Communication présentée par :

Jeremy Eugene Matson (non représenté par un conseil)

Victimes présumées :

L’auteur et ses enfants, I. D. M. et A. M. M.

État partie :

Canada

Date de la communication :

18 octobre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision communiquée à l’État partie le 4 juillet 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

14 février 2022

Objet:

Droit au statut d’ « Indien inscrit » en tant que descendants matrilinéaires des Premières Nations (discrimination)

L’auteur de la communication est Jeremy Eugene Matson, de nationalité canadienne, né le 1er avril 1977 et membre de la Nation des Squamish. Il présente la communication en son nom et en celui de sa fille, I. D. M., née le 29 mai 2008, et de son fils, A. M. M., né le 31 août 2011. Il soutient que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article premier et des articles 2 et 3 de la Convention. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur au Canada le 18 janvier 2003.

Rappel des faits présentés par l’auteur

Détermination par l’État partie des personnes admissibles au statut d’autochtone

L’auteur soutient que depuis l’adoption de la Loi sur les Indiens de 1876 et de ses dispositions concernant l’inscription des « Indiens », l’État partie discrimine les femmes autochtones et leurs descendants en leur déniant leur statut d’autochtone, leur droit de décider de leur identité autochtone et leur droit fondamental d’appartenir à un peuple autochtone.

La Loi sur les Indiens est le régime législatif qui a été imposé aux Premières Nations pour réglementer leurs relations avec le Gouvernement. En vertu de cette loi, le Gouvernement fédéral tient une liste (registre des Indiens) qui recense les personnes ayant le statut d’« Indien inscrit », lequel confère des droits et des avantages particuliers, tels que l’accès à des services de santé et à une aide financière en matière d’éducation, le droit de résider sur les territoires autochtones et le droit de chasser et de pêcher sur les terres ancestrales. Plus important encore, ce statut peut être transmis par les inscrits à leurs enfants et leur procure le sentiment d’être acceptés au sein des communautés autochtones.

Avant 1985, la Loi sur les Indiens comportait des dispositions clairement discriminatoires à l’égard des femmes autochtones, en leur retirant leur statut si elles épousaient des hommes non inscrits et en faisant dépendre de la lignée paternelle la transmission du statut aux descendants.

En 1981, en réponse à une plainte d’une femme micmaque, Sandra Lovelace, le Comité des droits de l’homme a estimé que les dispositions de la Loi sur les Indiens étaient discriminatoires. Cette position du Comité a conduit à des modifications de la loi visant à redonner aux femmes le statut qui leur avait été retiré à la suite de leur mariage avec un homme non autochtone. Ces modifications, entrées en vigueur en 1985 et connues sous le nom de « projet de loi C-31 », n’ont pas permis de remédier entièrement aux séquelles laissées par la discrimination et ont en fait perpétué la discrimination subie par les descendants des femmes ayant perdu leur statut. L’article 6 de la Loi sur les Indiens, introduit dans le projet de loi C-31, a instauré un régime de droits et d’inscription comportant deux grandes catégories : celle du paragraphe 6 1), qui regroupe les personnes ayant deux parents inscrits, dont les enfants peuvent être inscrits, peu importe le statut de l’autre parent ; celle du paragraphe 6 2), qui regroupe les personnes ayant un seul parent inscrit, dont les enfants ne peuvent être inscrits que si leur autre parent est également inscrit. Cette règle, connue sous le nom d’« exclusion après la deuxième génération », a été appliquée à tous les enfants nés après 1985 et, rétroactivement, à tous ceux nés de personnes ayant retrouvé leur statut. Par conséquent, les petits-enfants des femmes qui s’étaient vues privées de leurs droits ne pouvaient obtenir le statut que si leurs deux parents étaient inscrits. Bien qu’elles aient permis aux femmes de conserver leur statut, peu importe qui elles épousaient, les nouvelles dispositions ne leur conféraient pas la même capacité de transmettre leur statut à leurs descendants. En effet, en vertu de ces nouvelles règles, les enfants n’ayant qu’un seul parent inscrit avaient un statut différent de ceux qui en avaient deux. En déterminant ainsi unilatéralement qui était Indien, l’État partie a exclu de l’inscription au registre des milliers de femmes autochtones et leurs enfants, qui ont été privés de leur droit de décider de leur propre identité. La loi était discriminatoire à l’égard des femmes, puisque les hommes autochtones n’étaient pas soumis aux mêmes règles.

En 1989, une femme autochtone, Sharon McIvor, a contesté en justice les dispositions discriminatoires figurant dans la version modifiée de la Loi sur les Indiens. À la suite des modifications de 1985, son fils et elle-même étaient devenus admissibles au statut, mais les enfants de son fils n’avaient pas droit à l’inscription car leur mère n’était pas autochtone. Mme McIvor a fait valoir que les personnes dont les grands-pères étaient autochtones, plutôt que les grands-mères, avaient droit à l’inscription. Près de vingt ans plus tard, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que les modifications de 1985 perpétuaient le désavantage historique des femmes autochtones et des personnes qui tenaient leur ascendance indienne de la lignée maternelle. Le Gouvernement fédéral a interjeté appel, et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que les modifications de1985 portaient atteinte aux droits à l’égalité, car elles ne faisaient que repousser d’une génération l’exclusion prévue après la deuxième génération. Par conséquent, des modifications ont été adoptées en 2011 dans le cadre du projet de loiC-3, qui prévoyait que les petits-enfants des femmes ayant perdu leur statut en épousant une personne non admissible au statut redevenaient admissibles à condition qu’ils soient nés après 1951. Toutefois, ce projet de loi ne leur accordait qu’un statut limité, puisque la transmission à leurs propres enfants dépendait du statut de l’autre parent. Cette restriction ne s’appliquait pas aux Indiens inscrits des mêmes générations qui, tirant leur descendance de la lignée paternelle, n’étaient pas concernés par les privations de droits du passé. Les réformes ont été menées sans consulter les peuples autochtones de façon adéquate et sans tenir compte des vues des organisations autochtones et des principaux défenseurs des droits des femmes autochtones, qui avaient réclamé une réforme plus étendue en vue d’éliminer toutes les formes de discrimination.

