NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/PHL/CO/229 mai 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Quarante‑deuxième sessionGenève, 27 avril‑15 mai 2009

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l ’ article 19 de la Convention

Observations finales du Comité contre la torture

PHILIPPINES

1.Le Comité contre la torture a examiné le deuxième rapport périodique des Philippines (CAT/C/PHL/2) à ses 868e et 871e séances (CAT/C/SR.868 et 871), les 28 et 29 avril 2009, et a adopté, à ses 887e et 888e séances (CAT/C/SR.887 et 888), les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le deuxième rapport périodique des Philippines, qui est dans l’ensemble conforme aux directives pour l’établissement des rapports mais manque de statistiques et de renseignements concrets sur l’application des dispositions de la Convention et de la législation nationale pertinente. Le Comité regrette que le rapport ait été soumis avec seize ans de retard.

3.Le Comité accueille avec satisfaction les réponses écrites détaillées à la liste des points à traiter (CAT/C/PHL/Q/2/Add.1), qui ont apporté un précieux complément d’information. Il se félicite également du dialogue riche et fructueux engagé avec la délégation de haut niveau et remercie les représentants de l’État partie pour les informations additionnelles qu’ils ont fournies oralement lors de l’examen du rapport.

B. Aspects positifs

4.Le Comité note avec satisfaction qu’au cours de la période écoulée depuis l’examen du rapport précédent, l’État partie a ratifié les instruments internationaux suivants ou y a adhéré:

a)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, en 2008;

b)Le Protocole facultatif à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, en 2003;

c)Le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2003, et le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en 2002;

d)Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 1989, et le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en 2007;

e)La Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, en 1995;

f)La Convention relative aux droits de l’enfant, en 1990;

g)Le Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, en 2002.

5.Le Comité salue les efforts déployés par l’État partie pour réformer sa législation, ses politiques et ses procédures afin d’assurer une meilleure protection des droits de l’homme, notamment du droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et en particulier:

a)L’adoption, en 2006, de la loi sur la justice pour mineurs et la protection des mineurs (loi de la République no 9344) ainsi que la création du Conseil de la protection des mineurs chargé d’en garantir la bonne application;

b)La promulgation, en 2006, de la loi de la République no 9346 portant abolition de la peine de mort;

c)L’adoption, en 2004, de la loi contre la violence à l’égard des femmes et de leurs enfants (loi de la République no 9262), qui définit la violence à l’égard des femmes et de leurs enfants et prévoit des mesures de protection en faveur des victimes et des peines pour les auteurs de violences;

d)L’adoption, en 2003, de la loi contre la traite des êtres humains (loi de la République no 9208);

e)L’adoption, en 1997, de la loi sur les droits des peuples autochtones (loi de la République no 8371);

f)L’ordonnance administrative no 249 rendue en décembre 2008 qui prescrit aux autorités exécutives d’instituer des politiques, des programmes et des projets pour renforcer les droits de l’homme aux Philippines;

g)L’adoption par la Cour suprême en octobre 2007 du Règlement sur le recours en amparo et sur le recours en habeas data.

6.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a lancé un certain nombre de politiques, de programmes et de projets concrets, notamment le projet en faveur de l’accès des pauvres à la justice, le programme de justice itinérante («Justice on Wheels») de la Cour suprême et la directive récemment adoptée par la Commission nationale de la police qui vise à mettre en place des bureaux des droits de l’homme dans tous les postes de police du pays.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Torture et mauvais traitements et insuffisance des garanties pendant la garde à vue

7.Bien que l’État partie ait donné l’assurance que la torture et les mauvais traitements de suspects ou de détenus n’étaient pas tolérés ni excusés par la Police nationale philippine et que tout manquement faisait l’objet de mesures appropriées, le Comité est profondément préoccupé par le grand nombre d’allégations persistantes, crédibles et concordantes, confirmées par diverses sources philippines et internationales, qui font état de l’utilisation systématique et généralisée de la torture et des mauvais traitements sur les suspects en garde à vue, en particulier pour obtenir des aveux ou des renseignements qui seront versés à la procédure dans des affaires pénales. En outre, malgré la promulgation de la loi sur les droits des personnes arrêtées, détenues ou placées en garde à vue (loi de la République no 7438), les garanties fondamentales pour les détenus sont insuffisantes dans la pratique, ainsi:

a)Les détenus ne sont pas traduits sans délai devant un juge, ce qui fait qu’ils peuvent rester longtemps en garde à vue;

b)Il n’existe pas d’enregistrement systématique de tous les détenus, y compris des mineurs, et il n’est pas tenu de registre pour toutes les périodes de détention avant jugement;

c)La possibilité de communiquer avec un avocat et de voir un médecin indépendant est limitée et les détenus ne sont pas informés de leurs droits quand ils sont placés en détention, notamment du droit de prendre contact avec leur famille (art. 2, 10 et 11).

