Nations Unies

CERD/C/77/D/44/2009

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. restreinte*

25 août 2010

Français

Original: anglais

Comité pour l’éliminati on de la discrimination raciale

Soixante- dix-septième session

2-20 août 2010

Opinion

Communication no 44/2009

Présentée par:

Nicolai Hermansen, Signe Edrich et Jonna Vilstrup (representés par Niels-Erik Hansen du Centre de conseil et de documentationsur la discrimination raciale (DACoRD))

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Danemark

Date de la communication:

25 février 2009 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

13 août 2010

[Annexe]

Annexe

Opinion adoptée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en application de l’article 14de la Convention internationale sur l’éliminationde toutes les formes de discrimination raciale(soixante-dix-septième session)

concernant la

Communication no 44/2009

Présentée par:

Nicolai Hermansen, Signe Edrich et Jonna Vilstrup (representés par Niels-Erik Hansen du Centre de conseil et de documentationsur la discrimination raciale (DACoRD))

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Danemark

Date de la communication:

25 février 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 13 août 2010,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1Les auteurs sont Nicolai Hermansen, Signe Edrich et Jonna Vilstrup, nés au Danemark et ayant la nationalité danoise. Ils affirment être victimes de violation par le Danemark des droits qui leur sont reconnus par l’article 6 lu conjointement avec le paragraphe 1 d) de l’article 2 et l’article 5 f) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ils sont représentés par M. Niels-Erik Hansen du Centre de conseil et de documentation sur la discrimination raciale (DACoRD).

1.2Conformément au paragraphe 6 a) de l’article 14 de la Convention, le Comité a transmis la communication à l’État partie le 23 juin 2009.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 3 janvier 2006, le réseau danois de radio et de télévision DR a diffusé l’émission Kontant. Muni d’une caméra cachée, un journaliste a prétendu qu’il voulait acheter un billet d’avion auprès de l’agence Thai Travel à Copenhague. Il a demandé s’il pouvait bénéficier d’une réduction en tant que Thaïlandais. L’agent de voyage lui a expliqué que conformément à un accord avec Thai Airways, il pouvait obtenir une réduction de 1 000 couronnes danoises s’il était Thaïlandais de souche.

2.2Le 2 janvier 2006, veille de la diffusion de l’émission, un représentant du DACoRD, qui avait également été interrogé dans le cadre de cette émission, a envoyé une lettre à la police métropolitaine de Copenhague pour appeler son attention sur la diffusion de l’émission prévue le lendemain et déposer plainte contre Thai Airways et Thai Travel pour pratiques discriminatoires. Le 4 janvier 2006, le DACoRD a informé la police que plusieurs personnes avaient déposé plainte au motif qu’elles s’estimaient victimes de discrimination de la part de Thai Airways/Thai Travel, parce qu’elles ne bénéficiaient pas de la réduction dite «ethnique». Selon la police, il n’y avait aucune preuve que cette réduction était liée à l’origine ethnique.

2.3Par une lettre du 6 décembre 2007, la police a informé le DACoRD que le Directeur local du parquet pour Copenhague avait décidé, le 4 décembre 2007, de clore l’enquête contre Thai Travel et Thai Airways en vertu de la loi no 626 portant interdiction de toutes les formes de discrimination. Le DACoRD a exercé un recours contre la décision devant le Directeur général du parquet du Danemark le 17 décembre 2007. Ce recours a été rejeté le 26 août 2008 au motif que ni le DACoRD ni les auteurs n’ayant la capacité pour agir en l’espèce, ils n’avaient pas le droit d’exercer un recours. Le Directeur du parquet a expliqué qu’étaient légitimes les plaintes déposées par des personnes susceptibles d’être réputées parties à la procédure. Selon le Procureur, cela dépendait de l’intérêt de la personne dans l’affaire et dans son issue, lequel intérêt devait être essentiel, direct, personnel et juridique. De l’avis du Procureur, il n’apparaissait pas que des réductions avaient été refusées aux auteurs en raison de leur origine ethnique ou de leur nationalité. Il semblait au contraire que la démarche du DACoRD découlait d’une émission de télévision, dont le but était de voir si une baisse de tarifs pouvait être obtenue de Thai Airways. Étant donné qu’apparemment les auteurs ne s’étaient pas vu refuser personnellement un service au même titre que d’autres en raison de leur origine ethnique ou de leur nationalité, ils ne pouvaient être considérés comme ayant subi un préjudice aux fins du paragraphe 3 de l’article 749 de la loi sur l’administration de la justice. En conclusion, il était affirmé qu’aucun recours ne pouvait être exercé devant un organe administratif supérieur, conformément au paragraphe 3 de l’article 99 de la loi sur l’administration de la justice.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé le droit à une voie de recours effective qui leur est reconnu par l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en relation avec le paragraphe 1 d) de l’article 2 et l’article 5 f) de la Convention, en ce qu’une réduction leur a été refusée pour un motif lié à leur nationalité ou leur origine ethnique et qu’ils n’ont pas eu accès à un recours approprié.

