Communication présentée par:

N.A.E. (représentée par les conseils Francisca Fernández Guillén et Marina Morla González)

Au nom de:

l’auteure

État partie:

Espagne

Date de la communication:

10 novembre 2018

Références:

Décision prise conformément à l’article 69 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 septembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

27 juin 2022

L’auteure de la communication est N. A. E., de nationalité espagnole, née le 12 septembre 1986. Elle fait grief à l’Espagne d’avoir violé les droits qu’elle tire des articles 2, 3, 5 et 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, des violences obstétricales lui ayant été infligées à l’hôpital pendant son accouchement. La Convention et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur dans l’État partie le 4 février 1984 et le 6 octobre 2001, respectivement. L’auteure est représentée par ses conseils.

Entre le 21 mai 2020 et le 30 juin 2020, le Comité a reçu 11 interventions de tierces parties, lesquelles ont été transmises aux deux parties afin qu’elles formulent des observations.

Rappel des faits présentés par l’auteure

Avant, pendant et après l’accouchement réalisé par chirurgie abdominale majeure (césarienne)

Pendant sa première grossesse, qui faisait l’objet d’un suivi et ne présentait aucune complication, l’auteure, alors âgée de 25 ans, et son conjoint ont présenté à l’hôpital public de Donostia, lequel est rattaché au système de santé du Pays basque, un projet de naissance dans lequel ils ont indiqué qu’ils refusaient l’administration de médicaments destinés à déclencher ou accélérer le travail, que les décisions prises par le personnel médical devaient leur être soumises en amont, que si une césarienne était nécessaire, le bébé devait être avec sa mère après la naissance ou avec son père si l’auteure devait rester en salle d’opération, et que le bébé ne devait pas être nourri au biberon.

Le 9 juillet 2012, à 8 heures du matin, à 38 semaines de grossesse, l’auteure s’est rendue à l’hôpital après avoir perdu les eaux pendant la nuit, vers 3 heures du matin. À son arrivée à l’hôpital, une sage-femme a effectué un premier examen vaginal pour vérifier si elle avait « bien perdu les eaux ».

Le protocole de l’hôpital établissait qu’il convenait d’attendre 24 heures avant de déclencher l’accouchement. Toutefois, le même jour à 16 heures, une gynécologue a informé le couple que l’accouchement allait être provoqué car, selon ses mots, « nous ne déclenchons pas d’accouchement la nuit ». L’auteure avance que, sur le plan médical, il n’était aucunement nécessaire de déclencher l’accouchement car, depuis son admission à l’hôpital, elle ressentait des contractions régulières et spontanées, preuve que le travail progressait. Selon l’auteure, au lieu d’attendre au moins 24 heures afin de permettre l’ouverture du col de l’utérus et de favoriser un accouchement naturel, l’hôpital a préféré déclencher l’accouchement, afin de faciliter la tâche des praticiens. Ainsi, le 9 juillet 2012 à 17 h 10, soit 14 heures après la rupture des eaux, son accouchement a été déclenché médicalement, par injection d’ocytocine. Elle souligne que, outre qu’elle les a mis en danger, son enfant et elle, cette considération était contraire au protocole de l’hôpital, qui prévoit une période d’attente de 24 heures avant de déclencher le travail

L’auteure n’a pas consenti au déclenchement de l’accouchement ; ses demandes répétées d’informations sur les risques de cette procédure et les solutions de remplacement existantes sont restées sans réponse.

Jusqu’au déclenchement médical de l’accouchement, l’auteure a demandé à pouvoir manger, ce qui lui a été refusé par l’hôpital alors que, dans son guide de la prise en charge de l’accouchement normal, le Ministère de la santé espagnol préconise aux parturientes de s’alimenter, étant donné qu’il convient de préserver les forces de la mère pour garantir son bien-être et celui de son enfant.

À 17 heures, quelques minutes avant le déclenchement de l’accouchement, un deuxième toucher vaginal a été réalisé par une étudiante en formation, qui n’avait pas l’air de bien savoir ce qu’elle faisait, ce qui a été source de douleur intense pour l’auteure. Cette dernière avait pourtant demandé à être accompagnée par une équipe réduite et, qui plus est, il est obligatoire, au titre de la loi relative à l’autonomie du patient, de respecter scrupuleusement l’intimité et la liberté individuelle.

Entre 20 heures, le 9 juillet, et 7 h 30, le 10 juillet, sept autres touchers vaginaux ont été effectués.

À 9 h 30, le 10 juillet 2012, l’auteure a subi un dixième toucher vaginal et, alors même que le matériel de contrôle attestait du bien-être du bébé, la sage-femme l’a informée du fait que l’équipe médicale envisageait de procéder à une césarienne car le travail était soi-disant « à l’arrêt ». L’auteure a demandé à ce qu’on évalue la dilatation du col ; lorsqu’il a été confirmé que le travail avait avancé, le col étant dilaté jusqu’à 7 centimètres, et que le bébé était descendu, elle a demandé en pleurs à ce que les médecins en soient informés. Néanmoins, ceux-ci avaient déjà pris leur décision, affirmant que c’était « la césarienne, un point c’est tout ». L’auteure a demandé des explications au médecin, qui, au lieu de les lui donner, l’a infantilisée, en lui répondant « ne t’inquiète pas, je vais bien m’occuper de toi ».

À 10 heures, des étudiants ont commencé l’opération, sans le consentement de l’auteure. Les médecins n’ont pas autorisé le conjoint de cette dernière à être présent. L’auteure affirme la chose suivante :

Ils m’ont posée sur la table d’opération comme si j’étais une poupée de chiffon. Personne ne s’est présenté, personne ne m’a parlé, personne ne m’a regardée dans les yeux. Personne n’a essayé de me rassurer. J’ai énormément pleuré. Ils m’ont placé les bras en croix. Le bloc opératoire était bondé, on aurait dit une place publique, ils m’ignoraient et criaient entre eux « où est le récipient pour le placenta ? », « où est le bracelet du bébé ». J’étais là, seule et nue, les gens allaient et venaient, la porte ne cessait de s’ouvrir et de se fermer [...]. Ils parlaient entre eux de leurs affaires, de ce qu’ils avaient fait pendant le weekend, ils parlaient comme si je n’étais pas là, insensibles au fait que mon enfant allait naître, une expérience qui n’arrive qu’une fois et qu’ils ne m’ont pas laissé vivre.

Bien que la réglementation sanitaire espagnole établisse qu’aucun patient ne peut être utilisé à des fins d’enseignement sans son consentement préalable, un médecin a guidé à chaque étape les personnes qui opéraient l’auteure, en leur indiquant comment ils devaient couper et ce qu’ils étaient en train de couper, des détails que l’auteure aurait préféré ne pas entendre.

