Communication présentée par  :

M. A. (représentée par un conseil, Leila Boussemacer, Centre social protestant de Genève)

Au nom de  :

L’auteure

État partie  :

Suisse

Date de la communication  :

26 juin 2019 (date de la lettre initiale)

Références  :

Communiquées à l’État partie le3 juillet 2019 (non publiées sous forme dedocument)

Date de la décision  :

1ernovembre 2021

Objet  :

Traite d’êtres humains, renvoi dans le cadre des accords de Dublin

Articles de la Convention  :

2 d) et 6

Article du Protocole facultatif  :

4, paragraphe 2

* Adoptées par le Comité à sa quatre-vingtième session (18 octobre–12 novembre 2021).

** Ont participé à l ’ examen de la présente communication les membres du Comité ci-après  : Gladys Acosta Vargas, Hiroko Akizuki, Tamader Al-Rammah, Marion Bethel, Leticia Bonifaz Alfonzo, Louiza Chalal, Corinne Dettmeijer-Vermeulen, Naéla Gabr, Hilary Gbedemah, Dalia Leinarte, Rosario G. Manalo, Lia Nadaraia, Aruna Devi Narain, Ana Peláez Narváez, Bandana Rana, Rhoda Reddock, Elgun Safarov, Natasha Stott Despoja, Genoveva Tisheva et Franceline Toé-Bouda. En application du paragraphe 1 c) de l ’ article 60 du règlement intérieur du Comité, Nicole Ameline et Nahla Haidar n ’ ont pas participé à l ’ examen de la communication.

L’auteure est M.A., ressortissante érythréenne née le 20 septembre 1977. Elle a demandé l’asile dans l’État partie, qui a ordonné son expulsion vers la France en vertu du règlement Dublin III de l’Union européenne. Elle affirme que son expulsion violerait ses droits en vertu des articles 2 d) et 6 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 26 avril 1997 et le 29 décembre 2008, respectivement. L’auteure est représentée par un conseil, Leila Boussemacer, du Centre social protestant de Genève.

Lors de l’enregistrement de la communication, le 3 juillet 2019, le Comité, par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications présentées en vertu du Protocole facultatif à la Convention et conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure tant que la communication serait à l’examen. Le 9 juillet 2019, l’État partie a informé le Comité qu’il avait demandé à l’autorité compétente de n’entreprendre aucune démarche en vue de l’exécution du renvoi de l’auteure tant que sa communication serait en cours d’examen devant le Comité ou que l’effet suspensif ne serait pas levé.

Rappel des faits présentés par l’auteure

En 2007, l’auteure a quitté l’Érythrée pour l’Éthiopie pour des raisons politiques. Grâce à un intermédiaire en Éthiopie, elle a obtenu de faux documents d’identité éthiopiens et une offre d’emploi au Liban, où elle a travaillé au domicile d’une famille libanaise qui l’a exploitée pendant près de 10 ans, jusqu’en 2018. Son passeport était entre les mains de la famille employeuse, elle était victime d’insultes, de menaces et de violences, n’avait pas de congés ni le droit de sortir ou de voir un médecin, et recevait un salaire mensuel de 250 à 275 dollars pour des horaires de travail quotidien qui s’étendaient de 6 h 30 à 23 h.

En 2018, ses employeurs sont allés passer des vacances en France et l’ont emmenée avec eux. À cette occasion, elle s’est enfuie et a rejoint la Suisse, où vit son frère.

Le 6 septembre 2018, l’auteure a déposé une demande d’asile auprès du Secrétariat d’État aux migrations. Le Secrétariat l’a identifiée en tant que « victime potentielle de la traite des êtres humains ».

Le 23 janvier 2019, le Secrétariat d’État aux migrations a rendu une décision de non-considération et a ordonné le renvoi de l’auteure vers la France, conformément aux accords du règlement Dublin III de l’Union européenne. Or, dans la requête aux fins de prise en charge de l’auteure par la France, les autorités suisses ont omis d’indiquer que l’auteure avait été identifiée en tant que victime potentielle de traite d’êtres humains.

Le 31 janvier 2019, le Centre social protestant, chargé d’identifier les victimes pour le canton de Genève, a identifié l’auteure en tant que « victime de traite des êtres humains ».

L’auteure a ensuite été suivie psychologiquement et il ressort des rapports médicaux qu’elle souffre de dépression et d’un syndrome de stress post-traumatique complexe en lien avec les traumatismes subis ; qu’elle a des idées suicidaires fluctuantes et récurrentes ; que l’environnement psychosocial est d’une importance majeure dans le traitement ; et que la proximité géographique avec son frère faisait partie intégrante du traitement.