À titre d ’ urgence, l ’ État partie devrait prendre des mesures immédiates pour empêcher la pratique de la torture et des mauvais traitements dans tout le pays, et annoncer une politique d ’ élimination totale de tout mauvais traitement ou acte de torture de la part d ’ agents de l ’ État .

Dans le cadre de cette action, l ’ État partie devrait mettre rapidement en œuvre des mesures efficaces afin de garantir que chaque détenu bénéficie réellement de toutes les garanties fondamentales dès le début de sa détention. Il s ’ agit en particulier du droit de bénéficier de l ’ assistance d ’ un avocat et d ’ être examiné par un médecin indépendant, d ’ aviser un proche et d ’ être informé de ses droits au moment du placement en détention, y compris du droit d ’ être informé des charges qui pèsent contre lui ainsi que du droit d ’ être déféré devant un juge dans un délai conforme aux normes internationales. L ’ État partie devrait également veiller à ce que tout suspect, y compris mineur, qui fait l ’ objet d ’ une enquête pénale soit inscrit sur un registre central correctement tenu.

L ’ État partie devrait également renforcer ses programmes de formation à l ’ intention de tous les agents des forces de l ’ ordre ainsi que de tous les membres de l ’ appareil judiciaire et des procureurs en ce qui concerne l ’ interdiction absolue de la torture, étant donné que la Convention lui fait obligation d ’ or ganiser une telle formation. De  plus, il devrait exercer une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d ’ interrogatoire en vue d ’ éviter tout cas de torture .

Exécutions extrajudiciaires et disparitions forcées

8.Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie en ce qui concerne les exécutions extrajudiciaires, notamment de la création en 2006 de la Commission indépendante chargée de la question des assassinats de journalistes et de militants (la Commission Melo) et de plusieurs équipes spéciales de coordination et d’enquête telles que l’unité spéciale USIG. Toutefois, le Comité est gravement préoccupé par le nombre d’assassinats de journalistes et de militants qui ont été commis ces dernières années ainsi que par les informations selon lesquelles, bien que leur nombre total ait diminué, ces assassinats continuent, de même que les disparitions forcées (art. 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures concrètes pour mener sans délai des enquêtes efficaces et impartiales sur toutes les allégations relatives à la participation de membres des forces de l ’ ordre à des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées . Il devrait informer le  Comité dans son prochain rapport périodique des démarches et des mesures entreprises pour s ’ attaquer à la pratique des exécutions extrajudiciaires et d ’ autres violations des droits de l ’ homme, y compris les violations commises par des agents extérieurs à l ’ État. À ce sujet, l ’ État partie devrait mettre en œuvre les recommandations formulées par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires dans le rapport qu ’ il a établi à la suite de sa visite aux Philippines en février 2007 (A/HRC/8/3/Add.2).

Impunité

9.Le Comité note avec une vive inquiétude que les allégations crédibles faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements imputés à des membres des forces de l’ordre et des forces armées font rarement l’objet d’enquêtes et de poursuites et que les auteurs sont rarement condamnés ou, quand ils le sont, sont condamnés à des peines légères qui ne sont pas en rapport avec la gravité de leurs crimes. Le Comité se déclare de nouveau sérieusement préoccupé par le climat d’impunité qui règne en faveur des auteurs d’actes de torture, notamment des membres des forces armées, de la police et d’autres corps de l’État, en particulier ceux qui occupent des positions élevées, qui auraient planifié, ordonné ou perpétré des actes de torture (art. 2, 4 et 12).

L ’ État partie devrait faire en sorte que toutes les allégations d ’ actes de torture ou de mauvais traitements fassent sans délai l ’ objet d ’ enquêtes effectives et impartiales et que les auteurs de tels actes soient poursuivis et condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes, comme l ’ exige l ’ article 4 de la Convention .

