Nations Unies

CAT/C/GRC/CO/5-6

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

27 juin 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture Quarante-huitième session7 mai-1er juin 2012

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

Grèce

1.Le Comité contre la torture a examiné les cinquième et sixième rapports périodiques de la Grèce, soumis en un seul document (CAT/C/GRC/5-6), à ses 1062e et 1065e séances (CAT/C/SR.1062 et SR.1065), tenues les 9 et 10 mai 2012. À ses 1084e et 1085e séances (CAT/C/SR.1084 et SR.1085), tenues le 25 mai 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le document valant cinquième et sixième rapports périodiques de la Grèce, soumis en réponse à la liste des points à traiter établie avant la soumission des rapports (CAT/C/GRC/Q/5-6). Il sait gré à l’État partie d’avoir accepté de soumettre son rapport conformément à la nouvelle procédure facultative, car celle-ci améliore la coopération entre l’État partie et le Comité et sert de fil conducteur à l’examen du rapport ainsi qu’au dialogue avec la délégation.

3.Le Comité se félicite également du dialogue ouvert et constructif qu’il a eu avec la délégation de haut niveau de l’État partie et sait gré à celle-ci de lui avoir fourni des informations complémentaires lors de l’examen du rapport, mais il regrette que certaines des questions posées à l’État partie soient restées sans réponse. Il est convaincu que le dialogue et les recommandations qui en découlent aideront l’État partie à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à la Convention dans la pratique.

B.Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction que, depuis l’examen du quatrième rapport périodique de l’État partie, celui-ci a accédé aux instruments internationaux ci-après ou les a ratifiés:

a)Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et Protocole additionnel à la Convention visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants (Protocole de Palerme), en janvier 2011; et

b)Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en février 2008.

5.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a adopté, en 2010, un «Plan d’action national sur la gestion des migrations» pour améliorer la procédure d’asile et les conditions du traitement des ressortissants de pays tiers entrés illégalement dans le pays, y compris les demandeurs d’asile; qu’il a adopté, en novembre 2010, un décret présidentiel (no 114/2010) portant modification de la législation précédente relative à la procédure d’asile et mettant en place, pour une période de transition, des normes et garanties appropriées permettant un examen équitable et efficace des demandes d’asile; et qu’il a, en janvier 2011, promulgué une loi complète (no 3907/2011) portant création d’un nouveau service de l’asile indépendant de la police, qui prendra progressivement l’entière responsabilité des questions d’asile, et d’un service de premier accueil chargé de mettre en place des centres de premier accueil près des frontières.

6.Le Comité note avec satisfaction qu’un certain nombre d’autres initiatives législatives ont été prises par l’État partie en vue de se conformer aux recommandations du Comité et d’améliorer la mise en œuvre de la Convention, notamment dans les domaines de la détention provisoire, de l’équité des procès, des conditions de détention, de la traite, de la violence familiale, etc.

7.Le Comité accueille avec satisfaction les efforts faits par l’État partie pour modifier ses politiques et procédures afin de renforcer la protection des droits de l’homme et de donner effet à la Convention, notamment:

a)La mise en place, à partir de juin 2011, d’un registre des blessures infligées aux détenus dans tous les établissements pénitentiaires et d’un registre des fouilles corporelles dans tous les établissements pour femmes;

b)La création d’une ligne téléphonique spéciale qui permet aux détenus de prendre contact avec l’administration pénitentiaire centrale et de s’en faire entendre.

8.Le Comité note également avec satisfaction que l’État partie a adressé une invitation permanente à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Depuis l’examen de son précédent rapport périodique, l’État partie a reçu la visite de trois rapporteurs du Conseil, dont le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Définition de la torture

9.Le Comité note que la législation pénale de l’État partie incrimine les actes de torture (art. 137A et 137B) mais relève avec préoccupation que la définition actuelle de la torture n’est pas conforme à celle énoncée par l’article premier de la Convention, car tous les éléments requis n’y figurent pas (art. premier).