Répercussions de la loi sur la vie de l’auteur et de ses enfants

L’auteur réside à Kelowna (Colombie-Britannique), hors du territoire traditionnel de sa Première Nation. Il appartient à une longue lignée de chefs de la communauté de Capilano, qui fait partie de la Nation des Squamish. La grand-mère paternelle de l’auteur, Nora Johnson, née en 1907, était une femme autochtone, fille de deux parents autochtones appartenant à la Nation des Squamish. Lorsqu’elle était enfant, Mme Johnson a été séparée de sa famille par l’État partie et placée de force dans un pensionnat. En 1927, elle a épousé un non-autochtone, de sorte que l’État partie a cessé de la considérer comme autochtone. Son fils (le père de l’auteur) a épousé une femme non autochtone en 1976 ; l’auteur est né en 1977 et n’a pas eu droit à l’inscription.

Les modifications de 1985 ont permis à la grand-mère paternelle de l’auteur d’avoir droit au statut d’Indien inscrit par application de l’alinéa 6 1) c) de la Loi sur les Indiens mais, ayant épousé un non-autochtone, elle n’a pu transmettre ce statut à son fils (le père de l’auteur) qu’en vertu du paragraphe 6 2). Les parents de l’auteur (un père inscrit en vertu du paragraphe 6 2) et une mère non autochtone) ont présenté, au nom de leur fils, une demande d’inscription au registre, qui a cependant été refusée par application de la règle de l’exclusion après la deuxième génération.

Par suite des modifications de 2011, le père de l’auteur s’est vu accorder le droit à l’inscription en vertu du paragraphe 6 1) de la Loi sur les Indiens, de sorte que l’auteur est devenu admissible pour la première fois au statut d’Indien et aux droits s’y rattachant. Celui‑ci a donc présenté une demande en son nom et en celui de ses enfants, nés d’une femme non autochtone ; le registraire des Indiens a procédé à l’inscription de l’auteur en application du paragraphe 6 2), qui prévoit le statut le plus restrictif, mais a refusé d’inscrire ses enfants. À titre de comparaison, les descendants d’un grand-père possédant le statut d’Indien inscrit n’auraient jamais perdu leur statut et auraient donc été en mesure de le transmettre à leurs enfants.

Accès à la justice

En 2008, l’auteur a déposé une plainte pour discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Commission canadienne des droits de la personne a estimé que la plainte était fondée et l’a transmise au Tribunal canadien des droits de la personne pour examen. Toutefois, en 2012, la Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence du revenu), que le Tribunal n’avait pas compétence pour examiner les plaintes pour discrimination visant une loi adoptée par le Parlement. La Commission a interjeté appel devant la Cour suprême du Canada, mais s’est vu débouter. En conséquence, le 24 mai 2013, le Tribunal a conclu qu’il ne pouvait pas examiner la plainte de l’auteur concernant les dispositions de la Loi sur les Indiens, puisque cette plainte visait essentiellement à contester une loi plutôt qu’une pratique discriminatoire.

Teneur de la plainte

L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes. Le Tribunal canadien des droits de la personne a rejeté sa plainte et, dans l’affaire Alliance de la fonction publique du Canada c. Canada (Agence du revenu), la Cour suprême a conclu que la Loi sur les Indiens ne pouvait pas être contestée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il n’existe donc pas de recours interne effectif permettant de remettre en cause la discrimination historique et persistante fondée sur l’ascendance matrilinéaire dans l’État partie.

La Loi sur les Indiens ne permet pas à l’auteur de transmettre son statut à ses enfants et de décider de leur identité culturelle. Étant d’ascendance autochtone par sa mère et non par son père, il s’est en effet vu dénier son statut et sa pleine identité autochtone ; le fait que ses enfants continuent de se voir refuser ce même statut et le droit de décider de leur propre identité autochtone a des répercussions sur leur acceptation culturelle au sein de la Nation des Squamish. Par conséquent, la Loi sur les Indiens constitue une violation du droit fondamental de l’auteur et de ses enfants d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de celle-ci.

L’auteur soutient que l’affaire porte sur a) une discrimination législative fondée sur le genre qui persiste depuis longtemps à l’égard des femmes autochtones et de leurs descendants et qui conduit à l’assimilation culturelle des autochtones en niant leur droit fondamental de décider de leur propre identité ; b) une absence de consultation adéquate des peuples autochtones lors de la modification des textes législatifs les concernant ; c) une violation du droit d’accès à des recours. L’auteur estime donc que les droits que lui-même et ses enfants tiennent de l’article premier et des articles 2 et 3 de la Convention ont été violés.

L’auteur demande que le Comité recommande que l’État partie permette à toutes les personnes autochtones d’ascendance matrilinéaire d’accéder à l’inscription dans des conditions d’égalité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Dans les observations sur la recevabilité et sur le fond qu’il a présentées le 8 janvier 2015, l’État partie a fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, puisqu’en tant qu’homme, l’auteur ne pouvait pas prétendre être victime de violations au titre de la Convention.

Par ailleurs, l’État partie soutient que la distinction alléguée par l’auteur n’est pas fondée sur le genre mais sur la filiation, qui n’est pas un motif de discrimination au titre de la Convention. La communication devrait donc être déclarée irrecevable en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif.

L’État partie fait également valoir que la communication est irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés, la plainte déposée par l’auteur au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne étant toujours en instance ; la Commission a demandé que la décision du Tribunal canadien des droits de la personne soit examinée par la Cour fédérale. L’État partie soutient en outre que l’auteur n’a intenté aucune action constitutionnelle pour discrimination sous le régime de la Charte canadienne des droits et libertés.

Par ailleurs, l’État partie soutient que la communication est irrecevable car l’allégation de discrimination repose sur le fait que la grand-mère de l’auteur a perdu ses droits en se mariant, en 1927, et que cet événement est survenu avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif.