En outre, les autorités devraient annoncer publiquement une politique d ’ élimination totale des actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants et appuyer les poursuites à l ’ encontre de leurs auteurs .

Définition de la torture

10.Le Comité relève que l’État partie affirme que le Code pénal révisé érige tous les actes de torture en infractions pénales et établit les peines correspondantes, et a pris note de l’explication donnée par la délégation à ce sujet. Il est toutefois préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas incorporé dans son droit interne une définition de l’infraction de torture conforme à l’article premier de la Convention. Le Comité prend note des informations relatives à l’adoption récente du projet de loi contre la torture par la Chambre des représentants, mais il s’inquiète du retard mis pour légiférer sur cette matière(art. 1er et 4).

L ’ État partie devrait prévoir l ’ infraction spécifique de torture dans son droit interne et adopter une définition de la torture qui couvre tous les éléments figurant à l ’ article premier de la Convention. Le Comité estime qu ’ en qualifiant une infraction de torture distincte des autres infractions et en la définissant selon les termes de la  Convention les États parties font directement progres ser l ’ objectif primordial de la  Convention qui est de prévenir la torture, notam ment en faisant savoir à tous −  responsables, victimes et population en général − qu e la torture est un crime d ’ une  gravité particulière et en augmentant l ’ effet d issuasif de l ’ interdiction elle ‑ même . Le Comité demande donc instamment à l ’ État partie de promulguer rapidement la loi contre la torture.

Défenseurs des droits de l ’ homme et autres personnes en situation de risque

11.Le Comité prend note avec préoccupation des nombreux rapports signalant que les défenseurs des droits de l’homme sont victimes de harcèlement et de violences, ce qui entrave le bon fonctionnement des groupes de la société civile qui surveillent la situation. Le Comité est également préoccupé par les informations indiquant que d’autres personnes sont aussi souvent victimes de violations graves des droits de l’homme, notamment d’actes de torture, de mauvais traitements, d’assassinats, de disparitions et de harcèlement. Parmi les groupes ainsi visés figurent des défenseurs des droits des autochtones tels que les Lumads de Mindanao et les Igorots de la Cordillère, des syndicalistes et des militants paysans, des journalistes et des reporters, du personnel médical ainsi que des dirigeants religieux(art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que toutes les personnes, notamment celles qui surveillent la situation des droits de l ’ homme, soient protégées contre tout acte d ’ intimidation ou de violence du fait de leurs activités et de l ’ exercice des garanties des droits de l ’ homme, faire en sorte que des enquêtes, impartiales et eff icaces soient menées sans délai sur ces actes et engager des poursuites contre les auteurs et les condamner à des  peines en rapport avec la nature de leurs actes .

À la lumière de l ’ Observation générale n o  2 du Comité (CAT/C/GC/2, par. 21), l ’ État  partie devrait garantir la protection des membres de groupes particulièrement exposés aux mauvais traitements, notamment en poursu ivant et en punissant les  auteurs de tous les actes de violence ou mauvais traitements à l ’ encontre de ces  personnes et en veillant à la mise en œuvre de mes ures positives de prévention et  de protection .

Pratique de facto du placement en détention de suspects

12.Le Comité est profondément préoccupé par la pratique de facto du placement en détention de suspects par la Police nationale philippine (PNP) et les Forces armées philippines dans des centres de détention, des lieux de détention clandestins et des camps militaires. Bien que les autorités soient tenues de procéder à l’inculpation d’une personne dans les douze à trente‑six heures suivant l’arrestation si celle‑ci a été opérée sans mandat, en fonction de la gravité de l’infraction commise, la détention provisoire prolongée demeure un problème, en raison de la lenteur de la procédure judiciaire. Les arrestations sans mandat seraient fréquentes et les personnes soupçonnées d’une infraction pénale risquent la torture et des mauvais traitements. Les arrestations sans mandat et l’absence de contrôle judiciaire de la légalité de la détention par les autorités judiciaires peuvent ouvrir la voie à la torture et aux mauvais traitements (art. 2 et 11).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour faire cesser la  pratique de facto du placement en détention de suspects par la Police nationale philippine et les Forces armées philippines , en particulier la détention provisoire prolongée et les arrestations sans mandat. À ce sujet , l ’ État partie devrait prendre toutes les mesures voulues pour réduire encore la durée de l a garde à vue et de la  détention avant inculpation, et concevoir et applique r des mesures de substitution à  l ’ emprisonnement, comme la probation, la médiation, le travail d ’ intérêt général ou  les peines avec sursis .

