Communication présentée par:

« F. » (représentée par Volker Frey)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

24 mars 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 70 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 7 juin 2013 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

21 août 2015

Objet:

Accessibilité des informations en temps réel dans les transports publics, sur la base de l’égalité avec les autres

Question(s) de procédure:

Recevabilité des griefs

Question(s) de fond:

Accès aux technologies de l’information et de la communication ainsi qu’aux équipements et services ouverts au public, sur la base de l’égalité avec les autres; droit à la mobilité personnelle et droit de vivre de façon indépendante

Article(s) d e la Convention:

2, 5, 9, 19 et 20.

Article(s) du Protocole facultatif :

2 d)

Annexe

Constatations du Comité des droits des personnes handicapées (quatorzième session) *

concernant la

Communication no 21/2014

Présentée par:

« F. » (représentée par Volker Frey)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Autriche

Date de la communication:

24 mars 2014 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits des personnes handicapées, institué en vertu de l’article 34 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées,

Réuni le 21 août 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 21/2014 présentée au nom de « F. » en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Constatations au titre de l’article 2 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est « F. », ressortissant autrichien né le 13 août 1955. Il se déclare victime d’une violation par l’Autriche des droits qu’il tient des articles 2, 5 (par. 2), 9, 19 et 20 de la Convention. Il est représenté par Volker Frey. La Convention et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur à l’égard de l’État partie le 25 octobre 2008.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur vit à Linz, capitale de la Haute-Autriche, l’une des neuf provinces fédérales de l’Autriche. Non-voyant, il est tributaire des transports publics pour ses activités quotidiennes, tant privées que professionnelles. Il utilise en particulier la ligne de tramway no 3 de la ville de Linz, qui est exploitée par Linz Linien GmbH, société appartenant à la ville qui gère l’ensemble des transports publics de l’agglomération.

2.2En mars 2004, Linz Linien GmbH a commencé à équiper les arrêts de tram de la ville de systèmes audionumériques, qui permettent d’obtenir sous forme sonore le texte affiché sur les panneaux numériques en appuyant sur le bouton d’un émetteur portatif. Ces dispositifs fournissent donc des informations en temps réel sur la destination des trams, les horaires d’arrivée et de départ et les perturbations des services. Il en a été installé plus de 40 avant juin 2009 pour permettre aux personnes présentant des déficiences visuelles d’utiliser les trams de façon indépendante et sur la base de l’égalité avec les autres. L’auteur explique que le système audio permet aux personnes qui, comme lui, présentent une déficience visuelle, de savoir si elles sont déjà dans la station de tramway ou de localiser l’arrêt si elles se trouvent encore à l’extérieur, et de recevoir toutes les informations qui sont accessibles visuellement (retards, interruptions de service et temps d’attente pour la prochaine rame).

2.3En août 2011, Linz Linien GmbH a procédé à une extension du réseau de la ligne de tramway no 3, mais aucun des arrêts situés sur le nouveau tronçon de la ligne n’a été équipé du système audio. Les informations destinées aux voyageurs ne sont accessibles que visuellement. L’auteur doit par conséquent s’adresser à des passants pour obtenir ces informations, de sorte qu’il lui est difficile de se diriger jusqu’aux nouveaux arrêts et qu’il ne peut les utiliser sur la base de l’égalité avec les autres.

2.4L’auteur affirme que 14 dispositifs audio auraient été nécessaires pour équiper correctement les sept arrêts situés sur l’itinéraire de la ligne de tramway no 3. Il affirme également que le budget global prévu pour la mise en place du nouveau tronçon de la ligne no 3 s’élevait à 150 millions d’euros, mais que le coût réel n’a été que de 140 millions d’euros. Il affirme en outre que les frais ont été pris en charge à 80 % par l’État de Haute-Autriche et à 20 % par la communauté de Leonding, ville proche de Linz. Selon Linz Linien GmbH, le coût unitaire d’un dispositif audio est de 1 962 euros. Quatorze unités auraient donc coûté 24 468 euros. L’auteur fait valoir que cette somme aurait pu être prélevée sur le budget prévisionnel, sans frais supplémentaires pour Linz Linien GmbH, et que, par conséquent, l’installation d’un système audio aux arrêts considérés aurait constitué un aménagement raisonnable en termes financiers.

2.5En vertu de la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées, les tribunaux ne peuvent être saisis d’un litige sans une tentative préalable de règlement amiable du différend. Le 4 juin 2012, l’auteur a engagé une procédure de conciliation contre Linz Linien GmbH pour discrimination fondée sur son handicap au motif qu’en tant qu’usager non-voyant, il ne pouvait obtenir les informations nécessaires aux arrêts de la ligne de tramway no3. Cette procédure n’a toutefois pas abouti et a pris fin le 18 juillet 2012, la commission de conciliation confirmant qu’un accord n’avait pu être trouvé.

2.6L’auteur a déposé une plainte auprès du tribunal de district de Linz pour discrimination indirecte en violation des articles 4 (par. 1), 5 (par. 2) et 9 (par. 1) de la loi fédérale relative à l’égalité pour les personnes handicapées. Ladite loi établit qu’une discrimination indirecte « se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre, ou les caractéristiques d’espaces de vie créés, entraînent un désavantage particulier pour des personnes présentant un handicap donné par rapport à d’autres personnes, […] à moins que cette disposition, ce critère, cette pratique ou ces caractéristiques ne soient justifiés par un but légitime et que les moyens d’atteindre ce but ne soient appropriés et nécessaires ».