L’État partie devrait incorporer dans sa législation pénale une définition de la torture qui soit strictement conforme à l’article premier de la Convention et vise tous les éléments qui y sont énoncés. Cette définition répondrait à l’impératif de clarté et de prévisibilité en droit pénal et à la nécessité, au titre de la Convention, de distinguer les actes de torture commis par un agent public, ou toute autre personne agissant à titre officiel, ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite, des actes de violence au sens large commis par des acteurs non étatiques.

Allégations de torture et de mauvais traitements, impunité

10.Le Comité se dit gravement préoccupé par les allégations persistantes faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés par des policiers lors de l’arrestation ou de la détention, notamment dans les locaux des services de police judiciaire. Il note aussi avec préoccupation qu’un nombre limité de ces affaires ont été poursuivies, qu’il y a eu très peu de condamnations définitives et que dans les affaires qui ont donné lieu à une condamnation, il n’y a pas eu de sanctions car les condamnés ont bénéficié de circonstances atténuantes, etc. Il note que cela ne correspond pas aux décisions et arrêts qui ont été rendus récemment par des organismes internationaux, notamment le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme, et prend en outre note des allégations persistantes et des documents détaillés émanant d’autres sources. Il se dit également une nouvelle fois préoccupé par la réticence persistante des procureurs à engager des procédures pénales au titre de l’article 137A du Code pénal et par le fait qu’une seule affaire a abouti à une condamnation prononcée au titre de cet article. En outre, il est préoccupé, comme le Rapporteur spécial sur la question de la torture, par le fait que peu d’éléments médico-légaux sont disponibles pour étayer les allégations de mauvais traitements assimilables à la torture (art. 1er, 2, 4, 12 et 16).

L’État partie devrait:

a) À titre d’urgence, prendre des mesures d’application immédiate et efficaces pour prévenir les actes de torture ou les mauvais traitements , notamment en sensibilisant le public et en annonçant et en adoptant une politique qui soit de nature à produire des résultats mesurables en ce qui concerne l’élimination des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents publics;

b) Modifier rapidement ses règles et procédures d’interrogatoire, notamment par le recours à des enregistrements audio ou vidéo, en vue de prévenir la torture et les mauvais traitements; et

c) Traduire dûment en justice les auteurs présumés d’actes de torture ou de mauvais traitements et, s’ils sont reconnus coupables, les condamner à des peines appropriées qui tiennent compte de la gravité de leurs actes.

Usage excessif de la force par la police

11.Le Comité se dit une nouvelle fois préoccupé par les allégations persistantes faisant état d’un usage excessif de la force par des membres des forces de l’ordre, souvent dans le cadre du contrôle des manifestations et du contrôle des foules (art. 12 et 16).

L’État partie devrait prendre des mesures immédiates et efficaces pour que les membres des forces de l’ordre n’aient recours à la force que lorsque cela est strictement nécessaire et seulement dans la mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions.

Mauvais traitements infligés à des migrants sans papiers, des demandeurs d’asile, des membres de minorités et des Roms

12.Le Comité se dit préoccupé par les allégations récurrentes et concordantes faisant état de mauvais traitements infligés à des migrants sans papiers, à des demandeurs d’asile et à des Roms par des responsables de l’application des lois, notamment dans des lieux de détention et lors des contrôles de police qui sont régulièrement effectués dans les rues des centres urbains, en violation de la Convention. Il est également préoccupé par des informations indiquant qu’un grand nombre de victimes hésitent à porter plainte parce qu’il n’existe pas de mécanisme sûr de traitement des plaintes, qu’il n’y a pas suffisamment d’interprètes et que les victimes n’ont pas confiance en les autorités. Le Comité regrette en outre l’augmentation des manifestations de xénophobie et des agressions racistes visant des ressortissants étrangers, indépendamment de leur situation, émanant notamment de groupes de citoyens et de groupes d’extrême droite, comme l’a constaté le réseau quasi officiel d’enregistrement des actes de violence raciste. Enfin, il note avec préoccupation que la minorité musulmane en Thrace est le seul groupe minoritaire reconnu dans le pays (art. 2, 12 et 16).

