Nations Unies

CAT/OP/ITA/1

Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 septembre 2016

Français

Original : anglais

Anglais, espagnol et français seulement

Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Rapport du Sous-Comité pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sur sa visite en Italie

Rapport adressé à l’État partie * , ** , ***

Table des matières

Page

I.Introduction3

II.Coopération3

III.Constatations4

A.Mécanisme national de prévention4

B.Cadre juridique5

C.Cadre institutionnel9

D.Principaux problèmes concernant la détention de migrants12

IV.Répercussions de la visite et remarques finales22

Annexes

I.List of Government officials and other persons with whom the Subcommittee on Prevention of Torture met23

II.List of places of deprivation of liberty visited by the Subcommittee on Prevention of Torture25

I.Introduction

Conformément au mandat que lui assigne le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« le Protocole facultatif »), le Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« le Sous-Comité » ou « SPT ») a effectué une visite en Italie du 16 au 22 septembre 2015.

La délégation du SPT était composée des membres suivants : Hans-Jörg Bannwart (Chef de la délégation), Malcolm Evans (Président du SPT), Paul Lam Shang Leen (Vice-Président du SPT) et Margarete Osterfeld. Elle était assistée de trois spécialistes des droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) et d’interprètes.

La visite avait pour objectif principal l’évaluation du système de détention des migrants en Italie. La délégation du SPT s’est entretenue avec des représentants du Gouvernement, des membres de la Commission des droits de l’homme du Sénat, des représentants d’organisations non gouvernementales ainsi que du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), et s’est rendue dans divers lieux utilisés pour la détention de migrants à Rome, Trapani, Pozzallo, Turin et Bari (voir annexes I et II).

On trouvera dans le présent rapport les constatations et recommandations du SPT concernant la prévention de la torture et des mauvais traitements contre des personnes privées de liberté dans des centres de détention pour migrants. On entend par « mauvais traitements » toutes les formes de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le présent rapport restera confidentiel jusqu’à ce que, conformément au paragraphe 2 de l’article 16 du Protocole facultatif, les autorités italiennes décident de le rendre public. Le SPT est fermement convaincu que sa publication contribuerait positivement à la prévention de la torture et des mauvais traitements dans l’État partie, car une large diffusion des recommandations formulées favoriserait un dialogue national transparent et fructueux sur les questions qui y sont examinées. Il recommande à l ’ Italie de demander la publication du présent rapport, comme l ’ ont fait d ’ autres États parties au Protocole facultatif .

Le SPT souhaite appeler l’attention de l’État partie sur le Fonds spécial établi en application de l’article 26 du Protocole facultatif. Les recommandations formulées par le SPT dans ses rapports de visite rendus publics peuvent servir de base pour faire une demande de financement de projets particuliers par le Fonds spécial.

II.Coopération

Le SPT est reconnaissant de l’aide et de la coopération dont il a bénéficié, tant avant la visite que pendant celle-ci. Néanmoins, un certain nombre d’éléments insatisfaisants méritent d’être mentionnés. Les informations, dont une grande partie lui sont parvenues en retard, étaient parfois dépassées, inexactes ou incomplètes et n’étaient pas pertinentes au regard de l’objectif indiqué de la visite, qui portait sur la détention des migrants. Dans certains cas, la délégation s’est vu refuser l’accès à des informations qui lui auraient été précieuses.

En outre, l’accès aux centres de détention lors de la visite a parfois posé des problèmes, a été refusé à une occasion et initialement empêché à une autre occasion. Les moyens prévus pour régler ce type de problèmes se sont révélés inefficaces pour surmonter ces obstacles. Une fois obtenu l’accès aux centres de détention, la coopération avec le personnel a été dans l’ensemble satisfaisante et les membres de la délégation ont aussi pu s’entretenir en privé avec des migrants détenus.

Le SPT a été déçu de ne pas pouvoir s’entretenir avec autant de représentants des hautes autorités qu’il l’aurait souhaité. La possibilité qu’il effectue une courte visite de suivi dans le but de mener de tels entretiens par la suite a été examinée lors d’une réunion entre le SPT et la Mission permanente de l’Italie auprès des Nations Unies à Genève, et cette visite a été organisée le 4 février 2016.

Il est apparu que les problèmes qui se sont posés en matière de coopération et d’assistance étaient le reflet d’une certaine incompréhension de la nature et de la portée du mandat du SPT tel qu’énoncé à l’article 11 du Protocole facultatif et d’un défaut d’appréciation par l’État partie de l’étendue des obligations dont il devait s’acquitter en vertu de l’article 12 du Protocole facultatif pour que le SPT puisse exercer effectivement ce mandat. Le SPT a constaté avec satisfaction que ce malentendu a semblé dissipé grâce à la visite de suivi.

La visite de suivi a permis au SPT de recevoir de nouvelles contributions des hautes autorités et de discuter des moyens concrets de poursuivre le dialogue en vue de la mise en œuvre de ses recommandations, notamment par des échanges réguliers, par écrit et par d’autres voies appropriées, dont Skype. Le SPT a été heureux d’apprendre que l’Italie souhaitait engager un tel dialogue et a noté avec satisfaction que les autorités avaient rapidement communiqué de la documentation supplémentaire utile peu après la visite. Il prend acte avec gratitude de cet échange qu’il estime être une bonne manière d’entamer le dialogue.

III.Constatations

A.Mécanisme national de prévention

Conformément à l’article 3 du Protocole facultatif, un mécanisme national de prévention doit être établi au plus tard un an après la ratification du Protocole par l’État partie. L’Italie a signé le Protocole facultatif en 2003 et l’a ratifié le 3 avril 2013. Le 21 février 2014, elle a adopté la loi no 10/2014 portant création de l’Autorité nationale (Garante nazionale) pour les droits des personnes détenues ou privées de liberté, qui constituera le mécanisme national de prévention en collaboration avec les autorités locales chargées de la protection des droits des personnes privées de liberté aux niveaux régional et municipal. Le SPT regrette que, au moment de la visite, le mécanisme national de prévention n’ait pas encore été pleinement établi et n’ait pas été opérationnel. Au cours de sa visite de suivi menée le 4 février 2016, il a été informé que deux des trois membres de l’Autorité nationale avaient été nommés officiellement.

La loi no 10/2014 dispose que l’Autorité nationale sera un organe collégial, composé d’un président et de deux membres nommés par le Président de la République sur décision du Conseil des ministres et avis des commissions parlementaires compétentes. Le bureau de l’Autorité nationale se trouve au sein du Ministère de la justice qui lui fournit les ressources humaines nécessaires à son fonctionnement. Le statut d’unité détachée (distaccato) disposant d’un budget autonome a récemment été conféré à l’Autorité nationale. Malgré les mesures prises en vue de donner davantage d’autonomie à l’Autorité nationale, le SPT note avec préoccupation que la loi no 10/2014 et d’autres règlements ne prévoient pas clairement l’indépendance fonctionnelle, personnelle et financière nécessaire pour qu’un mécanisme national de prévention soit conforme au Protocole facultatif (art. 18). Il note aussi avec préoccupation que la loi ne confère pas expressément au mécanisme national de prévention un accès illimité à tous les lieux, ce qui contrevient aux articles 4 et 20 c) du Protocole facultatif qui établissent l’obligation pour les États parties de permettre des visites dans tous les lieux où se trouvent ou pourraient se trouver des personnes privées de liberté. La loi n’indique pas non plus que le mécanisme national de prévention est habilité à s’entretenir en privé avec des personnes privées de liberté et toute autre personne concernée, et a le droit d’avoir des contacts directs avec le SPT (art. 20). Elle ne dispose pas davantage qu’il est habilité à faire des observations sur les politiques et les législations (art. 19 c) du Protocole facultatif). De plus, ni la loi ni les autres règlements ne soulignent que l’Autorité nationale a un mandat de prévention. Enfin, la loi ne dit rien de l’interdiction des représailles, qui est un élément essentiel pour que les personnes se sentent assez en confiance pour solliciter le mécanisme national de prévention et communiquer avec lui (art. 21).

Le SPT rappelle à l ’ Italie ses obligations concernant la mise en place d ’ un mécanisme national de prévention conformément aux articles 3 et 17 à 23 du Protocole facultatif. Il prie instamment les autorités italiennes de veiller à ce que le cadre juridique prévoie la pleine indépendance fonctionnelle du mécanisme national de prévention, établisse clairement l ’ indépendance de son personnel et dispose qu ’ il peut accéder sans restriction à tous les lieux de détention et mener des entretiens privés, et énonce l ’ interdiction des représailles, conformément aux articles 4, 18, 20 c) et 21 du Protocole facultatif et aux Directives concernant les mécanismes nationaux de prévention (CAT/OP/12/5). En outre, l ’ État partie devrait garantir, en droit et dans la pratique, l ’ intégralité du mandat du mécanisme national de prévention, en particulier son droit de mener des entretiens privés avec des personnes privées de liberté et d ’ avoir des contacts directs avec le SPT, afin, notamment, d ’ assurer le suivi du respect des présentes recommandations. Dans le respect du principe de coopération et de dialogue constructif et conformément à l ’ article 11 b) iv), le SPT est prêt à aider l ’ Italie à s ’ acquitter des obligations qui lui incombent en vertu du Protocole facultatif.