2.7Le 2 mai 2013, le tribunal de district a jugé que l’absence de système audionumérique ne constituait pas un obstacle à l’utilisation du service de transport par les personnes présentant une déficience visuelle. Il a fait observer que les seules informations accessibles visuellement aux voyageurs aux nouveaux arrêts de la ligne de tramway no 3 étaient le temps d’attente jusqu’à l’arrivée de la prochaine rame et, exceptionnellement, l’annonce d’une panne de service temporaire ou totale. Il a relevé que ces informations étaient également diffusées sur Internet et accessibles aux personnes présentant un handicap visuel qui étaient équipées d’un logiciel de reconnaissance vocale, et que l’auteur pouvait emprunter le tramway sans disposer des informations qui étaient fournies aux voyageurs ne présentant pas de déficience visuelle. Le tribunal de district a conclu que l’absence de système audionumérique ne constituait pas un obstacle à la communication qui équivaudrait à une violation de l’interdiction de la discrimination. En conséquence, l’auteur a été débouté et a été prié de verser 674,35 euros au titre des frais de justice.

2.8L’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district devant le tribunal régional de Linz, lequel a confirmé, le 15 juillet 2013, la décision du tribunal de district, considérant que les informations accessibles visuellement aux arrêts de la ligne de tramway no 3 étaient d’une « importance mineure » et que l’auteur en aurait rarement un réel besoin.

2.9L’auteur fait valoir que, bien que les données relatives à l’horaire du tramway soient disponibles sur Internet, il n’a pas un accès direct aux informations en temps réel dont il a besoin lorsqu’il se déplace. Il affirme en outre que les informations concernant les nouveaux arrêts de la ligne de tramway no 3 accessibles visuellement aux voyageurs sont d’une extrême importance pour lui car il n’a pas d’autre itinéraire possible pour se déplacer au quotidien.

2.10Conformément aux dispositions énoncées au paragraphe 2 de l’article 502 du Code de procédure civile, la Cour suprême n’est pas compétente pour examiner les affaires dans lesquelles le montant du litige est inférieur à 5 000 euros. Le tribunal régional est par conséquent la plus haute juridiction d’appel et il n’existe aucune autre voie de recours interne dans le cas de l’auteur.

2.11L’auteur fait valoir également que la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées ne garantit pas une réparation appropriée dans la mesure où elle prévoit un dédommagement uniquement dans les cas de discrimination indirecte, mais non dans les cas de non-exécution d’une obligation d’éliminer un obstacle à l’accès à des services qui sont disponibles pour les personnes ne présentant aucun handicap.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère qu’en n’installant pas de système audio sur la ligne de tramway no3, l’État partie a enfreint le principe dit des deux sens retenu en matière d’accessibilité, selon lequel toutes les informations, y compris les aides au guidage, doivent pouvoir être perçues par au moins deux des trois sens (ouïe, vue, toucher), le but étant de faire en sorte que les personnes présentant des déficiences visuelles et auditives aient accès à toutes les informations importantes sans aide extérieure. Il fait valoir également que l’absence de système audio l’empêche, en tant que personne présentant une déficience visuelle, d’accéder aux informations qui ne sont disponibles que visuellement. Selon lui, cet obstacle à la communication équivaut à une discrimination en ce qu’il le prive de la possibilité d’utiliser les services de transport sur la base de l’égalité avec les autres, en violation des articles 5 et 9 de la Convention.

3.2L’auteur considère que le refus par l’État partie d’éliminer cet obstacle est contraire aux dispositions des articles 19 et 20 de la Convention car l’absence de système audio sur la ligne de tramway no 3 l’empêche de vivre de façon indépendante et va à l’encontre de son droit à la mobilité personnelle.

3.3L’auteur affirme que la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées n’assure pas une protection suffisante contre la discrimination en ce qu’elle n’impose pas l’élimination des obstacles. L’interprétation qui a été faite par les tribunaux nationaux des dispositions de la loi est à son sens trop restrictive car elle ne prend pas en considération le fait que de tels obstacles constituent une source de discrimination pour les personnes handicapées. L’auteur considère également que cette interprétation ne tient pas compte de la Convention et qu’elle méconnaît le droit à une égale et effective protection juridique qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention.

3.4L’auteur fait valoir en outre que, selon la loi, un obstacle n’est considéré comme illicite que s’il résulte d’une erreur ou d’une intention, ce qui exclut dès lors du champ d’application du texte « [toute] distinction, exclusion ou restriction fondée sur le handicap qui a […] pour effet de compromettre ou réduire à néant la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social, culturel, civil ou autres », en violation de l’article 2 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 30 décembre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2Il explique que le réseau de tramway de Linz est exploité par la société Linz Linien GmbH, qui gère environ 720 arrêts à Linz, dont 374 sont équipés de panneaux affichant des informations dynamiques à l’intention des voyageurs. Cela signifie que ces appareils indiquent non pas simplement l’horaire, mais les heures d’arrivée et de départ des trams en temps réel, ainsi que le nombre de minutes d’attente jusqu’à l’arrivée de la rame suivante. Sur ces 374 arrêts, 44 sont dotés d’un dispositif qui permet de convertir en signaux acoustiques (par appui sur un bouton) l’information visible sur le panneau d’affichage « pour les voyageurs capables de la lire ». Les arrêts ainsi équipés sont ceux qui sont situés aux principaux points de correspondance. La restitution vocale de l’information n’est techniquement possible qu’aux arrêts équipés d’un système d’information dynamique à l’intention des voyageurs.