L’État partie devrait combattre fermement les manifestations de plus en plus nombreuses de discrimination raciale et de xénophobie et les violences qui y sont associées, notamment en condamnant publiquement tous les actes d’intolérance et de violence de cette nature et en indiquant clairement et sans équivoque que les actes à caractère raciste ou discriminatoire, en particulier ceux commis par des policiers et d’autres agents publics, sont inacceptables, et en poursuivant et en punissant les auteurs de ces actes. Il devrait aussi prendre des mesures efficaces pour prévenir la discrimination à l’égard de toutes les minorités et veiller à protéger celles-ci, qu’elles soient reconnues ou non, conformément à l’Observation générale n o 2 (2007) du Comité sur l’application de l’article 2 par les États parties . Ces mesures devraient également viser à accroître le recrutement de membres de groupes minoritaires dans l’administration publique, y compris dans les services de détection et de répression.

Enquêtes promptes, impartiales et efficaces

13.Le Comité prend note de la création, au sein du Ministère de la protection du citoyen, d’un bureau chargé d’examiner les allégations d’arbitraire visant des membres des forces de l’ordre, mais se dit préoccupé par des informations indiquant que ce bureau n’est pas encore opérationnel, que son mandat se limiterait à se prononcer sur la recevabilité des plaintes et que les affaires seront transférées aux organes disciplinaires compétents des forces de sécurité pour des enquêtes plus approfondies. Il reste donc préoccupé par l’absence de système indépendant efficace chargé d’enquêter sur les plaintes pour torture, mauvais traitements et usage excessif de la force et il s’inquiète des carences dans la protection des victimes contre les mauvais traitements ou les manœuvres d’intimidation auxquels elles peuvent être exposées lorsqu’elles portent plainte ou apportent un élément de preuve (art. 12 et 13).

L’État partie devrait:

a) Renforcer les mécanismes existants de contrôle et de supervision de la police et d’autres agents publics, notamment en mettant en place un système de présentation de plaintes fiable, indépendant et accessible afin de mener rapidement des enquêtes impartiales et efficaces sur toutes les allégations de torture, de mauvais traitements ou d’usage excessif de la force;

b) Faire en sorte que toutes ces allégations soient consignées par écrit, qu’un examen médico-légal soit ordonné immédiatement et que les mesures nécessaires soient prises pour veiller à ce que les allégations fassent l’objet d’une enquête appropriée. Cette approche devrait être mise en œuvre indépendamment du fait que la personne concernée présente ou non des lésions externes visibles;

c) Veiller à ce que, dans les cas d’allégations de torture, les suspects soient suspendus de leurs fonctions immédiatement et pendant la durée de l’enquête, en particulier s’il existe un risque qu’à défaut, ils soient en mesure de récidiver ou d’entraver l’enquête;

d) Prendre des mesures efficaces pour que toutes les personnes qui dénoncent des actes de torture ou des mauvais traitements bénéficient de la protection requise.

Conditions de détention

14.Le Comité se dit une nouvelle fois gravement préoccupé par le fait que les autorités de l’État partie n’améliorent pas les conditions de détention dans les postes de police et les prisons. Il est particulièrement préoccupé par le fait que le niveau de la surpopulation carcérale, malgré quelques améliorations dans certaines structures, reste alarmant. Il se dit également gravement préoccupé par les conditions matérielles et sanitaires déplorables dans de nombreux postes de police et prisons, le manque de personnel, notamment de professionnels de santé, et le manque de produits de base (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait adopter d’urgence des mesures efficaces pour que les conditions de détention dans les postes de police, les prisons et autres centres de détention soient conformes à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles de Beijing) . En particulier, il devrait:

a) Remédier à la surpopulation dans les prisons, notamment en ayant davantage recours à des peines non privatives de liberté se substituant aux peines d’emprisonnement ;

b) Prendre des mesures immédiates et efficaces pour améliorer les conditions matérielles et sanitaires dans les postes de police comme dans les prisons, assurer la fourniture des produits de base et nommer un nombre suffisant de personnel formé, y compris de professionnels médicaux.