Le 4 février 2019, l’auteure a déposé un recours contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations, qui a été rejeté par le Tribunal administratif fédéral le 14 février 2019. Dans ce recours, l’auteure a fait valoir que les règles de protection internationale des victimes de traite avaient été violées, que sa situation médicale n’avait pas été examinée et que les risques de revictimisation n’avaient pas été pris en compte.

Le 12 avril 2019, l’auteure a déposé une demande de réexamen auprès du Secrétariat d’État aux migrations, qui a été rejetée le 17 avril 2019. Le 20 mai 2019, l’auteure a fait appel auprès du Tribunal administratif fédéral, qui a rejeté le recours de l’auteure le 12 juin 2019.

L’auteure indique qu’elle a épuisé toutes les voies de recours internes et que la même affaire n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par un autre organe international d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 2 d) de la Convention. Elle indique quel’État partie omet complètement le fait qu’elle se retrouvera dans un pays dont elle ne parle pas la langue, dans une précarité sociale qui pourra l’empêcher de contacter les services ou associations compétents pour demander l’asile ou un titre de séjour, ou trouver un logement, et que sans assurance maladie, elle ne pourra bénéficier que de soins minimaux qui n’incluent pas un suivi psychologique dans un environnement stable. Elle ajoute que même si elle parvient à trouver des services compétents pour déposer une demande d’asile, le temps qui s’écoulera entre son arrivée et la mise en œuvre du filet médico-social, tel que celui dont elle bénéficie actuellement, aggravera selon toute vraisemblance sa situation médicale, une détérioration qui pourrait entraîner un risque élevé de suicide selon ses médecins.

L’auteure fait également valoir que l’État partie a violé l’article 6 de la Convention. Elle indique que bien que le Secrétariat d’État aux migrations l’ait identifiée comme une victime potentielle de traite des êtres humains, aucune des mesures d’assistance spécifiques dont elle a besoin et auxquelles elle a droit ne lui a été fournie dans l’État partie. En outre, les risques de revictimisation en cas de renvoi en France n’ont pas été analysés et pris en compte dans les décisions de l’État partie. Il n’a pas entrepris d’enquête supplémentaire auprès des autorités françaises pour évaluer ce risque ainsi que celui d’un refoulement en cascade vers l’Éthiopie. Dans sa demande de prise en charge, le Secrétariat n’a en outre pas informé la France de la qualité de victime potentielle de traite de l’auteure et il n’a pas cherché à obtenir des garanties concrètes de protection effective. De plus, l’État partie n’a pas pris en compte la situation concrète des demandeurs d’asile en France. En conséquence, l’auteure considère que l’État partie n’a pas pris les mesures appropriées pour éviter que la requérante ne soit de nouveau victime de la traite, alors même que les risques sont importants.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

L’État partie a fourni ses observations sur la recevabilité et le fond le 16 décembre 2019. Il considère que la communication est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours et pour griefs manifestement dénués de fondement et insuffisamment motivés. Subsidiairement, il soutient que l’expulsion de l’auteure ne constituerait pas une violation des dispositions de la Convention.

Tout d’abord, l’État partie indique que l’identité de l’auteure de la présente communication est M. A., née le 20 septembre 1977, ressortissante érythréenne. Cependant, selon les informations figurant sur son visa français, l’auteure se nomme M. K, est née le 20 septembre 1973, et est de nationalité éthiopienne. L’auteure conteste cette identité retenue par le Secrétariat d’État aux migrations.

L’État partie fait valoir qu’en l’état actuel de la jurisprudence des tribunaux nationaux, les articles 2 d) et 6 de la Convention ne peuvent pas être considérés comme directement applicables par l’État partie au motif qu’ils n’ont pas une formulation suffisamment claire et précise.

L’État partie soulève un moyen d’irrecevabilité tiré du non-épuisement des recours internes car l’auteure a invoqué la Convention uniquement à partir de son recours du 20 mai 2019 contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations rejetant sa demande de reconsidération, alors que, selon l’État partie, les autorités locales devraient avoir la possibilité d’examiner au fond les arguments de la requérante concernant une possible violation de la Convention et de prendre une décision sur ce point.

L’État partie soulève ensuite un moyen d’irrecevabilité tiré du caractère manifestement mal-fondé et insuffisamment motivé des griefs de l’auteure.