B.Cadre juridique

Le SPT croit comprendre que le cadre juridique italien relatif aux questions d’immigration est en cours de révision, notamment du fait des modifications nécessaires pour mettre en œuvre les politiques migratoires de l’Union européenne (UE). Dans ce contexte, ses observations et recommandations portent essentiellement sur un certain nombre d’éléments clefs liés à la détention des migrants qui devraient, selon lui, sous-tendre toutes les dispositions législatives envisagées à l’avenir.

Le SPT note avec satisfaction que l’article 13 de la Constitution italienne protège le droit à la liberté de la personne en exigeant que toute restriction de la liberté individuelle soit ordonnée par le pouvoir judiciaire conformément à la loi. Il prend aussi note avec satisfaction :

a)De la loi no 67/2014 du 28 avril 2014 supprimant l’infraction de séjour irrégulier sur le territoire italien ;

b)Du décret-loi no 18/2014 du 21 février 2014, qui transpose en droit national la directive européenne 2011/95/UE établissant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale ;

c)Du décret présidentiel no 394/1999, qui prévoit que les centres de détention doivent offrir des services de santé essentiels et des activités et garantir la liberté de culte.

Le SPT souligne que la première façon, et la plus efficace, de protéger une personne contre le risque de torture ou de mauvais traitements est de limiter le recours à la détention en faisant de celle-ci une mesure de dernier ressort, tout en veillant à ce que les motifs du placement en détention soient définis dans la loi de manière claire et exhaustive et que son champ d’application et sa durée soient limitées. Pour chaque affaire, il doit être déterminé que la détention est strictement nécessaire et proportionnée.

Le SPT félicite l’État partie d’avoir réduit la durée maximale de la détention dans les centres d’identification et d’expulsion (CIE) de dix-huit mois à quatre-vingt-dix jours par la loi no 161/2014, mais note avec préoccupation qu’il continue d’avoir communément recours à la détention des migrants, qui est une forme de détention administrative imposée à des personnes n’ayant pas commis d’infraction pénale.

Le SPT tient à souligner qu ’ il faudrait au départ que la loi établisse une présomption défavorable à la détention. En particulier, il convient d ’ éviter les politiques de placement en détention obligatoire ou le placement en détention de groupes de personnes sans avoir procédé à une évaluation appropriée de la nécessité et de la proportionnalité de cette mesure dans chaque cas individuel.

Le SPT prend note avec satisfaction de la dépénalisation des séjours non autorisés mais relève avec préoccupation que, si une personne a fait l’objet d’un arrêté d’expulsion ou de rejet et entre de nouveau irrégulièrement sur le territoire italien, le droit pénal continue de s’appliquer.

Le décret-loi no 286/1998 prévoit le placement en détention dans les CIE des migrants en situation irrégulière qui sont passibles d’expulsion. Le cadre juridique ne prévoit pas la détention des migrants dans d’autres lieux et n’autorise cette détention que : a) s’il existe un « risque de fuite » ; b) s’il est nécessaire de fournir une assistance ; c) si, pour des raisons pratiques, une expulsion ne peut pas être exécutée, faute de confirmation de la nationalité ou de l’identité d’une personne par son pays de nationalité, de documents de voyage ou de moyens de transport disponibles. La détention d’une personne dans un CIE doit être validée par le juge de paix compétent dans les quarante-huit heures. Lors de sa visite de suivi, le SPT a été informé que le cadre juridique mentionné ci-dessus a été partiellement réformé et modifié par des règlements entrés en vigueur après sa visite initiale. Il prend note de ces modifications mais fera des observations sur le cadre qui était applicable au moment de la visite. Les observations du SPT ont une valeur générale et restent donc applicables une fois adaptées aux modifications de la base juridique.

Le SPT est profondément préoccupé par la liste des critères légitimant la détention dans le décret-loi no 286/1998 et, en particulier, par l’approche trop large de ce qui constitue un « risque de fuite » en droit italien, soit l’un quelconque des éléments suivants :

a)La personne n’est pas en possession d’un document d’identité valable ;

b)La personne n’a pas de document prouvant qu’elle occupe un logement où on peut la trouver facilement ;

c)La personne a déjà fourni ou certifié de fausses données personnelles ;

d)La personne n’a pas respecté l’une des mesures prévues par les autorités (telles qu’un arrêté d’expulsion antérieur et une interdiction d’entrer de nouveau sur le territoire ou des restrictions imposées comme mesures de substitution à la détention) ;

e)La personne a violé l’une des conditions fixées en relation avec son départ volontaire.

Le SPT recommande à l ’ État partie :

a) D ’ envisager de dépénaliser la nouvelle entrée ou le séjour irréguliers sous toutes leurs formes ;

b) D ’ envisager de réviser sa définition des circonstances qui constituent un « risque de fuite » en vue d ’ en restreindre la portée ;

c) D ’ envisager d ’ introduire dans la loi une présomption défavorable à la détention des migrants et de veiller à ce que la détention des migrants ne soit utilisée qu ’ en dernier ressort après qu ’ il a été déterminé, au cas par cas, que cette mesure est strictement nécessaire, proportionnée, légitime et non arbitraire, et qu ’ elle soit imposée pour une durée aussi brève que possible.

De même, le SPT considère que le fait de placer une personne en détention parce qu’elle a besoin d’une assistance est un motif parfaitement inapproprié et illégitime de la priver de liberté. Les personnes ayant besoin d’une assistance immédiate peuvent être dans une situation de vulnérabilité qui exige qu’elles soient protégées, auquel cas les mesures coercitives ne sont pas seulement inutiles et non proportionnées, mais risquent d’aggraver la vulnérabilité en question.

Le SPT recommande à l ’ État partie d ’ examiner les facteurs de vulnérabilité dans le cadre de l ’ analyse des cas individuels au regard des critères de nécessité et de proportionnalité de la détention ; cette analyse doit être systématique et il doit être exclu de placer en détention des personnes vulnérables. Le SPT recommande aussi à l ’ État partie d ’ envisager de supprimer de sa législation la fourniture d ’ une assistance comme motif de détention des migrants.

Pour ce qui est des obstacles d’ordre pratique s’opposant au renvoi d’une personne en tant que motif de la détention, le SPT note que la plupart d’entre eux sont fonction de la coopération des pays d’origine, de la confirmation de l’identité de la personne ou de la disponibilité d’un moyen de transport, et donc échappent au contrôle du migrant. En conséquence, dans les cas où il est impossible de satisfaire aux conditions pratiques mentionnées ci-dessus, l’arrêté d’expulsion ne peut pas être exécuté et les personnes en attente d’expulsion sont libérées. Le SPT craint que les mêmes personnes ne soient à plusieurs reprises placées en détention à des fins d’expulsion, car un certain nombre des personnes qu’il a interrogées étaient détenues dans des CIE pour la deuxième ou la troisième fois. Il est particulièrement préoccupé par l’effet punitif disproportionné des périodes cumulées des multiples détentions dans ces cas, en particulier compte tenu du fait que les intéressés sont privés de liberté alors qu’ils n’ont pas commis d’infraction pénale.

Compte tenu des effets néfastes de la détention sur la santé mentale et physique des détenus, le SPT recommande à l ’ État partie de tenir compte des périodes de détention précédentes aux fins d ’ expulsion dans l ’ évaluation individuelle des personnes et de substituer à la détention, chaque fois que cela est possible, des mesures non privatives de liberté. Il lui recommande d ’ envisager d ’ incorporer des garanties pour empêcher que des personnes ne soient placées en détention administrative à de multiples occasions dont le cumul finit par représenter de longues périodes .

Le SPT a aussi connaissance d’un certain nombre d’accords de réadmission que l’Italie a signés avec d’autres pays et qui prévoient des procédures simplifiées de renvoi. Au cours de sa visite, il a observé que des groupes de migrants de la même nationalité étaient transférés directement dès le débarquement pour être détenus dans des CIE en vue de leur expulsion. Il craint que de tels accords ne favorisent la pratique des expulsions collectives, l’érosion du principe du recours à la détention des migrants en dernier ressort et le traitement différencié de certains groupes de personnes en fonction de leur nationalité.

Le SPT recommande à l ’ État partie de veiller à ce que les accords de réadmission ne donnent pas lieu à un recours inutile et disproportionné à la détention ni à la détention collective de groupes de personnes.