Périodes prolongées de détention provisoire, mineurs

15.Le Comité prend note des dispositions législatives prises récemment mais est préoccupé par les longues périodes de détention provisoire, y compris dans le cas de mineurs, résultant de carences et de retards considérables dans le système judicaire. Il est aussi préoccupé par le recours limité à des mesures non privatives de liberté pour les mineurs. Il note en outre avec préoccupation que la séparation entre personnes en détention provisoire et condamnés et entre mineurs et adultes n’est pas toujours garantie (art. 2 et 11).

L’État partie devrait prendre des mesures efficaces pour réduire considérablement la durée de la détention provisoire. Il devrait notamment réformer le système judiciaire afin de garantir que les personnes en détention provisoire bénéficient rapidement d’un procès équitable, et appliquer des mesures restrictives de substitution avant le procès. Dans le cas des mineurs, la détention ne doit être utilisée que dans des circonstances exceptionnelles ou en dernier ressort, pour des motifs expressément prévus par la loi et uniquement pour la plus courte période de temps possible. En outre, l’État partie devrait veiller à séparer strictement les personnes en détention provisoire des condamnés et les mineurs des adultes dans tous les établissements de détention.

Fouilles corporelles internes

16.Le Comité se dit préoccupé par le recours persistant aux fouilles corporelles invasives, en particulier les fouilles internes, dans les établissements de détention (art. 11 et 16).

L’État partie devrait exercer un strict contrôle des procédures de fouille corporelle, en particulier les fouilles internes, en veillant à ce que celles-ci soient réalisées de la manière la moins intrusive et la plus respectueuse de l’intégrité physique des personnes et à ce qu’elles soient dans tous les cas conformes aux dispositions de la Convention. Le Comité recommande également à l’État partie d’envisager de mettre en place des mesures de substitution telles que les méthodes de détection par équipement électronique.

Surveillance systématique des centres de détention, mécanisme national de prévention

17.Le Comité note qu’un certain nombre d’organisations sont habilitées à se rendre dans des lieux de détention et prend note de la politique mentionnée par la délégation, qui consiste à accorder à des ONG et à d’autres organismes l’accès aux prisons, mais relève avec préoccupation que ces visites sont actuellement occasionnelles, faute d’organisme indépendant chargé de la surveillance systématique de tous les centres de détention. Il note cependant que l’État partie a signé le Protocole facultatif se rapportant à la Convention le 3 mars 2011 et que dans un projet de loi élaboré récemment, le Médiateur grec est désigné comme mécanisme national de prévention (art. 2 et 11).

L’État partie devrait veiller à mettre en place un système de surveillance systématique de tous les centres de détention, y compris les centres pour migrants et demandeurs d’asile . À ce sujet, le Comité lui recommande de ratifier au plus tôt le Protocole facultatif et de veiller à désigner un mécanisme national de prévention dont le mandat soit conforme aux dispositions de cet instrument. L’État partie devrait également veiller à doter ce mécanisme des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour mener à bien son mandat en toute indépendance et avec efficacité dans tout le pays .

Accès à une procédure équitable et impartiale d’examen individueldes demandes d’asile

18.Le Comité prend acte des problèmes et des contraintes auxquels l’État partie fait face en tant que principal point d’entrée en Europe pour de nombreux migrants et demandeurs d’asile, en raison de sa situation géographique, et prend note avec satisfaction des efforts faits pour améliorer la qualité et la rapidité de la procédure d’asile. Il note cependant avec préoccupation que les demandeurs d’asile doivent surmonter de sérieux obstacles pour accéder à la procédure d’asile à cause de déficiences structurelles et du non-fonctionnement des mécanismes de filtrage dans les régions frontalières grecques et à la Direction de la police des étrangers de l’Attique (Petrou Ralli). Ces obstacles sont notamment l’absence de garanties procédurales telles que l’aide juridique gratuite, des services d’interprétation et des informations suffisantes, ainsi que l’obligation de donner une adresse fixe. Le Comité note que l’État partie a résorbé une partie de l’arriéré des demandes d’asile et des recours en attente, notamment en mettant en place des comités de deuxième instance, mais regrette que des milliers de cas soient encore en suspens. Il reste également préoccupé par les faibles taux de reconnaissance du statut de réfugié (art. 2).