Quant au fond, l’État partie fait valoir que l’article premier de la Convention est une disposition définitionnelle et qu’il ne peut en soi être violé. Selon lui, la communication a trait fondamentalement aux critères permettant de déterminer qui peut être inscrit au registre des Indiens. Il indique qu’il détermine qui est « Indien » afin de s’assurer que ceux qui ont droit à l’inscription ont un degré de filiation suffisant – autrement dit, qu’ils ont suffisamment de liens – avec les peuples historiques des Premières Nations. Il précise que l’inscription au registre des Indiens ne relève pas des droits humains et que les dispositions relatives à l’inscription figurant dans la Loi sur les Indiens ne sont plus fondées sur le genre, mais sur les dates de naissance et de mariage.

L’État partie affirme s’être pleinement acquitté des obligations que lui imposent les articles 2 et 3 de la Convention. Bien qu’il reconnaisse que la Loi sur les Indiens discriminait les femmes par le passé, il soutient que l’élimination de la discrimination fondée sur le genre était l’un des principaux objectifs des modifications apportées en 1985.

L’État partie fait valoir que les modifications de 2011 portaient sur l’admissibilité à l’inscription des petits-enfants des femmes qui avaient perdu leur statut avant 1985 en épousant une personne non autochtone, et que c’est précisément grâce à ces dispositions législatives que l’auteur a droit au statut d’Indien. Il conclut que la seule distinction actuelle résulte de la condition de parents hors du statut d’Indien avant 1985, en vertu de laquelle les arrière-petits-enfants des femmes autochtones ayant épousé un non-autochtone ne bénéficient pas du même droit à l’inscription que ceux des hommes autochtones mariés à une femme non autochtone. Il précise qu’une exclusion a été maintenue, dans les modifications de 2011, pour ceux ayant des enfants avec une personne non admissible au statut, cette exclusion s’appliquant à la génération suivante. L’auteur est aujourd’hui admissible au statut, mais uniquement par application du paragraphe 6 2) de la Loi sur les Indiens, et il est possible que ses enfants, en tant qu’arrière-petits-enfants d’une femme autochtone, ne puissent en bénéficier. L’État partie reconnaît que les petits-enfants des hommes autochtones qui ont épousé des femmes non autochtones avant 1985 bénéficient du statut en vertu du paragraphe 6 1) plutôt que du paragraphe 6 2) et que les arrière-petits-enfants de ces hommes ont donc droit à l’inscription.

Enfin, l’État partie estime que le niveau de consultation des peuples autochtones n’est pas pertinent pour déterminer si les dispositions relatives à l’inscription sont discriminatoires à l’égard des femmes.

Observations complémentaires de l’auteur

Le 15 janvier 2015, l’auteur a transmis des rapports de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones à l’appui de l’affirmation selon laquelle les violations qu’il dénonçait étaient persistantes.

Selon la Commission interaméricaine des droits de l’homme, la Loi sur les Indiens porte atteinte au droit des femmes de ne pas subir de discrimination. Bien que les modifications de 1985 aient permis de corriger certaines des dispositions discriminatoires en redonnant leur statut aux femmes qui l’avaient perdu en épousant un non-autochtone et à leurs enfants, les petits-enfants de ces femmes ont été laissés pour compte. En raison de la façon discriminatoire dont le statut d’Indien était accordé par le passé, les descendants d’une femme autochtone ayant épousé un non-autochtone étaient assujettis à l’exclusion après la deuxième génération, et le statut ne pouvait dès lors plus être transmis. Certaines dispositions discriminatoires à l’égard des femmes autochtones demeuraient dans les modifications de 2011, et cette classification du statut pouvait être assimilable à un acte de violence culturelle et spirituelle contre les femmes autochtones en créant la perception que, contrairement aux femmes qui bénéficiaient d’un « plein » statut, celles qui faisaient partie de certains sous-groupes n’étaient pas purement autochtones.

Au paragraphe 55 de son rapport, le Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones a indiqué que les modifications de 2011 n’avaient pas réglé tous les problèmes de discrimination fondée sur le genre découlant de la Loi sur les Indiens, comme l’avait reconnu le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, et que certaines catégories de personnes demeuraient exclues du statut en raison d’une discrimination historique fondée sur l’ascendance matrilinéaire.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 8 février 2015, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond. Il fait valoir que rien dans l’article 2 du Protocole facultatif n’indique qu’une personne doit être de sexe féminin pour présenter une communication lorsqu’elle se prétend victime de discrimination fondée sur le genre. Il rappelle qu’en tant que descendants d’une femme autochtone, ses enfants et lui-même sont victimes des violations commises par l’État partie à l’égard des femmes autochtones et de leurs descendants.

L’auteur soutient également que la discrimination persiste puisqu’elle s’est perpétuée dans les modifications de 2011 qui, comme l’a reconnu l’État partie dans ses observations, établissent une distinction entre les descendants des lignées maternelle et paternelle. Il rappelle que le Comité s’est dit préoccupé par le fait que la Loi sur les Indiens continuait de comporter des dispositions discriminatoires et a recommandé que l’État partie élimine la discrimination persistante en matière de transmission du statut indien.

En ce qui concerne la nécessité présumée de porter l’affaire devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, l’auteur rappelle que le Comité des droits de l’homme, dans la décision sur la recevabilité qu’il a adoptée dans l’affaire Lovelace c. Canada, a noté que le Protocole facultatif n’imposait pas à la victime présumée l’obligation de saisir les tribunaux nationaux de son cas si l’objet de la demande avait déjà été examiné sur le fond par la plus haute juridiction de l’État partie. L’auteur indique qu’il a fallu vingt-six ans à Mme McIvor pour obtenir une réparation partielle. Il estime donc qu’il serait déraisonnable et illusoire de chercher à obtenir réparation au titre de la Charte canadienne des droits et libertés car cela exigerait un investissement substantiel en temps et en argent et que cette solution ne lui serait pas accessible financièrement, puisqu’il ne dispose que d’un revenu annuel très faible et qu’il est bénéficiaire du régime canadien de pension d’invalidité.

Quant au fond, l’auteur rappelle que le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a indiqué dans son rapport sur les modifications de 2011 que celles-ci ne réglaient pas tous les problèmes de discrimination fondée sur le genre. Il soutient que, depuis 1927, les autochtones issus de sa lignée maternelle sont victimes d’une discrimination persistante instituée par les diverses versions de la Loi sur les Indiens, et que les membres de quatre générations ont ainsi été exposés à cette discrimination fondée sur le genre simplement parce que leur grand-parent autochtone était une femme et non un homme.