Le fils de l’auteur est né à 10 h 12. Après la césarienne, l’équipe médicale a à nouveau violé le protocole qui indique que le nouveau-né doit rester avec sa mère durant les premières heures qui suivent l’opération, afin de procéder à l’allaitement et au peau à peau (qui améliore le rythme cardiaque, la température, le taux de glucose dans le sang, le système immunitaire et le sommeil). Toutefois, le bébé a été séparé de la mère et amené au pédiatre sans raison, et l’auteure n’a pas pu faire de peau à peau avec lui ; elle n’a pu que le voir de loin. Quand les soignants ont ramené le bébé à sa mère, lavé et habillé, ils lui ont montré à hauteur de main, mais celle-ci n’a pas pu le caresser car depuis le début de l’opération, ses bras étaient toujours attachés. Ils ont dit à l’auteure d’embrasser son enfant, en approchant celui-ci de son visage, mais l’ont immédiatement éloigné sans qu’elle puisse dire quoi que ce soit. L’auteure a demandé à ce qu’on donne l’enfant à son père, ce à quoi il lui a été répondu « ne t’inquiète pas, ma petite, tout va bien ». Elle a entendu les médecins expliquer aux étudiants comment il fallait la recoudre. Ceux-ci ont terminé sans lui adresser un mot.

Durant les heures qui ont suivi, l’auteure a demandé à ce qu’on lui amène son enfant, mais cela n’a pas été fait, contrairement aux recommandations relatives à la prise en charge adéquate des nouveau-nés de l’Association espagnole de pédiatrie.

En plus d’avoir été séparé de sa mère, l’enfant a été nourri au biberon, alors que les parents avaient signifié leur volonté d’allaiter au sein. L’alimentation au biberon a, par la suite, compliqué l’allaitement quand, trois heures plus tard, le nouveau-né a finalement été rendu à l’auteure. Probablement en raison des biberons déjà administrés, le bébé a eu du mal à prendre le sein, raison pour laquelle les parents ont été obligés de demander un complément artificiel.

Par la suite, l’auteure a eu des douleurs abdominales au niveau de la cicatrice de la césarienne et de douleurs hypogastriques, et a eu fréquemment envie d’uriner. Elle a reçu un traitement pour assouplir la cicatrice, détendre le diaphragme et réduire la pression abdominale.

L’auteure a dû consulter son médecin généraliste pour des symptômes d’anxiété liés à son expérience de l’accouchement. Dans un rapport du 7 juin 2013 du Centre de santé mentale d’Andoain (système de santé de Pays basque), il est écrit que l’auteure présentait des troubles du stress post-traumatique à la suite de l’accouchement, une angoisse et une anxiété d’anticipation, une fragilité émotionnelle et un état dépressif du fait du traumatisme, et qu’un traitement par anxiolytiques lui était prescrit.

Le 20 novembre 2014, le diagnostic de troubles du stress post-traumatique après l’accouchement a été confirmé par une spécialiste en psychiatrie, professeure à l’Université de Alcalá de Henares et conseillère technique auprès du Défenseur du peuple. Celle-ci a confirmé que les troubles avaient été causés par la manière dont l’auteure avait été prise en charge durant la naissance de son enfant et que, selon ses propres termes, « ils auraient pu être évités en recueillant son consentement éclairé, qui est lié au droit à l’intégrité morale et à la liberté, et ils étaient révélateurs du fait qu’une privation d’autonomie individuelle pouvait entraîner un préjudice psychologique ». De plus, elle a affirmé « de manière certaine que si la prise en charge avait été différente tout au long de l’accouchement, l’auteure ne présenterait ni cette intensité de symptômes ni les séquelles actuelles ». Elle a établi une relation de cause à effet directe entre le traitement reçu et la blessure psychique.

Le 16 juillet 2015, la spécialiste susmentionnée a étoffé son rapport et affirmé que les symptômes que présentait l’auteure du fait de son accouchement « remplissaient tous les critères du diagnostic de troubles du stress post-traumatique » et que son cas était représentatif et emblématique des situations dénoncées par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les spécialistes des traumatismes liés à l’accouchement, selon lesquels, à l’absence de soins et de respect durant l’accouchement, s’ajoute le fait que les professionnels de santé nient la gravité et l’incidence des symptômes qui en résultent.

Plaintes déposées par l’auteure

Le 9 juillet 2013, l’auteure a déposé un recours contre le système de santé du Pays basque, par lequel elle demandait à l’administration publique de réparer le préjudice subi du fait des mauvais traitements infligés lors de son accouchement. Elle dénonce en particulier le fait a) que l’accouchement ait été déclenché de manière anticipée et injustifiée, « faisant fi du protocole », sans lui fournir d’information ou recueillir son consentement à la procédure ; b) qu’une césarienne ait été pratiquée sans lui fournir d’information ou recueillir son consentement ; c) que la dite césarienne ait été réalisée par des étudiants, supervisés par un médecin, sans qu’elle ait consenti à cette pratique ; d) d’avoir été séparée de son nouveau-né sans aucune raison ; e) que son bébé ait été nourri au biberon sans le consentement des parents qui avaient fait connaître leur souhait de le nourrir sein ; f) qu’elle souffre d’un traumatisme physique et psychologique des suites de son accouchement, en violation de son intégrité physique et moral, et de l’intimité de sa personne et de sa famille.

Le 1er octobre 2013, dans le cadre de la procédure administrative, l’auteure a fourni le rapport d’une sage-femme qui a assisté à l’accouchement, dans lequel il est affirmé qu’à aucun moment le bien-être du bébé n’a été menacé, que le délai d’attente avant de procéder à une césarienne n’a pas été respecté et que la patiente n’a donné son consentement ni au déclenchement ni à la césarienne.

Face au silence de l’administration et compte tenu du fait que la partie défenderesse avait largement dépassé le délai imparti pour répondre, le 25 mars 2015, l’auteure a déposé une demande auprès du Tribunal du contentieux administratif no 3 de Donostia-San Sebastián, pour rejet implicite de son recours en responsabilité pécuniaire de l’administration publique.

L’auteure a joint à sa demande le rapport de la sage-femme (par. 2.19), le rapport d’expertise de la spécialiste en psychiatrie (par. 2.16 et 2.17) et le rapport d’expertise d’une spécialiste en gynécologie et obstétrique, dans lequel celle-ci constate des manquements dans la prise en charge et affirme qu’il y avait d’autres solutions que la césarienne. Plus particulièrement, le rapport conclut que le comportement du personnel médical n’était pas à la hauteur des exigences de la profession, que celui‑ci n’a pas respecté les protocoles, qu’il a décidé de déclencher l’accouchement sans vérifier au préalable l’état obstétrique du col de l’utérus, qu’il a procédé au déclenchement de l’accouchement par ocytocine sans favoriser la dilatation du col au préalable à l’aide de prostaglandines, comme le recommandent tous les protocoles, qu’il a conclu de manière précipitée à un arrêt du travail, réduisant les temps alloués à cette phase par les protocoles, et que s’il avait agi selon les normes et les protocoles, il est fort probable que l’auteure aurait accouché par voie basse. Les éléments scientifiques en faveur d’autres solutions sont clairs.