4.3L’État partie évoque l’action en justice menée par l’auteur et indique que, le 31 juillet 2013, le tribunal régional de Linz a rejeté l’appel formé par l’auteur contre le jugement du tribunal de district de Linz du 2 mai 2013. Pour le tribunal régional, les obstacles techniques à la communication ne constituaient pas un cas de discrimination indirecte car l’information dynamique à l’intention des voyageurs ne présentait pas une utilité particulière aux arrêts utilisés par l’auteur, ceux-ci étant desservis exclusivement par les trams de la ligne no 3, dont la fréquence de passage est normalement de sept à huit minutes. Des intervalles plus longs pouvaient être exclus et les annulations totales étaient extrêmement rares. Le tribunal régional a ajouté que les informations relatives aux horaires de fonctionnement généraux et aux annulations prévisibles ou prévues étaient accessibles également aux usagers aveugles sur Internet à l’aide d’un dispositif de reconnaissance vocale. Le tribunal régional a par conséquent estimé que l’auteur ne serait tributaire d’une aide extérieure que dans des circonstances exceptionnelles et qu’il avait accès aux trams de la ligne no 3 et pouvait les utiliser « de la manière habituelle, sans barrières ou obstacles extraordinaires, et, de façon générale, sans aide extérieure ».

4.4L’État partie rappelle que l’article 5 de la Convention interdit toutes les discriminations fondées sur le handicap. Il rappelle également que le paragraphe 1 de l’article 9 prescrit aux États parties de prendre des mesures appropriées pour assurer aux personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès aux transports et à la communication et aux autres équipements et services ouverts ou fournis au public, et que le paragraphe 2 de l’article 9 exige des États parties qu’ils prennent des mesures appropriées pour faire en sorte que les organismes privés qui offrent des installations ou des services qui sont ouverts ou fournis au public prennent en compte tous les aspects de l’accessibilité par les personnes handicapées. L’article 19 reconnaît à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et l’article 20 fait obligation aux États parties de prendre des mesures efficaces pour assurer la mobilité personnelle des personnes handicapées, dans la plus grande autonomie possible.

4.5L’État partie rappelle en outre l’interprétation faite par le Comité de l’article 9 de la Convention dans son observation générale no 2 et conclut que « le droit d’accès découle de l’interdiction générale de la discrimination énoncée à l’article 5 de la Convention et constitue une condition préalable à l’exercice par les personnes handicapées du droit de vivre de façon indépendante et d’être intégrées dans la société garanti par l’article 19 de la Convention, et du droit à la mobilité personnelle consacré par l’article 20 ». L’État partie rappelle enfin que la Convention ne prévoit pas d’interdiction absolue de la différence de traitement; que « [l]’obligation d’assurer l’accessibilité est inconditionnelle […]; [que] le devoir d’aménagement raisonnable, en revanche, n’existe que si sa mise en œuvre ne représente pas une charge indue pour l’entité concernée »; que « lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère raisonnable et la proportionnalité des mesures d’aménagement, les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation ».

4.6L’État partie considère qu’au travers de la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées, il a pris des mesures d’ordre juridique pour se conformer à ses obligations au titre de la Convention : la loi interdit la discrimination directe et indirecte et est fondée sur le principe de l’élimination totale des obstacles. Selon le paragraphe 5 de l’article 6 du texte, les bâtiments et autres installations, les moyens de transport, les matériels techniques, les systèmes informatiques et les autres équipements et structures de vie créés ne sont considérés comme étant sans obstacles que s’ils sont accessibles aux personnes handicapées et utilisables par elles sans difficultés particulières et sans l’aide d’autrui. L’État partie considère que, dans le cas de l’espèce, après un examen approfondi et objectif des faits pertinents, le tribunal de district de Linz et le tribunal régional de Linz ont conclu qu’en application des dispositions de la loi, l’absence de système audio aux arrêts utilisés par l’auteur n’entraînait pas une discrimination indirecte pour ce dernier. Les tribunaux ont fondé leurs conclusions sur le fait que ces arrêts sont desservis exclusivement par les trams de la ligne no 3 à des intervalles réguliers de sept à huit minutes. Étant donné que l’horaire de fonctionnement général et les informations concernant les interruptions de service ou complications prévisibles ou prévues seraient accessibles également aux usagers aveugles sur Internet à l’aide d’un dispositif de reconnaissance vocale, le système audio ne serait utile que dans le cas d’une annulation de service temporaire ou totale imprévisible, ce qui était une éventualité extrêmement peu probable et survenait très rarement. Dans ces conditions, les tribunaux nationaux ont conclu qu’on ne pouvait pas dire que la ligne de tramway était accessible « seulement avec des difficultés particulières et, de façon générale, avec l’aide d’autrui » au sens du paragraphe 5 de l’article 6 de la loi et que l’auteur n’était donc pas victime d’une discrimination indirecte.

4.7L’État partie considère également que, contrairement à l’avis de l’auteur, l’absence de système audio ne signifie pas que l’auteur ne peut pas, de façon générale, utiliser la ligne de tramway no 3 de la même manière que les personnes ne présentant pas de handicap. L’accessibilité et l’utilisation des tramways comme moyen de transport ne sont pas limitées en tant que telles. Le « but quotidien » de l’utilisation d’un moyen de transport public peut certainement être atteint par l’auteur sans le système audio. L’existence d’un tel dispositif influe simplement sur les modalités d’utilisation du tramway. Les informations diffusées visuellement et par l’intermédiaire du système audio sont accessibles à tout moment aux aveugles et malvoyants sur Internet à l’aide d’un dispositif de reconnaissance vocale approprié. La société Linz Linien GmbH a publié tous les horaires dans le cadre de l’Initiative d’ouverture de l’information au public de la ville de Linz. Les usagers ont ainsi accès à plusieurs applications pour dispositifs mobiles, dont certaines sont gratuites. Ces applications fournissent notamment les horaires de départ en temps réel, offrant de la sorte des informations très à jour sur les retards ou les pannes. La société Linz Linien GmbH gère en outre un dispositif d’information électronique mobile qui fournit des données prévisionnelles en temps réel et comprend une fonctionnalité de suivi. L’État partie estime que ces outils constituent un bon substitut à l’information dynamique à l’intention des voyageurs et ajoute que les personnes n’ayant pas accès à Internet peuvent en tout temps appeler le service des usagers de Linz Linien GmbH, et obtenir ainsi rapidement des informations détaillées sur les horaires. L’État partie relève que l’auteur ne précise pas pour quelles raisons les diverses sources d’information offertes par Linz Linien GmbH ne constitueraient pas un « aménagement raisonnable » et considère que l’absence de système audio n’entraîne nullement un désavantage pour les aveugles et les malvoyants par rapport aux autres personnes.

