Trente-neuvième session

23 juillet-10 août 2007

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Kenya

Le Comité a examiné le rapport unique valant cinquième et sixième rapports périodiques du Kenya (CEDAW/C/KEN/6) à ses 799e et 800e séances, le 27 juillet 2007 (voir CEDAW/C/SR.799 B et 800 B). La liste des questions dont le Comité était saisi figure dans le document CEDAW/C/KEN/Q/6 et les réponses du Kenya font l’objet du document CEDAW/C/KEN/Q/6/Add.1.

Introduction

Le Comité remercie l’État partie de son rapport unique valant cinquième et sixième rapports périodiques qui a été établi selon les directives du Comité pour l’élaboration des rapports. Il sait également gré à l’État partie de sa présentation orale, des réponses écrites à la liste des questions soulevées par son groupe de travail présession et des précisions supplémentaires apportées pour répondre aux questions posées oralement par le Comité.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir envoyé une délégation dirigée par le Ministre délégué à l’égalité des sexes, aux sports, à la culture et aux services sociaux et comprenant des représentants de différents services ministériels spécialisés dans toute une série de questions abordées dans la Convention. Le Comité se félicite du dialogue franc et constructif qui a eu lieu entre la délégation et ses membres.

Le Comité note avec satisfaction que le rapport a été élaboré avec la participation d’entités gouvernementales et d’organisations non gouvernementales. Il se félicite par ailleurs que le Gouvernement ait tenu des ateliers avec toute une gamme d’entités gouvernementales et d’organisations non gouvernementales sur la suite donnée aux observations finales faites à l’issue de l’examen du rapport unique valant troisième et quatrième rapports périodiques du Kenya en 2003 (voir A/58/38).

Aspects positifs

Le Comité félicite l’État partie d’avoir instauré l’enseignement primaire gratuit et obligatoire en 2003.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir adopté en 2001 la loi relative à l’enfance qui interdit les mutilations génitales féminines ainsi que les mariages forcés et précoces de mineurs.

Le Comité se félicite de l’attention accordée par l’État partie aux handicapés, ainsi que l’atteste l’adoption en 2003 de la loi sur les personnes handicapées (chap. 14 de la législation kényane) et la création du Conseil des personnes handicapées.

Le Comité se félicite de la promulgation en 2003 de la loi relative à l’éthique des fonctionnaires qui interdit le harcèlement sexuel sur le lieu de travail.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir créé le Fonds public de développement qui vise à améliorer les conditions de vie des femmes habitant en milieu rural.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Tout en rappelant l ’ obligation qui incombe à l ’ État partie de mettre en œuvre de façon systématique et continue toutes les dispositions de la Convention, le Comité estime que les sujets de préoccupation et les recommandations figurant dans les présentes observations finales requièrent l ’ attention prioritaire de l ’ État partie entre maintenant et la présentation du prochain rapport périodique. Il appelle par conséquent l ’ État partie à faire porter ses activités de mise en œuvre sur ces domaines et à rendre compte des mesures prises et d es résultats obtenus dans son prochain rapport périodique. Il l’appelle également à soumettre les présentes observations finales à tous les ministères et au Parlement afin de veiller à ce qu’il leur soit pleinement donné suite .

Tout en notant que l’État partie s’efforce d’adopter une nouvelle constitution, qui supprimerait les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, le Comité est profondément préoccupé par le fait que les alinéas b) et c) du paragraphe 4 de l’article 82 de la Constitution kényane disposent que la garantie de non-discrimination prévue par la Constitution ne s’applique pas aux droits personnels, s’agissant en particulier du mariage, du divorce, de l’adoption, des obsèques et de la succession. Il est également préoccupé par l’article 90 de la Constitution qui dispose que la citoyenneté du père détermine la citoyenneté acquise à la naissance dans le cadre du mariage. Il note que ces dispositions sont discriminatoires vis-à-vis des femmes et incompatibles avec la Convention. Il note également avec préoccupation que la Convention n’a pas été entièrement incorporée dans le système juridique national.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d e réviser sans plus tarder la C onstitution de sorte à abroger les alinéas b) et c) du paragraphe 4 de l ’ article 8 2 et l ’ article 90 de la Constitution ainsi que toutes autres dispositions discriminatoires afin de garantir l ’ égalité des droits aux hommes et aux femmes conformément à l ’ alinéa a) de l ’ article 2 et à l ’ article 9 de la Convention. Le Comité encourage l ’ État partie à incorporer sans plus tarder la Convention dans le système juridique national.