3.2S’agissant de la décision initiale de la police de clore l’enquête, faute d’éléments de preuve, les auteurs la contestent puisque l’enregistrement vidéo par une caméra cachée a clairement montré que la prétendue «réduction ethnique» était assurément offerte à certaines personnes. Le fait que tant Thai Airways que Thai Travel nient les faits ne devait pas empêcher le Procureur de saisir le tribunal d’instance, qui aurait pu apprécier lui-même les éléments soumis. Les auteurs soulignent qu’en vertu de la loi danoise, le ministère public dispose d’un délai de deux ans après la commission de l’infraction pour saisir un tribunal. La décision du Procureur local de classer l’affaire ayant été prise une année et onze mois après les faits considérés et le délai de recours contre cette décision étant de quatre semaines au maximum, la date limite était déjà dépassée lorsque le Directeur général du parquet a été en mesure d’examiner le recours. Le Directeur général du parquet n’avait donc aucune marge de manœuvre pour modifier cette décision. Cependant, au lieu de fonder sa décision sur les mêmes motifs que la police (absence d’éléments de preuve), le Directeur général du parquet s’est appuyé sur l’absence de capacité pour agir des auteurs et de leur conseil.

3.3Les auteurs insistent sur le fait qu’au Danemark, il ne semble y avoir aucune voie de recours effective pour les victimes de discrimination raciale puisque celles-ci ne peuvent pas s’appuyer sur la protection offerte par la loi no 626 du 29 septembre 1987. Selon les auteurs, les personnes visées par une discrimination dans le cadre d’un test de discrimination n’en sont pas moins des victimes aux fins de la loi no 626 et ont donc la capacité pour agir. Les auteurs soulignent que, dans le système juridique danois, seul le ministère public peut engager une action judiciaire fondée sur la loi no 626. Dès lors, les auteurs ont épuisé tous les recours internes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 19 octobre 2009, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il considère que celle-ci doit être déclarée irrecevable ratione personae et ratione materiae au regard du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention. Il affirme en outre que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention. Sur le fond, l’État partie fait valoir qu’il n’y a eu aucune violation de la Convention.

4.2S’agissant de l’exposé des faits, l’État partie affirme que l’émission télévisée montrait que Thai Travel, par suite d’un accord avec la compagnie aérienne Thai Airways, accordait aux Thaïlandais et aux personnes voyageant avec des Thaïlandais ainsi qu’à des personnes ayant des liens particuliers avec la Thaïlande, une réduction spéciale de 1 000 couronnes danoises lorsqu’elles achetaient certains billets d’avion pour se rendre du Danemark en Thaïlande avec cette compagnie. Dans l’émission, l’administrateur du DACoRD affirmait que ce système de réduction était contraire à la loi sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race. Il invitait donc toutes les personnes qui pensaient avoir subi une discrimination parce que la réduction spéciale ne leur avait pas été offerte à prendre contact avec le DACoRD. Le 1er mars 2006, après avoir reçu deux lettres du DACoRD, à savoir une plainte et un courrier indiquant que de nouvelles victimes souhaitaient porter plainte, la police de Copenhague a demandé au conseil des auteurs une copie de l’émission afin d’enquêter sur l’affaire. Par une lettre du 7 mars 2006, la police de Copenhague a fait savoir au DACoRD qu’elle avait reçu la copie demandée et que l’affaire était en cours d’investigation.