Au cours des réunions avec les autorités et la société civile, le SPT a été informé de l’existence d’un écart important entre le nombre d’arrivées et le nombre de migrants enregistrés officiellement, car beaucoup refusaient d’être enregistrés. Lors de sa visite en septembre 2015, il a appris que plusieurs « hotspots » (points d’accueil) devaient être mis en place pour veiller à ce que tous les migrants soient dûment recensés lorsqu’ils entrent dans le pays. À l’occasion de sa visite de suivi en février 2016, il a été informé que trois des six points d’accueil prévus étaient opérationnels. Il reconnaît que cette procédure résulte de la transposition d’une directive de la Commission européenne, mais il souhaite faire part de ses préoccupations au sujet de la possibilité de recourir à la force et à la détention des migrants qui refusent de donner leurs empreintes digitales. En outre, il s’inquiète de l’absence de base juridique et de garanties claires pour la détention et il rappelle que la pratique de la privation de liberté de personnes dans le seul but de recueillir des données biométriques telles que les empreintes digitales peut être considérée comme illégale et représente un risque de torture et de mauvais traitements. Cette situation est d’autant plus inquiétante que l’État partie n’a pas de mécanisme national de prévention opérationnel et indépendant permettant de garantir le respect des normes appropriées et de réduire le risque d’abus.

Le Sous-Comité recommande à l ’ État partie de renforcer sa législation, y compris sa réglementation, pour améliorer la protection des migrants contre la torture et les mauvais traitements, en particulier dans le cadre du recueil des empreintes digitales, et éviter qu ’ ils ne soient placés en détention dans le seul but d ’ établir leur identité. Il recommande également aux autorités de veiller à la présence de personnel médical et d ’ observateurs indépendants dans les points d ’ accueil et à l ’ État partie d ’ améliorer la formation du personnel travaillant avec les migrants, notamment en ce qui concerne le Protocole d ’ Istanbul et d ’ autres normes internationales. Il souhaite être informé de l ’ évolution de la mise en place et de la gestion des points d ’ accueil, ainsi que des garanties contre la torture et les mauvais traitements établies par l ’ Italie dans ces lieux .

Interdiction de la torture

Le SPT se dit vivement préoccupé par le fait que, malgré plus de vingt ans de discussions au Parlement, le Code pénal italien ne contient toujours pas de disposition spécifique incriminant la torture. Il craint que cette situation ne conduise à tolérer des actes interdits par la Convention contre la torture et à créer des vides juridiques réels ou potentiels propices à l’impunité.

Le SPT prie instamment les autorités de redoubler d’efforts pour introduire le plus tôt possible l’infraction de torture dans le Code pénal, conformément aux obligations internationales qui incombent depuis longtemps à l’Italie et en se conformant aux dispositions des articles 1 et 4 de la Convention contre la torture. En outre, pour renforcer le caractère dissuasif de cette incrimination, il conviendrait de prendre les mesures nécessaires pour que le crime de torture soit imprescriptible dans tous les cas.

Interdiction du refoulement et de l’expulsion collective

Le SPT note avec satisfaction que le paragraphe 1 de l’article 19 du décret-loi no 286/1998 interdit le refoulement d’une personne vers un État où elle risque d’être persécutée en raison de sa race, son sexe, sa langue, sa nationalité, sa religion, ses opinions politiques, sa situation personnelle ou sociale, ou d’être envoyée dans un autre État où elle ne sera pas protégée de la persécution. Il note aussi avec satisfaction que le paragraphe 2 de l’article 19 du décret interdit de refouler les personnes âgées de moins de 18 ans, les titulaires d’un permis de séjour, les personnes qui vivent avec un parent ou leur conjoint d’origine italienne, les femmes enceintes et les mères d’un enfant âgé de moins de 6 mois.

Le SPT note cependant avec préoccupation que, conformément au décret-loi no 286/1998, la Questura peut refouler des personnes à la frontière sans que cette décision soit validée par une autorité judiciaire. Même si les personnes peuvent contester cette décision en saisissant la Cour administrative régionale ou par l’intermédiaire d’un représentant diplomatique italien à l’étranger, le SPT doute de l’efficacité de cette garantie procédurale dans la pratique.

Les arrêtés d’expulsion doivent quant à eux validés dans les quarante-huit heures par le juge de paix compétent, qui doit motiver la mesure. Le SPT note que les personnes ont le droit à l’aide juridictionnelle et aux services d’un avocat et d’un interprète si nécessaire ; elles peuvent aussi faire appel de la décision d’expulsion. Cependant, l’appel ne suspend pas l’exécution de l’arrêté. Le SPT considère que l’intérêt d’une garantie à caractère préventif est qu’elle doit pouvoir empêcher qu’une personne subisse un préjudice potentiellement irréversible. Le fait qu’une procédure judiciaire soit en cours signifie qu’il n’a pas encore été déterminé de façon définitive si une personne risque de subir un préjudice irréversible en cas de renvoi. C’est pourquoi le système juridique devrait prévoir la suspension automatique des mesures de renvoi si le migrant fait toujours l’objet d’une procédure judiciaire.

Le SPT recommande à l ’ Italie de veiller à ce que le cadre juridique, de même que son application dans la pratique, offrent des garanties efficaces à caractère préventif contre le refoulement. Devrait ainsi être prévue, au minimum, la suspension automatique des mesures de renvoi si des procédures judiciaires visant à contester une expulsion ou à déterminer un droit à rester sont toujours en cours.

C.Cadre institutionnel

Structure de la détention des migrants

Après ses visites dans des lieux de détention pour migrants et ses entretiens avec des membres du personnel et des personnes privées de liberté, le SPT est parvenu à la conclusion que la complexité de la structure régissant la détention des migrants et les lieux de détention porte atteinte aux droits des migrants et affaiblit leur protection contre la torture et les mauvais traitements.

Le Ministère de l’intérieur est responsable au premier chef de la détention des migrants, mais le SPT a constaté que le cadre mis en place se caractérisait par des déficiences structurelles : la délégation des pouvoirs et des responsabilités à travers le système se fait sans application de normes et règles communes fondées sur les droits de l’homme, ce qui se traduit par des variations dans les normes et conditions matérielles et, dans tout le système, un traitement différencié des migrants qui est injustifiable. Le cadre de gouvernance se prête à ce que des personnes échappent à leurs responsabilités, parce que les rôles et obligations se chevauchent et sont définis vaguement. Il se caractérise par l’absence de garanties appropriées et nécessaires pour prévenir efficacement les violations des droits de l’homme, y compris la torture et les mauvais traitements.

Le SPT juge particulièrement préoccupante la prolifération des responsabilités au niveau de la gestion des centres de détention. Les responsabilités des différentes entités policières, militaires et administratives se chevauchent parfois sans que les compétences soient clairement délimitées, ce qui rend la structure administrative générale de ces centres dysfonctionnelle et inadaptée à la réalisation de leurs objectifs.

Le SPT recommande à l ’ État partie de réexaminer sa structure de détention des migrants, en adoptant un mode d ’ administration unique et en établissant les canaux de communication nécessaires en conséquence. En particulier, l ’ Italie devrait veiller à ce que les rôles et les responsabilités des autorités et des différents acteurs ne se chevauchent pas et soient clairement définis, notamment dans les domaines où une coopération étroite entre les différentes entités et ministères est nécessaire.

Accès à l’information

Le SPT a constaté un décalage frappant entre l’obligation de donner des informations, les informations théoriquement disponibles et l’accès effectif des migrants à ces informations. Tout au long de toutes les procédures, le manque d’informations était chronique et les migrants interrogés ont dit ne pas comprendre pourquoi ils se trouvaient dans ce centre en particulier et ce qui se passerait ensuite. Les migrants ne connaissaient pas leurs droits, les services à leur disposition ou les procédures judiciaires dont ils faisaient l’objet. Ils étaient malheureux d’être séparés des amis ou autres avec qui ils avaient voyagé et de ne pas être informés des raisons pour lesquelles ils étaient censés être traités différemment.

Dans certains lieux, les règles et les droits étaient affichés ou il y avait une brochure d’information dans plusieurs langues. Toutefois, conformément aux obligations découlant du droit d’avoir accès à l’information, les informations doivent être accessibles sous une forme et dans une langue compréhensibles par le migrant et ne pas avoir seulement un caractère général, mais permettre à la personne de comprendre sa situation et ses droits et les possibilités existantes à cet égard. Il y avait un net manque de communication entre les autorités qui détenaient des informations sur les cas individuels des migrants et les procédures à venir et les migrants concernés ou le personnel des différents lieux. Dans les cas d’expulsion, le personnel des CIE avait même l’interdiction d’informer les migrants de ce qui se passait, ce qui rendait vains tous les efforts pour maintenir le calme et l’ordre dans le centre. Les documents juridiques délivrés aux migrants, notamment les mesures de renvoi, ne leur étaient pas suffisamment expliqués.