4.8L’État partie fait valoir qu’en l’espèce, les arrêts utilisés par l’auteur sont desservis exclusivement par les trams de la ligne no 3. L’information dynamique à l’intention des voyageurs concerne uniquement le nombre de minutes d’attente jusqu’à l’arrivée de la rame suivante. Les intervalles de passage étant très brefs, cette information ne présente normalement pas une valeur ajoutée pour les usagers étant donné que l’horaire est publié sur Internet. À cet égard, l’État partie observe que l’auteur ne précise pas pour quelles raisons les diverses sources d’information offertes par Linz Linien GmbH ne constitueraient pas un « aménagement raisonnable ».

4.9L’État partie estime que le système audio n’est « nullement indispensable pour l’utilisation d’un moyen de transport public » car il ne fournit pas des informations dont les usagers ont absolument besoin. Il relève que la Convention n’impose pas d’équiper les moyens de transport publics de tous les dispositifs imaginables pour faciliter l’utilisation des transports publics, et que c’est au fournisseur qu’il revient de faire un choix entre des solutions d’égale valeur. À ce sujet, l’État partie indique que la société Linz Linien GmbH a décidé, en concertation avec l’Association des aveugles et non-voyants de Haute-Autriche, d’installer en priorité des systèmes audio aux arrêts situés aux principaux points de correspondance entre plusieurs lignes de tramway. Tous les autres arrêts ont été équipés entre-temps d’un système d’annonces vocales sur les lignes installé à l’extérieur des véhicules, qui permet aux usagers aveugles attendant à un arrêt d’obtenir, en activant un émetteur portatif, des informations sur le numéro de la ligne et la destination finale du moyen de transport public qui arrive ou se trouve à l’arrêt. Compte tenu des motifs compréhensibles pour lesquels un système audio a été installé uniquement aux principaux points de correspondance, et non aux arrêts qui sont desservis par une seule ligne de tramway, l’État partie considère que l’auteur n’a pas subi de discrimination indirecte, l’absence d’un tel système ne portant pas atteinte à son droit de vivre de façon indépendante et d’être intégré dans la société.

4.10 S’agissant de l’observation de l’auteur selon laquelle les victimes de discrimination ne sont pas fondées à revendiquer l’élimination d’un obstacle ou d’une barrière, mais peuvent uniquement obtenir un dédommagement, l’État partie considère qu’en offrant aux victimes de discrimination une voie de recours leur permettant de demander réparation, il respecte l’obligation qu’impose le paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention de garantir aux personnes handicapées une protection juridique effective. Ce dispositif assure, selon lui, une protection juridique plus efficace que le simple droit d’obtenir qu’il soit remédié à une omission ou à un acte, dans la mesure où l’entité publique ou privée condamnée à verser un dédommagement en réparation de mesures ou d’omissions discriminatoires s’efforcera aussi, pour des raisons évidentes, d’éliminer dans les meilleurs délais la discrimination qui a fait naître l’obligation de réparation. La loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées prévoit également une procédure de conciliation simple d’accès, respectueuse du demandeur et extrêmement efficace. Si un accord peut être trouvé, ce qui est le cas dans plus de la moitié des différends, il est mis fin à la situation dénoncée comme étant discriminatoire. La procédure de conciliation de l’État partie est gratuite et dure cent six jours en moyenne.

4.11L’État partie affirme qu’en 2009, le Ministère fédéral des transports, de l’innovation et de la technologie a publié un guide sur l’accès des personnes handicapées aux moyens de transport publics intitulé « Transports publics sans obstacles », dont l’un des chapitres est consacré aux normes applicables en matière d’accessibilité des arrêts de bus et de tram et aux dispositifs d’information voyageurs et de signalisation/guidage aux arrêts de bus et de tram. Il y est indiqué notamment qu’il convient de tenir compte en toutes circonstances du principe des deux sens et noté qu’il est possible de fournir des informations courantes par des moyens acoustiques sur demande uniquement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 13 janvier 2015, l’auteur a soumis au Comité ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il considère que la « règle de l’interdiction générale de la non-discrimination » invoquée par l’État partie n’est pas appliquée dans les faits.

5.2En ce qui concerne la procédure de conciliation prévue par l’article 14 de la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées, l’auteur affirme que la commission de conciliation ne souhaitait pas parvenir à un accord. Il fait valoir également que cette procédure n’est pas efficace pour les raisons suivantes : a) la notion de discrimination retenue par la loi n’est pas conforme à la définition de la discrimination figurant à l’article 2 de la Convention car, selon la loi, la discrimination suppose obligatoirement une intention de discriminer; b) l’unique forme de réparation offerte est le dédommagement, sans que soit prévu le droit d’obtenir l’élimination des obstacles; c) les indemnités versées en cas de discrimination sont minimes; d) la loi ne prévoit pas une formation de sensibilisation obligatoire à l’intention des juges, qui aurait pu conduire à une bonne appréhension de la notion de discrimination. De l’avis de l’auteur, seul un petit nombre des personnes qui s’estiment victimes de discrimination engagent une action en application de la loi car les intéressés n’ont pas l’impression qu’une telle démarche leur apporterait le résultat qu’ils souhaiteraient.