En effet, concernant le grief de violation de l’article 2 d) de la Convention, l’État partie soulève en premier lieu que ne relèvent pas de cette disposition les griefs soulevés par l’auteure, à savoir le fait qu’en France elle se retrouverait seule, livrée à elle-même dans un pays dont elle ne parle pas la langue, que cette précarité sociale risque de l’empêcher de s’adresser aux services ou aux associations compétentes pour déposer une demande d’asile et faire les autres démarches nécessaires à son établissement dans ce pays, et que quand bien même elle arriverait à s’orienter vers des services compétents pour déposer une demande d’asile, le laps de temps entre son arrivée et la mise en place du filet médico-social comme celui dont elle bénéficie actuellement serait en toute vraisemblance important et péjorerait sa situation médicale, ce qui pourrait conduire à un risque de suicide.

En second lieu, l’État partie relève que, dans son arrêt du 14 février 2019, le Tribunal administratif fédéral a constaté que l’auteure n’avait d’aucune manière démontré qu’elle pourrait être exposée, en cas de transfert en France, à des traitements contraires aux obligations internationales une fois qu’elle y aurait déposé une demande d’asile. Il indique également que les problèmes de santé dont l’auteure allègue être atteinte ne peuvent être considérés d’une acuité telle que son transfert en France serait illicite, et les soins et traitements dont l’auteure a encore besoin pourront être poursuivis en France, pays doté de structures médicales similaires à celles de l’État partie. Il ajoute que le Tribunal s’est prononcé sur le risque de péjoration vers des idées suicidaires et a rappelé que les troubles de nature suicidaire sont couramment observés chez les personnes confrontées à l’imminence d’un renvoi. Cela ne s’oppose pas en soi à l’exécution du renvoi, seule une mise en danger présentant des formes concrètes devant être prise en considération.

Concernant le grief de violation de l’article 6 de la Convention, selon lequel l’État partie n’aurait pas cherché à obtenir des garanties concrètes de prise en charge et de protection de la part des autorités françaises, l’État partie indique que, dans le cadre de sa demande de prise en charge adressée aux autorités françaises en date du 23 novembre 2018, le Secrétariat d’État aux migrations a indiqué sous la rubrique « autres informations utiles » que l’auteure était une victime potentielle de traite des êtres humains. Par ailleurs, après que l’auteure a donné son consentement à la transmission des données à l’Office fédéral de la police, celui-ci a pris contact avec « Interpol Paris », après avoir jugé que les déclarations de l’auteure étaient suffisamment exploitables.

Concernant le grief de violation de l’article 6 de la Convention, selon lequel l’auteure n’aurait pas reçu de mesures d’assistance spécifique dans l’État partie du fait de sa condition de victime potentielle de traite d’êtres humains, l’État partie indique que l’auteure ne peut se prévaloir de cette assistance, prévue par la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l’intégration, du fait de l’exclusivité de la procédure d’asile, selon laquelle une personne qui bénéficie déjà d’un soutien en tant que demandeur d’asile ne peut pas bénéficier d’un soutien supplémentaire, tel qu’une assistance parce qu’elle a été identifiée comme une victime potentielle de la traite des êtres humains.

De manière plus générale, l’État partie allègue que la question de la traite des êtres humains est traitée sans distinction de sexe dans l’État partie et que rien n’indique que les femmes soient victimes de discrimination dans ce domaine ou que l’auteure le soit par le simple fait d’être une femme.

De façon subsidiaire, l’État partie conteste la violation de la Convention, étant donné que l’auteure n’a pas démontré qu’en cas de renvoi en France, elle courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel de subir des formes graves de discrimination en violation de l’article 2 d), ni en quoi elle risquait d’être soumise de nouveau, personnellement et de manière prévisible à la traite des personnes en violation de l’article 6 de la Convention. Dans son arrêt du 14 février 2019, le Tribunal administratif fédéral relève d’ailleurs qu’il n’y a aucune raison sérieuse de croire qu’il existe en France des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueil des demandeurs d’asile qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 23 mars 2020, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

Sur le moyen d’irrecevabilité tiré par l’État partie de non-invocation des dispositions de la Convention dès le début de la procédure interne, l’auteure indique que le Tribunal administratif fédéral, dans son arrêt du 12 juin 2019, a pris en compte les griefs invoqués par l’auteure, à savoir sa situation de victime de traite d’êtres humains, dans l’analyse du cas au fond. Elle en conclut que les voies de recours interne ont bien été épuisées et que l’État partie a bien eu l’opportunité d’examiner au fond les arguments soulevés en lien avec les violations de la Convention.