Législation antiterroriste

13.Le Comité est conscient de la situation difficile qui règne aux Philippines en raison du conflit armé interne et reconnaît que l’État partie est en butte à une insurrection de longue date. Toutefois, il est préoccupé par la loi de 2007 sur la sécurité de la personne (loi de la République no 9372), qui a été critiquée pour la définition trop étendue qui y est donnée des «crimes terroristes», par l’application stricte d’une peine d’emprisonnement de quarante ans, par la compétence de plusieurs organes autorisés à réexaminer la légalité de la détention d’un individu ainsi que par les restrictions à la liberté de déplacement. Le Comité est également préoccupé par le fait que la loi permet de placer les suspects en détention sans mandat ni inculpation pour une durée allant jusqu’à soixante‑douze heures (art. 2 et 16).

L ’ État partie devrait réviser la loi de 2007 sur la sécurité de la personne et y apporter les modifications nécessaires pour la mettre en conformité avec les normes internationales en matière de droits de l ’ homme.

Non-refoulement

14.Le Comité prend note de la déclaration de la délégation, qui a affirmé que l’État partie n’avait jamais organisé quelque forme que ce soit de «transferts spéciaux» ou de renvoi, ni pris part à de telles opérations, et qu’il n’avait jamais reçu une demande d’extradition concernant une personne qui risquait d’être soumise à la torture. En dépit de l’interdiction faite à l’article 57 de la loi de 2007 sur la sécurité de la personne, relatif à «l’interdiction des transfert spéciaux», le Comité s’inquiète de ce que la loi semble permettre que des individus appréhendés aux Philippines soient livrés à des pays qui pratiquent couramment la torture, tant que l’État de destination donne l’assurance que l’intéressé sera bien traité (art. 3).

L ’ État partie devrait s ’ assurer qu ’ il respecte intégralement les dispositions de l ’ article 3 de la Convention et faire en sorte que la situation des individus relevant de sa juridiction soit prise suffisamment en considération par les autorités compétentes et que ces individus soient traités de façon équitable à tous les stades de la procédure, y compris en ayant la possibilité d ’ obtenir un réexamen effectif, indépendant et impartial des décisions d ’ expulsion, de renvoi ou d ’ extradition.

À ce sujet, l ’ État partie devrait veiller à ce que des autorités judiciaires et administratives compétentes procèdent à une évaluation approfondie et complète de la situation des étrangers entrés ou séjournant illégalement aux Philippines avant de prendre un arrêté d ’ expulsion, y compris dans le cas des individus qui peuvent représenter une menace pour la sécurité, de façon à garantir que les intéressés ne soient pas soumis à la torture ou une peine ou un traitement inhumain ou dégradant dans le pays dans lequel ils seraient renvoyés.

Enquêtes rapides, approfondies et impartiales

15.Le Comité note que beaucoup d’organes sont habilités à enquêter sur les plaintes pour torture et mauvais traitements mais il s’inquiète du grand nombre de plaintes pour actes de torture et mauvais traitements imputés à des agents des forces de l’ordre, du petit nombre d’enquêtes menées à bien par l’État partie sur ces affaires et du nombre très faible de condamnations auxquelles ont donné lieu les affaires qui ont fait l’objet d’une enquête. De surcroît, ces organes n’ont pas l’indépendance voulue pour examiner des plaintes individuelles dénonçant les comportements de membres de la police et de l’armée (art. 12 et 16).

L ’ État partie devrait renforcer les mesures qu ’ il prend pour faire en sorte que toutes les plaintes dénonçant des actes de torture et des mauvais traitements commis par des agents des forces de l ’ ordre fassent sans délai l ’ objet d ’ enquêtes impartiales et efficaces. En particulier, ces enquêtes ne devraient pas être effectuées par la police ou sous la responsabilité de celle-ci, mais par un organe indépendant. Pour les affaires dans lesquelles il existe une forte présomption que la plainte pour torture ou mauvais traitements est fondée, le suspect devrait, en règle générale, être suspendu de ses fonctions ou muté pendant la durée de l ’ enquête, afin d ’ empêcher qu ’ il n ’ entrave l ’ enquête ou qu ’ il ne continue de commettre tout acte qui serait inacceptable, en violation de la Convention.