5.3L’auteur estime que les règles énoncées dans le guide « Transports publics sans obstacles » cité par l’État partie ne sont pas contraignantes et qu’il n’en a pas été tenu compte en l’espèce. Il fait valoir que le principe des deux sens n’a pas été respecté, que les moyens acoustiques ne sont même pas disponibles sur demande et que Linz Linien GmbH a ignoré les lignes directrices en la matière.

5.4L’auteur fait valoir que les observations de l’État partie n’apportent pas des éléments suffisants pour qu’il soit possible de conclure que l’absence de dispositif d’information acoustique ne constitue pas une discrimination à son égard. À ce propos, il s’interroge sur la raison pour laquelle les informations qu’il demande à obtenir par des moyens acoustiques devraient être fournies visuellement alors que l’État partie considère qu’elles ne sont pas nécessaires. Il fait valoir a contrario que le système audio ne renseigne pas seulement sur les retards et les interruptions de service, mais qu’il aide aussi les usagers aveugles à trouver les arrêts. Selon les informations fournies sur Internet, « les tramways de la ligne no 3 circulent à raison d’au moins une rame toutes les trente minutes, avec huit départs par heure de 6 heures à 20 heures du lundi au vendredi, la fréquence étant moindre en dehors de ces périodes ». L’auteur fait valoir que ces informations ne sont pas suffisantes, qu’il ne peut utiliser les nouveaux arrêts qu’avec des difficultés particulières et qu’il a généralement besoin d’une aide extérieure pour localiser les arrêts et accéder aux informations qui ne sont disponibles que visuellement, sur les écrans. Il considère par conséquent que le manquement au principe des deux sens constitue une discrimination.

5.5L’auteur considère que les observations de l’État partie démontrent, de façon générale, qu’une interprétation très restrictive de la notion d’« accessibilité » a été retenue. Il fait valoir que, pour qu’un tram soit réputé accessible à une personne donnée, il ne suffit pas que celle-ci soit physiquement capable de l’utiliser; il faut aussi qu’elle dispose des informations nécessaires pour pouvoir l’utiliser sur la base de l’égalité avec les autres. L’auteur estime que ces informations ne sont pas disponibles dans la pratique. Il relève à ce sujet que les applications pour dispositifs mobiles mentionnées par l’État partie ne sont pas des applications officielles fournies par Linz Linien GmbH, mais qu’il s’agit d’applications exploitées par des sociétés privées. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, il ne peut selon lui utiliser la ligne de tramway no 3 de façon indépendante. Il fait valoir que le système audio serait nécessaire pour l’aider à localiser les arrêts; que les informations accessibles par l’intermédiaire d’un boîtier électronique ou d’un téléphone mobile ne sont pas utiles à cet effet; que des informations en temps réel sont fournies pour permettre aux usagers d’emprunter les moyens de transport de manière spontanée, alors que la collecte de renseignements par téléphone prend parfois beaucoup de temps et ne constitue donc pas une solution fiable et utile quand on doit prendre le tram; et, enfin, qu’il ne peut utiliser les applications vocales proposées par Linz Linien GmbH, et que celles-ci ne fournissent pas véritablement toutes les informations nécessaires.

5.6En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle le système d’informations vocales sur les lignes a été mis en place en coopération avec l’Association des aveugles et malvoyants de Haute-Autriche, l’auteur relève que cette institution ne représente pas l’ensemble de la communauté des personnes aveugles et malvoyantes d’Autriche. Il fait valoir également que ce dispositif est associé aux rames du tramway et que, par conséquent, il ne peut aider les personnes aveugles, comme lui-même, à localiser les arrêts de façon indépendante. Les arrêts devraient donc être équipés d’un système audio.

5.7S’agissant de l’argument de l’État partie qui avance que le dédommagement constitue une forme de réparation plus efficace que « le simple droit d’obtenir qu’il soit remédié à une omission ou à un acte » en cas de discrimination liée à l’existence d’obstacles ou à d’autres éléments, l’auteur considère que les indemnités versées en pareil cas sont habituellement très modiques et qu’elles n’incitent donc pas les prestataires de services de transports publics, les commerçants ou les entités publiques à éliminer les obstacles. Le droit pour la victime d’obtenir l’élimination des obstacles serait selon lui la seule sanction propre à garantir un cadre accessible. De plus, conformément au paragraphe 1 de l’article 501 du Code de procédure civile, lorsque le montant du litige ne dépasse pas 2 700 euros, les recours ne sont possibles que pour des points de droit, non pour l’examen des preuves. L’auteur fait valoir enfin que les obstacles touchent de nombreuses personnes. Le droit d’obtenir leur élimination serait dès lors plus utile que le versement d’un dédommagement car une seule action en justice permettrait d’améliorer la situation de toutes les personnes concernées. Lorsque le dédommagement est la seule forme de réparation offerte, tous les individus touchés doivent intenter individuellement une procédure, et l’obstacle demeure.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 8 mai 2015, l’État partie a soumis des observations complémentaires faisant suite aux commentaires de l’auteur. Il considère que l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’interdiction générale de la discrimination énoncée dans la Constitution fédérale autrichienne n’entre pas en ligne de compte dans une procédure civile ne peut être démontrée : le seul critère décisif en l’occurrence tient au point de savoir si la disposition en question est source de préjudice dans l’affaire considérée, ou si elle est directement applicable au demandeur. Dès lors, il importe peu de déterminer si l’affaire relève de l’ordre administratif ou de l’ordre civil. Dans l’affaire portée devant les juridictions civiles en application de l’article 9 de la loi, l’auteur de la communication aurait pu présenter des arguments détaillés précisant quelles dispositions de la loi il considérait discriminatoires, et il aurait pu proposer que les tribunaux civils saisissent la Cour constitutionnelle d’une demande d’examen de la conformité de ces dispositions.