L’auteure ajoute que, dans sa requête aux fins de prise en charge de l’auteure par la France, l’État partie a mentionné que « d’après ses déclarations, l’auteure [était] une victime potentielle de traite d’êtres humains », mais a omis de mentionner le fait qu’il l’avait lui-même considérée comme victime potentielle de traite d’êtres humains. L’État partie ne peut donc pas affirmer de manière convaincante qu’il a alerté l’État responsable sur ce point. De plus, il ne s’est pas inquiété de savoir dans quelle ville l’auteure allait être renvoyée ni même si une association spécialisée serait présente pour l’assister à son arrivée. Enfin, le Secrétariat d’État aux migrations n’a pas spécifiquement indiqué à la France que des informations avaient été transmises à « Interpol Paris » par l’Office fédéral de la police.

Par ailleurs, l’auteure se réfère à un arrêt du Tribunal administratif fédéral du 3 octobre 2019 (D-3292/2019) mentionnant le rapport du Secrétariat d’État aux migrations du 25 janvier 2019 sur les renvois dans le cadre du règlement Dublin, selon lequel, en France, les délais d’attente pour l’enregistrement officiel sont souvent très longs et même dans ce cas, seule la moitié des demandeurs d’asile se voit accorder un logement. L’arrêt mentionne que ce n’est que lorsque la demande d’asile est officiellement enregistrée que les demandeurs d’asile ont droit à un logement et à d’autres services d’accueil, mais qu’entre-temps les personnes vivent dans la rue. L’auteure se réfère également à un rapport d’Asylum Information Database, une plateforme d’information sur l’asile, selon lequel il existe des indications concrètes que la vulnérabilité des victimes potentielles de la traite des êtres humains en France ne peut pas toujours être prise en compte de manière adéquate. L’auteure ajoute qu’un nombre important de violences subies par les femmes demandant l’asile se produit lorsqu’elles se retrouvent dans des campements ou sont obligées de dormir dans la rue. Quant à la prise en charge des soins psychiatriques en France des requérants d’asile, l’auteure mentionne un article de France Info de septembre 2019 indiquant que l’accès à un psychologue pour un demandeur d’asile serait rarissime.

Sans prise en charge par l’État responsable, immédiate et conforme aux besoins de l’auteure, celle-ci se retrouvera vraisemblablement livrée à elle-même, incapable de déposer une demande d’asile et, dans l’intervalle, sans lieu de vie ni argent ou accès à des soins médicaux et psychiatriques, entraînant un risque important de dégradation de son état de santé, ceci pouvant conduire à la concrétisation de ses idées suicidaires.

L’auteure affirme que l’État partie a violé l’article 2 d) de la Convention en prononçant son renvoi et en le maintenant car il devrait s’assurer qu’elle obtiendra toute la protection nécessaire sur place, or, ne sachant pas où elle serait renvoyée en France, aucune mesure préventive n’a pu être réalisée. Le renvoi de l’auteure en France présente donc un risque réel et prévisible de se retrouver de nouveau victime de traite ou de violence.

L’auteure soutient également que l’État partie a violé l’article 6 de la Convention, dans la mesure où les décisions de l’État partie ne tiennent pas compte du besoin de protection de l’auteure et l’exposent au danger de se faire retrouver par ses ex-exploitants ou d’être de nouveau exploitée par d’autres personnes se livrant à la traite, au vu de la situation de précarité notable des demandeurs d’asile en France.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, en application de l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité note que l’État partie fait valoir qu’en l’état actuel de la jurisprudence des tribunaux nationaux, les articles 2 d) et 6 de la Convention ne peuvent pas être considérés comme directement applicables par l’État partie au motif qu’ils n’ont pas une formulation suffisamment claire et précise. Le Comité rappelle ses dernières observations finales (CEDAW/C/CHE/CO/4-5) dans lesquelles il est préoccupé par le fait que, conformément au principe de monisme, la décision d’appliquer directement les dispositions de la Convention soit laissée à la discrétion du Tribunal fédéral et d’autres autorités judiciaires aux niveaux fédéral et cantonal. Le Comité rappelle également que l’article 2 du Protocole facultatif l’autorise à examiner des violations prétendues d’un des droits énoncés dans la Convention, y compris des articles contenus dans la première partie de la Convention, et qu’il a constaté par le passé des violations de ces articles.