Le SPT relève avec préoccupation que le manque d’information et l’absence d’explications étaient une cause directe du stress et de l’anxiété qu’éprouvaient les migrants, quel que soit le lieu où ils étaient détenus, exacerbaient leurs sentiments de désespoir et d’incertitude et avaient un effet négatif sur leur santé mentale. Compte tenu de la situation de vulnérabilité accrue dans laquelle se trouvent de nombreux migrants, il faudrait prendre des précautions supplémentaires pour que les informations soient communiquées avec tact.

Le SPT recommande à l ’ Italie d ’ établir des procédures pour que les migrants reçoivent des informations, sous une forme accessible et dans une langue dont on sait qu ’ ils la comprennent, sur leur situation, la disponibilité des services spécifiques et la manière d ’ y avoir accès, les procédures qui seront suivies, leurs droits et obligations au cours de la procédure, les conséquences possibles de leur non-respect des règles et les recours dont ils peuvent se prévaloir .

Système de justice, y compris les services de défense

Au fil de ses entretiens avec des membres du personnel, des avocats, des assistants de justice, des migrants et des organisations non gouvernementales, le SPT a constaté que le système mis en place pour aider les migrants à exercer leurs droits n’était pas efficace. Les délais dans lesquels les migrants devaient être traduits devant un tribunal n’étaient pas respectés. Il n’y avait pas de confiance mutuelle entre les différents acteurs juridiques et judiciaires et les migrants, car ceux-ci avaient le sentiment de ne pas être entendus. Le SPT a entendu dire que les audiences et les décisions judiciaires relatives à la détention et à l’expulsion étaient réputées être un exercice de pure forme et ne tenaient pas dûment compte de la situation personnelle des migrants. Des migrants ont dit qu’ils n’étaient pas entendus et qu’ils avaient le sentiment ne pas être traités avec dignité et respect. Le SPT note que, en plus de faire disparaître toute incitation pour les migrants à coopérer avec le système, l’absence de services de défense appropriés et de qualité a des incidences négatives sur la santé mentale des migrants.

Le SPT recommande à l ’ Italie de veiller à ce que les forces de l ’ ordre, les avocats, les juges et les autres agents de l ’ État travaillant avec les migrants exercent leurs fonctions d ’ une manière qui respecte les garanties d ’ un procès équitable et les droits de la défense, en particulier le droit qu ’ a toute personne d ’ être présentée dans le plus court délai à un juge chargé de déterminer la légalité de sa détention, d ’ avoir accès aux services d’un avocat et, si nécessaire, à des service s d ’ interprétation gratuits ainsi que d ’ être entendue et le droit à ce qu ’ il soit statué sur son cas à l ’ issue d ’ une évaluation de sa situation personnelle.

Le SPT recommande à l ’ Italie de coopérer avec les organisations non gouvernementales et l ’ association du barreau fournissant un appui aux migrants pour établir la liste des avocats ayant des compétences en droit de l ’ immigration .

Suivi et responsabilité

Le SPT est profondément préoccupé par l’absence de mécanisme de suivi indépendant chargé d’examiner régulièrement les centres pour migrants, les transferts et les processus de débarquement et d’expulsion. Les autorités et l’administration ont fait preuve d’une méconnaissance totale de la notion de suivi, qu’elles confondaient avec les fonctions de surveillance ou de contrôle des frontières. Le SPT a entendu dire que des organes de suivi indépendants, qui s’étaient rendus dans les lieux de détention par le passé, avaient à présent des difficultés pour y accéder. Pendant toute la durée de sa visite, il n’a pas rencontré de personne chargée de suivre la situation des droits de l’homme des migrants dans le cadre de ses fonctions officielles.

Le SPT a constaté qu’il n’y avait pas de structures permettant aux migrants de déposer des plaintes et de signaler des violations des droits de l’homme. La probabilité que les migrants doivent surmonter des obstacles considérables pour accéder au système de justice italienne depuis l’étranger impose à l’État partie un devoir accru de veiller à ce que des mécanismes de plainte soient effectivement disponibles et accessibles. L’absence de mécanismes de plainte accessibles et efficaces destinés aux migrants, ajoutée à l’absence de suivi, compromet d’autant plus la capacité de l’Italie à assurer des garanties essentielles pour prévenir les violations des droits de l’homme, y compris la torture et les mauvais traitements.

Le SPT recommande à l ’ État partie :

a) D ’ assurer de toute urgence un suivi interne et externe indépendant, notamment par l ’ intermédiaire du mécanisme national de prévention, des centres pour les migrants et des processus en vigueur afin de garantir que ses actes sont conformes au droit international des droits de l ’ homme et aux normes dans ce domaine, y compris la prévention de la torture et des mauvais traitements ;

b) D ’ assurer et de faciliter l ’ accès effectif et sans restriction des organes de suivi indépendants à tous les lieux où des migrants peuvent être détenus, y compris les centres d ’ accueil, ainsi qu ’ aux processus de débarquement et d ’ expulsion et aux transferts ;

c) De veiller à ce que des mécanismes soient établis pour mettre en œuvre les recommandations faites par les organes de suivi.

D.Principaux problèmes concernant la détention de migrants

Le SPT présente ci-après ses observations sur les procédures d’immigration, du débarquement à l’expulsion, auxquelles sa délégation a assisté.

1.Débarquement

Le SPT a constaté que la procédure de débarquement se passait dans le calme et qu’elle comportait plusieurs contrôles médicaux et contrôles de sécurité avant l’arrivée au centre de premier accueil (Centro di Soccorso e Prima Accoglienza − Centre de secours et de premier accueil pour migrants et demandeurs d’asile) ou le transfert vers d’autres centres situés sur le territoire italien. Les examens médicaux, auxquels il était procédé promptement, visaient principalement à détecter les maladies contagieuses. Les femmes enceintes étaient recensées sur l’embarcation et transférées à l’hôpital en ambulance dès le débarquement. Les urgences médicales étaient traitées de la même manière. Le SPT a noté avec préoccupation que les contrôles de sécurité étaient faits uniquement par du personnel masculin. Il arrivait aussi que les familles soient séparées au moment du débarquement et que des femmes accompagnées d’enfants doivent attendre, parfois dans le mauvais temps, avant de retrouver leur époux − au risque de le perdre lorsque les choses se déroulaient d’une manière moins ordonnée.

Le SPT recommande aux autorités d ’ affecter le nombre voulu d ’ agents de chacun des deux sexes aux contrôles de sécurité. Il leur recommande aussi de ne pas séparer les familles pendant les procédures de débarquement.

Les migrants recevaient un numéro d’identification avec lequel ils étaient photographiés à deux reprises pendant les contrôles de sécurité. Le personnel de FRONTEX les interrogeait pour vérifier les informations relatives à l’identité qui seraient consignées dans les formulaires de la Questura (notamment nom, sexe, date de naissance, nationalité), la police italienne jouant un rôle opérationnel. Cette procédure était exécutée rapidement mais les migrants n’étaient informés ni de leurs droits, ni de la raison d’être ou de l’utilité de ce formulaire et de leur signature. Le SPT a aussi noté que, à ce stade, aucune question n’était posée pour évaluer si les personnes avaient besoin de protection ou si elles couraient un risque particulier.

Le SPT recommande à l ’ Italie de mettre en place un mécanisme visant à garantir que les préoccupations relatives aux droits de l ’ homme et à la protection des réfugiés priment les objectifs de gestion des migrants et de contrôle des frontières, et que les personnes courant un risque particulier soient repérées le plus tôt possible. Il est certes nécessaire d ’ identifier les migrants et de recueillir des données à leur sujet, mais il convient aussi d ’ éviter que les informations sur la nationalité entraînent un profilage fondé sur celle-ci plutôt que sur les besoins de protection. Chacun devrait être informé de ses droits, de la raison d ’ être de tout formulaire qu ’ il doit signer et des éventuelles conséquences du non-respect de cette procédure.

De nombreux migrants avaient des bouteilles d’eau qu’ils avaient reçues sur l’embarcation. La nourriture était servie à tout le monde en même temps, environ quatre heures après le début du débarquement, alors que beaucoup d’enfants se plaignaient d’avoir faim.

Le SPT recommande que de l ’ eau et un en-cas soient distribués au moment de l ’ enregistrement dans le centre et que l ’ eau soit disponible à tout moment.

Certaines personnes, identifiées comme témoins potentiels ou suspectées d’être des trafiquants, étaient prises à part pour être interrogées et subissaient une pression psychologique notable. Le SPT a appris que les migrants qui souhaitaient coopérer en tant que témoins étaient transférés vers des lieux d’accueil différents, mais n’a pas pu savoir où se trouvaient ces autres centres d’accueil temporaires, ni où les personnes suspectées de traite étaient emmenées. Le manque de transparence et l’absence évidente de garanties procédurales pour ces migrants au moment du débarquement suscitent des préoccupations considérables.