L ’ État partie devrait faire en sorte que les auteurs de tels actes soient traduits en justice et que ceux qui sont reconnus coupables soient condamnés afin de garantir que les agents des forces de l ’ ordre responsables de violations de la Convention rendent compte de leurs actes.

Efficacité et indépendance de la Commission des droits de l ’ homme

16.Le Comité relève avec préoccupation que dans plusieurs cas l’entrée dans les prisons et autres lieux de détention, généralement ceux qui relèvent de la juridiction militaire, a été refusée à la Commission des droits de l’homme. Il s’inquiète aussi de ce que l’article 19 de la loi de 2007 sur la sécurité de la personne donne à la Commission des droits de l’homme la faculté de prolonger la détention de suspects. De l’avis du Comité, ces mesures compromettent la capacité de la Commission des droits de l’homme de surveiller le respect par l’État partie des droits fondamentaux (art. 2, 11 et 12).

L ’ État partie devrait prendre les mesures voulues pour renforcer le mandat de la Commission des droits de l ’ homme, notamment en ce qui concerne l ’ accès aux lieux de détention, et l ’ indépendance de cet organe, en adoptant notamment le projet de charte de la Commission des droits de l ’ homme et en allouant les ressources suffisantes pour permettre sa mise en œuvre effective. Le mandat de la Commission en ce qui concerne les visites des lieux de détention doit lui assurer un accès illimité et sans entraves à tous les lieux de détention, même ceux qui relèvent de la juridiction militaire.

Mauvais traitements dans les centres de détention

17.Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises par le Bureau d’administration pénitentiaire et de pénologie de l’État partie afin d’améliorer les conditions de détention, notamment la libération en 2008 de 3 677 détenus, ce qui représente 9 % de la population carcérale, mais il s’inquiète d’une surpopulation grave, de l’insuffisance des installations et de l’absence de services essentiels (art. 11 et 16).

Le Comité recommande à l ’ État partie:

a) De poursuivre ses efforts pour réduire la surpopulation carcérale, notamment en appliquant des peines de substitution à l ’ emprisonnement et en augmentant les ressources budgétaires allouées pour développer et rénover l ’ infrastructure des prisons et des autres lieux de détention;

b) D ’ adopter la loi de modernisation du Bureau d ’ administration pénitentiaire et de pénologie de 2007 (projet de loi parlementaire n o 00665), déposée le 30 juillet 2007, qui vise à améliorer les infrastructures matérielles des prisons et des centres de détention;

c) De prendre des mesures concrètes pour améliorer encore les conditions de vie dans les lieux de détention.

Violence s sexuelle s en détention

18.Le Comité prend note de la promulgation de plusieurs textes de loi pertinents et relève que l’État partie a mis en place en tout 31 dortoirs pour femmes mais il est gravement préoccupé par les nombreuses allégations faisant état de viols, d’agressions sexuelles et de tortures contre des femmes détenues commis par des policiers, des militaires et des agents ou membres du personnel pénitentiaire. À ce sujet, le Comité est préoccupé par les informations qui signalent que, dans beaucoup d’établissements pénitentiaires de province, les femmes sont toujours détenues avec les hommes et que des agents pénitentiaires continuent d’être affectés à la surveillance des femmes, en violation du règlement de l’administration pénitentiaire (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait prendre des mesures efficaces pour empêcher les violences sexuelles dans les prisons, notamment en réexaminant les politiques et les procédures applicables à la garde et au traitement des détenus, en garantissant que les jeunes détenus soient séparés des adultes et que les femmes soient séparées des hommes, en  assurant la mise en œuvre des règlements qui imposent d ’ affecter à la surveillance des femmes détenues du personnel du même sexe, et en surveillant et signalant les cas de violences sexuelles en détention; l ’ État partie devrait présenter au Comité des données ventilées selon des indicateurs pertinents.