L’État partie devrait garantir pleinement et faciliter l’accès à une procédure équitable et impartiale d’examen individuel des demandes d’asile. À cette fin, il devrait veiller à ce que les garanties importantes pour la qualité et l’équité de sa procédure d’asile, qui figurent dans la récente législation relative à l’asile, soient mises en œuvre dans la pratique et soutenues par une infrastructure appropriée, notamment grâce à la prompte entrée en fonctions du nouveau service de l’asile et du service de premier accueil. Il devrait également veiller à fournir des informations appropriées dans les langues requises, une aide juridique et des services d’interprétation pour faciliter cet accès. En outre, il devrait consacrer les ressources humaines et financières nécessaires pour résorber l’arriéré considérable d’appels de décisions en matière d’asile.

Non-refoulement

19.Le Comité note avec une profonde préoccupation que des personnes n’ont souvent pas pu bénéficier de la pleine protection prévue par les articles applicables de la Convention en ce qui concerne l’expulsion, le renvoi ou l’extradition vers un pays tiers. Il se dit une nouvelle fois préoccupé par la mise en œuvre par l’État partie de ses procédures de retour forcé, y compris par des moyens d’expulsion directe et l’application de son accord de réadmission avec la Turquie. Il note également avec préoccupation que les personnes qui font l’objet d’un retour forcé ne bénéficient pas réellement des garanties procédurales leur permettant d’accéder à des voies de recours ou d’avoir accès à la procédure d’asile, ni de l’aide juridique gratuite, ni des informations nécessaires que fournissent les services d’interprétation, de sorte qu’elles ne peuvent pas former un recours utile contre les arrêtés d’expulsion et/ou les mesures de détention qui en résultent. Le Comité craint que ces personnes ne courent un risque accru de refoulement, notamment de refoulements en chaîne (art. 3).

L’État partie devrait assurer une protection complète contre le refoulement en établissant les garanties nécessaires dans les procédures de retour forcé, de façon à garantir en tout temps qu’aucune personne ayant besoin d’une protection internationale n’est renvoyée dans un pays où elle craint d’être persécutée ou risque d’être soumise à des actes de torture ou des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et contre les refoulements en chaîne. À cette fin, il devrait réexaminer la teneur de l’accord de réadmission qu’il a conclu avec la Turquie afin de s’assurer que cet accord est conforme aux obligations qui lui incombent en vertu du droit international. Il devrait également veiller à ce que les recours contre les décisions de retour ou d’expulsion aient un effet suspensif automatique et immédiat.

Rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants

20.Le Comité se dit préoccupé par la politique en matière de détention actuellement appliquée aux demandeurs d’asile et aux migrants en situation irrégulière, notamment par des informations indiquant que des demandeurs d’asile qui se trouvent près des frontières sont régulièrement placés en rétention administrative pour de longues périodes. La durée de la rétention et les conditions déplorables dans lesquelles celle-ci se déroule constituent un traitement inhumain ou dégradant et compromettent gravement la capacité des demandeurs d’asile à présenter une demande d’asile. En outre, le Comité est gravement préoccupé par les conditions épouvantables qui prévalent dans les lieux de détention, notamment les postes de police et les postes frontière dans l’ensemble du pays et particulièrement dans la région d’Evros, en raison d’une forte surpopulation carcérale, du manque de personnel, du manque de produits de base et de l’insuffisance des services médicaux, psychologiques, sociaux et juridiques fournis (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que les demandeurs d’asile ne soient pas placés en rétention administrative en raison de leur entrée irrégulière sur le territoire. Il faudrait en particulier que la rétention des demandeurs d’asile ne soit utilisée que dans des circonstances exceptionnelles ou en tant que mesure de dernier ressort, en application des motifs prévus par la loi et pour une durée aussi courte que possible. Pour cela, il faudrait que les solutions autres que le placement en rétention soient toutes dûment envisagées, en particulier en ce qui concerne les groupes vulnérables.