Le 13 octobre 2015, le juge a rejeté sa demande. Dans son jugement, celui-ci a souligné le fait que le projet de naissance n’était que l’expression de souhaits et affirmé que dès lors que les soins étaient prodigués conformément aux connaissances scientifiques et techniques, tout préjudice occasionné ne saurait engager la responsabilité pécuniaire de l’administration. Selon le juge, le déclenchement a été pratiqué conformément aux règles de la profession et la césarienne réalisée parce que le travail n’avançait pas. Il a cité un arrêt du 2 juillet 2010 de la Chambre du contentieux administratif, selon lequel l’accouchement « constitue un processus naturel dans le cadre duquel le consentement éclairé n’a aucun sens car la volonté de la patiente ne peut modifier le cours des évènements ». S’agissant des troubles du stress post-traumatique liés à l’accouchement, il n’a accordé de crédit qu’au rapport de l’inspecteur de l’administration (qui n’est pas un spécialiste en psychiatrie et n’a pas examiné l’auteure), qui explique que l’existence de tels troubles dépend de l’idiosyncrasie de l’intéressée et non du traitement reçu, et conclut qu’il n’existe aucun élément probant permettant d’appuyer l’interprétation de l’auteure, qui ne relève que d’une simple question de perception.

Dans la décision susmentionnée, il est indiqué que parce qu’il s’agit d’une procédure simplifiée pour des réparations inférieures à 30 000 euros, l’affaire ne peut être résolues par les voies ordinaires. Ainsi, le 30 novembre 2015 (avant l’échéance du 1er décembre 2015), l’auteure a présenté un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle pour violation du droit constitutionnel à la liberté, à l’intégrité physique et morale et à l’intimité personnelle et familiale, qui a été rejeté.

Contexte dans l’État partie et qualification des faits comme « violences obstétricales »

Rappelant que l’analyse du contexte est fondamentale dans la procédure d’examen des communications menée par les organes conventionnels, et faisant référence aux constatations du Comité dans l’affaire Pimentel c. Brésil, dans le cadre de laquelle le contexte du système de santé brésilien a été examiné pour parvenir à la conclusion selon laquelle le manque de soins durant l’accouchement de la victime relevait d’un problème systémique au Brésil, l’auteure estime que, dans la présente communication, il est particulièrement nécessaire de comprendre le contexte des violences obstétricales dans l’État partie.

L’auteure affirme que, dans l’État partie, plusieurs femmes ont témoigné du fait que, durant l’accouchement, elles avaient entendu des commentaires tels que « tu y as pris du plaisir alors maintenant prends sur toi » ou « pas la peine de pleurer, ce n’est pas si terrible ». De plus, les femmes sont soumises à des interventions médicales inutiles visant à accélérer le travail, comme le recours abusif à l’ocytocine, aux césariennes et aux épisiotomies. À cet égard, l’antenne espagnole de l’organisation non gouvernementale Médecins du monde a observé que les taux de césarienne et d’épisiotomie dépassaient ceux recommandés par l’OMS. L’auteure mentionne le rapport de l’Observatoire des violences obstétricales, selon lequel dans la moitié des cas, les femmes ne sont pas informées de l’intervention réalisée ; dans 65,8 % des cas, le projet de naissance n’est pas respecté ; dans 55,7 % des cas, les femmes ne sont autorisées ni à boire ni à manger ; dans 74,7 % des cas, les femmes ne peuvent pas choisir la position dans laquelle elles souhaitent accoucher.

L’auteure indique qu’il est révélateur que l’État partie lui-même ait reconnu que l’Espagne se caractérisait par un système médical particulièrement interventionniste par rapport à ses voisins européens, sans que cela soit justifié par de meilleurs résultats, ou de meilleurs taux de mortalité ou de morbidité périnatale. En effet, nombre de pays européens qui ont un taux de mortalité périnatale et néonatale plus faible ont également des taux d’interventions obstétriques durant l’accouchement moindres (pays de l’Europe du Nord). Cet interventionnisme n’est pas fondé sur les recherches scientifiques disponibles.

L’auteure fait savoir que l’organisation non gouvernementale Médecins du monde définit les violences obstétricales comme tout acte ou toute conduite qui déshumanise et minimise les femmes tout au long de la grossesse, de l’accouchement et du post-partum, par de mauvais traitements physiques et verbaux, des humiliations, l’absence d’information et de consentement, la médicalisation et la pathologisation excessives de processus naturels, avec comme conséquence la perte de liberté, d’autonomie et de capacité de décider librement des questions relatives à son corps et à sa sexualité. Elle fait également savoir que, selon l’Observatoire des violences obstétricales, ce type de violences consiste à ignorer l’autorité et l’autonomie dont les femmes jouissent s’agissant de leur sexualité, leur corps, leur bébé, et leur expérience de la grossesse et de l’accouchement. Celui-ci consiste également à ignorer la spontanéité, les positions, le rythme et le temps que requiert le travail pour avancer normalement.

L’auteure affirme que les violences obstétricales ont des causes profondes liées à l’appropriation, par le personnel soignant, du contrôle et de la responsabilité lors de l’accouchement. De plus, la relation asymétrique entre les femmes et les professionnels de la santé produit une inégalité supplémentaire qui découle de la hiérarchie médecin-patiente, dans laquelle le professionnel, qui dispose pour ce faire de la légitimité sociale nécessaire, s’arroge une position de savoir (et de pouvoir). Ces pratiques réduisent la marge d’autonomie des femmes, celles-ci étant dépendantes d’interventions technico-médicales.

L’auteure affirme que les violences obstétricales sont un type de violences exercées uniquement à l’encontre des femmes et constituent l’une des formes de discrimination les plus graves. Cette discrimination est fondée sur des stéréotypes liés au genre, qui ont pour effet de perpétuer la stigmatisation du corps des femmes et leurs rôles traditionnels dans la société en matière de sexualité et de reproduction.

L’auteure note que la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que l’impossibilité de prendre des décisions autonomes en matière de santé pendant la grossesse, l’accouchement et la période post-partum constituait une violation du droit à la vie privée et familiale, et établi que les femmes avaient le droit fondamental de choisir dans quelles circonstances elles souhaitent accoucher, que le bébé ne devait être séparé de sa mère après la naissance qu’en cas de circonstances exceptionnelles, cette séparation pouvant être traumatisante, et que certains actes ou omissions des États concernant les politiques sanitaires pouvaient engager leur responsabilité pour traitement inhumain ou dégradant car ils étaient sources d’insécurité, d’angoisse, d’incertitude et d’humiliation.

À cet égard, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a souligné que les violences obstétricales entraînaient des souffrances physiques et psychiques assimilables à des mauvais traitements.

L’auteure rappelle que les violences obstétricales ont été reconnues comme telles en 2014 par l’OMS, qui a affirmé que « partout dans le monde, de nombreuses femmes reçoivent un traitement irrespectueux et insultant lors de l’accouchement dans les établissements de soins, qui non seulement viole le droit des femmes à des soins respectueux mais également menace leur droit à la vie, à la santé, à l’intégrité physique et à la non-discrimination », et défendu l’idée selon laquelle il fallait « davantage d’efforts, de dialogue, d’enquêtes et d’appui pour répondre à cette problématique importante qui touche à la santé publique et aux droits humains ». En outre, le Conseil des droits de l’homme a employé le terme de violences obstétriques pour la première fois en 2016, en recommandant aux États de faire en sorte que les violences commises lors de procédures de gynécologie ou d’obstétrique soient sanctionnées.

Allégation

L’auteure affirme qu’elle a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts pour faire reconnaître les violences obstétricales subies pendant son accouchement.