L ’ État partie devrait également prendre des mesures efficaces pour que les détenus qui déclarent avoir été victimes de violences sexuelles puissent le signaler sans risquer d ’ être soumis à des mesures punitives de la part du personnel, pour protéger les détenus qui signalent des agressions sexuelles contre les représailles des auteurs de violences, pour ouvrir sans délai des enquêtes efficaces et impartiales et engager des poursuites dans tous les cas de violences sexuelles en détention et pour garantir l ’ accès à des soins médicaux et des soins de santé mentale, en toute confidentialité, ainsi qu ’ une réparation, y compris sous la forme d ’ une indemnisation et d ’ une aide à la réadaptation, aux victimes de violences sexuelles en détention.

De plus, le Comité engage l ’ État partie à promulguer la loi de 2008 sur l ’ élimination du viol en prison.

Enfants en détention

19.Le Comité apprécie la précision de l’État partie qui a expliqué les mesures prises afin de diminuer le nombre d’enfants en détention, notamment la promulgation de la loi de 2006 sur la protection des mineurs délinquants (loi de la République no 9344), la mise en place de différents services de protection sociale à l’intention des enfants en conflit avec la loi et la libération de 565 mineurs en 2008, mais il note avec préoccupation que le nombre d’enfants en détention est toujours élevé et il a reçu des informations indiquant que dans les faits, les enfants ne sont pas détenus séparément des adultes dans l’ensemble du pays, bien que cette obligation soit expressément prévue dans la loi de protection des mineurs délinquants (art. 11 et 16).

L ’ État partie devrait réduire encore le nombre d ’ enfants en détention et garantir que les mineurs de 18 ans ne soient pas incarcérés avec les adultes; il devrait veiller à ce que soient appliquées des mesures de substitution à la privation de liberté, comme la libération conditionnelle, le travail d ’ intérêt général ou les sursis à exécution des peines, à ce que les professionnels de la réadaptation et de la réinsertion sociale des enfants bénéficient d ’ une formation suffisante et à ce que la privation de liberté ne soit prononcée qu ’ à titre de mesure de dernier ressort, pour une durée aussi brève que possible et dans des conditions appropriées.

Formation

20.Le Comité prend note des informations détaillées présentées par l’État partie sur le volet droits de l’homme dans les programmes et les sessions de formation de toutes les unités militaires et les unités des forces de l’ordre, en coopération étroite avec la Commission des droits de l’homme. Toutefois, il est préoccupé par l’absence d’information sur le suivi de ces programmes de formation et sur l’évaluation de leur efficacité dans la diminution des cas de torture et de mauvais traitements (art. 10).

L ’ État partie devrait développer encore et renforcer les programmes de formation pour faire en sorte que tous les agents des forces de l ’ ordre et les personnels pénitentiaires connaissent bien les dispositions de la Convention et sachent qu ’ aucun manquement signalé ne sera toléré et fera l ’ objet d ’ une enquête, et que son auteur sera poursuivi. Tous les personnels devraient recevoir une formation spéciale afin d ’ apprendre à détecter les signes de torture et de mauvais traitements, notamment en utilisant le Protocole d ’ Istanbul, qui devrait être fourni aux médecins et traduit en philippin et dans d ’ autres langues, selon qu ’ il convient , et effectivement mis en œuvre . De plus, l ’ État partie devrait évaluer l ’ efficacité et l ’ incidence des programmes de formation et d ’ enseignement.

Protection des témoins

21.Le Comité prend note des renseignements donnés par l’État partie, qui a présenté notamment le projet de loi visant à renforcer le programme de protection des témoins et les activités récentes menées dans le cadre de ce programme, mais il se déclare préoccupé par les informations indiquant que le programme n’est pas suffisamment mis en œuvre, que les actes d’intimidation dissuadent les témoins de se présenter pour se prévaloir du programme et que les détenus qui subissent des mauvais traitements sont souvent obligés par la police à signer des documents renonçant à porter plainte ou déclarant le contraire. Le Comité a relevé avec préoccupation que la délégation a déclaré que sauf dans quelques villes très urbanisées, les conditions qui règnent dans les tribunaux philippins ne permettent guère aux témoins d’avoir l’assurance qu’ils sont bien protégés s’ils participent à un procès (art. 13).