L’État partie devrait également prendre d’urgence des mesures efficaces pour améliorer les conditions de rétention administrative en réduisant la surpopulation carcérale, en se dotant de personnel formé en nombre suffisant et en assurant, dans tous les lieux de détention de ressortissants étrangers, la prestation de services de base tels que les soins de santé et les traitements médicaux, ainsi que la fourniture en quantité suffisante de nourriture, d’eau et d’articles nécessaires à l’hygiène personnelle.

Détention pour des raisons de santé publique

21.Le Comité se dit préoccupé par une récente modification de la législation, qui permet de placer en détention un migrant ou un demandeur d’asile s’il représente un danger pour la santé publique parce qu’il souffre d’une maladie infectieuse ou fait partie de groupes vulnérables aux maladies infectieuses (art. 2 et 16).

Le Comité demande instamment à l’État partie d’abroger les dispositions qui permettent de placer en détention des migrants et des demandeurs d’asile pour des raisons de santé publique et de remplacer la détention pour ces raisons par les mesures médicales requises.

Mineurs non accompagnés demandeurs d’asile

22.Le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que les mineurs demandeurs d’asile non accompagnés ou séparés de leur famille ne sont souvent pas dûment enregistrés et sont systématiquement placés en détention, souvent dans des centres de rétention, où ils ne sont pas séparés des adultes. Il note également avec préoccupation que le décret présidentiel no 114/2010 n’a pas institué d’interdiction légale de détenir ces mineurs et que le nombre limité de centres d’accueil pour mineurs non accompagnés contribue à allonger leur détention. Il constate également avec préoccupation que de nombreux mineurs non accompagnés deviennent sans abri et vivent dans la rue, où ils sont souvent exposés à des risques accrus d’exploitation et de violence (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait intensifier les efforts qu’il fait pour assurer une protection appropriée et une prise en charge adéquate des mineurs non accompagnés ou séparés de leur famille qui entrent dans le pays, notamment en modifiant dans les meilleurs délais sa législation de manière à interdire leur détention. Le Comité souscrit à la recommandation du Rapporteur spécial sur la question de la torture tendant à ce que le Ministère de la santé et le Ministère de l’intérieur coopèrent étroitement pour veiller à ce que les enfants non accompagnés ou séparés de leur famille soient placés dans des centres d’accueil adaptés et séparés de façon à leur assurer une protection appropriée. En outre, l’État partie devrait prendre des mesures spéciales pour empêcher ces enfants de devenir sans abri, leur fournir une aide sociale et les scolariser.

Violence à l’égard des femmes

23.Le Comité prend note des mesures d’ordre législatif et autre adoptées par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, dont la promulgation de la loi no 3500/2006 sur la lutte contre la violence familiale et l’adoption du Plan d’action national contre la violence à l’égard des femmes (2009-2013). Toutefois, il demeure préoccupé par la persistance de la violence à l’égard des femmes et des enfants, notamment la violence familiale et sexuelle, et le nombre limité de poursuites engagées et de sanctions prononcées à l’égard des auteurs de tels actes. Il note que l’État partie a créé un comité permanent chargé d’élaborer un projet de loi sur la lutte contre la violence sexiste à l’égard des femmes mais il relève avec préoccupation qu’à l’heure actuelle le Code pénal de l’État partie ne cite pas expressément le viol et d’autres formes de violence sexuelle au nombre des formes de torture (art. 2, 12 et 16).