Le Comité note avec inquiétude que bien que le Kenya ait ratifié la Convention en mars 1984, une définition de la discrimination à l’égard des femmes qui soit conforme à l’article premier de la Convention interdisant la discrimination directe et indirecte n’a pas encore été incorporée dans la Constitution ou autre législation appropriée.

Le Comité appelle l ’ État partie à inclur e dans la Constitution ou autre législation appropriée une définition de la discrimination à l ’ égard des femmes qui porte à la fois sur la discrimination directe et la discrimination indirecte , conformément à l ’ article premier de la Convention.

Le Comité est préoccupé de constater que la Convention ne joue pas encore un rôle central dans l’élaboration des lois et politiques visant l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et la réalisation de l’égalité entre les sexes.

Le Comité prie l ’ État partie de fonder les efforts qu’il déploie en vue de la réalisation de l ’ égalité entre les sexes et de la promotion de la femme sur la Convention , qui est de vaste portée . Il l’ encourage à tenir compte de cette dernière dans la législation appropriée et dans l’ensemble des plans et politiques gouvernementaux , dans tous les secteurs et à tous les niveaux.

Tout en se félicitant des efforts déployés par l’État partie pour réformer sa législation, en particulier les travaux de la Commission de réforme législative kényane, le Comité constate avec préoccupation qu’une réforme juridique d’ensemble visant à éliminer les dispositions discriminatoires fondées sur le sexe, à combler les lacunes législatives et à faire en sorte que le cadre juridique kényan soit pleinement conforme aux dispositions de la Convention et que l’égalité de jure des femmes et des hommes devienne une réalité ne semble guère prioritaire. Le Comité est préoccupé en particulier de voir que les projets de loi sur la violence au sein de la famille (protection de la famille), sur les biens matrimoniaux et sur l’égalité des chances qui ont fait l’objet de différentes versions depuis 1999, n’ont toujours pas été adoptés.

Le Comité prie l ’ État partie de mener à bien sans délai sa ré forme législative afin que tou s les textes législatifs discriminatoires soient modifiés ou abrogés et la Convention et les recommandations générales du Comité respectées . Il encourage l ’ État partie à définir un calendrier précis pour cette réforme et en particulier l’adoption des projets de loi sur la violence au sein de la famille (protection de la famille) , sur l ’ égalité des chances et sur les biens matrimoniaux . Il demande à l ’ État partie de faire prendre conscience aux législateurs de la nécessité d ’ accorder une attention prioritaire à cette réforme afin de parvenir à l ’ égalité de jure entre les hommes et les femmes et au respect par l ’ État partie d es obligations qui lui incombent en vertu des traités internationaux.

Tout en notant que l’État partie reconnaît la nécessité de disposer de mécanismes nationaux efficaces et a, à cet effet, créé la Commission nationale sur les sexospécificités et le Ministère de l’égalité des sexes, des sports, de la culture et des services sociaux, le Comité est préoccupé par l’éventuelle fragmentation des efforts déployés par ces deux entités ainsi que par leur manque de ressources. Il note également avec inquiétude que le Ministère de l’égalité des sexes, des sports, de la culture et des services sociaux ne dispose pas de l’autorité institutionnelle, des moyens et des ressources nécessaires pour promouvoir de façon efficace la mise en œuvre de la Convention et coordonner l’application de la stratégie d’intégration d’une perspective sexospécifique dans tous les secteurs et à tous les niveaux du Gouvernement, notamment dans les zones rurales. Le Comité craint également que le statut institutionnel du service chargé des femmes au sein du Ministère ne limite son influence au sein de la structure gouvernementale et l’empêche de jouer véritablement un rôle moteur dans la promotion de l’égalité des sexes.