L ’ État partie devrait à titre prioritaire prendre les mesures nécessaires pour renforcer le programme de protection des témoins mis en place par la loi sur la protection et la sécurité des témoins (loi de la République n o 6981) afin de garantir la sécurité des témoins de faits de torture et d ’ autres violations des droits de l ’ homme. L ’ État partie doit accorder une priorité élevée au financement et à la mise en œuvre effective de ce programme.

Réparation, y compris sous la forme d ’ une i ndemnisation et d ’ une aide à la réadaptation

22.Le Comité accueille avec satisfaction la création d’un bureau des requêtes relevant du Ministère de la justice à l’intention des victimes d’emprisonnement ou de détention arbitraire et des victimes d’infractions violentes. Toutefois, les renseignements communiqués au Comité au sujet du nombre de victimes de torture et de mauvais traitements qui peuvent avoir été indemnisées et au sujet des montants accordés dans ces cas sont insuffisants et le Comité note avec préoccupation des informations signalant que l’indemnisation était insuffisante, que des refus étaient arbitrairement opposés et que le traitement des demandes était retardé. Le Comité regrette de n’avoir pas eu de renseignements sur les services de traitement et de réinsertion sociale, et sur les autres formes d’assistance assurées aux victimes, notamment les services de réadaptation médicale et psychosociale. Toutefois, il prend note des renseignements donnés dans les réponses écrites à la liste des points à traiter qui indiquent que le projet de loi visant à lutter contre la torture prévoit l’établissement d’un programme de réadaptation dans l’année qui suit l’entrée en vigueur du texte de loi (art. 14).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour offrir aux victimes de tortures et de mauvais traitements une indemnisation juste et adéquate, une réparation et la réadaptation la plus complète possible. Il devrait faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur tout programme de réparation, ainsi que sur le traitement des traumatismes et les autres formes de réadaptation offert e s aux victimes de tortures et de mauvais traitements, et indiquer si des ressources suffisantes ont été allouées pour assurer le bon fonctionnement de ces programmes.

Aveux obtenus sous la contrainte

23.Le Comité relève que les paragraphes d) et e) de l’article 2 de la loi de la République no 7438 et l’article 25 de la loi de 2007 sur la sécurité de la personne interdisent l’admissibilité des preuves obtenues par la torture ou la contrainte, mais il note avec préoccupation que d’après certaines informations reçues cette interdiction n’est pas respectée dans tous les cas et que c’est au suspect et non à l’accusation qu’il incombe de prouver que la déclaration a été faite à la suite de tortures (art. 15).

L ’ État partie devrait prendre les mesures voulues pour garantir que les preuves obtenues sous la torture ou la contrainte soient déclarées irrecevables par les tribunaux dans tous les cas, conformément aux dispositions de l ’ article 15 de la Convention.

Enfants impliqués dans un conflit armé

24.Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption de plusieurs mesures d’ordre législatif et autre, notamment du programme complet en faveur des enfants impliqués dans un conflit armé en 2001, la création en 2004 d’une commission interinstitutionnelle sur les enfants impliqués dans un conflit armé, les activités de la Commission nationale sur les peuples autochtones ainsi que la visite du Représentant spécial du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies pour les enfants et les conflits armés, en décembre 2008. Toutefois, il exprime sa vive préoccupation face aux allégations qui indiquent que les enfants sont toujours enlevés et enrôlés dans l’armée par des groupes armés extérieurs à l’État, dont le Front de libération islamique Moro, la Nouvelle Armée du peuple et le groupe Abu Sayyaf (art. 16).

L ’ État partie devrait prendre les mesures voulues, dans tous les domaines et d ’ une façon aussi poussée que possible pour empêcher les enlèvements d ’ enfants et leur recrutement par les groupes armés qui n ’ appartiennent pas aux forces de l ’ État. Il devrait également prendre les mesures nécessaires pour faciliter la réinsertion dans la société des anciens enfants soldats.

