation des droits qu’il tient des articles 5 et 27 de la Convention.

8.11Le Comité constate également que le Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone date de 2002, alors que l’État partie a ratifié la Convention en 2008. Il fait observer que la législation interne antérieure à la ratification de la Convention par l’État partie continue d’utiliser une terminologie propre à l’« approche médicale », comme les termes incapacidad (incapacité) ou dictamen médico (avis médical), dans le cadre de l’évaluation de la participation des personnes handicapées dans divers contextes sociaux, comme cela a été vérifié en l’espèce. Il fait également observer que l’État partie applique des réglementations très diverses au niveau des communautés autonomes voire au sein d’une même municipalité, et que celles-ci créent des situations discriminatoires fondées sur le handicap, dans le traitement de situations similaires. Il estime donc que l’État partie devrait s’acquitter des obligations générales qui lui incombent au titre de l’article 4 de la Convention d’harmoniser les dispositions des réglementations internes aux niveaux local, régional et national, et de modifier celles qui empêchent les personnes handicapées d’exercer des fonctions de substitution sans qu’il soit procédé à une évaluation des problèmes et des possibilités que peuvent avoir les personnes handicapées, ce qui constitue une violation du droit au travail.

8.12En conséquence, le Comité considère que la mise à la retraite forcée de l’auteur constitue une violation des droits que celui-ci tient des alinéas a), b), e), g), i) et k) de l’article 27, lus conjointement avec les alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 3, les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, et les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5 de la Convention.

C.Conclusions et recommandations

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des alinéas a), b), e), g), i) et k) de l’article 27, lus conjointement avec les alinéas a), b), c), d) et e) de l’article 3, les alinéas a), b) et d) du paragraphe 1 et le paragraphe 5 de l’article 4, et les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 5 de la Convention. En conséquence, le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteur, l’État partie a pour obligation :

i)De lui accorder le droit à une indemnisation pour tous frais de justice engagés pour la soumission de la présente communication ;

ii)De prendre les mesures appropriées pour que l’auteur puisse être soumis à une évaluation qui tienne compte des capacités qu’il pourrait avoir à exercer des fonctions de substitution ou d’autres fonctions complémentaires, y compris en examinant tout aménagement raisonnable qui pourrait être nécessaire ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent :

i)Prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre le Règlement relatif aux fonctions de substitution de la Garde municipale de Barcelone (ordonnance) et son application en conformité avec les principes de la Convention et avec les recommandations formulées dans les présentes constatations, afin de garantir que l’affectation à des fonctions de substitution ne soit pas limitée aux personnes ayant un degré de handicap partiel ;

ii)Harmoniser les divers règlements locaux et régionaux régissant l’affectation des fonctionnaires à des fonctions de substitution, en application des principes consacrés dans la Convention et des recommandations figurant dans les présentes constatations.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du Règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations du Comité. En outre, le Comité prie l’État partie de rendre publiques les présentes constatations, de les faire traduire dans sa langue officielle et de les diffuser largement et sous des formats accessibles auprès de tous les segments de la population.