L’État partie devrait prendre d’urgence des mesures de protection efficaces pour prévenir et combattre toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, en particulier la violence familiale et sexuelle, notamment en ouvrant des enquêtes sur ces infractions et en les punissant. À ce titre, il devrait modifier l’article 137A de son Code pénal pour y citer expressément le viol et les autres formes de violence sexuelle au nombre des formes de torture, alors qu’ils sont actuellement qualifiés d’«atteintes graves à la dignité sexuelle». Il devrait également mener de vastes campagnes de sensibilisation et dispenser des cours de formation sur la violence à l’égard des femmes et des filles, à l’intention des agents publics qui travaillent directement avec les victimes (agents des forces de l’ordre, juges, avocats, travailleurs sociaux, entre autres) et de la population en général.

Traite des personnes

24.Le Comité prend acte des efforts faits par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes. Il se déclare toutefois préoccupé par des informations persistantes faisant état de traite de femmes et d’enfants à des fins d’exploitation sexuelle ou autre et par le très faible nombre de poursuites engagées et de condamnations prononcées contre les auteurs de ces actes. Il note également avec préoccupation que parmi les obstacles à l’accès à la justice auxquels se heurtent les victimes de ces infractions figurent la méconnaissance du Protocole de Palerme par les juges et les procureurs et le fait que les victimes ne disposeraient pas de services d’interprétation dans le cadre des procès portant sur des affaires de traite. Il regrette que les services de soutien qui sont fournis aux victimes de la traite dans le domaine de la santé en vue de leur éventuelle réadaptation ne soient pas adaptés (art. 2, 10, 12 et 16).

L’État partie devrait veiller à ce que toutes les allégations concernant la traite de personnes fassent sans délai l’objet d’enquêtes impartiales et efficaces et à ce que les auteurs soient traduits en justice et punis pour ces infractions. Il devrait également veiller à ce que les victimes bénéficient d’une aide juridique et sociale efficace et de services d’interprétation dans le cadre des procès. Il devrait continuer d’organiser des campagnes de sensibilisation à l’échelon national et d’offrir aux victimes de la traite des programmes appropriés d’aide, de réadaptation et de réinsertion. En outre, il devrait dispenser aux membres des forces de l’ordre, aux juges et aux procureurs, aux fonctionnaires des services d’immigration et de la police des frontières une formation sur les causes, les conséquences et les répercussions de la traite et des autres formes d’exploitation, ainsi que sur le Protocole de Palerme.

Formation

25.Le Comité prend note des renseignements fournis dans le rapport de l’État partie et par la délégation sur les programmes de formation destinés aux membres des forces de l’ordre mais regrette que très peu d’informations soient disponibles sur l’évaluation de ces programmes et de leur efficacité pour réduire le nombre des cas de torture et de mauvais traitements. Il regrette également l’absence d’informations sur la formation dispensée aux gardes frontière et, s’agissant du Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul) au personnel qui contribue à détecter les cas de torture et de mauvais traitements et à mener les enquêtes (art. 10).

L’État partie devrait continuer de mettre en place des programmes de formation destinés à tous les agents publics, en particulier aux policiers et aux autres membres des forces de l’ordre, pour faire en sorte qu’ils soient pleinement informés des dispositions de la Convention. Il devrait également veiller à ce que les autorités participant aux opérations de surveillance des frontières suivent une formation spécialisée sur les obligations en vertu du droit international des réfugiés et du droit international des droits de l’homme, et procéder régulièrement à des contrôles internes du respect de ces obligations.

En outre, l’État partie devrait mettre en place un programme de formation destiné à l’ensemble du personnel qui contribue à détecter les cas de torture et à mener les enquêtes, y compris les conseils commis d’office, les médecins et les psychologues, afin que les dispositions du Protocole d’Istanbul soient connues et appliquées dans la pratique. Il devrait en outre entreprendre une évaluation de l’efficacité et des effets des programmes de formation et d’éducation sur la réduction de l’incidence de la torture et des mauvais traitements.

Réparation, y compris indemnisation et moyens de réadaptation

26.Le Comité se déclare à nouveau préoccupé par l’insuffisance des renseignements fournis au sujet des moyens de réparation, notamment le versement d’indemnisations équitables et suffisantes et les mesures de réadaptation dont peuvent bénéficier les victimes de la torture ou les personnes qui sont à leur charge, conformément à l’article 14 de la Convention. Il est également préoccupé par le retard notable avec lequel l’État partie offre aux victimes de violences les réparations qui ont été décidées par des organes de surveillance et des tribunaux internationaux (art. 14).