4.3Le 30 mai 2006, la propriétaire de Thai Travel a été interrogée par la police sans qu’aucune charge ne soit retenue contre elle. Elle a indiqué que l’agence de voyages avait conclu un accord de vente exclusive de billets avec Thai Airways, qui l’autorisait à vendre les billets à un prix légèrement inférieur, mais sans qu’aucune «réduction ethnique» ne soit accordée. À propos de l’émission télévisée elle a affirmé que le client avait été très insistant, revenant constamment sur la question du prix et d’une éventuelle «réduction ethnique», en dépit de ses affirmations répétées que le prix était identique pour les Danois et les Thaïlandais. Elle a fini par dire que le client pouvait avoir une réduction, mais que celle-ci était la même pour les Danois et les Thaïlandais. On n’entendait toutefois pas cette dernière déclaration dans l’émission. Le 15 juin 2006, la police a interrogé le Directeur des ventes de Thai Airways qui a affirmé qu’il n’était fait aucune distinction en fonction de la nationalité mais que des réductions étaient accordées à des agences et des grandes entreprises en fonction du nombre de billets achetés.

4.4Le 19 septembre 2006, le Comité des plaintes relatives à l’égalité de traitement (aspects ethniques), qui s’était saisi d’office de l’affaire, a conclu qu’un système de réduction de prix du transport aérien impliquant des réductions sur les billets vendus à des clients thaïlandais de souche, des clients ayant des liens familiaux avec une personne thaïlandaise de souche ou des clients membres de l’Association thaï-danoise pour le Jutland et Funen, était contraire à l’interdiction de toute discrimination directe fondée sur l’origine raciale ou ethnique résultant de la loi no 374 du 28 mai 2003 sur l’égalité de traitement sans distinction d’origine ethnique. Il a considéré que l’obligation d’être membre de l’Association thaï-danoise violait la loi no 374 si l’adhésion à celle-ci était subordonnée à des conditions particulières impliquant une origine ethnique spécifique ou des liens étroits avec une telle origine. À la suite de cette décision, Thai Airways a supprimé le système de réduction en cause.

4.5Le 8 mai 2007, la police de Copenhague a pris contact avec le DACoRD afin d’identifier et d’interroger des victimes éventuelles. À cette date, il s’était écoulé un an et quatre mois depuis que le DACoRD avait informé la police qu’il porterait plainte au nom de ces victimes. Le DACoRD a indiqué qu’à la suite de l’émission, 26 personnes avaient pris contact avec l’association pour obtenir un remboursement parce qu’elles s’estimaient victimes d’une fraude par les sociétés en question. Elles demandaient une indemnité correspondant à la différence entre le prix des billets avec et sans réduction. Le DACoRD a insisté sur le fait que si aucune indemnité n’était versée aux victimes à l’issue de la procédure pénale, il engagerait une action civile contre les deux sociétés. Le 10 mai 2007, la police de Copenhague a interrogé M. Hermansen et Mme Edrich, deux des auteurs, qui avaient vu l’émission télévisée et décidé de prendre contact avec le DACoRD pour être indemnisés de l’absence de réduction. Le 8 juin 2007, l’affaire a été transmise au ministère public en vue d’un examen juridique. Le 27 août 2007, le DACoRD a transmis un mandat pour Jonna Vilstrup, le troisième auteur dans l’affaire soumise au Comité. Le 19 septembre 2007, le commissaire de police de Copenhague a transmis l’affaire au Procureur régional pour Copenhague et Nornholm en recommandant que l’enquête soit close conformément à l’article 749 2) de la loi danoise sur l’administration de la justice.

4.6Le 4 décembre 2007, le Procureur régional a suivi la recommandation du commissaire de police. Il a estimé qu’il n’existait aucun motif raisonnable de croire qu’une infraction pénale susceptible de justifier des poursuites avait été commise. Le 17 décembre 2007, le DACoRD, qui avait reçu notification de cette décision le 6 décembre 2007, a exercé un recours devant le Directeur du parquet. Ce dernier a pris sa décision le 26 août 2008; selon lui, il n’apparaissait pas qu’une réduction ait été refusée aux auteurs pour des motifs liés à leur origine ethnique ou leur nationalité à la suite d’une demande spécifique adressée à Thai Travel ou Thai Airways, mais les auteurs avaient pris contact avec le DACoRD parce qu’ils pensaient, après avoir vu l’émission télévisée, pouvoir obtenir leurs billets à moindre prix. Puisqu’il ne semblait pas que ces personnes se soient vu personnellement refuser l’accès à un service au même titre que d’autres pour des motifs liés à leur origine ethnique ou leur nationalité, elles ne pouvaient être réputées avoir un intérêt essentiel, direct, personnel et juridique et n’avaient donc pas le droit d’exercer un recours. Il concluait son raisonnement en affirmant que le DACoRD était un groupe de pression, qui ne pouvait normalement être considéré comme partie à une affaire pénale.