L’auteure avance que les droits qu’elle tient des articles 2, 3, 5 et 12 de la Convention ont été violés pour les raisons suivantes : a) le déclenchement injustifié de l’accouchement, qui a altéré son cours naturel, sans qu’elle ait reçu d’informations lui permettant de choisir une méthode de déclenchement ; b) la réalisation d’une césarienne sans raison médicale, sans qu’elle ait été informée des risques de la procédure et des autres solutions disponibles, et sans son consentement alors qu’il s’agit d’une intervention chirurgicale abdominale majeure qui comporte un risque de mortalité maternelle deux à quatre fois supérieur à celui associé à l’accouchement par voie basse et qui obtient de moins bons résultats périnataux, dans une salle d’opération transformée en salle de classe, en l’utilisant comme exemple pour que les étudiants apprennent à pratiquer une césarienne, ce qui pose des problèmes liés à deux questions : l’intimité et le consentement, et sans la présence de son mari ou sans avoir la possibilité de le voir dans les heures qui suivent (ce qui est contraire non seulement à la recommandation de l’OMS sur l’accompagnement des femmes pendant l’accouchement par la personne de son choix, mais aussi à la propre recommandation du Ministère de la santé et de la politique sociale de l’État partie selon laquelle toutes les femmes devraient pouvoir être accompagnées, sans restrictions, de la personne de leur choix pendant le travail et l’accouchement ; c) les conséquences physiques de cette chirurgie majeure qui ont exigé des séances de rééducation par physiothérapie ; d) la séparation avec son nouveau-né sans justification médicale, nouveau-né qu’elle n’a pas pu prendre dans ses bras lorsqu’on l’a approché une seconde fois parce que ses bras étaient encore attachés en croix ; f) le non-respect de son autonomie quant à l’alimentation de son enfant ; et g) les blessures psychologiques (troubles du stress post-traumatique après l’accouchement) résultant de son expérience à l’hôpital.

Pour ce qui est de la violation de l’article 5 de la Convention, l’auteure affirme qu’elle a subi les mauvais traitements qu’elle dénonce en raison de la persistance de stéréotypes sexistes qui ôtent toute autonomie de décision aux femmes en matière de santé sexuelle, de maternité et d’accouchement. Plus particulièrement, l’emploi de termes infantilisants par les médecins, comme « ma petite », est un comportement lié aux idées préconçues ou aux stéréotypes selon lesquels les femmes sont incapables d’autodétermination. De plus, ces stéréotypes ont biaisé la perception du juge, qui s’est contenté de faire référence au rapport de l’hôpital, dont il a adopté le point de vue. Le juge n’a pris en compte ni le non-respect des protocoles, ni l’absence de documents attestant du consentement éclairé, ni aucun des rapports fournis par l’auteure dans le cadre de la procédure afin de prouver les mauvais traitements (le rapport de la sage-femme, par. 2.19, et le rapport d’expertise d’une spécialiste en gynécologie et obstétrique, par. 2.21). Il n’a pas non plus tenu compte des rapports présentés en lien avec le diagnostic de troubles du stress post-traumatique après l’accouchement (rapports du Centre de santé mentale d’Andoain rattaché au système de santé du Pays basque, par. 2.15, et de la spécialiste en psychiatrie, par. 2.16 et 2.17), réduisant les blessures et conséquences infligées à l’auteure à une simple question de perception. En ce qui concerne l’appréciation des témoignages des victimes, l’auteure rappelle la recommandation générale no 33 du Comité, qui dit au paragraphe 26 que la représentation stéréotypée influe également sur le crédit accordé aux opinions, arguments et témoignages des femmes lorsqu’elles sont parties ou témoins. De fait, le personnel de santé puis les juges ont présumé qu’une femme doit se comporter selon les indications des médecins, parce qu’elle est incapable de prendre des décisions par elle-même. L’auteur fait valoir qu’à aucun moment les autorités n’ont été en mesure de comprendre pleinement les causes et les effets du phénomène de la violence obstétrique en tant que forme de violence fondée sur le sexe qui constitue une violation grave des droits fondamentaux des femmes. Elle avance également que le modèle autoritaire et paternaliste de la relation entre le médecin et la patiente a « normalisé », dans l’imaginaire social, l’idée selon laquelle les femmes accomplissent simplement un rôle reproductif mais qu’elles n’ont pas voix au chapitre en la matière lorsqu’elles accouchent. Elle rappelle que, en vue de la pleine mise en œuvre de l’article 5 de la Convention, les États parties sont tenus de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier les modèles de comportement stéréotypés et éliminer la discrimination structurelle.

En ce qui concerne la violation des articles 2 et 12 de la Convention, l’auteure allègue que le traitement reçu constitue une violation de son droit à la santé sexuelle et procréative, et à une maternité sûre, de qualité, et exempte de discrimination et de violences. Elle allègue également que la prise en charge médicale, d’une part, et la procédure judiciaire ouverte par la suite, d’autre part, sont la preuve que l’État partie ne s’est pas acquitté de ses obligations en matière de protection des femmes contre la discrimination et les violences durant la grossesse, l’accouchement et la période post-partum. Elle rappelle que, conformément à l’article 2, les États parties doivent veiller à ce que leurs institutions s’abstiennent de tout acte qui, directement ou indirectement, constitue un acte de discrimination à l’encontre des femmes. Elle précise que les éléments susmentionnés entraînent une obligation de résultats pour l’État partie, qui est tenu d’éliminer toute pratique ayant pour effet un acte de discrimination, car permettre de tels comportements discriminatoires fondés sur les stéréotypes sexistes constitue une violation de la Convention.

S’agissant de la violation de l’article 3 de la Convention, l’auteure avance qu’elle n’a pas pu accoucher d’une manière compatible avec le respect de ses droits fondamentaux. Elle rappelle que, depuis 1985, l’OMS prie instamment les États de promouvoir « des soins obstétricaux essentiels en suivant l’accouchement grâce à des outils technologiques et de façon à respecter les aspects émotionnels, psychologiques et sociaux de ce processus » et indique qu’il convient de « contrôler la pratique abusive et injustifiée de la césarienne en enquêtant et en faisant connaître ses effets néfastes sur la mère et l’enfant ».

L’auteure demande qu’une réparation individuelle au titre des violences subies et que l’État partie produise des études et des statistiques afin de lutter contre les violences obstétricales, de sensibiliser à cette question et de faire en sorte qu’elles ne se reproduisent pas. Elle demande également au Comité d’élaborer une recommandation générale sur cette problématique, qui est une réalité infligée aux femmes du monde entier.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Dans ses observations du 9 mars 2020, l’État partie estime que la communication n’est pas recevable et ne saurait donner lieu à une révision de l’évaluation des preuves effectuée par les tribunaux. Selon l’État partie, les tribunaux ont déjà procédé à une évaluation approfondie des preuves.

L’État partie affirme que la communication est irrecevable car tous les recours internes n’ont pas été épuisés, et que l’auteure n’a présenté aucune demande pour violation de ses droits fondamentaux, seulement un recours en responsabilité pécuniaire à hauteur de 21 175 euros au titre du fonctionnement anormal de l’administration de la santé, suivi d’un recours auprès du Tribunal du contentieux administratif et d’un recours en amparo.