Observations complémentaires de l’État partie

Dans les observations qu’il a présentées le 26 mars 2015, l’État partie a dit ne pas souscrire aux conclusions de la Commission interaméricaine des droits de l’homme et du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones.

L’État partie a indiqué qu’en février 2015, la Cour supérieure du Québec avait terminé l’audition d’une contestation constitutionnelle des dispositions relatives à l’inscription figurant dans la Loi sur les Indiens, dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général), au sujet d’un homme qui se trouvait dans une situation très semblable à celle de l’auteur. Comme il était prévu que la Cour rende sa décision en août 2015, il a estimé qu’il serait inopportun que le Comité examine le bien-fondé de la communication alors que la question était toujours devant les tribunaux canadiens.

Le 6 mai 2015, l’État partie a annoncé que la Cour fédérale avait finalement rejeté le contrôle judiciaire en lien avec la plainte de l’auteur. Selon l’État partie, l’auteur devait déposer une plainte pour discrimination au titre de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le 8 octobre 2015, l’État partie a annoncé qu’en août de la même année, la Cour supérieure du Québec avait rendu sa décision dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général) et conclu que les dispositions relatives à l’inscription figurant dans la Loi sur les Indiens contrevenaient à la Charte. La Cour a ordonné que des modifications législatives soient apportées, et le Procureur général a fait appel. L’État partie demeure convaincu qu’il serait inopportun que le Comité examine le bien-fondé de la communication tant que la question soulevée est toujours devant les tribunaux du pays.

Suspension de l’examen de la communication

Demande de suspension émanant de l’État partie

Le 21 juin 2016, l’État partie a fait savoir qu’en février 2016, le nouveau Gouvernement avait retiré l’appel interjeté dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général) et envisageait d’apporter des modifications législatives. Comme cette situation risquait d’avoir une incidence sur les questions soulevées par l’auteur, l’État partie a demandé que le Comité suspende l’examen de la communication jusqu’à ce que le processus soit mené à bien.

Suspension de l’examen de la communication

Le 14 mars 2017, le Comité a décidé de suspendre l’examen de la communication jusqu’au 24 août 2017, compte tenu de la décision de l’État partie d’envisager des modifications législatives.

Commentaires de l’auteur et demande de levée de la suspension

Le 22 juin 2017, l’auteur a indiqué qu’il aurait souhaité s’exprimer au sujet de la demande de suspension de l’examen de la communication présentée par l’État partie avant que le Comité ne rende sa décision. Il a rappelé que le projet de loi S‑3 − qui faisait suite au jugement rendu dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général)− avait été adopté par le Parlement le 16 juin 2017. Selon lui, les projets de loi S-3 de 2017, C‑3 de 2011 et C‑31 de 1985 étaient trois tentatives infructueuses de régler la question de la discrimination fondée sur le genre. Il a demandé au Comité de lever la suspension de l’examen de la communication.

Demande de maintien de la suspension émanant de l’État partie

Le 24 août 2017, l’État partie a indiqué que le projet de loi S-3 [Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d’inscription)] avait été déposé au Sénat en octobre 2016.

L’État partie a informé le Comité de l’évolution de la plainte déposée par l’auteur au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Après le rejet de l’appel de la Commission canadienne des droits de la personne par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême a accordé l’autorisation d’en appeler le 30 mars 2017 ; l’audience devait avoir lieu en novembre 2017. En conséquence, l’État partie a demandé au Comité de maintenir la suspension de l’examen de la communication.

Nouveaux commentaires de l’auteur

Le 11 octobre 2017, l’auteur a signalé que l’intitulé du projet de loi S-3 avait été remplacé par celui de « Loi modifiant la Loi sur les Indiens pour donner suite à la décision de la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Descheneaux c. Canada (Procureur général) ».

L’auteur rappelle que, selon le rapport d’enquête concernant le Canada établi par le Comité en application de l’article 8 du Protocole facultatif, la discrimination historique persistante était l’une des causes profondes du nombre anormalement élevé de femmes autochtones disparues et assassinées au Canada.

Le 13 décembre 2017, l’auteur a indiqué que la Gouverneure générale avait signé la veille le projet de loi S-3, qui comportait des dispositions connues pour être source de discrimination fondée sur le genre et sur les dates de naissance et de mariage. Il a fait valoir que toutes les modifications apportées (projets de loi C-31, C-3 et S-3) comportaient des dispositions discriminatoires à l’égard de sa famille.

Le 14 juin 2018, l’auteur a informé le Comité que la Cour suprême avait statué dans son dossier et conclu que, comme le Tribunal canadien des droits de la personne ne pouvait pas abroger des lois discriminatoires, il n’avait pas non plus le pouvoir de décider si certaines parties de la Loi sur les Indiens revêtaient un caractère discriminatoire.

Levée de la suspension de l’examen de la communication

Le 5 avril 2019, le Comité a décidé de lever la suspension de l’examen de la communication.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

Le 29 juin 2020, l’État partie a réaffirmé que l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes puisqu’aucune action constitutionnelle pour discrimination n’avait été intentée. Il a mentionné l’existence de plusieurs voies qui permettraient à l’auteur d’introduire une telle action : celui-ci pourrait notamment demander à être représenté par un avocat pro bono, recueillir des dons pour financer sa défense ou demander à bénéficier d’un programme d’aide juridique ou du Programme de contestation judiciaire.

L’État partie précise que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne permet pas de contester la Loi sur les Indiens en l’absence de toute allégation de pratique discriminatoire. La question dont le Tribunal canadien des droits de la personne avait été saisi, dans le dossier de l’auteur, consistait à déterminer si la plainte visait directement la législation, à savoir la Loi sur les Indiens, ou si elle avait pour objet de dénoncer une pratique discriminatoire. Le Tribunal a estimé que la plainte de l’auteur avait été considérée à juste titre comme une contestation de la loi.