Le Comité recommande à l ’ État partie de renforcer dans les délais les plus brefs le mécanisme national, à savoir la Commission nationale sur les sexospécificités et le développement et le Ministère de l ’ égalité des sexes, des sports, de la culture et des services sociaux, afin de pouvoir disposer d ’ un mécanisme institutionnel fort pour la promotion de l ’ égalité des sexes. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de doter le mécanisme national de l ’ autorité et des ressources humaines et financières nécessaires pour coordonner la mise en œuvre des travaux de la Commission et promouvoir de façon efficace l ’ égalité des sexes.

Le Comité est préoccupé par la persistance de normes culturelles, pratiques et traditions néfastes ainsi que par les attitudes patriarcales et les stéréotypes bien ancrés concernant les rôles, les responsabilités et l’identité des femmes et des hommes dans tous les domaines de l’existence. Le Comité constate avec inquiétude que ces coutumes et pratiques perpétuent la discrimination à l’égard des femmes, comme en témoigne la situation défavorable et caractérisée par l’inégalité des femmes dans de nombreux domaines, notamment dans la vie publique, au niveau de la prise de décisions et au sein du couple et de la famille, ainsi que la violence dont elles sont victimes, et qu’à ce jour, l’État partie n’a pas pris de mesures durables et systématiques pour modifier ou éliminer les stéréotypes et les valeurs et pratiques culturelles néfastes.

Le Comité prie l ’ État partie de considérer que ses cultures sont des aspects dynamiques de la vie et du tissu social du pays et par conséquent susceptibles de changer. Il lui demande instamment de mettre en place sans plus tarder une stratégie globale, ayant notamment un volet législatif, permettant de modifier ou d ’ éliminer les pratiques culturelles et les stéréotypes discriminatoires vis-à-vis des femmes conformément à l ’ alinéa f) de l ’ article 2 et à l ’ alinéa a) de l ’ article 5 de la Convention. Ces mesures doivent comprendre des activités de sensibilisation à la question destinées tant aux hommes qu ’ aux femmes, à tous les niveaux de la société, et notamment aux dirigeants traditionnels, et menées en collaboration avec la société civile. Le Comité prie instamment l ’ État partie de remédier de manière plus énergique aux problèmes que posent les coutumes et pratiques culturelles et traditionnelles néfastes telles que le versement d ’ une dot et la polygamie. Le Comité encourage l ’ État partie à utiliser des mesures constructives et novatrices pour mieux faire comprendre la notion d ’ égalité entre hommes et femmes et à collaborer avec les médias pour que ces derniers donnent une image plus positive et moins stéréotypée des femmes.

Le Comité est préoccupé par la prévalence de la violence vis-à-vis des femmes et des fillettes, notamment les pratiques culturelles qui constituent – ou perpétuent –cette violence. Tout en se félicitant de la promulgation en 2001 de la loi relative à l’enfance qui interdit les mutilations génitales féminines, le Comité est préoccupé de constater que cette pratique se poursuit dans certaines régions du pays et qu’elle continue d’être légale pour les femmes de 18 ans ou plus qui subissent en général des pressions pour se soumettre à cette pratique ou y sont forcées. Le Comité est également préoccupé par la lenteur des travaux concernant le projet de loi sur la violence au sein de la famille (protection de la famille) qui est en souffrance depuis 2002.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ accorder une attention prioritaire à la lutte contre la violence vis-à-vis des femmes et d ’ adopter des mesures générales pour remédier à toutes les formes de violence contre les femmes et les filles, conformément à sa recommandation générale 19. Il prie l ’ État partie de sensibiliser l ’ opinion publique par le biais des médias et de programmes éducatifs à toutes les formes de violence contre les femmes, notamment les mutilations génitales féminines, qui constituent une forme de discrimination au titre de la Convention et par conséquent une violation des droits des femmes. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de mettre en œuvre la législation existante interdisant la pratique des mutilations génitales féminines et d ’ adopter de nouvelles lois en tant que de besoin pour éliminer cette pratique et d ’ autres pratiques traditionnelles néfastes pour l ’ ensemble des femmes. Il réitère la recommandation qu ’ il a faite précédemment (voir A/58/38 (Part I), par. 208) à l ’ État partie d ’ adopter rapidement le projet de loi sur la violence au sein de la famille (protection de la famille) et encourage le Parlement à faire de ce projet une priorité pour s ’ assurer que les femmes et les filles qui sont victimes d ’ actes de violence bénéficient immédiatement de voies de recours et d ’ une protection et que les responsables soient poursuivis en justice et châtiés comme il convient. Le Comité demande à l ’ État partie de supprimer tous les obstacles auxquels les femmes doivent faire face pour avoir accès à la justice et recommande que toutes les victimes de la violence puissent bénéficier d ’ une assistance judiciaire, y compris dans les régions reculées ou les zones rurales. Il recommande la fourniture d ’ une formation au personnel judiciaire et aux fonctionnaires, en particulier ceux qui sont responsables de l ’ application des lois et les prestataires de services de santé, afin de s ’ assurer qu ’ ils sont sensibilisés à toutes les formes de violence contre les femmes et peuvent fournir un appui adéquat aux victimes.