Le Comité relève que l’État partie soutient que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées en l’espèce car c’est uniquement dans son recours du 20 mai 2019 contre la décision du Secrétariat d’État aux migrations rejetant sa demande de reconsidération que l’auteure a invoqué pour la première fois la Convention.Le Comité rappelle que conformément au paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, les auteurs doivent se prévaloir de tous les recours internes disponibles. Il rappelle également sa jurisprudence selon laquelle l’auteur doit avoir effectivement soulevé au plan interne le grief qu’il ou elle souhaite soumettre au Comité, afin que les autorités et/ou les juridictions internes aient la possibilité de se prononcer sur ce grief. En l’espèce, le Comité note que l’État partie se réfère à la communication no 8/2005 dans laquelle le Comité constate que l’auteure aurait dû présenter des arguments soulevant la question de la discrimination fondée sur le sexe en substance et conformément aux exigences procédurales lors des recours internes. Cependant, le Comité considère qu’en l’espèce, en invoquant dès le début de la procédure interne sa situation de victime de traite d’êtres humains, la requérante a effectivement soulevé la question de la discrimination fondée sur le sexe en substance devant les autorités nationales, qui avaient donc la possibilité d’examiner ces affirmations. Le Comité considère donc que les voies de recours internes ont été épuisées et que le paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la présente communication.

Le Comité note l’allégation de l’État partie selon laquelle la question de la traite des êtres humains est traitée sans distinction de sexe dans l’État partie et que rien n’indique que les femmes soient victimes de discrimination dans ce domaine ou que l’auteure le soit par le simple fait qu’elle est une femme. Le Comité renvoie cependant à sa recommandation générale no 38 (2020) sur la traite des femmes et des filles dans le contexte des migrations internationales, dans laquelle il indique qu’un nombre disproportionné de femmes migrantes occupent des emplois informels et précaires, en particulier dans les secteurs dits « peu qualifiés », tels que les services domestiques. La traite des personnes ne peut donc pas être abordée de manière neutre du point de vue du genre, car les femmes travaillant dans ce secteur courent un risque plus élevé d’être victimes de la traite des êtres humains.

Le Comité note les déclarations de l’auteure selon lesquelles, bien que le Secrétariat d’État aux migrations l’ait identifiée comme une victime potentielle de traite des êtres humains, aucune des mesures d’assistance spécifique dont elle a besoin et auxquelles elle a droit ne lui a été fournie dans l’État partie. Il note également la réponse de l’État partie selon laquelle l’auteure ne peut se prévaloir des mesures d’assistance spécifique prévues par la loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l’intégration du fait de l’exclusivité de la procédure d’asile. En l’espèce, le Comité observe que l’auteure ne conteste pas les mesures de protection qui ont été prises par l’État partie mais plutôt l’absence de mesures d’assistance spécifiques à sa situation de victime potentielle de traite d’êtres humains. Sur ce sujet, le Comité considère que l’auteure n’a pas donné suffisamment d’informations sur les mesures d’assistance dont elle aurait besoin et dont elle aurait pu bénéficier sous la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration, et qui lui seraient pourtant refusées du fait de l’exclusivité de la procédure d’asile. En conséquence, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces allégations, aux fins de recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable conformément au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.

Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure que son renvoi en France constituerait une violation des articles 2 d) et 6 de la Convention, en raison de difficultés linguistiques et d’accès aux services sociaux et de santé mentale. Le Comité note également les déclarations de l’auteure concernant la vulnérabilité d’un grand nombre de demandeurs d’asile, dont des femmes, en attente d’enregistrement en France, et sur les risques qu’elle encourrait d’être de nouveau victime de traite d’êtres humains si elle se retrouvait dans cette situation de vulnérabilité. Le Comité note par ailleurs l’argument de l’État partie selon lequel il n’y a aucune raison sérieuse de croire qu’il existe en France des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant. Compte tenu des informations dont il est saisi, et prenant en compte les préoccupations de l’auteur en ce qui concerne la situation de vulnérabilité d’un certain nombre de demandeurs d’asile, et notamment des femmes, dans l’attente d’enregistrement en France, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé sa requête et développé les faits et arguments exposés, aux fins de recevabilité, concernant l’existence d’un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de discrimination et/ou de se retrouver de nouveau victime de traite d’êtres humains si elle est renvoyée en France ou que les autorités françaises ne sont pas en mesure de lui assurer une protection adéquate. Le Comité considère en outre que, si l’auteure le souhaite, l’État partie doit informer la France que l’auteure est reconnue en tant que victime potentielle de la traite des personnes afin que la France puisse prendre les mesures nécessaires pour qu’elle bénéficie d’un soutien approprié.

Au vu de l’ensemble des éléments ci-dessus, le Comité décide que :

a)La communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.