L’État partie devrait renforcer l’action qu’il mène pour fournir une réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation et d’une réadaptation aussi complète que possible, et élaborer un programme visant spécifiquement à aider les victimes de la torture et de mauvais traitements. Il devrait également instaurer des procédures plus efficaces et plus accessibles qui permettent aux victimes d’exercer leur droit à réparation en vertu de la loi n o  3811/2009, en particulier en réduisant le temps que prennent les tribunaux nationaux pour allouer des indemnités dans ces affaires. Le Comité lui recommande également, à titre d’urgence et sans faire d’exception, d’offrir promptement aux victimes de violences les réparations décidées par des organes de surveillance et des tribunaux internationaux tels que le présent C omité, le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme.

Affaire de l’Aghia Varvara

27.Le Comité note une nouvelle fois avec préoccupation que 502 enfants des rues roms albanais sur 661 auraient été portés disparus après avoir été placés, en 1998-2002, dans l’institution grecque pour enfants Aghia Varvara, et juge particulièrement préoccupant que les autorités compétentes de l’État partie n’aient pas mené d’enquêtes sur ces affaires (art. 2 et 12).

Le Comité prie instamment l’État partie de prendre contact avec les autorités albanaises aux fins de créer dans les meilleurs délais un mécanisme efficace chargé d’enquêter sur ces affaires de façon à déterminer où se trouvent les enfants portés disparus, en coopération avec les Médiateurs des deux pays et les organisations concernées de la société civile, et à établir les responsabilités des personnes impliquées dans ces disparitions, sur les plans disciplinaire et pénal, avant qu’il soit difficile d’établir les faits avec certitude en raison du temps écoulé. Il lui recommande également d’adopter des mesures générales de lutte contre les violations des droits des enfants des rues pour éviter que de tels faits ne se reproduisent.

Collecte de données

28.Le Comité note avec intérêt qu’un groupe de travail spécial a récemment été créé et chargé de soumettre des propositions détaillées en vue de la réorganisation et de la modernisation des statistiques de l’État partie relatives à l’administration de la justice mais regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des affaires de torture et de mauvais traitements imputés à des responsables de l’application des lois, notamment des policiers, des agents de l’administration pénitentiaire et des gardes frontière, et à des affaires de traite et de violence familiale et sexuelle (art. 11 et 12).

L’État partie devrait mettre en place un système efficace permettant de rassembler des données statistiques intéressantes pour la surveillance de l’application de la Convention au plan national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des affaires de torture et de mauvais traitements, la traite et les violences familiales et sexuelles, ainsi que sur les mesures de réparation, notamment l’indemnisation et la réadaptation, dont ont bénéficié les victimes.

29.Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

30.L’État partie est prié de diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par l’intermédiaire des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

31.L’État partie est invité à soumettre son document de base conformément aux instructions relatives au document de base qui figurent dans les Directives harmonisées pour l’établissement des rapports à présenter en vertu des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/GEN.2/Rev.6).

32.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, d’ici au 1er juin 2013, des renseignements sur la suite donnée à ses recommandations tendant à a) mener sans délai des enquêtes impartiales et efficaces et b) poursuivre les personnes soupçonnées d’actes de torture et de mauvais traitements et punir les auteurs de tels actes, telles que formulées aux paragraphes 10 et 13 du présent document. De plus, le Comité demande des renseignements sur la suite donnée aux recommandations relatives aux conditions de détention et à la rétention administrative des demandeurs d’asile et des migrants, telles que formulées aux paragraphes 14 et 20 du présent document.

33.L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le septième, le 1er juin 2016 au plus tard. À cette fin, le Comité soumettra en temps voulu à l’État partie une liste préalable de points à traiter puisque l’État partie a accepté d’établir son rapport conformément à la procédure facultative.