Tout en félicitant l’État partie d’accueillir des réfugiés venant de pays voisins, le Comité se déclare préoccupé par le manque d’informations fournies concernant les femmes réfugiées dans les camps kényans et les personnes déplacées, qui sont souvent des femmes. Il est particulièrement préoccupé par les informations selon lesquelles les femmes ne sont pas protégées comme il convient contre toutes les formes de violence au sein des communautés de réfugiés et de personnes déplacées et ne disposent pas des voies de recours adéquates, et par l’impunité apparente de ceux qui perpètrent ces violences.

Le Comité prie l ’ État partie de fournir dans son prochain rapport des informations détaillées sur la situation des femmes réfugiées et déplacées au Kenya, en particulier sur les moyens utilisés pour protéger ces femmes contre toutes les formes de violence et les mécanismes en place pour qu ’ elles disposent de voies de recours et puissent se réinsérer dans la société. Il demande également instamment à l ’ État partie de prendre des mesures pour que des enquêtes soient menées et que tous les responsables de violences contre les femmes réfugiées et déplacées soient châtiés. Il encourage également l ’ État partie à continuer de collaborer avec la communauté internationale, en particulier le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dans ces efforts.

Le Comité est préoccupé par la sous-représentation des femmes dans la vie politique et publique, en particulier au Parlement (où les femmes représentent 4,8 % des membres élus du Parlement), dans les ministères (où elles représentent 5,8 % des ministres), à la Cour d’appel (où il n’existe aucune femme juge), au sein du corps diplomatique (où les femmes représentent 27 % des ambassadeurs et hauts commissaires) et dans les organes de décision dont les membres sont nommés, en particulier à un niveau élevé.

Le Comité prie l ’ État partie de renforcer et d ’ appliquer les mesures existantes pour accroître le nombre de femmes élues ou nommées, notamment au sein du système judiciaire, et faire ainsi en sorte que les articles 7 et 8 de la Convention soient mieux respectés. Il recommande à l ’ État partie de pleinement suivre la recommandation générale 23 concernant les femmes dans la vie publique. Il l ’ appelle à avoir recours à des mesures spéciales temporaires conformément au paragraphe 1 de l ’ article 4 de la Convention et à la recommandation générale 25 du Comité afin d ’ accélérer la pleine participation des femmes à la vie publique et politique, sur un pied d ’ égalité avec les hommes, en particulier à un niveau élevé du processus de prise de décisions. Il recommande également l ’ adoption dans les meilleurs délais du projet de loi sur les partis politiques qui encouragerait un meilleur équilibre entre les sexes aux postes de direction des partis politiques. Il suggère la mise en œuvre d ’ activités de sensibilisation à l ’ importance de la participation des femmes à la prise de décisions pour la société dans son ensemble et la mise au point de programmes de formation et d ’ encadrement destinés aux femmes candidates et aux femmes élues à des fonctions officielles. Il recommande en outre que l ’ État partie offre des programmes de formation à la direction et à la négociation aux dirigeantes actuelles et à venir. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de veiller à l ’ efficacité des mesures prises, de suivre les résultats obtenus et de faire rapport à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Tout en se félicitant des mesures prises pour lutter contre le trafic des êtres humains, notamment la création d’un service de police chargé de lutter contre ce trafic, le Comité demeure préoccupé par la persistance de ce phénomène et de l’exploitation des femmes et des fillettes dans le pays. Il se déclare en particulier préoccupé par le trafic et l’exploitation sexuelle des jeunes filles résultant de la pauvreté et du fait qu’elles ont besoin de fournir une aide à leur famille. Il constate également avec inquiétude que le tourisme sexuel prend de l’ampleur dans le pays, ce qui se traduit par un accroissement de la prostitution enfantine, en particulier des fillettes venant de milieux défavorisés. Le Comité note par ailleurs avec préoccupation que même si la prostitution au Kenya est illégale, seules les prostituées, et non leurs clients, peuvent être poursuivies.