6.2Pour ce qui est des arguments de l’auteur concernant le dispositif général de protection juridique institué par la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées, l’État partie considère que ce dispositif n’est pas incompatible avec la Convention dans la mesure où celle-ci ne prescrit pas la responsabilité objective, indépendamment de toute notion de négligence ou de faute, et n’impose pas non plus de montant minimal pour le dédommagement à accorder dans les affaires relatives à l’accessibilité. L’État partie note également que l’observation générale no 2 relative à l’article 9 ne fournit pas d’indications concrètes à ce sujet. Conformément aux principes généraux régissant la responsabilité civile en Autriche, les demandes de réparation en vertu de la loi ne sont fondées que si le dommage subi résulte d’un comportement négligent contraire à la loi. Dans les cas de discrimination directe, on peut généralement supposer que l’acte était intentionnel. L’État partie observe en outre qu’un haut niveau de compétences et de connaissances techniques est indispensable pour déterminer si l’obligation d’accessibilité a été respectée dans un cas particulier. Les règles en la matière changent constamment, si bien que les entreprises et les prestataires de services ne peuvent garantir en tout temps que leurs produits et services sont offerts de manière accessible selon les normes techniques les plus avancées. Il est dès lors possible qu’ils puissent créer des obstacles pour les personnes handicapées sans pour autant commettre d’acte fautif engageant leur responsabilité personnelle. C’est l’une des raisons, et non des moindres, pour lesquelles la loi prévoit une procédure de conciliation visant à régler les différends et à trouver des solutions pratiques pour éliminer les obstacles.

6.3Dans les cas de discrimination indirecte liée à l’existence d’obstacles, l’État partie considère que l’application de la règle de la responsabilité objective aurait des conséquences disproportionnées et n’irait pas dans le sens de la réalisation de l’objectif de la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées.

6.4L’État partie estime que l’auteur fait abstraction des différentes solutions qu’il propose dans ses observations quant aux moyens permettant d’utiliser la ligne de tramway no 3 de Linz sans rencontrer d’obstacles discriminatoires. Le Plan national d’action autrichien sur le handicap (2012-2020) est intéressant à cet égard car l’un de ses objectifs est d’améliorer l’accessibilité et de permettre aux personnes handicapées de participer à la vie de la communauté sur la base de l’égalité avec les autres. Ce plan bénéficie de l’appui d’un groupe qui comprend des représentants d’organisations de la société civile, en particulier d’organisations de personnes handicapées. Dans le droit fil de la Convention et du Plan national d’action, de nombreux projets relatifs à l’accessibilité des transports sont financés et un programme éducatif à l’intention des étudiants, destiné à développer les compétences en matière d’accès à la mobilité en Autriche, est en cours d’élaboration. Il existe également un forum annuel de recherche intitulé « Mobilité pour tous », auquel participent des experts d’établissements autrichiens de recherche dans les domaines de la mobilité, des transports et du développement, et des représentants d’organisations de personnes handicapées, d’organisations non gouvernementales, et de prestataires de services et de technologies favorisant la mobilité.

6.5L’État partie indique également que le système d’informations visuelles a été développé afin de permettre aux personnes présentant une déficience auditive d’utiliser le tramway à Linz sans rencontrer de difficultés d’accès. Selon une enquête menée par l’Office de statistique autrichien, en 2008, quelque 2,5 % de la population autrichienne présentait une déficience auditive permanente. D’après des informations émanant de l’Association autrichienne des interprètes en langue des signes, l’Autriche compte 450 000 personnes présentant une déficience auditive, dont quelque 8 000 à 10 000 sourds profonds et 10 000 à 15 000 personnes présentant une déficience auditive si sévère qu’il n’est guère possible de communiquer avec elles uniquement par l’ouïe, même si elles portent des appareils auditifs. L’État partie explique que les personnes présentant une déficience visuelle suivent généralement une formation à la mobilité afin de pouvoir s’orienter et éviter autant que possible les sources de danger potentielles. Cette formation est financée pour l’essentiel par le gouvernement provincial, l’Office fédéral autrichien de la protection sociale ou l’Agence autrichienne des pensions, les participants n’ayant à acquitter qu’une contribution modeste. Les personnes présentant une déficience visuelle se familiarisent avec les dispositifs de guidage et les cheminements qu’elles utilisent régulièrement, qui constituent les principaux outils de localisation des arrêts de tram. Elles reçoivent également des informations sur les trams arrivant aux arrêts par l’intermédiaire du système d’informations vocales sur les lignes. L’auteur a invoqué pour la première fois l’argument selon lequel ce dispositif (qui fournit des informations sonores sur l’arrivée des rames et les temps d’attente) ne pouvait être utilisé pour localiser les arrêts de tram. Il n’a pas épuisé les recours internes sur ce point et, par conséquent, cet aspect de la communication devrait être déclaré irrecevable.

6.6L’État partie fait valoir également que la Convention ne précise pas à qui il incombe de fournir des aides à l’accessibilité pour l’utilisation des équipements et services publics. Il considère dès lors que l’argument de l’auteur ne peut être retenu.

6.7L’État partie estime en outre que la simple impossibilité de satisfaire toutes les demandes individuelles n’équivaut pas à une discrimination. De plus, l’auteur n’a pas expliqué pour quelles raisons la solution imaginée en collaboration avec l’Association des aveugles et malvoyants de Haute-Autriche n’est pas adaptée à ses besoins.