Le SPT recommande que, lors qu’il y a enquête sur de possibles trafiquants, tous les acteurs en présence aient connaiss ance d es principes régissant les garanties du procès équitable et de la procédure régulière, et agissent conformément à ces garanties, dont la présomption d ’ innocence, le droit de se taire et le droit de bénéficier des services d’un avocat . Ils doivent s’abstenir d’exercer une pression indue sur les migrants, qui sont alors en situation de vulnérab ilité et de stress accrus . Tant qu ’ un individu n ’ a pas été jugé et déclaré coupable par un tribunal, son droit de demander une protection doit être respecté.

2.Premier accueil

Le centre d’accueil de Pozzallo avait une capacité officielle d’accueil de 180 personnes réparties dans deux pièces et était dirigé par une coopérative dont l’équipe occupait différentes fonctions. Il y avait un travailleur social, un psychologue et des médiateurs culturels. Le SPT a noté avec satisfaction que de nombreux membres de l’équipe avaient déjà travaillé avec des migrants. Néanmoins, lorsque le SPT a visité ce centre, il n’y a pas rencontré d’agent chargé de la protection de l’enfance. Il n’a reçu aucune information concernant du personnel qui aurait été eu une fonction de protection de l’enfance ; seule l’organisation non gouvernementale Save the Children donnait un appui spécialisé aux enfants.

Le SPT recommande à l ’ Italie de veiller à ce que tous les centres pour migrants disposent de personnel dûment formé afin de répondre aux besoins particuliers des migrants, en fonction de leur âge et de leur sexe.

Les soins médicaux physiques et psychologiques étaient donnés dans le cadre d’un arrangement entre les services de santé locaux et Médecins sans frontières (MSF). À l’infirmerie du centre, un médecin recevait les patients dans le cadre d’un horaire fixe ; un infirmier était présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les urgences. Néanmoins, le SPT considère que le centre ne disposait pas d’un personnel suffisant compte tenu de sa capacité d’accueil, ce qui pouvait avoir des conséquences négatives sur la santé physique et mentale des migrants. Il a aussi appris qu’un pourcentage élevé de migrantes, femmes et filles, avaient subi des violences sexuelles et sexistes avant ou pendant leur voyage. Il était difficile de déterminer s’il existait des procédures et s’il y avait du personnel pour la prise en charge de ces personnes et dans quelle mesure ils étaient efficaces.

Il convient de souligner un autre aspect positif, à savoir que l’un des médecins était aussi psychologue. Néanmoins, il s’est avéré que les migrants n’en avaient pas été informés et qu’ils ne comprenaient pas le traitement qu’ils recevaient ; cela avait provoqué du stress et un deuxième traumatisme chez un migrant qui, malgré son souhait, ne pouvait être transféré en raison de son état médical, mais n’avait pas reçu d’explication précise à ce sujet.

Le SPT recommande que les migrants soient inform és de leur état de santé , du traitement qui leur est a dministré et d es médicaments qu ’ ils doivent prendre selon des modalités et dans une langue qu ’ ils peuvent comprendre et qui soit adaptée à leur âge, à leur culture et à leur sexe. L ’ État partie devrait faire en sorte qu ’ il y ait assez d ’ agents médicaux des deux sexes, que ces agents soient à même d e dispenser des services médicaux de qualité et de fournir les médicaments nécessaires, y compris pour la santé sexuelle et procréative .

Le SPT a noté que les migrants recevaient une trousse contenant les articles d’hygiène de base pour hommes et pour femmes, mais que seule une salle de douches était en service, obligeant hommes et femmes à s’y succéder par rotation, que les chasses des toilettes ne fonctionnaient pas, et donc que les conditions d’hygiène de ce centre n’étaient pas satisfaisantes.

Le SPT recommande que les salles de douche et les toilettes soient réparées et régulièrement entretenues.

Une entreprise de restauration extérieure livrait trois repas par jour. Néanmoins, le SPT a recueilli des plaintes sur le fait que l’eau et la nourriture étaient insuffisantes.

Le SPT recommande que l ’ eau et la nourriture soient disponibles en quantités dépassant le simple minimum nutritionnel requis.

Le centre d’accueil avait été agrandi pour pouvoir accueillir jusqu’à 400 personnes ; des matelas avaient été ajoutés dans l’espace réservé aux activités récréatives et dans la cantine pour loger le grand nombre de migrants qui arrivaient le jour où le SPT a fait sa visite. Tout le monde dormait dans la même pièce, les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Un groupe de garçons non accompagnés arrivé une quinzaine de jours auparavant a été déplacé dans une pièce plus petite. Le SPT estime que, dans les centres mixtes, il faudrait séparer les hommes et les femmes afin de garantir une intimité et une protection suffisantes contre la violence sexuelle ou sexiste.

Les migrants pouvaient demander à quitter les lieux pendant la journée, à l’exception des enfants non accompagnés, qui ne pouvaient pas sortir, mais pour qui aucune activité n’était prévue. Le centre d’accueil ne comportait pas d’espace privé ni d’espace récréatif à l’extérieur. Le SPT est inquiet du fait que les migrants, qui ne doivent pas être détenus plus de quarante-huit heures dans ce centre, y séjournaient en moyenne trois ou quatre jours avant leur transfert. Il a constaté que, dans certains cas, certes exceptionnels, les registres faisaient état de séjours allant jusqu’à seize jours. Il note aussi avec préoccupation que des enfants non accompagnés présents dans le centre depuis une quinzaine de jours disaient qu’ils ne savaient pas pourquoi ils étaient encore là ni combien de temps ils allaient encore y rester, qu’ils n’avaient rien à faire ni nulle part où jouer, et qu’ils étaient inquiets parce qu’ils ne pouvaient pas avoir des contacts réguliers avec leur famille.

Le SPT est conscient du fait qu’il faut des lieux d’accueil pour pouvoir offrir une aide immédiate aux migrants qui viennent d’arriver et des problèmes que cela pose en termes de logistique et de ressources. Néanmoins, il sait aussi que le nombre annuel d’arrivées est stable, voire en progression ces dernières années, et que cette tendance devrait se poursuive. On ne peut donc pas considérer qu’il s’agit là d’une situation d’urgence. Le SPT estime que des séjours de plus de quarante-huit heures dans de tels centres ne sont ni recommandés ni légaux, car ils n’ont aucune base juridique.

Le SPT conclut que l es restrictions à la liberté de circulation associées au manque d ’ espace p rivé, d’espace récréatif et d’espace extérieur et aux mauvaises conditions sanitaires rendent les centres d ’accueil de ce type inappropriés pour des séjours de plus de quarante-huit heures.

Le SPT recommande à l ’ État partie :

a) De prendre des mesures efficaces pour que les migrants ne restent pas dans de tels lieux au-delà des quarante-huit heures autorisées par la loi ;

b) De prendre des mesures particulièrement rigoureuses pour que les enfants migrants ne soient pas gardés en d étention car une telle situation ne correspond jamais à l ’ intérêt supérieur de l ’ enfant et constitue une violation de se s droits ;

c) De veiller à ce que les dispositions prises dans les centres d ’ accueil protègent efficacement les femmes contre les actes de violence sexuelle ou sexiste.

3.Accueil de deuxième ligne

Le SPT a visité un CARA (Centro di Accoglienza per Richiedenti Asilo − Centre d’accueil pour demandeurs d’asile) à Bari et quatre CIE (Centro di identificazione ed espulsione − Centre d’identification et d’expulsion) situés respectivement à Rome, à Turin, à Trapani et à Bari. Normalement, les CIE ne devraient pas être considérés comme des centres d’accueil car ils sont censés héberger les migrants passibles d’expulsion. Néanmoins, le SPT a constaté qu’un certain nombre de migrants avaient été transférés directement dans un CIE dès leur débarquement et que certaines personnes détenues dans de tels centres avaient engagé une procédure de demande de protection. Pour cette raison, le fonctionnement de ces centres sera examiné dans la présente section.

Centre CARA

Pour commencer, le SPT a eu le plaisir de constater que le centre CARA qu’il a visité à Bari n’était pas à strictement parler un lieu de privation de liberté, car les demandeurs d’asile pouvaient en sortir librement et se rendre à Bari grâce aux navettes mises à leur disposition. Il a observé qu’il y régnait une atmosphère paisible, même si le centre était surpeuplé et tournait à pleine capacité, soit 1 200 places. En moyenne, les migrants y restaient environ neuf mois, en attendant qu’il soit statué sur leur demande d’asile. Parmi les aspects positifs relevés, il convenait de citer l’existence de lieux et d’activités récréatifs, d’espaces extérieurs et de lieux de culte. Il a noté que les bâtiments étaient situés dans un ancien complexe militaire et que, malgré le cadre tranquille, la présence militaire était importante, ce qu’il a estimé inutile et inadapté aux circonstances.