L’État partie conteste la violation de la Convention, étant donné l’absence d’arbitraire ou d’erreur manifeste dans l’appréciation des preuves, et l’absence de déni de justice.

En particulier, l’État partie souligne que les décisions du corps médical ont été prises uniquement pour préserver la santé de l’auteure, ainsi que du nouveau-né, élément qui ne figure pas dans les contributions de celle-ci, qui n’exprime que ses désirs et préférences. Il précise que le consentement éclairé n’est recueilli que pour les césariennes programmées et rappelle l’arrêt du 2 juillet 2010, dans lequel la Chambre du recours en amparo affirme que l’accouchement « constitue un processus naturel dans le cadre duquel le consentement éclairé n’a aucun sens car la volonté de la patiente ne peut modifier le cours des évènements ». Il avance que l’accouchement à la carte n’existe pas et que la décision du mode d’accouchement revient uniquement et exclusivement aux professionnels de santé. L’État partie indique que la césarienne a été pratiquée 31 heures après la rupture des eaux et qu’elle a été décidée parce que le travail était bloqué à 7 centimètres de dilatation. Il signale en outre que le pourcentage de césariennes dans l’hôpital en question est de 14,7 %, ce qui est inférieur à la moyenne nationale de 25 %.

Pour ce qui est du stress post-traumatique, l’État partie estime qu’il n’existe « aucun élément probant permettant d’appuyer cette interprétation qui n’est rien d’autre que la simple perception de l’auteure ».

L’État partie indique que, si l’auteure affirme avoir refusé tout médicament pour provoquer ou accélérer l’accouchement dans son projet de naissance, elle a toutefois demandé une péridurale.

L’État partie fait valoir que l’opération n’a pas été réalisée par des étudiants, mais il ressort clairement de la liste des participants à l’opération que des médecins internes en formation, ainsi que des gynécologues spécialisés, y ont pris part.

D’une manière générale, l’État partie fait également valoir que la communication n’est pas à proprement parler une communication émanant d’un particulier, mais que l’auteure aurait dû soumettre un rapport pour examen périodique, sachant que le but ultime de sa communication est que l’État partie élabore des études et des statistiques sur les violences obstétricales, et que le Comité élabore une recommandation générale sur cette question.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 8 mai 2020, l’auteure a fait savoir qu’elle ne demandait pas que les jugements internes soient révisés, que le Comité tienne lieu de cour d’appel ou de cassation, ou qu’un nouveau procès soit ordonné. Elle explique que l’objectif de la communication est que, après une analyse de l’ensemble des faits et des éléments de preuve présentés, le Comité détermine si l’État partie (institutions sanitaires, administratives et judiciaires) s’est acquitté ou non des engagements qu’il a pris lorsqu’il a ratifié la Convention et le Protocole facultatif, et recommande des réparations porteuses de changement qui garantissent la non-répétition de telles situations.

S’agissant de la prétendue inadéquation de la procédure choisie pour protéger ses droits, l’auteure rappelle que le critère d’épuisement des recours internes vise à donner une chance aux États parties de réparer une violation. Celui-ci ne signifie pas que les victimes ont l’obligation d’épuiser tous les recours internes disponibles mais qu’elles doivent soumettre la question qui les concernent dans le cadre de l’une ou l’autre des procédures valides et adaptées au regard de l’ordonnancement juridique. Si plus d’un recours effectif est disponible, elle peuvent choisir celui qu’elles estiment être le plus approprié. L’auteure est d’avis que la voie choisie par elle, à savoir un recours en responsabilité pécuniaire, un recours auprès du Tribunal du contentieux administratif et un recours en amparo, dans le cadre desquels elle a expressément fait état de la violation de son droit à l’intégrité physique et morale, de son droit à l’intimité personnelle et familiale, et de son droit de recevoir des informations et de décider librement, en argumentant que les actes subis constituaient des actes de discrimination fondés sur le genre et le sexe, est une voie juridique légitime pour épuiser les recours internes.

Pour ce qui est du fond de la communication, l’auteure indique que l’État partie se base uniquement sur un rapport du système de santé du Pays basque, c’est à dire la même administration mise en cause au niveau national. Celui-ci répète les mêmes stéréotypes sexistes, minimisant toutes ses allégations, sans comprendre qu’il convient d’accorder la même importance à son expérience qu’aux évaluations des médecins. Ainsi, l’auteure affirme que l’État partie permet la perpétuation de stéréotypes de genre et d’actes de discrimination à l’encontre des femmes, tant dans le cadre clinique de l’accouchement que dans le cadre de la procédure judiciaire.

L’auteure précise que, dans ses observations, l’État partie se contente de reprendre la décision du juge saisi de l’affaire (par. 2.22 et 4.3) et cite de manière brouillonne la décision du Tribunal du contentieux administratif qu’il utilise pour défendre l’idée selon laquelle l’obtention du consentement n’était pas nécessaire. Cette décision, si elle reconnaît effectivement que « le processus de l’accouchement, lorsqu’il est imminent et inévitable, constitue un processus naturel dans le cadre duquel le consentement éclairé n’a aucun sens car la volonté de la patiente ne peut modifier le cours des évènements », reconnaît également la chose ci-après, non reprise par le juge ou l’État partie : « Il peut être recouru à des moyens extraordinaires pour faciliter l’accouchement, par exemple la technique de la césarienne, auquel cas, sauf urgence, il convient de recueillir le consentement éclairé de la patiente, mais ce n’est pas ce qui s’est passé ici. » Enfin, l’auteure affirme que le Tribunal suprême dit exactement l’inverse de ce qu’ont avancé le juge saisi de l’affaire et l’État partie, qui se contente de répéter la décision : il est impératif d’obtenir le consentement de la patiente avant de recourir à un moyen extraordinaire visant à faciliter l’accouchement, comme la césarienne, sauf en situation d’urgence, ce qui n’était pas son cas. Elle estime qu’il est impératif que le Comité confirme l’obligation de recueillir le plein consentement éclairé dans le cadre de la santé sexuelle et procréative des femmes, conformément à sa recommandation générale no 24.

Une fois de plus, la réponse de l’État partie ne fait que reprendre la décision du juge sur les troubles du stress post-traumatique, qui ne seraient qu’une « simple question de perception » (par. 2.22), faisant fi des diagnostics objectifs réalisés par un médecin psychiatre du Service de la santé du Pays basque qui a traité la patiente et d’une spécialiste en psychiatrie.

L’auteure fait remarquer que l’argument de l’État partie selon lequel elle a elle-même demandé la péridurale est tendancieux. En effet, consentir au déclenchement ou à l’accélération de l’accouchement, interventions qu’elle a expressément refusées, n’est pas la même chose que consentir à la péridurale. Les produits utilisés pour déclencher ou accélérer l’accouchement provoquent une douleur telle que le recours à la péridurale est quasiment inévitable (médicament destiné à soulager la douleur lors de l’accouchement). L’État partie ne peut lui reprocher d’avoir recouru à des méthodes visant à soulager une douleur accrue, précisément, par l’administration de médicaments destinés à accélérer le travail qu’elle avait refusés ; son refus expresse concernait ce type de médicaments et non ceux destinés à soulager la douleur.