L’État partie fait valoir que la communication est sans portée pratique, l’allégation de discrimination fondée sur le genre se trouvant désormais dépourvue de fondement. Depuis l’entrée en vigueur du projet de loi S-3, le 15 août 2019, toutes les iniquités fondées sur le sexe ont été supprimées de la Loi sur les Indiens, et tous les descendants des femmes admissibles à l’inscription qui avaient perdu leur statut en épousant un homme non indien ont désormais le droit d’être inscrits. Les femmes qui s’étaient vues privées de leur statut, de même que leurs enfants qui avaient obtenu précédemment le droit à l’inscription en application de l’alinéa 6 1) c) de la loi, sont devenues admissibles à l’inscription en vertu du nouvel alinéa 6 1) a.1). Leurs enfants nés avant le 17 avril 1985 ou issus d’un mariage antérieur à cette date qui avaient auparavant droit à l’inscription en application de l’alinéa 6 1) c.1) y ont maintenant droit en vertu du nouvel alinéa 6 1) a.3), et tous leurs descendants nés avant le 17 avril 1985 ou issus d’un mariage antérieur à cette date peuvent également être inscrits en vertu de cette nouvelle disposition.

L’État partie soutient que le 11 mars 2020, le Bureau du registraire des Indiens a avisé l’auteur de son inscription au registre en vertu du nouvel alinéa 6 1) a.3) de la Loi sur les Indiens, sa grand-mère ayant désormais droit au statut au titre du nouvel alinéa 6 1) a.1). Les enfants de l’auteur sont également devenus admissibles à l’inscription. Le traitement différencié réservé aux enfants nés avant et après les modifications de 1985 reposait entièrement sur la date d’adoption d’un nouveau régime législatif régissant le droit à l’inscription. Tout traitement différencié fondé sur des dates ne constitue pas une discrimination. Selon l’État partie, les dispositions de la Loi sur les Indiens, telle que modifiée, ne sont plus source de discrimination fondée sur le genre, puisque les modifications de 2019 permettent aux arrière-petits-enfants issus d’une lignée maternelle de bénéficier du même traitement que ceux issus d’une lignée paternelle ayant les mêmes dates de naissance et de mariage.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

Le 14 septembre 2020, l’auteur a présenté des commentaires dans lesquels il a fait valoir que la règle relative à l’épuisement des recours internes ne s’appliquait pas s’il était improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen. L’auteur rappelle que dans l’affaire Kell c. Canada, le Comité avait estimé que la communication était recevable et conclu que, à supposer même que les recours internes n’avaient pas été épuisés, leur mise en œuvre n’était pas susceptible d’accorder une réparation utile à l’auteur. L’auteur de la présente communication réaffirme que de nombreuses affaires internes traitant de la même question, qui ont été portées jusque devant la Cour suprême, n’ont pas permis aux victimes d’obtenir réparation, puisque toutes les réformes législatives qui en ont découlé (les projets de loi C-31 de 1985, C-3 de 2011 et S-3 de 2019) comportaient des dispositions qui étaient source de discrimination fondée sur le genre.

L’auteur fait valoir que le financement offert dans le cadre du Programme de contestation judiciaire a été réduit de 1992 à 1994, puis rétabli de 1994 à 2006, mais qu’il n’est pas accessible aux nouveaux demandeurs. De plus, selon l’avocate et universitaire autochtone Naiomi Metallic :

« Aucun autre groupe défavorisé au Canada […] n’a dû composer avec une disposition comme l’article 67 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui interdisait, de fait, toute contestation d’une loi qui, pour de nombreux autochtones, constitue la plus importante source de discrimination, à savoir la Loi sur les Indiens [...]. Bien que la Déclaration canadienne des droits et la Charte ne comportent aucune interdiction explicite du genre, les décisions judiciaires dans lesquelles les garanties d’égalité prévues dans ces deux documents ont été interprétées ont de fait rendu impossible toute contestation de la Loi sur les Indiens [...]. L’examen de ces cas m’a amenée à conclure que les peuples autochtones du Canada auraient dû, depuis longtemps, avoir la possibilité de voir leurs plaintes en matière d’égalité entendues sur le fond par des décideurs qui tiennent véritablement compte des faits historiques, des questions de droit et de compétence et du phénomène sociologique qu’il convient de comprendre pour statuer correctement sur ces plaintes. »

L’auteur soutient que les dispositions qui sont source de discrimination fondée sur le genre n’ont pas toutes été éliminées de la Loi sur les Indiens, puisque l’article 6 prévoit toujours un traitement différencié pour lui et ses descendants. En effet, l’actuelle date limite de 1985 est aussi arbitraire que l’était l’ancienne date de 1951, car elle prive toujours les descendants des femmes autochtones de leur droit à l’inscription et constitue l’un des nombreux éléments croisés qui empêchent les enfants et les futurs petits-enfants de l’auteur d’accéder au statut dans des conditions d’égalité. À cet égard, dans le rapport qu’elle a soumis au Parlement en 2019, la Représentante spéciale de la Ministre des relations Couronne-Autochtones, Claudette Dumont-Smith, a indiqué que le fait qu’« une personne soit née ou mariée avant ou après la date d’entrée en vigueur du projet de loi C-31 (le 17 avril 1985) [pouvait] avoir une incidence sur l’inscription des personnes et entraîner le refus du statut et des avantages connexes ». Elle a précisé que toutes les personnes qui avaient actuellement droit à l’inscription au titre du paragraphe 6 (2) − comme les enfants de l’auteur − devraient y avoir droit au titre du paragraphe 6 (1). En conclusion, l’auteur estime que la distinction établie depuis longtemps entre les descendants de la lignée paternelle et ceux de la lignée maternelle a contribué à la stigmatisation de ces derniers en les privant du statut d’Indien.