6.8L’État partie considère par conséquent qu’il n’y a pas eu violation des droits que l’auteur tient de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits des personnes handicapées doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas déjà été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas été déjà examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a invoqué devant le Comité le fait que le système d’informations sur les lignes n’était pas adapté à ses besoins, mais ne l’a pas fait devant les tribunaux nationaux. Il constate que ce point n’est pas mentionné dans les plaintes déposées par l’auteur auprès des juridictions nationales. Cette allégation est donc irrecevable en vertu de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui considère que l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’interdiction générale de la discrimination énoncée dans la Constitution fédérale autrichienne n’entre pas en ligne de compte dans une procédure civile et que, dans l’affaire portée devant les juridictions civiles en vertu de l’article 9 de la loi fédérale relative à l’égalité des personnes handicapées, l’auteur de la communication aurait pu présenter des arguments détaillés précisant quelles dispositions de la loi il considérait discriminatoires. L’État partie fait également valoir que l’auteur aurait pu proposer que les tribunaux civils saisissent la Cour constitutionnelle d’une demande d’examen de la conformité de ces dispositions. À la lumière des renseignements soumis par les deux parties sur cette question, le Comité considère que le grief de l’auteur selon lequel la loi ne prévoit pas de voies de recours appropriées et que cet état de fait constitue une violation des articles 2 et 5 (par. 2) de la Convention est irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

7.5En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, le Comité considère que les autres griefs de l’auteur sont recevables et procède à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties, conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité prend note de la décision rendue par le tribunal de district le 2 mai 2013, confirmée par le tribunal régional le 15 juillet 2013, qui établit que l’absence de système audionumérique ne constitue pas un obstacle à l’utilisation du service de transport par les personnes présentant une déficience visuelle; que les informations disponibles visuellement sont également diffusées sur Internet et sont accessibles aux personnes présentant une déficience visuelle qui sont équipées d’un logiciel de reconnaissance vocale; et que l’auteur peut utiliser le tramway sans disposer des informations qui sont fournies aux voyageurs ne présentant pas de déficience visuelle.

8.3Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie avançant que le système audio n’est « nullement indispensable pour l’utilisation d’un moyen de transport public »; que le « but quotidien » de l’utilisation d’un moyen de transport public peut certainement aussi être atteint par l’auteur sans le système audio; qu’un tel dispositif ne fournit pas des informations qui sont absolument nécessaires pour les voyageurs mais que son existence influe simplement sur les « modalités d’utilisation du tramway »; que le système d’informations visuelles a été développé dans le cadre des efforts visant à permettre aux personnes atteintes d’une déficience auditive d’emprunter le tramway à Linz sans rencontrer de difficultés d’accès; que la Convention n’impose pas d’équiper les moyens de transport publics de tous les dispositifs imaginables pour faciliter l’utilisation des transports publics; et que c’est au prestataire de services qu’il revient de faire un choix entre des solutions d’égale valeur. À cet égard, le Comité constate que des systèmes audio ont été installés en priorité aux arrêts situés aux principaux points de correspondance entre plusieurs lignes de tramway et que tous les autres arrêts ont été équipés « entre-temps » d’un système d’annonces sur les lignes qui permet aux usagers aveugles attendant à un arrêt d’obtenir, en activant un émetteur portatif, des informations sur le numéro de la ligne et la destination finale du moyen de transport public qui arrive ou se trouve à l’arrêt. Le Comité prend note également de l’information fournie par l’État partie quant à la possibilité pour tous les usagers de la ligne de tramway no 3 de se renseigner sur Internet, à l’aide d’un dispositif de reconnaissance vocale, sur les horaires de fonctionnement généraux et les annulations prévisibles ou prévues. Néanmoins, il prend note aussi des arguments de l’auteur qui considère que, du fait de l’absence de système audionumérique sur la ligne de tramway no 3, il n’a pas la possibilité de localiser les arrêts, d’accéder aux informations en temps réel dont il a besoin lorsqu’il emprunte le tram et, par conséquent, d’utiliser la ligne no 3 de façon indépendante et sur la base de l’égalité avec les autres.

8.4Le Comité rappelle que « l’accessibilité concerne les groupes, alors que les aménagements raisonnables concernent les individus. Cela signifie que l’obligation de garantir l’accessibilité est une obligation ex ante. Les États parties ont donc l’obligation d’assurer l’accessibilité avant que l’individu ne demande à entrer dans un espace ou à utiliser un service. ». Le Comité rappelle également que « [l’]obligation d’assurer l’accessibilité est inconditionnelle, ce qui signifie que l’entité tenue d’assurer l’accessibilité ne peut s’en exonérer en arguant de la charge que représente le fait de prévoir un accès pour les personnes handicapées ».

8.5Les personnes handicapées se heurtent à des obstacles techniques et environnementaux, comme l’absence d’informations sous des formes accessibles. Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention, « les États parties prennent des mesures appropriées pour […] assurer [aux personnes handicapées], sur la base de l’égalité avec les autres, l’accès […] aux transports, à l’information et à la communication, y compris aux systèmes et technologies de l’information et de la communication ». En vertu de l’alinéa f) du paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention, « les États parties prennent également des mesures appropriées pour […] [p]romouvoir d’autres formes appropriées d’aide et d’accompagnement des personnes handicapées afin de leur assurer l’accès à l’information ». Le Comité rappelle également que l’importance des technologies de l’information et de la communication réside dans leur capacité à ouvrir l’accès à une vaste gamme de services, à transformer les services existants et à accroître la demande d’accès à l’information et au savoir, en particulier chez les populations mal desservies et exclues, comme les personnes handicapées. Dans cette optique, les nouvelles technologies peuvent être utilisées pour promouvoir la pleine participation des personnes handicapées à la vie sociale dans des conditions d’égalité, mais uniquement si elles sont conçues et produites de façon à en garantir l’accessibilité. Les nouveaux investissements et les nouvelles recherches et productions devraient contribuer à éliminer les inégalités et non à créer de nouveaux obstacles. C’est pourquoi il est demandé aux États parties, à l’alinéa h) du paragraphe 2 de l’article 9, de promouvoir l’étude, la mise au point, la production et la diffusion de systèmes et technologies de l’information et de la communication à un stade précoce, de façon à en assurer l’accessibilité à un coût minimal. Le Comité rappelle en outre qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 5 de la Convention, « [l]es États parties interdisent toutes les discriminations fondées sur le handicap et garantissent aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement », et que le déni d’accès à l’environnement physique, aux transports, à l’information et à la communication et aux services offerts au public devrait être clairement défini comme un acte de discrimination illégal.