L’auteure insiste sur le contexte de la présente communication et demande au Comité d’ouvrir une procédure d’enquête sur les violences obstétricales en Espagne. Elle rappelle qu’il est crucial de mettre en place des réparations porteuses de transformations qui permettent de garantir la non-répétition de ces violences.

Intervention de parties tierces

Le 21 mai 2020, l’Observatoire des violences obstétricales a affirmé que la présente communication était représentative du grave problème de santé publique que constituaient les violences obstétricales dans l’État partie. Une étude a révélé que dans 45,8 % des cas, le consentement n’était pas demandé, que dans 38 % des cas, des interventions inutiles étaient pratiquées et qu’il existe un interventionnisme excessif dans le cadre de la prise en charge périnatale : dans 53,3 % des accouchements spontanés, les équipes médicales administrent de l’ocytocine synthétique (médicament présentant de forts risques), alors que la norme recommandée se situe entre 5 % et 10 % ; la part d’accouchements déclenchés s’élève à 19,4 % (contre une recommandation de 10 %) ; la manœuvre de Kristeller reste utilisée dans 26 % des accouchements (contre une recommandation de 0 %) ; le taux de césariennes est de 22 % (contre une recommandation inférieure à 15 %) ; les mères sont séparées de leur bébé dans 50 % des cas, avec les difficultés que cela engendre pour l’instauration du lien et de l’allaitement maternels.

Le 25 mai 2020, María Fuentes Caballero du Centre de santé Artemisa (Cádiz) a fait savoir que, tous les jours, les femmes étaient forcées d’accoucher dans des positions non physiologiques, recevaient des traitements sans disposer d’informations suffisantes ou étaient séparées de leur bébé sans raison.

Le 2 juin 2020, des étudiants du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire de l’Université Panthéon-Assas (Paris) ont rappelé que la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences emploie le terme de « violences obstétricales » pour évoquer les violences subies par les femmes durant l’accouchement. Ce terme est aussi employé par la Commission pour l’égalité et la non-discrimination du Conseil de l’Europe dans son rapport du 16 septembre 2019 sur les violences obstétricales et gynécologiques. Les étudiants du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire de l’Université Panthéon-Assas avancent que les violences obstétricales sont la manifestation d’une discrimination fondée sur le genre profondément ancrée dans le milieu de la santé, aggravée par le fait que les hommes sont surreprésentés dans le domaine de la gynécologie et de l’obstétrique. Malgré son importance, l’accouchement est entouré d’un tabou, qui empêche les victimes de témoigner et de demander réparation, ce qui accroît l’impunité des responsables et les souffrances des victimes.

Les étudiants du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire de l’Université Panthéon-Assas affirment que, pour prévenir les violences obstétricales, les États ont des obligations liées au traitement des femmes en salle d’accouchement : éliminer les traditions et pratiques qui perpétuent l’idée selon laquelle les femmes seraient inférieures dans le cadre de programmes de sensibilisation destinés aux services médicaux ; ou garantir le plein consentement éclairé des femmes. À cet égard, ils rappellent que l’Organisation panaméricaine de la santé, dans sa publication intitulée « Manejo de las complicaciones del embarazo y el parto: guía para obstetrices y médicos », affirme que la patiente a le droit de rejeter une intervention médicale, quel que soit l’avis du médecin.

Les étudiants du Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire de l’Université Panthéon-Assas avancent que les États ont des obligations en matière de réparation judiciaire et administrative des violences obstétricales, notamment celles d’offrir des recours effectifs aux victimes de violences obstétricales ; de garantir une justice exempte de stéréotypes, ce qui n’est pas le cas lorsque les autorités administratives et judiciaires estiment, par exemple, que c’est au médecin de décider de réaliser ou non une épisiotomie ou que le préjudice psychologique est une « simple question de perception » ; de qualifier les violences obstétricales et d’introduire des sanctions juridiques dans leur législation nationale.

Le 10 juin 2020, l’Observatoire des violences obstétricales chilien a indiqué que tous les éléments de la présente communication sont monnaie courante au Chili : l’infantilisation, le déclenchement artificiel et prématuré de l’accouchement, qui entraîne une césarienne injustifiée, le fait d’ignorer les besoins physiques et psychologiques des patientes et de les séparer de leur bébé, et l’interdiction d’être accompagnée par son conjoint.

Le 24 juin 2020, le Grupo de Información en Reproducción Elegida (Mexique) a indiqué qu’il définissait les violences obstétricales comme une forme particulière de violence à l’égard des femmes enceintes, caractérisée par des actes ou des omissions de la part des services de santé publique, qui, dans le cadre de la prise en charge de la grossesse, de l’accouchement et de la période post-partum, cause un préjudice physique et/ou psychologique à la femme enceinte et consiste en un manque d’accès aux services de santé procréative, un traitement cruel, inhumain ou dégradant, et une médicalisation excessive, tout en minimisant la capacité des femmes de prendre des décisions libres et éclairées sur ces processus reproductifs. Les violences obstétricales peuvent être physiques, par des pratiques invasives, comme les césariennes sans raison clinique, l’administration injustifiée de médicaments, des retards dans la prise en charge d’urgence ou le non-respect du rythme de l’accouchement. Elles peuvent également être psychologiques, comme la discrimination, l’emploi d’un langage offensant, humiliant ou sarcastique, ou le manque d’informations opportunes sur le processus reproductif.

Le 30 juin 2020, la Rede pela Humanização do Parto e Nascimento (Brésil) a rappelé que, selon l’OMS, la médicalisation croissante de l’accouchement tend à affaiblir la capacité des femmes d’accoucher et a des effets néfastes sur leur expérience de cet événement.

Commentaires et observations sur les interventions des tierces parties

Le 30 juillet 2020, l’auteure s’est félicitée de l’intérêt suscité par sa communication, qu’elle estime représentative d’une réalité vécue partout dans le monde. Elle fait sienne la définition proposée des violences obstétricales.

Le 14 août 2020, l’État partie a indiqué avoir ratifié ses observations.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Le Comité doit, en application de l’article 64 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Le Comité prend note du moyen soulevé par l’État partie et tiré du non-épuisement des voies de recours internes, l’auteure n’ayant pas formé d’action en violation de ses droits fondamentaux, mais seulement un recours en responsabilité pécuniaire, suivi d’un recours auprès du Tribunal du contentieux administratif et d’un recours en amparo. Il prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle la voie qu’elle a suivie est une voie juridique légitime d’épuisement des recours internes. À cet égard, le Comité rappelle que les personnes qui présentent une communication individuelle ne sont pas tenus d’épuiser tous les recours possibles, mais simplement de donner à l’État partie la possibilité, au moyen du mécanisme opportun, de remédier à la situation dans sa juridiction. Il constate que l’auteure a saisi les juridictions internes de toutes les questions qui lui sont soumises, à savoir les allégations de violences obstétricales (déclenchement de l’accouchement de manière anticipée sans information ni consentement, réalisation d’une césarienne sans consentement et par des médecins internes en formation supervisés par des tuteurs, séparation de la mère et de l’enfant, administration de biberons, et traumatisme physique et psychologique, actes qui constituent une violation de l’intégrité physique et morale de l’auteure, ainsi que de sa dignité et de son droit à l’intimité personnelle et familiale), épuisant le recours de contentieux administratif ; elle a ensuite présenté un recours en amparo devant la Cour constitutionnelle pour violation de ses droits fondamentaux. Ainsi, le Comité estime que l’auteure a épuisé une voie pertinente avant de saisir le Comité, et conclut, par conséquent, à l’épuisement des recours internes, conformément aux dispositions de l’article 4.1 du Protocole facultatif.