L’auteur transmet également des dizaines de lettres de soutien émanant d’organisations non gouvernementales internationales, d’organisations autochtones nationales et d’universités, dont :

a)Cultural Survival, qui a indiqué ne pas souscrire à l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’affaire était sans portée pratique, puisque les effets des dispositions de la Loi sur les Indiens qui étaient source de discrimination fondée sur le genre se faisaient toujours sentir. En effet, le projet de loi S-3 n’avait pas corrigé de manière adéquate la discrimination dont étaient victimes les descendants des femmes autochtones privées de leur statut. Le texte législatif avait été adopté sans l’amendement proposé par le Comité sénatorial, qui aurait donné aux femmes autochtones et à leurs descendants nés avant le 17 avril 1985 le même statut que celui accordé aux hommes autochtones et à leurs descendants nés avant cette date. En particulier, les modifications avaient permis aux enfants de l’auteur de s’inscrire au registre des Indiens, mais n’avaient pas, comme le Comité l’avait recommandé, garanti aux descendants des femmes autochtones les mêmes droits en matière de statut que ceux dont jouissaient les descendants des hommes autochtones. Les enfants de l’auteur n’avaient droit à l’inscription qu’au titre du paragraphe 6 2), qui ne permettait pas à un parent de transmettre son statut à ses propres enfants, à moins que l’autre parent soit également inscrit au registre. Bien que la politique modifiée ne discrimine pas explicitement les femmes autochtones, elle ne corrigeait pas de manière efficace la politique discriminatoire antérieure ; si la grand-mère de l’auteur avait conservé son plein statut, les enfants de ce dernier auraient été admissibles au titre du paragraphe 6 1) et auraient pu transmettre leur statut à leurs propres enfants, quel que soit le statut de leur futur(e) partenaire. La règle d’exclusion continuait de priver les descendants des femmes autochtones de leurs droits pour des raisons liées au genre. Ces règles bureaucratiques violaient le principe de l’autodétermination et les droits fondamentaux des peuples autochtones, reconnus aux articles 8 et 9 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones approuvée par le Canada, d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et pratiques de celle-ci. Cultural Survival a encouragé le Comité à éliminer pleinement cette discrimination historique persistante et à reconnaître le large soutien dont bénéficiait l’auteur de la part des peuples autochtones et de leurs organisations. Elle a également estimé préoccupante l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes ; celui-ci avait consacré d’innombrables heures à sa cause, pendant plus de dix ans, afin de la porter devant la Cour suprême. En refusant de se prononcer dans cette affaire, la Cour avait admis une interprétation étroite de la Loi sur les droits de l’homme et laissé peu de recours aux femmes des Premières Nations et à leurs descendants, qui n’avaient ni le pouvoir institutionnel ni les fonds nécessaires pour mener des batailles juridiques sur plusieurs décennies afin de défendre leurs droits ;

b)Human Rights Watch, qui a indiqué que la Loi sur les Indiens avait été l’un des principaux instruments de la politique de colonisation de l’État partie, lequel, selon la Commission de vérité et réconciliation du Canada, avait réprimé la culture et les langues des autochtones, compromis leur gouvernement, ruiné leur économie et confiné les populations sur des terres marginales souvent improductives. Bien que la mise en œuvre progressive du projet de loi S-3 ait permis des améliorations importantes, notamment en redonnant à l’auteur son statut au titre de l’alinéa 6 1) a), les enfants de celui-ci continuaient d’être privés d’un statut analogue parce qu’ils ne répondaient pas au critère selon lequel leurs parents devaient s’être mariés avant 1985 : contrairement à leurs cousins, dont les parents s’étaient mariés avant cette date, ils n’avaient droit à l’inscription qu’au titre du paragraphe 6 2), et cette règle d’exclusion fondée arbitrairement sur l’année de mariage les empêchait de fait de transmettre le statut aux générations suivantes en vertu de la Loi sur les Indiens. Cette règle était discriminatoire pour les personnes d’ascendance matrilinéaire dont les parents s’étaient mariés après 1985. Les réformes de la Loi sur les Indiens que l’État partie avait menées ponctuellement au fil des ans s’étaient révélées insuffisantes et n’avaient pas éliminé la discrimination persistante fondée sur le genre. Human Rights Watch a également exprimé ses préoccupations concernant l’accès de plus en plus limité à la justice pour les autochtones qui cherchaient à obtenir réparation, en particulier à la lumière de la décision adoptée en juin 2018 par la Cour suprême, qui avait statué que, le Tribunal canadien des droits de la personne ne pouvant pas abroger les lois discriminatoires, il n’avait pas non plus le pouvoir de décider si certaines parties de la Loi sur les Indiens revêtaient un caractère discriminatoire. Dans la mesure où ces procédures étaient en instance depuis très longtemps, l’organisation a également contesté l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’avait pas épuisé tous les recours internes ;

c)Amnesty International, qui a déclaré que l’auteur faisait partie des dizaines de milliers de personnes qui continuaient d’être victimes de discrimination au Canada en raison de l’incapacité persistante de l’État partie de remédier pleinement aux effets négatifs de l’inégalité entre les genres inscrite de longue date dans la Loi sur les Indiens, ce qui illustrait les efforts historiques faits pour assimiler de force les peuples autochtones ;

d)L’Assemblée des Premières Nations, qui a signalé que le projet de loi S-3 avait été adopté sans consultation adéquate des peuples autochtones, ce qui avait mené à l’adoption d’une loi qui ne respectait pas leurs droits fondamentaux ;

e)La British Columbia Association of Aboriginal Friendship Centres, association répondant aux besoins des autochtones chassés de leurs terres ancestrales et privés de leurs pratiques culturelles en raison de leur incapacité d’accéder au statut d’Indien inscrit, qui a affirmé que la Loi sur les Indiens demeurait un outil législatif qui permettait, dans les faits, d’assimiler progressivement les autochtones ;

f)L’Association des femmes autochtones du Canada, qui a estimé que, compte tenu des obstacles considérables auxquels se heurtaient régulièrement les autochtones qui, comme l’auteur, tentaient d’accéder à la justice, il n’était pas fortuit que la création d’un poste d’ombudsman national des droits des autochtones et des droits de la personne et d’un tribunal connexe ait été demandée dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées ;