Le Comité demande à l ’ État partie d ’ accélérer l ’ adoption du projet révisé de loi sur le trafic des personnes et prie instamment l ’ État partie de s ’ assurer que ce projet comporte des mesures de prévention et prévoit de poursuivre et de châtier comme il convient les trafiquants et de protéger et d ’ aider les victimes. Il recommande à l ’ État partie de remédier aux causes essentielles du trafic afin de faire en sorte que les fillettes et les femmes ne soient plus vulnérables à l ’ exploitation et aux trafiquants et de s ’ employer à réinsérer dans la société les femmes et les filles qui sont victimes de cette exploitation et de ce trafic. Le Comité appelle également l ’ État partie à mettre en œuvre des mesures visant à lutter contre le tourisme sexuel, notamment en coopération avec les pays d ’ origine des touristes. Il lui demande de revoir ses lois sur la prostitution afin de s ’ assurer que les prostituées ne sont pas traitées comme des criminelles et de redoubler d ’ efforts pour apporter un soutien aux femmes qui souhaitent abandonner la prostitution.

Le Comité constate avec préoccupation que la Constitution n’accorde pas les mêmes droits aux hommes et aux femmes en matière de citoyenneté. Il note avec une préoccupation toute particulière que les hommes peuvent faire bénéficier leur femme et leurs enfants de leur citoyenneté alors que les femmes kényanes n’ont pas ce droit. Le Comité est également préoccupé de constater que les enfants nés de mère kényane à l’étranger doivent demander la citoyenneté et n’obtiennent des permis d’entrée que d’une durée limitée alors que ces restrictions ne s’appliquent pas aux enfants de père kényan et de mère étrangère. Le Comité est également préoccupé de constater que les femmes célibataires doivent avoir le consentement de leur père pour obtenir un passeport et celles qui sont mariées celui de leur époux.

Le Comité demande à l ’ État partie de modifier sans plus tarder les articles 90 et 91 de la Constitution kényane ainsi que la loi kényane sur la citoyenneté (chap. 70 de la législation kényane) afin de les aligner pleinement sur l ’ article 9 de la Convention. Le Comité prie également l ’ État partie d ’ abroger sans attendre les mesures obligeant les femmes à obtenir le consentement de leur père ou mari pour obtenir un passeport.

Tout en se félicitant des progrès importants réalisés dans le domaine de l’éducation grâce à l’instauration d’un enseignement primaire gratuit et obligatoire, le Comité se déclare préoccupé par la différence marquée dans la qualité de l’éducation et l’accès à l’éducation, entre les zones rurales et reculées et les zones urbaines, les écarts entre le taux de scolarisation des jeunes femmes et des jeunes hommes dans les universités publiques et le taux de passage moins important des filles de l’enseignement primaire au secondaire par rapport à celui des garçons. Il est également préoccupé par les attitudes traditionnelles qui constituent des obstacles à l’éducation des filles ainsi que par les taux d’abandon scolaire des filles dus à une grossesse ou à un mariage précoce ou forcé. Le Comité note que l’éducation est essentielle à la promotion de la femme et que le faible niveau d’éducation des femmes et des fillettes demeure l’un des plus graves obstacles au plein exercice de leurs droits fondamentaux.