Le SPT recommande à l’Italie de reconsidérer la nécessité de militariser les centres CARA

Le SPT a noté avec préoccupation la médiocrité des conditions matérielles, en particulier des installations sanitaires. Certaines toilettes ne fonctionnaient pas, une n’avait pas de porte et, d’une manière générale, toutes étaient dans un état de saleté inacceptable. Elles étaient situées à cinq minutes de marche au moins des unités de logement. Chacune de ces unités accueillait quatre personnes, ce qui était beaucoup vu l’exiguïté des pièces.

Le SPT recommande de faire réparer les toilettes et de les faire entretenir régulièrement pour qu ’ un niveau minimum d ’ hygiène soit assuré.

Le SPT a noté avec satisfaction que le centre servait trois repas par jour, et que ceux-ci étaient suffisants en qualité et en quantité, tenaient compte des besoins alimentaires et offraient un certain choix. Les demandeurs d’asile pouvaient aussi utiliser les cuisines pour préparer leurs propres repas.

CIE

Le SPT a noté avec préoccupation que, dans tous les CIE, la sécurité était lourdement militarisée et se caractérisait par la forte présence de quatre institutions (laGuardia di Finanza, les carabiniers, la police nationale et l’armée) et par une organisation et des méthodes de surveillance et de contrôle de type carcéral, dignes d’une prison de haute sécurité. Le SPT considère cette approche militaire, qui se manifeste notamment par la présence de soldats en armes et de brigades canines, comme étant inutile et très menaçante, surtout pour les nombreux migrants qui ont subi des expériences traumatisantes dans leur pays d’origine ou pendant leur voyage. Il accueille avec satisfaction les renseignements qu’il a reçus pendant sa visite de suivi au sujet d’un accord signé peu auparavant entre le Ministère de la justice et le Ministère de l’intérieur, qui vise à traiter les procédures d’expulsion pendant la détention et qui devrait permettre d’assouplir les mesures de sécurité dans les CIE.

Pendant sa visite, le SPT a remarqué que les locaux eux-mêmes ajoutaient à l’hostilité des lieux, les bâtiments étant divisés en une multitude de secteurs fermés et entourés de plusieurs clôtures de barbelés. Il considère que cette structure sécuritaire est totalement inutile dans le cadre de la détention administrative. Par exemple, dans certains des CIE visités, l’accès aux distributeurs de nourriture et de boissons était libre à certaines heures mais devait se faire sous escorte militaire à d’autres. Le SPT souligne aussi que, compte tenu des infrastructures matérielles et des structures organisationnelle et sécuritaire de ces établissements, il serait totalement inapproprié de les transformer en points d’accueil car ils ne satisfont pas aux règles et aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, s’agissant de prévenir la détention arbitraire et les traitements inhumains ou dégradants. À cet égard, il accueille avec satisfaction les renseignements qu’il a reçus durant sa visite de suivi, selon lesquels, jusqu’à présent, les CIE n’ont pas été utilisés comme points d’accueil.

Le SPT recommande à l ’ État partie :

a) De continuer de réduire l ’utilisation des CIE et de s ’ orienter vers de s solution s de rechange à la d étention, et de ne recourir à celle-ci que lorsque l ’ expulsion est imminente et qu e la détention est nécessaire et proportionnée ;

b) De faire en sorte que tous les centres de détention pour migrants soient démilitarisés , en supprimant les infrastructures de surveillance et de sécurité intimidat r i ces et en réduisant le niveau et le nombre de soldats en armes et de policiers sur les lieux  ;

c) De faire en sorte que tous les centres de détention pour migrants soient réorganisés dans le respect des objectif s de la détention administrative, dans laquelle l es entraves à l ’ autonomie des personnes sont réduite s au minimum , et qu’il n’y ait d’autres restriction s que celles qui sont strictement nécessaire s au maint i en de l ’ ordre et de la sécurité.

Le SPT rappelle que toute détention représente une atteinte grave au droit à la liberté et a un effet négatif sur l’être humain, par les répercussions qu’elle a sur le droit au meilleur état de santé possible et sur les autres droits de l’homme qui y sont liés. La détention des enfants migrants ne correspond jamais à l’intérêt supérieur de l’enfant et constitue toujours une atteinte à ses droits. Le SPT a noté avec satisfaction que les enfants ou les familles avec enfants n’étaient pas placés dans des CIE, bien qu’une allégation ait été reçue dans un CIE selon laquelle un enfant était détenu dans un tel établissement après qu’on avait découvert son âge réel.

Le SPT recommande à l ’ Italie de faire en sorte que les enfants soient promptement recensés et que toute personne déclarant être un enfant soit traitée comme tel jusqu ’ à preuve du contraire. Les procédures de détermination de l ’ âge devraient être une mesure de dernier recours et être appliquées par des agents de la protection de l ’ enfance d ’ une manière prompte et adaptée à l ’ âge et au sexe de l ’ enfant. Lorsqu e les résultats ne sont pas concluants , le bénéfice du doute devrait être accordé à la personne évaluée.

Le SPT a noté que le langage adopté pour parler de la détention des personnes dans les CIE était celui de l’internement, reflétant la nature administrative de ces centres. Or, en réalité, leur structure et leur fonctionnement n’avaient rien en commun avec ceux d’un établissement de détention administrative.

Le SPT a constaté que les migrants placés dans les CIE correspondaient, en gros, aux trois catégories suivantes : a) des personnes qui, condamnées pour une infraction pénale, avaient subi une peine privative de liberté et devaient être expulsées ; b) des migrants en situation irrégulière qui avaient été repérés lors de contrôles aléatoires ; c) des migrants en situation irrégulière qui avaient été sauvés en mer.

En ce qui concerne la première catégorie de détenus, le SPT a été préoccupé d’apprendre qu’ils avaient pour la plupart déjà purgé la totalité de leur peine d’emprisonnement mais qu’ils pouvaient être détenus trente jours de plus en raison d’obstacles pratiques à l’organisation de leur expulsion vers leur pays d’origine. La détention dans le CIE n’était pas liée à leur condamnation d’origine. Le SPT sait que des mesures ont été prises pour éviter une telle pratique (dont un accord signé entre le Ministère de la justice et le Ministère de l’intérieur) mais, au moment de sa visite, ce groupe de migrants constituait encore la majorité des détenus.

Le SPT considère que l e placement de personnes ayant purgé leur peine privati ve de liberté dans un centre de détention pour migrants est une pratique totalement inadéquate parce qu ’ elle ne correspond pas à un objectif légitime et qu ’ elle représente de facto une peine supplémentaire. Le SPT recommande à l ’ Italie d ’abolir la pratique qui consiste à placer des migrants condamnés dans des centres de détention pour migrants.

Le SPT a été inquiet d’apprendre que la deuxième catégorie de migrants comptait aussi des personnes qui avaient déjà été placées en détention dans un CIE aux fins de l’expulsion. Si, au terme de quatre-vingt-dix jours, l’expulsion ne pouvait pas avoir lieu, le migrant recevait l’arrêté d’expulsion et était prié de quitter le territoire. Néanmoins, les obstacles pratiques qui s’opposaient à son départ, tels que l’absence de documents d’identité ou de voyage, n’avaient pas disparu, ce qui rendait le retour dans son pays impossible. Dans ces circonstances, les migrants restent sur le territoire et courent le risque d’être de nouveau placés en détention dans un CIE. Le SPT estime que ce système est impraticable, car il ne tient pas compte du fait que bon nombre de ces migrants ont une famille et un emploi, déclaré ou non, parfois depuis de nombreuses années. Cette situation pose tout d’abord la question de la réalité du « risque de fuite » qui justifie la détention. Deuxièmement, si le migrant a déjà été détenu et que son expulsion n’a pas eu lieu, on est en droit de se demander si une période supplémentaire de détention permettra vraiment de supprimer les obstacles pratiques et de rendre effective l’expulsion. Le SPT note aussi les conséquences considérables que l’expulsion peut avoir sur la santé mentale des migrants. Dans de tels cas, l’État partie voudra peut-être examiner plus en détail les circonstances administratives qui ont amené la personne à se trouver en situation irrégulière et à être placée en détention administrative.

Le SPT recommande à l ’ Italie :

a) De reconsidérer sa pratique consistant à placer en détention des migrants qui vivent et travaillent en Italie et de prévoir des solutions de rechange à la détention, en particulier lorsque la nécessité et la proportionnalité de la détention de migrants ne correspond pas à un risque réel de fuite ;

b) D ’ abolir s a pratique consist ant à placer en détention des migrants qui l ’ ont déjà été préalablement pour les mêmes raisons, à moins que l ’ expulsion ne soit imminente et qu ’ il n ’ y ait un risque réel de fuite.