8.6Le Comité note qu’en l’espèce, l’information diffusée visuellement aux arrêts de la ligne no 3 constitue un service complémentaire destiné à faciliter l’utilisation de la ligne et que, en tant que tel, elle fait partie intégrante du service de transport assuré. Le Comité doit par conséquent déterminer si l’État partie a pris des mesures suffisantes pour faire en sorte que l’information relative aux services de transport fournie aux personnes non handicapées soit également offerte, dans des conditions d’égalité, aux personnes présentant une déficience visuelle.

8.7Le Comité note à cet égard que Linz Linien GmbH a commencé à équiper les arrêts de tram de la ville de systèmes audionumériques en mars 2004. En août 2011, la société a procédé à une extension du réseau de la ligne de tramway no 3. Toutefois, aucun des nouveaux arrêts n’a été équipé du système audionumérique, qui était déjà connu des fournisseurs du service et aurait pu être installé à un coût modique au moment de la construction de la nouvelle ligne. Le Comité prend note également de l’argument de l’auteur qui affirme que ce système lui aurait offert, et aurait offert à d’autres personnes présentant une déficience visuelle, un accès direct aux informations en temps réel disponibles visuellement, sur la base de l’égalité avec les autres, ce qui n’est pas le cas des autres outils existants (diverses applications accessibles par l’intermédiaire d’Internet et par téléphone, et système d’annonces vocales sur les lignes). La non-installation par l’État partie du système audio au moment de l’extension du réseau du tramway a par conséquent entraîné un déni d’accès aux technologies de l’information et de la communication ainsi qu’aux équipements et services ouverts au public dans des conditions d’égalité, et elle constitue dès lors une violation du paragraphe 2 de l’article 5 ainsi que du paragraphe 1 et des alinéas f) et h) du paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention.

8.8En ce qui concerne le grief formulé par l’auteur au titre des articles 19 et 20, le Comité relève que l’auteur ne fournit pas suffisamment d’éléments pour lui permettre de déterminer dans quelle mesure l’absence de système audio porte atteinte au droit à la mobilité personnelle et au droit de vivre de façon indépendante qui lui sont reconnus. Par conséquent, le Comité estime qu’en l’espèce, il ne peut conclure à l’existence d’une violation des articles 19 et 20 de la Convention.

9.Le Comité des droits des personnes handicapées, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 de l’article 5, ainsi que du paragraphe 1 et des alinéas f) et h) du paragraphe 2 de l’article 9 de la Convention, et fait donc les recommandations suivantes à l’État partie :

a)Eu égard à l’auteur, l’État partie est tenu d’assurer une réparation pour non-accessibilité des informations disponibles visuellement sur toutes les lignes du réseau de tramway. L’État partie devrait également accorder à l’auteur une indemnisation appropriée pour les frais de justice occasionnés par les procédures internes et pour les dépenses engagées pour la soumission de la présente communication;

b)D’une manière générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir, notamment :

i)En veillant à ce que les normes minimales existantes relatives à l’accessibilité des transports publics garantissent l’accès de toutes les personnes présentant une déficience visuelle ou autre aux informations en temps réel accessibles visuellement aux autres usagers du tramway et de tous les autres modes de transport public. À cet égard, le Comité recommande à l’État partie de mettre en place un cadre législatif, avec des objectifs précis, applicables et assortis de délais, pour le suivi et l’évaluation des modifications et adaptations progressives nécessaires afin de permettre l’accès des personnes présentant une déficience visuelle aux informations qui sont disponibles visuellement. L’État partie devrait aussi faire en sorte que toutes les nouvelles lignes de tramway et tous les autres nouveaux réseaux de transports publics soient pleinement accessibles aux personnes handicapées;

ii)En prévoyant une formation appropriée et régulière concernant le domaine d’application de la Convention et de son Protocole facultatif, y compris l’accessibilité pour les personnes handicapées, à l’intention de tous les prestataires de services intervenant dans la conception, la construction et l’équipement des réseaux de transports publics, afin de garantir que les réseaux futurs seront construits et équipés dans le respect du principe de la conception universelle;

iii)En veillant à ce que les lois relatives aux droits des personnes handicapées qui traitent de l’accès non discriminatoire à des domaines comme les transports et les achats fassent mention de l’accès aux technologies de l’information et de la communication et aux nombreux biens et services essentiels à la société moderne qui sont proposés au moyen de ces technologies. Le Comité recommande que l’examen et l’adoption de ces lois et règlements s’effectuent en consultation étroite avec les personnes handicapées et les organisations qui les représentent, conformément au paragraphe 3 de l’article 4 de la Convention, ainsi qu’avec toutes les autres parties concernées, notamment les universitaires et les associations professionnelles d’architectes, d’urbanistes, d’ingénieurs et de concepteurs. La législation devrait incorporer le principe de la conception universelle et se fonder sur ce principe, et elle devrait rendre l’application des normes d’accessibilité obligatoire et prévoir des sanctions contre quiconque ne les respecte pas.

10.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura pu prendre à la lumière des présentes constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre publiques les constatations du Comité, à les faire traduire dans la langue officielle de l’État partie et à les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les secteurs de la population.