Le Comité demande instamment à l’État partie de davantage respecter l’article 10 de la Convention et de sensibiliser la société à l’importance de l’éducation en tant que droit fondamental et base de la démarginalisation des femmes. Il encourage l’État partie à prendre des mesures pour avoir raison des attitudes traditionnelles qui à certains égards font obstacle à l’éducation des fillettes et des femmes. Il le félicite de prévoir d’instaurer un enseignement secondaire gratuit en 2008 et lui recommande de mettre en œuvre des mesures visant à assurer l’égalité d’accès des femmes et des filles à tous les niveaux de l’enseignement, à maintenir les filles à l’école et à renforcer la mise en œuvre des politiques de rescolarisation afin que les filles puissent reprendre l’école après avoir donné naissance à un enfant. Le Comité prie l’État partie de fournir des informations sur les mesures prises et leur impact dans son prochain rapport.

Le Comité déplore de ne pouvoir se faire une idée claire de la participation des femmes à la main-d’œuvre urbaine et rurale, des écarts de salaires entre hommes et femmes, de la ségrégation verticale et horizontale dont sont victimes les femmes dans la main-d’œuvre et de leur accès aux nouveaux débouchés économiques, faute de données sur la question. Il note que le projet de loi relatif à l’emploi garantirait l’égalité de rémunération des hommes et des femmes à travail de même valeur. Il note en revanche avec préoccupation le maintien des restrictions légales concernant les horaires de travail des femmes dans les usines.

Le Comité prie l ’ État partie de garantir l ’ égalité des chances des hommes et des femmes sur le marché du travail, conformément à l ’ article 11 de la Convention. Il lui demande de faire en sorte que la législation en matière d ’ emploi vaille aussi bien pour le secteur public que pour le secteur privé et qu ’ elle soit appliquée sans exception. Il appelle à l ’ adoption rapide du projet de loi relatif à l ’ emploi dont le Parlement a été saisi. Il invite l ’ État partie à donner dans son prochain rapport des renseignements précis et notamment des données ventilées par sexe avec une analyse conjoncturelle et tendancielle sur les femmes face à l ’ emploi dans les secteurs structurés et non structurés, et sur les mesures prises pour garantir l ’ égalité des chances des deux sexes dans le monde du travail et leurs effets, notamment en ce qui concerne les nouveaux débouchés et la création d ’ entreprise. Il le prie également de fournir dans son prochain rapport des renseignements détaillés sur les dispositions juridiques consacrant le principe de l ’ égalité des salaires à travail de même valeur et sur leur suivi et leur application, ainsi que sur les dispositifs de recours, les statistiques concernant leur utilisation par les femmes et les résultats obtenus. Il l ’ engage aussi à revoir les restrictions frappant la liberté du travail conformément à l ’ article 11 3) de la Convention.

S’il se félicite de l’introduction de services anténataux gratuits à l’intention des femmes enceintes, le Comité est préoccupé par le fait que le taux de mortalité maternelle, et notamment le nombre de décès faisant suite à des avortements non médicalisés, et le taux de mortalité infantile demeurent élevés. Il s’inquiète profondément de voir que les femmes n’ont pas toujours accès à des services de santé sexuelle et procréative de qualité et que les programmes d’éducation sexuelle ne mettent pas suffisamment l’accent sur la prévention des grossesses précoces et le contrôle des maladies sexuellement transmissibles. Il craint aussi que le comportement négatif de certains travailleurs de la santé n’entrave l’accès des femmes aux soins. Il est par ailleurs préoccupé de constater que la demande de services de planification familiale n’est pas satisfaite et que le taux d’utilisation des moyens de contraception est faible.