Violence dans la famille

25.Le Comité prend note des différentes mesures prises par l’État partie, notamment la promulgation en 2004 de la loi contre la violence à l’égard des femmes et de leurs enfants (loi de la République no 9262) et la mise en place d’un nombre important de bureaux d’accueil pour les femmes et les enfants dans les postes de police de tout le pays et du centre de protection des femmes et des enfants de la police nationale. Il se déclare toutefois préoccupé par la prévalence de la violence contre les femmes et les enfants, notamment dans la famille. Il s’inquiète également de l’absence de statistiques pour tout le pays sur la violence dans la famille et de l’insuffisance des données statistiques relatives aux plaintes, aux poursuites et aux condamnations dans les affaires de violence dans la famille (art. 1er, 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait intensifier ses efforts pour prévenir, combattre et réprimer la violence à l ’ égard des femmes et des enfants, notamment dans la famille. Le Comité engage l ’ État partie à dégager des ressources financières suffisantes pour garantir l ’ application effective de la loi contre la violence à l ’ égard des femmes et de leurs enfants. Il l ’ encourage à participer directement aux programmes de réadaptation et d ’ assistance juridique et à mener des campagnes de sensibilisation à plus grande échelle à l ’ intention de tous les agents (juges, membres des forces de l ’ ordre, personnel de justice et travailleurs sociaux) qui sont en contact direct avec les victimes. Le Comité recommande aussi à l ’ État partie d ’ intensifier ses efforts en ce qui concerne la recherche et la collecte de données relatives à l ’ ampleur de la violence dans la famille.

De plus, l ’ État partie est encouragé à mettre en œuvre sans délai la Charte sur les femmes (proposition de loi n o  4273), qui est la traduction en langue nationale de la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes.

Traite des êtres humains

26.Le Comité relève les efforts importants de l’État partie, notamment les condamnations récentes de trafiquants, l’adoption en 2003 de la loi contre la traite des êtres humains (loi de la République no 9208) portant création du Conseil interinstitutionnel contre la traite chargé de coordonner et de surveiller son application et le projet intitulé «Nous ne sommes pas à vendre: la parole aux victimes de la traite»; toutefois, il est préoccupé par le fait que les Philippines continuent d’être un pays d’origine, de transit et de destination pour la traite internationale des femmes et des enfants à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé. Le Comité regrette que le nombre d’enregistrements de plaintes, de poursuites et de condamnations de responsables de la traite soit très faible et que beaucoup de ces affaires soient classées au stade préliminaire (art. 2, 12 et 16).

L ’ État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre les dispositions législatives qui visent à lutter contre la traite et pour assurer aux victimes une protection et l ’ accès à des services médicaux et sociaux, à des services de réinsertion sociale et à des services juridiques, y compris de conseil le cas échéant. L ’ État partie devrait également créer des conditions de nature à permettre aux victimes d ’ exercer leur droit de porter plainte, mener sans délai des enquêtes impartiales et effectives sur tous les cas signalés de trafic et faire en sorte que les responsables soient traduits en justice et sanctionnés par des peines en rapport avec la nature de leurs crimes.

Collecte de données

27.Le Comité regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations auxquelles les affaires de torture et de mauvais traitement imputées à des membres des forces de l’ordre et de l’armée ont donné lieu, ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite des êtres humains et les violences familiales et sexuelles. Le Comité relève qu’il est indiqué dans le rapport qu’«il est difficile d’établir des statistiques concernant la suite donnée aux plaintes pour actes de torture en raison de l’absence de loi définissant spécifiquement la torture» (art. 12 et 13).

L ’ État partie devrait rassembler des données statistiques utiles pour la surveillance de l ’ application de la Convention au plan national, notamment sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations portant sur les affaires de torture et de mauvais traitement, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, la traite et les violences familiales et sexuelles ainsi que sur la réparation, l ’ indemnisation et la réadaptation assurées aux victimes.

28.Le Comité accueille avec satisfaction les démarches de l’État partie tendant à la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et encourage l’État partie à envisager de le ratifier dès que possible.

29.Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention.

30.Le Comité note que l’État partie a ratifié tous les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme en vigueur et il l’invite à ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

31.Le Comité invite l’État partie à soumettre son document de base commun en suivant les directives harmonisées concernant l’établissement de rapports, suivant les recommandations des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme qui figurent dans le document HRI/GEN/2/Rev.5.

32.L’État partie est encouragé à diffuser largement son rapport au Comité et les présentes observations finales, dans toutes les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

33.Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 7, 15, 16, 18 et 19.

34.L’État partie est invité à faire parvenir son prochain rapport périodique, qui sera considéré comme le troisième rapport périodique, avant le 15 mai 2013.

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