4.7En dépit de ce raisonnement, le Directeur du parquet a décidé d’examiner le recours au fond par référence à l’avis du Comité des plaintes. Il a souligné que cette décision était fondée sur la loi no 374 du 28 mai 2003 sur l’égalité de traitement, sans distinction d’origine ethnique, qui ne prévoit aucune sanction pénale et dont l’application ne relève donc pas de la compétence de la police ni du ministère public. Dans de telles affaires, l’appréciation des éléments de preuve est également soumise à d’autres principes que les violations au regard de la loi no 626 du 29 septembre 1987 sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race. Il a noté en conclusion que Thai Airways avait modifié son système de réduction à la suite de la décision du Comité des plaintes et, qu’en conséquence, l’élément matériel (actus reus) exigé par l’article premier de la loi sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race n’existait pas. Il n’y avait donc pas matière à poursuivre l’enquête dès lors qu’aucune infraction pénale susceptible de justifier des poursuites n’avait été commise.

4.8L’État partie fait valoir que la loi sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race relève du droit pénal danois et que le principe d’objectivité qui régit la fonction du ministère public suppose que nul ne soit poursuivi à moins que le parquet n’estime que les poursuites aboutiront à une condamnation.

4.9La loi sur l’égalité de traitement sans distinction d’origine ethnique, d’autre part, offre une protection en matière civile contre les discriminations et complète ainsi la loi sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race. À certains égards, la protection qui en résulte va au-delà de celle résultant de la loi sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race puisque c’est la règle du partage de la charge de la preuve qui est applicable afin de garantir une application effective du principe de l’égalité de traitement. La loi prévoit aussi l’indemnisation d’un préjudice non pécuniaire. S’agissant du Comité des plaintes, qui a été récemment remplacé par le Bureau de l’égalité de traitement, il peut offrir une autre voie de recours que les juridictions ordinaires et ainsi connaître de plaintes pour discrimination au regard de la loi sur l’égalité de traitement sans distinction d’origine ethnique, bien qu’il ne soit pas habilité à accorder des indemnités pour préjudice pécuniaire.

4.10À propos de la plainte des auteurs, l’État partie fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione personae, les auteurs n’ayant pas la qualité de victime. Se référant à la jurisprudence du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale reprenant le point de vue du Comité des droits de l’homme, l’État partie affirme que pour qu’une personne soit considérée comme une victime, elle doit démontrer soit qu’un fait ou une omission d’un État partie a déjà compromis la jouissance d’un droit qui lui est reconnu, soit qu’un tel effet est imminent, sur la base de la législation et/ou de la pratique judiciaire ou administrative en vigueur. Dans la présente affaire, l’État partie dénie aux auteurs la qualité de victime vu qu’ils n’ont, ni directement ni indirectement, subi personnellement la supposée politique de prix discriminatoire de Thai Airways ou Thai Travel, ni été affectés par cette politique. L’État partie souligne que, dans le cas de Mme Vilstrup, celle-ci a acheté un billet d’avion auprès de Thai Airways pour se rendre du Danemark en Australie alors que la «réduction ethnique» en cause ne concernait que les vols vers la Thaïlande. Cette seule raison suffirait, de l’avis de l’État partie, pour que cet auteur ne puisse être considéré comme une victime en l’espèce. Pour ce qui est des deux autres auteurs, M. Ermansen et Mme Edrich, le vol vers la Thaïlande leur a coûté 6 330 couronnes danoises alors qu’avec la «réduction ethnique», le prix du billet était de 7 960 couronnes danoises. Il en résulte qu’ils ne peuvent être considérés comme des victimes.

4.11L’État partie ajoute que la partie de la plainte des auteurs relative à leur droit de recours devrait être considérée comme irrecevable ratione materiae. Il se réfère à la décision du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans laquelle il a estimé qu’il n’était pas compétent pour se prononcer sur les décisions des autorités nationales concernant la procédure de recours en matière pénale et a donc considéré que la partie correspondante de la communication était irrecevable ratione materiae. En tout état de cause, dans la présente affaire, le Directeur du parquet a, de fait, examiné le recours quant au fond comme il a été indiqué (par. 4.7).