Les migrants en situation irrégulière arrivés par bateau à travers la Méditerranée représentaient la troisième catégorie. Il s’agissait de demandeurs d’asile dont la demande n’avait pas abouti ou de personnes qui n’avaient pas droit à d’autres formes de protection temporaire. Le SPT a noté avec préoccupation que des groupes de personnes, généralement de même nationalité, avaient aussi été transférés au CIE directement depuis le port de débarquement. Cette pratique est problématique à deux égards : elle indique qu’il peut y avoir détention collective et elle risque de contrevenir à l’interdiction de l’expulsion collective. Il conviendrait de procéder à une évaluation individuelle afin de déterminer pour chaque migrant la nécessité et la proportionnalité de la détention. Le SPT n’a pas constaté que la détermination individuelle était dûment intégrée dans les processus décisionnels. Deuxièmement, comme souligné plus haut (par. nos …), le SPT sait qu’au moment du débarquement, aucune question n’est posée qui permette d’évaluer si le migrant court un risque particulier ou s’il doit être protégé. Il souligne que chacun a droit à un examen individuel de tous les arguments qui militent contre son expulsion, ce pour éviter les expulsions collectives, qui violent le principe de non-refoulement et l’interdiction de la discrimination.

Le SPT recommande à l ’ Italie de faire en sorte que le transfert direct du lieu de débarquement aux CIE soit évité et que le placement en détention ne soit ordonné qu ’ en dernier recours. L ’ Italie devrait aussi faire procéder à une évaluation individuelle pour chaque migrant arrivé par mer, sans discrimination d ’ aucune sorte.

Les conditions de vie matérielles dans les CIE variaient mais, d’une manière générale, elles étaient déplorables, voire exécrables. Le SPT a vu des matelas crasseux, certains dépourvus de draps et un certain nombre de détenus présentant des plaies et souffrant de la gale. Les toilettes et les douches étaient généralement en mauvais état : elles ne fonctionnaient pas, étaient sales ou ne distribuaient pas d’eau chaude. Dans les CIE, les cellules n’étaient pas toutes identiques ; une ou deux disposaient d’un téléviseur ou d’air conditionné et étaient plus spacieuses, mais la majorité d’entre elles étaient petites et ne disposaient pas de tels équipements.

Le SPT recommande à l ’ Italie de veiller à ce que chaque CIE puisse faire réparer promptement et entretenir régulièrement ses douches et ses toilettes et à ce que les matelas et le linge de lit respectent des normes d ’ hygiène suffisantes .

Le SPT estime que la nourriture servie dans les CIE est de piètre qualité. Il note aussi le contraste frappant entre la qualité de la nourriture fournie dans les CIE et celle des repas servis au CARA inspecté à Bari. Il ne trouve pas de justification raisonnable à une telle différence.

Le SPT recommande à l ’ Italie de faire en sorte que les repas servis soient d ’ une quantité et d ’ une qualité suffisantes dans tous les CIE et que des normes comparables en matière d ’ eau et d ’ alimentation soient appliquées à tous les migrants, quel que soit leur statut et leur lieu de détention ou d ’ accueil.

Les migrants avaient accès à leurs effets personnels, qui étaient rangés dans un endroit central, à certaines heures. Ils ne pouvaient disposer librement de leur téléphone que s’ils supprimaient l’option photos, pour des raisons liées à la sécurité. De nombreux articles, tels que livres, photos, affiches ou stylos, étaient interdits par mesure de sécurité, sans qu’il y ait d’évaluation individuelle des risques. Néanmoins, le SPT a noté que cette règle n’était pas applicable dans tous les CIE, ce qui soulevait des questions quant à sa nécessité dans les établissements où elle était appliquée.

Les activités et les espaces récréatifs étaient limités dans tous les CIE. Tous les centres possédaient des espaces extérieurs et intérieurs et un certain nombre d’activités étaient organisées, telles que des cours d’art et d’artisanat. Or, les migrants en étaient rarement informés. Quand ils participaient à ces cours, ils exprimaient leur déception de ne pas être autorisés à conserver leurs productions artistiques. Dépourvues d’équipement, les espaces de récréation ne pouvaient pas remplir leurs fonctions et les zones vertes étaient rares, sinon inexistantes. Globalement, le SPT a constaté que les espaces de récréation ne disposaient pas des équipements qui auraient permis de s’adonner à une véritable activité récréative, qu’elle soit culturelle ou physique.

Le SPT a constaté que les effets négatifs de la détention sur le bien-être des migrants étaient exacerbés par les restrictions imposées à leur autonomie et par l’impossibilité de pratiquer la moindre activité récréative, culturelle ou physique. Il a appris qu’il existait un règlement comportant des normes communes qui devaient être appliquées dans tous les CIE. Mais ce règlement n’était pas appliqué dans la pratique, aboutissant à un traitement différencié, sans qu’il y ait d’évaluation des risques individuels ni d’autre justification raisonnable et objective.

Les zones réservées aux visiteurs n’offraient qu’une intimité limitée. Dans le CIE qui accueillait des hommes et des femmes, les couples étaient séparés et leur seul lieu de rencontre était la salle des visites, pendant des heures prévues à cet effet.

Le SPT recommande à l ’ État partie de faire en sorte que :

a) Des normes communes soient appliquées dans tous les CIE ;

b) Tous les centres de détention pour migrants soient pourvus d ’ équipements suffisants qui permettent de pratiquer des activités récréati ve s , physiques et culturel le s et auxquels les migrants aient véritablement accès ;

c) L’ intimité voulue soit assurée aux migrants qui reçoivent des visiteurs ou aux couples qui sont dé tenus.

Tous les CIE disposaient d’une infirmerie. Les migrants en situation irrégulière faisaient habituellement l’objet d’un examen médical à leur arrivée. Selon les renseignements reçus, ces examens étaient plutôt sommaires. Le SPT est préoccupé par le fait que cette manière de procéder ne permet pas de recenser les victimes de sévices sexuels, d’actes de violence ou de torture.

Les médecins des CIE tenaient un registre de tous les migrants, où ils consignaient les traitements administrés. Les CIE n’employaient pas tous des psychologues. Dans les centres où il y avait des psychologues, ceux-ci ne donnaient pas de consultations individuelles, mais dispensaient des cours d’art, qui contribuaient à distraire les migrants. Le SPT a vu des migrants en détresse, qui disaient aussi souffrir d’insomnies. Il s’inquiète du fait que de nombreuses personnes ayant subi des traumatismes et des violences ne reçoivent pas les soins de santé mentale dont elles ont besoin.

Le SPT recommande à l ’ État partie :

a) De veiller à s ’ acquitter dûment de l’ obligation qui lui incombe de recenser les victimes de torture, de sévices sexuels, de violence ou de traumatisme et de leur donner les soins médicaux physiques et psychologiques appropriés et la protection voulue ;

b) De garantir un accès prompt et efficace à des soins de santé mentale individu el s, compte tenu des besoins liés à l ’ âge, a u sexe et à la culture de chacun.

4.Expulsion

Le SPT a observé le transfert des migrants du CIE de Rome à l’autocar qui les emmenait à l’avion sur lequel ils allaient être expulsés. Il a appris qu’il s’agissait d’une opération d’expulsion forcée de ressortissants nigérians menée conjointement avec FRONTEX. Il note avec regret que les agents au sol n’avaient pas été dûment informés de leurs obligations envers le SPT, qui n’a donc pas pu s’acquitter de son mandat en vertu de l’article 11 du Protocole facultatif. En particulier, le SPT n’a pas eu accès à certains lieux de détention, dont les autocars dans lesquels les migrants étaient conduits à l’avion, ainsi qu’à l’aéroport lui-même.

Le SPT rappelle à l ’ Italie les obligations qui lui incombent en vertu de l ’ alinéa a) de l ’ article 12 du Protocole facultatif, selon lequel elle doit prendre les dispositions nécessaires pour s’assurer que le SPT puisse s ’ acquitter de son mandat.

Le SPT reconnaît qu’en ce qui concerne la détention des migrants l’Italie a des objectifs légitimes de contrôle des frontières, de respect de la loi et de gestion de l’immigration dont la réalisation lui donne le droit de prendre certaines mesures. Cependant, les politiques et les procédures qu’elle applique doivent être conformes aux obligations qui lui incombent dans le domaine des droits de l’homme, indépendamment des autorités qui mettent en œuvre ces mesures et du lieu du territoire sous juridiction italienne où celles-ci sont exécutées.