Le Comité prend note de l’argument avancé par l’État partie, selon lequel la communication serait irrecevable au motif qu’elle demande la révision de l’appréciation des faits et des éléments de preuve faite par les juridictions nationales. Il prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle ne demande pas que les preuves soient réexaminées ou qu’un nouveau procès soit ouvert mais a présenté l’ensemble des faits et des éléments de preuve afin de montrer que la procédure judiciaire relative à son cas était empreinte de stéréotypes de genre sur l’accouchement, qui ont biaisé la perception du juge. En outre, il prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les autorités judiciaires n’ont pas tenu compte des diverses expertises qu’elle a présentées tout au long de la procédure. Le Comité estime que lesdites allégations en lien avec le déni de justice et la discrimination fondée sur le sexe en raison de stéréotypes sont directement liées au fond de la communication et conclut donc avoir la compétence pour l’examiner et déterminer l’existence de toute irrégularité dans la procédure judiciaire ouverte au titre des allégations de violences obstétricales de l’auteure.

Le Comité considère que les moyens tirés des articles 2, 3, 5 et 12 de la Convention sont suffisamment étayés pour être jugés recevables, et déclare donc la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

Conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteure et l’État partie.

Le Comité prend note du fait que l’auteure affirme que le déclenchement inutile de son accouchement, la césarienne injustifiée sur le plan médical qui a suivi et a été pratiquée, en l’absence de son mari, par des étudiants supervisés par des tuteurs, tout cela sans son consentement préalable, la séparation sans raison avec son nouveau-né, le non-respect de sa volonté quant à l’alimentation de son enfant et enfin, les troubles du stress post-traumatique dont elle a souffert après l’accouchement sont le résultat d’une discrimination structurelle fondée sur des stéréotypes genrés autour de l’accouchement. Celle-ci avance que ces stéréotypes ont été perpétués par les institutions administratives et judiciaires. Non seulement le juge n’a pas tenu compte des protocoles, mais il n’a pas non plus tenu compte des rapports soumis par l’auteure pour prouver les mauvais traitements, ni de ceux concluant à des troubles du stress post-traumatique, réduisant le préjudice subi par l’auteure à une simple question de perception. Le Comité prend note du fait que, selon l’auteure, son droit à la santé sexuelle et procréative, et à une maternité sûre, de qualité, et exempte de discrimination et de violences a été bafoué, contrevenant aux articles 2, 3, 5 et 12 de la Convention. Il constate que, selon l’État partie, la césarienne a été pratiquée après avoir envisagé un accouchement stationnaire, que « l’accouchement à la carte » n’existe pas et que la décision du mode d’accouchement revient exclusivement au professionnel de santé et qu’il n’existe aucun élément probant permettant de conclure que l’auteure présente bel et bien un stress post-traumatique et que ce dernier ne relève pas d’une simple question de perception

Le Comité rappelle que, selon sa recommandation générale no 24 (1999) sur les femmes et la santé, des services de santé de qualité sont ceux qui sont fournis avec le consentement préalable et éclairé des femmes, respectent leur dignité, garantissent leur vie privée et tiennent compte de leurs besoins et de leurs perspectives. Toujours selon cette recommandation générale, les femmes ont le droit d’être pleinement informées, par un personnel dûment formé, des options qui s’offrent à elles pour accepter un traitement ou une recherche, y compris les avantages potentiels et les effets indésirables éventuels des procédures proposées et des options disponibles.

Le Comité juge opportun d’examiner le phénomène dit des violences obstétricales. À cet égard, la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les filles, ses causes et ses conséquences emploie le terme de « violences obstétricales » pour décrire les violences subies par les femmes pendant l’accouchement dans des établissements de soins et affirme que ce phénomène est répandu et systémique, ou profondément enraciné dans les systèmes de santé. Elle explique que ces violences s’inscrivent dans le prolongement des violations commises plus largement du fait des inégalités structurelles, de la discrimination et du patriarcat, et qui sont aussi la conséquence d’une sensibilisation et d’une formation insuffisantes et du non-respect de l’égalité de statut des femmes et de leurs droits. L’affirmation de la Rapporteuse selon laquelle une césarienne pratiquée sans le consentement de la patiente et le recours à du personnel de santé non formé pour accomplir des examens gynécologiques constituent des violences obstétricales est particulièrement pertinente dans le cadre de la présente communication. C’est le cas également de l’affirmation selon laquelle le consentement éclairé est un droit fondamental dans le cadre de tout traitement médical lié aux services de santé procréative et à l’accouchement. Les femmes ont le droit de recevoir toutes les informations idoines sur les traitements recommandés afin de pouvoir y réfléchir et prendre une décision éclairée, raison pour laquelle l’obtention du consentement est obligatoire, même si cela est difficile et prend du temps. Enfin, sa recommandation sur la prévention des violences obstétricales, visant à garantir le droit des femmes d’être accompagnées par la personne de leur choix durant l’accouchement, est, elle aussi, pertinente dans le cadre de la présente communication.

Le Comité rappelle que, dans le cadre de ses observations finales, il a constaté un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes sans raison médicale et sans consentement, ainsi que la séparation des nouveau-nés de leur mère sans justification médicale et le sentiment de supériorité des médecins, et a recommandé aux États d’adopter « des mesures juridiques et politiques pour protéger les femmes durant l’accouchement, de punir les violences obstétricales, de renforcer les programmes de développement des compétences chez le personnel médical et d’assurer un suivi régulier du traitement des patients dans les centres de santé et les hôpitaux ». Dans le cadre de son examen des communications individuelles, il s’est prononcé sur des faits similaires au cas d’espèce, liés au même contexte dans le même État partie, concluant à la violation des articles 2 b), c), d) et f), 3, 5 et 12 de la Convention. Par le passé, il a conclu à la responsabilité de l’État dans le décès d’une jeune mère, qui aurait pu être empêché, des suites de complications obstétricales après qu’on lui avait refusé une prise en charge maternelle de qualité, ainsi que dans une affaire de stérilisation forcée.

Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités de l’État partie d’évaluer les faits et les éléments de preuve ainsi que l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation a été conduite partialement ou est fondée sur des stéréotypes sexistes qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Dans la présente communication, il revient au Comité d’évaluer dans quelle mesure l’État partie s’est acquitté de son obligation de diligence voulue dans la procédure administrative et judiciaire relative aux faits reprochés par l’auteure et d’éliminer les stéréotypes de genre. À cet égard, le Comité note que, selon l’État partie, les juridictions nationales ont procédé à une évaluation approfondie de la preuve. Il note également que, selon l’auteure, malgré la présentation de divers éléments de preuve et rapports démontrant le lien de causalité entre l’intervention médicale et le préjudice, les autorités administratives et judiciaires, animées par des stéréotypes, n’ont ajouté foi qu’aux rapports de l’hôpital. Selon les rapports cliniques de gynécologie et d’obstétrique fournis par l’auteure, tant en interne que devant le Comité, le personnel soignant n’a pas agi conformément aux exigences de la profession : il n’a pas suivi les protocoles, il n’a pas attendu suffisamment longtemps avant de pratiquer la césarienne, il a conclu trop rapidement à un arrêt du travail, il n’a pas envisagé de solution autre que la césarienne et il n’a recueilli le consentement de la patiente ni pour le déclenchement de l’accouchement ni pour la césarienne, contrairement à ce qu’exige la loi sur l’autonomie du patient et, en bref, selon ces rapports, si les règles et les protocoles avaient été suivis, l’auteure aurait très probablement eu un accouchement normal (par. 2.19 et 2.21). Selon les rapports psychiatriques et psychologiques fournis par l’auteure, tant en interne que devant le Comité, les symptômes que présente l’auteure du fait de son accouchement remplissent tous les critères permettant de conclure à des troubles du stress post-traumatique, son cas ayant été qualifié par un spécialiste en psychiatrie de représentatif et d’emblématique du phénomène signalé par l’OMS, principal organisme des Nations Unies compétent dans le domaine de la santé (par. 2.15 à 2.17). Toutefois, le Comité note qu’en l’espèce, les autorités nationales n’ont pas procédé à une analyse exhaustive des preuves soumises par l’auteure. À cet égard, le Comité note que dans sa décision, le juge qui a rejeté la demande de l’auteure n’a pas accordé de poids à ces preuves par rapport au rapport médical fourni par l’hôpital − selon lequel c’est le professionnel de la santé qui doit déterminer si les conditions d’une césarienne sont réunies et si l’accouchement était stationnaire −, se fondant uniquement sur ce dernier pour conclure que le déclenchement de l’accouchement et la césarienne qui a suivi étaient conformes aux exigences de la profession. À cet égard, le Comité note que si, selon le juge, dans le cadre d’une procédure en responsabilité médicale, il convient d’évaluer les rapports médicaux figurant dans le dossier, ceux fournis par les parties avec leurs mémoires en demande ou en défense, ainsi que ceux présentés en audience qui bénéficient de plus grandes garanties car ils sont présumés indépendants et objectifs par rapport aux rapports des parties. En revanche, en l’espèce, le juge n’a pas demandé l’établissement d’une expertise en audience. Le Comité constate en outre que, en ce qui concerne le syndrome de stress post-traumatique lié à l’accouchement, le juge a conclu qu’il n’y avait pas de preuves à l’appui de l’interprétation de l’auteure, sans accorder de crédit au rapport d’un spécialiste en psychiatrie qui a établi un lien de causalité direct entre le traitement subi par l’auteure et le préjudice psychologique (il y indiquait que le diagnostic de troubles de stress post-traumatique lié à l’accouchement a été causé par le traitement réservé à l’auteure, qui « aurait pu être évité par un consentement éclairé, qui est lié au droit à l’intégrité morale et à la liberté et qui est révélateur du fait que la privation de l’autonomie personnelle peut produire un préjudice psychologique », et que « si le traitement reçu avait été différent durant l’accouchement, elle ne présenterait pas l’intensité symptomatique ni les séquelles actuelles »), au motif que le rapport « établit un lien de causalité unique discutable », n’accordant ainsi du crédit qu’au rapport de l’inspecteur de l’administration (qui n’a pas examiné l’auteure), selon lequel l’existence de tels troubles dépendait de l’idiosyncrasie de l’auteure.

Le Comité considère que les faits relevant du cas d’espèce, en particulier le déclenchement de l’accouchement au moyen d’ocytocine 14 heures seulement après la rupture des eaux sans informations ni consentement, la réalisation de plusieurs touchers vaginaux, l’interdiction de se nourrir, l’infantilisation, la pratique d’une césarienne par des médecins internes et résidents, pour laquelle l’auteure n’avait pas donné son consentement, durant laquelle elle n’a pas pu être accompagnée de son conjoint et durant laquelle elle a eu les bras attachés, la séparation avec son nouveau-né qui a empêché le peau à peau, tous ces faits n’ayant pas été contestés par l’État partie, l’imposition de l’alimentation au biberon contre le souhait des parents, et les conséquences physiques et psychologiques que ces événements ont eues pour l’auteure constituent des violences obstétricales.

Dans ce contexte, le Comité rappelle que, en vertu des articles 2 f) et 5, les États parties ont l’obligation de prendre toutes les mesures appropriées pour modifier ou abroger toute loi ou disposition réglementaire, mais également toute coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes. À cet égard, il considère que l’utilisation de stéréotypes porte atteinte au droit des femmes d’être protégées contre la violence sexiste, en l’espèce les violences obstétricales, et que les autorités chargées d’apprécier la responsabilité née de ces actes devraient faire particulièrement attention à ne pas reproduire les stéréotypes. Il note que, dans le cas d’espèce, les autorités administratives et judiciaires de l’État partie ont appliqué des idées stéréotypées et donc discriminatoires, par exemple, en partant du principe que la décision de pratiquer ou non une césarienne revenait au médecin, sans analyser dûment les différents éléments et rapports fournis par l’auteure, en faisant valoir précisément que la césarienne n’était pas la seule solution possible, ou que le préjudice psychologique subi par l’auteure n’était qu’une simple question de perception.

Par ces motifs, en application des dispositions du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif à la Convention, le Comité considère que les faits qui lui ont été communiqués font apparaître clairement une violation des droits que confèrent à l’auteure les articles 2 b), c), d) et f), 3, 5 et 12 de la Convention.

À la lumière de ce qui précède, le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)Concernant l’auteure : octroyer une réparation appropriée, y compris une indemnisation financière à la hauteur du préjudice de santé physique et psychique subi par l’auteure ;

b)En général :

i)Garantir le droit des femmes à une maternité sans risques et l’accès de toutes les femmes à des soins obstétricaux adéquats, conformément à la recommandation générale no 24 (1999) sur les femmes et la santé ; en particulier, fournir aux femmes une information adéquate à chaque étape de l’accouchement et exiger leur consentement préalable, libre et éclairé à tous les traitements invasifs pendant les soins liés à l’accouchement, en respectant leur autonomie et leur capacité de prendre des décisions en connaissance de cause concernant leur santé procréative ;

ii)Mener des études sur les violences obstétricales dans l’État partie afin de faire prendre conscience de la situation et d’orienter ainsi les politiques publiques visant à lutter contre ces violences ;

iii)Dispenser au personnel sanitaire, notamment des services d’obstétrique, une formation professionnelle adéquate sur les droits des femmes en matière de santé procréative ;

iv)Garantir l’accès à des recours efficaces en cas d’atteinte aux droits des femmes en matière de santé procréative, notamment dans les cas de violences obstétricales, et assurer la formation approfondie du personnel judiciaire et du personnel chargé de faire appliquer la loi ;

v)Établir, faire connaître et mettre en œuvre une charte des droits des patients.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les éventuelles recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite, l’informant notamment de toute action menée à la lumière de ses constatations et recommandations. L’État partie est également prié de publier les constatations et recommandations du Comité et de les diffuser largement afin qu’elles parviennent à tous les secteurs concernés de la société.