4.12L’État partie fait en outre valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes, étant donné que le dépôt d’une plainte en application de la loi sur l’interdiction des différences de traitement fondées sur la race n’était pas la seule voie de recours effective à la disposition des auteurs. Ainsi qu’il a été indiqué, le Comité des plaintes relatives à l’égalité de traitement (aspects ethniques) avait déjà conclu dans sa décision du 19 septembre 2006 que le système de réduction considéré était contraire à la loi sur l’égalité de traitement sans distinction d’origine ethnique. En se fondant sur cette décision, les auteurs auraient pu engager une action devant les juridictions civiles danoises en vue d’obtenir des indemnités pour préjudice non pécuniaire en application de l’article 9 de la loi sur l’égalité de traitement sans distinction d’origine ethnique et des indemnités pour préjudice pécuniaire en vertu des règles générales du droit danois de la responsabilité civile. Les auteurs étaient au courant de cette voie de recours mais ont décidé de ne pas l’utiliser. L’État partie ajoute que les auteurs avaient aussi la possibilité de soumettre une plainte individuelle au Comité des plaintes pour l’égalité de traitement (aspects ethniques) (ou, après le 1er janvier 2009, au Bureau de l’égalité de traitement) dont la vocation est d’offrir des recours gratuits et souples autres que la saisine des juridictions ordinaires. L’État partie reconnaît toutefois que les décisions de ce comité ont un caractère non contraignant. La saisine du Comité des plaintes aurait en revanche facilité l’accès des auteurs aux tribunaux avec le bénéfice de l’aide juridique gratuite. En s’abstenant d’engager une action au civil et de saisir le Comité des plaintes, les auteurs auraient ainsi manqué à l’obligation d’épuisement des recours internes disponibles.

4.13Sur le fond, l’État partie fait valoir que le paragraphe 1 d) de l’article 2 de la Convention n’impose aucune obligation concrète aux États parties, qui ont donc une marge d’appréciation dans ce domaine. De même, selon lui, tous les États parties auraient une marge d’appréciation pour mettre en œuvre les droits reconnus par la Convention, y compris ceux prévus à l’article 5 f).

4.14S’agissant des affirmations des auteurs au regard du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 6, l’État partie affirme que la police de Copenhague a mené une enquête rapide, approfondie et suffisante sur cette affaire, incluant notamment une analyse de l’émission, l’interrogatoire de la propriétaire de Thai Travel et du directeur des ventes de Thai Airways ainsi que de M. Ermansen, l’un des auteurs. L’État partie insiste sur le fait que la Convention fait obligation aux États parties d’enquêter de manière approfondie sur des faits supposés de discrimination raciale, mais non d’apporter une conclusion spécifique aux enquêtes. L’État partie ajoute que la longueur de la procédure est également due aux auteurs puisque le DACoRD a mis un an et quatre mois pour soumettre les mandats utiles.

4.15L’État partie fait valoir que l’article 6 de la Convention ne confère pas le droit à des personnes d’exercer un recours contre les décisions des autorités administratives nationales devant une instance administrative supérieure. La règle générale reste que seules les parties à une affaire ont la possibilité d’exercer un recours contre une décision relative à des poursuites pénales. L’État partie relève que le Comité des plaintes relatives à l’égalité de traitement (aspects ethniques) a constitué en l’espèce une voie de recours effective pour les auteurs puisqu’il s’est saisi d’office de l’affaire et a rendu une décision sur le système de réduction qui a conduit à sa suppression.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 26 janvier 2010, les auteurs ont commenté les observations de l’État partie. Selon eux, ils étaient des clients durant la période où la pratique discriminatoire en cause existait encore et auraient donc été personnellement victimes d’une discrimination directe fondée sur la race et l’origine ethnique, en violation de l’article 5 f) de la Convention.

5.2Les auteurs font valoir qu’ils ont porté plainte sans retard auprès de la police mais qu’il a fallu ensuite deux ans au Procureur régional pour clore l’enquête. À propos du respect de l’article 5 f), ils se réfèrent à un rapport périodique de l’État partie au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, qui faisait ressortir qu’un petit nombre seulement des plaintes déposées auprès de la police donnaient lieu à un procès et que dans la plupart des cas, les enquêtes étaient closes ou les affaires classées faute d’éléments de preuve. De l’avis des auteurs, la décision du Comité des plaintes du 19 septembre 2006, qui a pu être prise au vu des éléments de preuve produits, est en totale contradiction avec la décision de la police de clore l’enquête, précisément faute d’éléments de preuve. À propos de la rapidité de la procédure, les auteurs insistent sur le fait qu’il a fallu à la police plus d’un an pour demander les mandats nécessaires. Ils considèrent que l’enquête n’a pas été diligentée avec célérité et ne pouvait donc être considérée comme conforme à la Recommandation générale no 31 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale.