g)La Union of British Columbia Indian Chiefs, qui a fait valoir que les modifications apportées en 2019 n’avaient pas permis aux femmes autochtones et à leurs descendants concernés par les dispositions d’assimilation actuelles et passées de la Loi sur les Indiens d’obtenir pleinement réparation. En effet, compte tenu de l’exclusion toujours applicable lors de la détermination du statut, les enfants de l’auteur n’étaient devenus admissibles à l’inscription qu’au titre du paragraphe 6 2), à la différence de leurs cousins, qui y avaient droit en vertu du paragraphe 6 1). Les enfants de l’auteur ne pouvaient donc pas transmettre librement leur statut à leurs propres enfants, ce qui était une conséquence directe de la privation des droits imposée à leur ancêtre maternelle. Plutôt que de mettre entièrement fin à la discrimination fondée sur le genre, le Canada avait choisi de modifier les dispositions discriminatoires en adoptant une approche fragmentée, uniquement motivée par les nombreux recours introduits ;

h)La British Columbia Civil Liberties Association, qui a affirmé que la discrimination fondée sur le genre perpétuée par la Loi sur les Indiens était contraire à la notion d’égalité entre les genres et remontait à 1850, époque à laquelle la loi considérait comme « indien » tout individu de sexe masculin et de sang indien. Le projet de loi S-3 était encore discriminatoire aujourd’hui.

L’auteur soutient qu’il est anormal que ce soit la législation de l’État partie qui détermine qui a le droit d’appartenir ou non à un peuple autochtone. L’ancêtre de l’auteur, le chef Thomas Chilihtin de Cheakamus, était l’un des 16 dirigeants qui, en 1921, avaient fédéré 16 communautés autochtones pour former ce qui constitue aujourd’hui la Nation des Squamish. Avant cela, toutes les communautés subissaient d’immenses pressions car leurs territoires ancestraux se trouvaient encerclés par des non-autochtones, qui faisaient l’acquisition de leurs terres dans un contexte de développement accéléré. Lors d’une présentation donnée devant la Commission royale, à North Vancouver, au nom de la Nation des Squamish, le Chef avait prédit la disparition de leur culture en affirmant : « quand l’homme blanc est arrivé, il a pu aller là où il voulait pour chasser, trapper ou pêcher. C’est alors que nos problèmes ont commencé. Comme l’homme blanc pensait que nous mangions trop de poisson, il a adopté des lois pour empêcher notre peuple de pêcher, sauf durant une courte période chaque année ». L’auteur fait valoir qu’en 2020, l’État partie applique toujours une approche similaire en menant des politiques qui ont pour effet de bannir et d’éloigner de leurs communautés les femmes autochtones, leurs enfants et leur descendants en raison des discriminations actuelles et passées.

Observations complémentaires de l’État partie

Le 5 février 2021, l’État partie a réaffirmé sa position selon laquelle les inégalités fondées sur le genre avaient été éliminées de la législation.

L’État partie reconnaît que, selon le Ministère des services aux autochtones, le nouveau seuil d’exclusion nécessitera probablement des modifications législatives.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif. En application du paragraphe 4 de l’article 72 de son règlement intérieur, il doit prendre cette décision avant de se prononcer sur le fond de la communication.

Conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’avait pas déjà fait ou ne faisait pas actuellement l’objet d’un examen dans le cadre d’une autre procédure d’enquête ou de règlement international(e).

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, puisqu’en tant qu’homme, l’auteur ne peut pas se prétendre victime. Le Comité prend note également des observations de l’auteur, qui affirme que, selon l’article susmentionné, les personnes qui présentent une communication et qui prétendent être victimes de discrimination fondée sur le genre n’ont pas à être des femmes, que ses enfants et lui-même sont des victimes, étant d’ascendance autochtone matrilinéaire, et que l’État partie discrimine les femmes autochtones et leurs descendants sous le régime de la Loi sur les Indiens. Le Comité rappelle que l’article 2 du Protocole facultatif dispose que des communications peuvent être présentées par des « particuliers » ou au nom de « particuliers », sans réserver le statut de victime aux « femmes ». Il note que l’auteur soutient, en son nom propre et en celui de sa fille et de son fils, qu’ils sont tous victimes de violations en tant que descendants d’une femme autochtone ayant perdu son statut et le droit de décider de sa propre identité en raison des inégalités de genre instituées unilatéralement par l’État partie dans la Loi sur les Indiens. À cet égard, les violations alléguées découlent du sexe de la grand-mère de l’auteur et n’auraient pas existé si celui-ci avait tiré son statut d’autochtone de son grand-père. Le Comité note que l’auteur affirme que lui-même et ses enfants sont victimes des conséquences de la discrimination fondée sur le genre initialement exercée contre sa grand-mère. Il constate qu’en ayant accordé à titre posthume à la grand‑mère de l’auteur, Mme Johnson, un statut modifié au titre du nouveau paragraphe 6 1) a.1), l’État partie a reconnu la discrimination que celle-ci avait subie. Il estime que la discrimination fondée sur le genre dont a été victime Mme Johnson par le passé a encore des répercussions sur ses descendants, sachant que ceux-ci allèguent ne pas pouvoir exercer leur droit fondamental d’être reconnus en tant qu’autochtones et ne pas pouvoir transmettre librement leur statut à leurs enfants. À cet égard, le Comité est d’avis que les descendants, femmes ou hommes (comme l’auteur et ses enfants), de femmes autochtones ayant perdu leur statut et le droit de décider de leur propre identité en raison des inégalités de genre imposées unilatéralement par l’État partie doivent être considérés comme des victimes directes au titre du Protocole facultatif, sachant que le préjudice invoqué est le résultat direct de la discrimination fondée sur le genre dont ont été victimes leurs ancêtres maternelles. Il rappelle que le préjudice transgénérationnel découlant de certaines violations des droits humains commises contre des femmes a été analysé dans une déclaration conjointe du Comité et du Comité des droits de l’enfant. Au vu de ce qui précède, le Comité considère que les dispositions de l’article 2 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication, en ce qui concerne non seulement la fille de l’auteur, I. D. M., mais aussi l’auteur et son fils.