Le SPT est profondément préoccupé par la manière dont l’expulsion forcée a été menée et considère qu’elle constitue un traitement inhumain ou dégradant, qui n’est pas conforme aux obligations incombant à l’Italie dans le domaine des droits de l’homme pour les raisons ci-après :

a)Les migrants visés par la mesure d’expulsion et ceux qui restaient dans le CIE étaient manifestement dans un état extrême de stress, d’angoisse et de peur tout au long de la procédure. Interrogés à ce propos, les migrants ont indiqué qu’ils avaient été traités « comme des animaux » et que certains souffraient d’insomnies en raison de l’incertitude, de l’absence d’information et de la crainte constante d’être expulsés ;

b)Les migrants ne savaient pas qu’ils allaient être expulsés et nombre d’entre eux étaient encore engagés dans des procédures légales visant à déterminer leur droit de demeurer sur le territoire italien ;

c)Qu’ils résistent ou non aux agents, tous les migrants en cours d’expulsion avaient eu les mains étroitement attachées par des menottes de velcro noir. Ceux qui se débattaient étaient tenus étroitement et traînés par les mains et par les pieds jusqu’à l’autocar ;

d)Des chiens policiers excités avaient aboyé pendant le transfert à l’autocar, ajoutant au climat menaçant ;

e)Des migrants s’étaient évanouis ; ils avaient été mis sous sédation et transportés inconscients sur une civière roulante. Le SPT a constaté avec inquiétude que, contrairement à la règle selon laquelle tout migrant, avant d’être expulsé, doit subir un examen médical visant à évaluer s’il est en état de voyager, on avait essayé de transférer une personne qui, à l’évidence, n’était pas en état de voyager ;

f)Bien que les femmes aient constitué la majorité des personnes expulsées, elles avaient été emmenées par des agents masculins, souvent de manière dégradante.

Le SPT a appris que la direction des CIE n’était avisée de l’ordre d’expulsion que quelques heures avant l’opération et n’était pas autorisée à en informer les migrants, ce qui ne lui permettait pas de soutenir les détenus et de maintenir le calme.

Le SPT a aussi appris que des décisions judiciaires ordonnant la suspension de la mesure d’expulsion avaient été prononcées en faveur de certains migrants mais qu’elles n’avaient pas été physiquement remises à la Questura, qui n’avait donc pas reconnu leur validité. Une femme avait reçu l’autorisation de rester sur le territoire italien après qu’elle avait déjà été conduite à l’aéroport. Elle avait été ramenée au CIE et libérée le lendemain, après avoir subi un stress considérable qui aurait pu être évité.

Le SPT considère que, faute d’effet suspensif dans les procédures judiciaires en cours et d’accès en temps voulu aux informations concernant les expulsions, les droits à une procédure équitable et le droit à un recours utile ne sont pas respectés.

Les procédures suivies et les méthodes appliquées lors des expulsions forcées sapent toute prévention efficace et accroissent le risque qu’à l’avenir, les expulsions ne respectent pas le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le SPT rappelle à l’État partie que le droit international relatif aux droits de l’homme impose que les conditions de l’usage de la force soient définies en droit et qu’il ne soit fait usage de cette force que de manière strictement nécessaire et proportionnée.

Le SPT note aussi qu’il faut privilégier les rapatriements volontaires et engage l’Italie à n’utiliser l’expulsion forcée qu’en dernier recours. Il souligne que tout consentement au rapatriement volontaire doit être éclairé et accepté sans coercition telle que la perspective d’être détenu dans des conditions inappropriées.

Le SPT demande instamment à l ’ Italie à revoir ses procédures d ’ expulsion et :

a) À revoir sa législation afin que celle-ci respecte les garanties d ’ une procédure régulière, dont l ’ effet suspensif automatique des appels contre les arrêtés d e renvoi  ;

b) À supprimer tout obstacle administratif rendant inefficace s les garanties de procédure régulière en ce qui concerne les migrants ;

c) À faire en sorte que les arrêtés d ’ expulsion ou de renvoi soient émis par écrit dans une langue comprise par le migrant et que celui-ci soit informé de son droit de faire appel de la décision et dispose d ’ un accès effectif aux services d’un avocat , ainsi que du délai raisonnable nécessaire pour contester l ’arrêté  ;

d) À veiller à ce que les migrants soient informés en temps voulu des procédures et de la date de leur expulsion ;

e) À faire en sorte que la direction d u CIE soit informée en temps voulu de la date d ’ expulsion ;

f) À faire en sorte que les procédures d ’ expulsion soient interrompues lorsqu ’ elles risquent de mettre en danger la sécurité et la dignité du migrant ;

g) À faire en sorte que tous les acteurs concernés par les opérations d ’ expulsion en Italie ne fassent pas un usage disproportionné ou illégal de la force. Il doit être démontr é que tout recours à la contrainte physique , sous quelque forme que ce soit, est strictement nécessaire et proportionnée à la résistance de chaque personne et au respect de sa dignité ;

h) À faire en sorte que les équipes qui procèdent aux expulsions comportent un nombre suffisant d ’agents du même sexe que les intéressés ;

i) À veiller à ce qu ’ aucun migrant ne soit expulsé si son état de santé ne lui permet pas de voyager ;

j) À veiller à ce que l ’ usage de tranquillisants, de sédatifs ou d ’ autres médicaments visant à facilit er l ’ expulsion soit interdit.

IV.Répercussions de la visite et remarques finales

Le SPT engage l ’ Italie à garantir que, conformément à l ’ article 15 du Protocole facultatif, aucunes r eprésailles ne soi en t exercé es après sa visite. À cette fin, il demande à l’État partie de lui fournir dans sa réponse des renseignements détaillés sur ce qu i a été fait pour prévenir d e possibles représailles contre quiconque lui a communiqué des renseignements.

Le SPT recommande à l ’ État partie de rendre publi c le présent rapport, compte tenu de l’effet préventif d’une telle mesure, comme il l ’ y a déjà invité au paragraphe 5. Il lui recommande aussi de distribuer ledit rapport aux institutions concernées d ans tous les secteurs de l ’ administration .

Le SPT rappelle que le présent rapport ne constitue que l a première étap e d ’ un dialogue constructif avec les autorités italiennes sur les difficultés énumérées ci-dessus. Il demande à l ’ État partie de lui adresser, dans un délai de six mois à compter de la date de la transmission du pr ésent rapport, une réponse écrite comportant une description détaillée des mesures prises et envisagées pour donner suite à ses recommandations.

Annexes

Annexe I

[Anglais seulement]

List of Government officials and other persons with whom the Subcommittee on Prevention of Torture met

Authorities

Ministry of Justice

Gennaro Migliore, Undersecretary of State

Alfredo Durante Mangoni, Diplomatic Counsellor of the Minister of Justice

Olga Mignolo, Head of the Office for Coordination of International Activities, Ministry of Justice

Linda D’Ancona, Judge at the Legislative Office of the Ministry of Justice, Ministry of Justice; Member of the Inter-ministerial Committee for Human Rights (CIDU)

Roberto CalogeroPiscitello, Director General of the Department of Penitentiary Administration

Roberta Palmisano, Department of Penitentiary Administration

Alessandra Bernardon, Department of Penitentiary Administration

Roberta Parmisano, Department of Penitentiary Administration

Mauro Palma, National Guarantor for the rights of persons detained and deprived of their liberty

Ministry of Defence

Stefano Cotugno, Legislative Office

Ministry of the Interior

Domenico Manzione, Undersecretary of State

Maddalena De Luca, Head of the Secretariat of the Undersecretary of State

Daniela Pugliese, Cabinet of the Minister of Interior Giovanni Pinto, Department of Public Security

Raffaella Renzi, Department of Public SecurityMariacarla Bocchino, Department for Public Security, Ministry of the Interior ; member of the Inter-ministerial Committee for Human Rights (CIDU)Alida Gallo, Department for Civil Liberties and Immigration

Luigino Amorosa, State Police Lieutenant Colonel within the Border division, Ministry of the Interior

Maria Carla Bocchino, Department of Public Security

Carmen Cosentino, Department for Civil Liberties and Immigration

Agnese di Napoli, Central direction on immigration and border police

Massimiliano Mormone, Central direction on immigration and border police

II.Interministerial Committee for Human Rights (CIDU)

Gianludovico De Martino Di Montegiordano, Chairman of the CIDU

Mariacarla Bocchino, Department of Public Security, Ministry of the InteriorPierfrancesco De Cerchio, Governamental Focal Point

III.Civil Society

The Association Antigone

The Italian Coalition for Rights and Civil Liberties (CILD)

A buondiritto

International Federation of the Action by Christians for the abolition of torture (FIACAT)

Jesuit Refugee Service Italy - Centro Astalli

IV.International organizations

United National High Commissioner for Refugees (UNHCR)

International Organization for Migration (IOM)

Annexe II

[Anglais seulement]

List of places of deprivation of liberty visited by the Subcommittee on Prevention of Torture

Centro di identificazione e espulsione (CIE) Ponte Galeria, Rome

Centro di identificazione e espulsione (CIE) of Trapani

Centro di Soccorso e prima accoglienza of Pozzano

Centro di identificazione e espulsione (CIE) of Turin

Centro di accoglienza per richiedenti asilo (CARA) of Bari

Centro di identificazione e espulsione (CIE) of Bari