5.3Pour ce qui est de la qualité de victime, les auteurs rappellent les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, du Comité des droits de l’homme et du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale qui ont reconnu la qualité de victimes potentielles et la possibilité pour certaines organisations de représenter ces victimes. Les auteurs reconnaissent qu’en principe, l’État partie s’est conformé à l’article 4 de la Convention ainsi qu’à l’article 5 f) puisqu’il s’est doté d’une législation pénale pour les appliquer. Dans la pratique toutefois, les victimes de violations de ces dispositions ont le droit de porter plainte auprès de la police mais il leur est ensuite interdit d’exercer un recours contre la décision prise par celle-ci.

5.4S’agissant de l’épuisement des recours internes, les auteurs insistent sur le fait qu’en dépit de la décision du Comité des plaintes, le Procureur a clos l’enquête sur cette affaire, les privant ainsi de toute possibilité de saisine d’un tribunal et d’appréciation judiciaire des moyens de preuve. Les auteurs rejettent l’argument de l’État partie selon lequel ils auraient pu engager une action au civil ou soumettre une plainte au Comité des plaintes en vue d’épuiser les recours internes. Sur le premier point, ils font valoir que l’action pénale leur donnait la possibilité d’obtenir pleinement réparation puisqu’ils auraient eu accès au tribunal gratuitement et obtenu des indemnités. Une action civile coûte plus cher et n’aboutirait probablement pas à un résultat positif une fois la procédure pénale close faute d’éléments de preuve. Quant à la procédure devant le Comité des plaintes, elle n’offrirait rien de plus que la procédure pénale et les décisions de ce Comité ont un caractère non contraignant. Enfin, les auteurs soulignent qu’en droit danois, les violations de l’article 5 f) de la Convention constituent une infraction pénale et que, de ce fait, les plaintes doivent être portées auprès de la police danoise.

Délibérations du Comité

Examen quant à la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte présentée dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention, décider si la communication est recevable.

6.2Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la communication serait irrecevable ratione personae, les auteurs n’ayant pas la qualité de victime en ce qu’ils n’ont, ni directement ni indirectement, été personnellement visés et/ou affectés par la prétendue pratique discriminatoire de Thai Airways et Thai Travel. Il note que selon l’État partie, Mme Jonna Vilstrup, l’un des auteurs, a acheté un billet d’avion auprès de Thai Airways pour se rendre du Danemark en Australie alors que la «réduction ethnique» en cause ne concernait que les vols vers la Thaïlande. Le Comité note en outre que selon l’État partie, M. Ermansen et Mme Signe Edrich ne pouvaient pas non plus être considérés comme victimes puisqu’ils ont voyagé pour un prix inférieur à celui résultant de la «réduction ethnique». Ces informations n’ont pas été contestées par les auteurs. Le Comité considère que puisque Mme Jonna Vilstrup a acheté un billet qui n’a jamais été concerné par le programme de réduction en cause, elle ne peut pas être considérée comme une victime du prétendu fait discriminatoire fondé sur la race. S’agissant de M. Ermansen et de Mme Signe Edrich, le prix qu’ils ont dû acquitter pour leurs billets était inférieur à celui résultant de la «réduction ethnique». Le Comité relève en outre que le système de «réduction ethnique» n’existe plus, ayant été supprimé par Thai Airways à la suite de la décision du Comité des plaintes relatives à l’égalité de traitement (aspects ethniques), le 19 septembre 2006. Le Comité considère donc que les auteurs ne peuvent prétendre ni être des victimes puisqu’ils n’ont pas été effectivement défavorisés par les faits considérés, ni être des victimes potentielles puisque les faits considérés ne peuvent plus produire d’effet. La communication est donc irrecevable ratione personae au regard du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention.

6.3Étant parvenu à cette conclusion, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par les parties quant à la recevabilité de la communication.

7.En conséquence, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale décide:

a)Que la communication est irrecevable ratione personae au regard du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention;

b)Que cette décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]