Le Comité recommande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour réduire les taux de mortalité maternelle et infantile. Il l ’ engage à tout mettre en œuvre pour informer davantage les femmes des possibilités qui leur sont offertes d ’ accéder à des services de santé et d ’ assistance médicale dispensés par du personnel qualifié, et pour améliorer l ’ accès à ces services, surtout dans les zones rurales. Il lui demande de faire en sorte que les travailleurs de la santé se montrent plus compréhensifs à l ’ égard des patients, pour améliorer l ’ accès à des soins de qualité. Il lui recommande également de prendre des mesures pour mieux faire connaître des méthodes de contraception peu coûteuses et les rendre plus accessibles de manière à ce que les femmes et les hommes puissent choisir de manière informée le nombre de leurs enfants et l ’ espacement des naissances et avoir accès à des méthodes d ’ avortement sûres. Il recommande en outre que l ’ éducation sexuelle soit encouragée partout et ciblée sur les adolescents, filles et garçons, en mettant l ’ accent sur la prévention des grossesses précoces et la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles. Il engage l ’ État partie à continuer de solliciter le soutien de la communauté internationale sur les plans financier et technique pour pouvoir prendre des mesures afin d ’ améliorer la santé des femmes.

Bien qu’il ait pris note de la baisse récente de la prévalence du VIH et qu’il se félicite des programmes en place et de l’attention prioritaire accordée par l’État partie à la lutte contre la pandémie de VIH/sida, et notamment de l’élaboration du Plan stratégique national de lutte contre le VIH/sida et de l’adoption de la loi relative à la prévention et à la lutte contre le VIH/sida, le Comité est préoccupé par le fait que l’État partie doive toujours faire face à une épidémie grave, en particulier parmi les jeunes femmes. Il craint que les politiques et la législation en vigueur ne tiennent pas suffisamment compte de la situation spécifique des hommes et des femmes et ne protègent pas les droits des femmes et des filles infectées par le VIH/sida. Il déplore tout particulièrement que les rapports de force entre hommes et femmes continuent d’être inégaux et que la condition inférieure des filles et des femmes les empêche de négocier des pratiques sexuelles sûres et les rende plus vulnérables face à l’infection. Il est aussi préoccupé par le nombre de foyers d’enfants laissés orphelins par le VIH/sida qui sont dirigés par des enfants et dans lesquels les filles sont amenées à assumer des responsabilités disproportionnées, ce qui les rend plus vulnérables face au VIH/sida et à la prostitution.

Le Comité recommande que soient poursuivis les efforts visant à prendre en compte l ’ effet du VIH/sida sur les femmes et les filles, ainsi que ses conséquences sur les plans social et familial. Il engage l ’ État partie à mettre davantage l ’ accent sur l ’ autonomisation des femmes et à tenir compte expressément et sans ambiguïté des problèmes qui leur sont propres dans ses politiques et programmes de lutte contre le VIH/sida. Il l ’ engage aussi à s ’ attaquer au problème des foyers dirigés par des enfants et de rendre compte des mesures qu ’ il aura prises dans son prochain rapport, en exposant les résultats obtenus.

Le Comité demeure inquiet de la position défavorisée qu’occupent les femmes rurales, en particulier en ce qui concerne l’accès à la propriété, comme en témoigne le faible pourcentage de femmes qui possèdent des terres ou en reçoivent en héritage. Il s’inquiète également de la lenteur des progrès accomplis en vue de la finalisation et de l’adoption du projet de politique nationale en matière foncière qui permettrait d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes en ce qui concerne l’accès à la propriété foncière. Il est par ailleurs préoccupé par le fait que les femmes connaissent mal les droits qui sont les leurs sur le plan foncier et n’ont pas les moyens de les faire respecter.

Le Comité engage l ’ État partie à prendre les mesures qui s ’ imposent pour éliminer toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes en ce qui concerne le droit à la propriété et à l ’ héritage des terres. Il lui demande d ’ accorder un rang de priorité élevé à la réforme de la législation et, en particulier, de mener à terme le processus nécessaire à l ’ adoption du projet de politique nationale en matière foncière. Il l ’ invite à faire connaître aux femmes, et en particulier à celles qui vivent en zone rurale, leurs droits fonciers et de propriété grâce à des programmes de sensibilisation et des services de vulgarisation juridique. Il l ’ encourage à offrir une assistance juridique aux femmes rurales qui souhaitent porter plainte pour discrimination. Il le prie de bien vouloir inclure dans son prochain rapport des données détaillées sur la situation des femmes rurales dans les domaines visés dans la Convention, et notamment sur les facteurs expliquant le faible pourcentage de femmes, par rapport aux hommes, qui possèdent des terres, et sur les efforts qu ’ il déploie pour faire augmenter ce pourcentage.

Le Comité est préoccupé par la multiplicité des régimes matrimoniaux existant dans l’État partie et par le caractère discriminatoire de certaines dispositions de la législation relative au mariage et aux relations familiales. Il s’inquiète particulièrement du fait que le droit coutumier et la loi sur le mariage et le divorce musulman autorisent la polygamie. Il déplore également que les mariages d’enfants aient toujours lieu, bien que l’âge minimum du mariage ait été fixé à 18 ans par la loi relative aux enfants. Il juge regrettable que si un couple ne s’est pas marié au moment de la naissance d’un enfant ou après sa naissance, c’est la mère seule qui est responsable devant la loi de l’éducation de cet enfant, selon une décision de justice de 2002.

Le Comité demande instamment à l ’ État partie d ’ harmoniser le droit civil, religieux et coutumier avec l ’ article 16 de la Convention, et de mener à bien sa réforme juridique concernant le mariage et les relations familiales pour que son dispositif législatif soit conforme aux articles 15 et 16 de la Convention, selon un calendrier déterminé. Il l ’ engage également à faire appliquer la loi relative aux enfants qui interdit les mariages d ’ enfants. Il l ’ appelle à prendre des mesures pour éliminer la polygamie, conformément à la recommandation générale 21 du Comité sur l ’ égalité dans le mariage et les relations familiales. Il lui recommande aussi de renforcer les mesures adoptées pour veiller à ce que les pères contribuent à l ’ éducation des enfants nés hors mariage.

Le Comité prie l ’ État partie de bien vouloir lui communiquer dans son prochain rapport des renseignements sur la situation de femmes âgées et des femmes handicapées.

Le Comité encourage l ’ État partie à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

Le Comité engage l ’ État partie à tenir le plus grand compte, dans l ’ exécution de ses obligations selon la Convention, de la Déclaration et du Programme d ’ action de Beijing, qui renforcent les dispositions de la Convention, et il le prie de donner dans son prochain rapport périodique des renseignements à ce sujet.

Le Comité souligne que l ’ exécution intégrale et efficace de la Convention est indispensable pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Dans toutes les initiatives visant à les réaliser, il préconise donc l ’ intégration systématique des questions d ’ égalité des sexes et la prise en compte explicite des dispositions de la Convention et il prie l ’ État partie de donner des renseignements à ce sujet dans son prochain rapport périodique.

Le Comité souligne que l ’ adhésion des États aux sept principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme contribue à promouvoir l ’ exercice effectif des droits individuels et des libertés fondamentales des femmes dans tous les aspects de la vie . Le Comité encourage donc le Gouvernement kényan à envisager de ratifier l ’ instrument auquel il n ’ est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Le Comité demande que les présentes observations finales soient largement diffusées au Kenya pour que la population du pays, en particulier les membres de l ’ administration et les responsables politiques, les parlementaires et les organisations de femmes et de défense des droits de l ’ homme, soit au courant des mesures prises pour assurer l ’ égalité de droit et de fait entre les sexes et des dispositions qui restent à prendre à cet égard. Il demande également au Gouvernement de diffuser largement, surtout auprès des femmes et des organisations de défense des droits de l ’ homme, le texte de la Convention, de son protocole facultatif, de ses propres recommandations générales, de la Déclaration et du Programme d ’ action de Beijing, ainsi que des textes issus de la vingt-troisième session extraordinaire de l ’ Assemblée générale, intitulée «  Les femmes en l ’ an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXI e  siècle  » .

Le Comité prie l ’ État partie de répondre aux préoccupations exprimées dans les présentes conclusions finales dans le prochain rapport périodique qu ’ il établira en application de l ’ article 18 de la Convention, qui doit être soumis au mois d ’ avril 2009.