Le Comité prend note de l’argument initial de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, la plainte déposée par l’auteur en 2008 au titre de la Loi canadienne sur les droits de la personneétant toujours en instance. En 2015, la Commission canadienne des droits de la personne avait présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal canadien des droits de la personne dans laquelle celui-ci avait estimé qu’il ne pouvait pas examiner une plainte visant les dispositions de la Loi sur les Indiens. Le Comité constate que la Cour fédérale a par la suite rejeté la demande de contrôle judiciaire, tout comme la Cour d’appel fédérale, et qu’en 2017, la Cour suprême du Canada a accordé l’autorisation d’en appeler pour finalement refuser, en 2018, de se prononcer dans l’affaire. Il note qu’il a fallu dix ans pour que la plainte de l’auteur parvienne jusqu’à la Cour suprême, qui a finalement refusé de trancher l’affaire.

Le Comité prend note des allégations de l’État partie selon lesquelles l’auteur n’a pas épuisé les recours internes puisqu’il n’a pas intenté d’action constitutionnelle pour discrimination sous le régime de la Charte canadienne des droits et libertés, alors qu’il avait la possibilité de demander à être représenté par un avocat pro bono, de recueillir des dons pour financer sa défense ou de bénéficier d’un programme d’aide juridique ou du Programme de contestation judiciaire. Il prend note également des observations de l’auteur, qui affirme que la règle relative à l’épuisement des recours internes ne s’applique pas s’il est improbable que le requérant obtienne réparation par ce moyen, comme l’a reconnu le Comité dans l’affaire Kell c. Canada, et plus particulièrement, qu’un recours fondé sur la Charte aurait été inefficace et indûment prolongé, puisqu’il a notamment fallu vingt-six ans à Mme McIvor pour obtenir une réparation partielle. Selon l’auteur, un tel recours s’avérerait très coûteux, sachant qu’il dispose d’un revenu annuel très faible et est bénéficiaire du régime canadien de pension d’invalidité, et que le Programme de contestation judiciaire ne dispose pas d’un financement suffisant. Le Comité constate que trois affaires constitutionnelles traitant de la même question ont donné lieu à trois réformes législatives (en 1985, 2011 et 2019) qui auraient perpétué les discriminations fondées sur le genre dénoncées par l’auteur dans la présente communication. Il est donc d’avis que l’action constitutionnelle mentionnée par l’État partie aurait été indûment prolongée et n’aurait vraisemblablement pas permis à l’auteur et à ses enfants d’obtenir réparation. Il conclut de ce qui précède que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable, en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, pour cause d’incompatibilité avec les dispositions de la Convention, dans la mesure où la distinction alléguée par l’auteur n’est pas fondée sur le genre, mais plutôt sur la filiation, qui n’est pas un motif de discrimination au titre de la Convention. Cependant, le Comité note que l’État partie a reconnu à plusieurs reprises l’existence d’inégalités fondées sur le genre dans les dispositions relatives à l’inscription figurant dans la Loi sur les Indiens (voir par. 14.3 et 16.1) et que le projet de loi S-3 était initialement intitulé « Loi modifiant la Loi sur les Indiens (élimination des iniquités fondées sur le sexe en matière d’inscription) » (voir par. 11.1). En outre, il estime que la communication porte sur les distinctions faites entre les personnes selon leur ascendance maternelle ou paternelle, ce qui lui confère la compétence requise pour procéder à l’examen. Il considère donc que les dispositions de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable, en vertu de l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif, étant donné que les faits sur lesquels repose l’allégation de discrimination, à savoir que la grand-mère de l’auteur a perdu ses droits en 1927, se sont produits avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour le Canada. Il prend note également de l’argument de l’auteur qui, s’appuyant sur les rapports de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones et du Comité lui-même, soutient que les violations alléguées sont persistantes et qu’elles découlent également des modifications de 2011 et de 2019. Le Comité constate que, bien que la discrimination alléguée ait débuté en 1927, avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, la perte de droits de la grand-mère de l’auteur a des conséquences pour ses descendants à l’heure actuelle. De plus, les modifications législatives qui perpétueraient les effets de la discrimination sont entrées en vigueur après 2003, soit après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie. Par conséquent, c’est après avoir reconnu la compétence du Comité au titre du Protocole facultatif que l’État partie n’aurait pas respecté son obligation de protéger le requérant et ses enfants contre les violations alléguées. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’alinéa e) du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif ne l’empêche pas ratione temporis d’examiner les allégations du requérant concernant la violation de ses droits et de ceux de ses enfants.

N’ayant trouvé aucun obstacle à la recevabilité de la communication, le Comité passe à l’examen au fond.

Examen au fond

Le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie, conformément au paragraphe 1 de l’article 7 du Protocole facultatif.

Article premier

L’auteur soutient que ses enfants et lui-même ont été victimes de discrimination de la part de l’État partie en tant que petit-fils et arrière-petits-enfants d’une femme qui s’est vu infliger un traitement différencié en raison de son sexe. Il considère qu’il s’agit là de discrimination fondée sur le fait qu’ils tiennent leur statut d’autochtone de la lignée maternelle et non paternelle. Il soutient que, depuis 1927, les autochtones issus de sa lignée maternelle sont victimes de la discrimination persistante instituée par la Loi sur les Indiens et que quatre générations ont ainsi été exposées à une discrimination fondée sur le genre qui bafoue ses droits fondamentaux et ceux de ses enfants d’appartenir à un peuple autochtone et de transmettre leur identité culturelle conformément à leurs propres pratiques traditionnelles. L’État partie fait valoir que la distinction fondée sur le genre entre les lignées maternelle et paternelle a été supprimée dans le cadre des modifications de 2019, et que les arrière-petits-enfants issus d’une lignée maternelle ont la même possibilité que ceux issus d’une lignée paternelle ayant les mêmes dates de naissance et de mariage d’obtenir le statut d’Indien. Il indique que l’auteur a obtenu le statut en 2019 au titre de l’alinéa 6 1) a.3) et que ses enfants ont droit à l’inscription en vertu du paragraphe 6 2), ce traitement différencié découlant de la date d’adoption d’un nouveau régime législatif régissant le droit à l’inscription, qui ne constitue plus une discrimination fondée sur le genre en vertu de l’article premier de la Convention. Il fait également valoir que, sur le fond, la communication a trait aux critères permettant de déterminer qui peut être inscrit au registre des Indiens, ce qui montre que la loi vise à s’assurer que les personnes qui ont droit à l’inscription ont un degré de filiation suffisant avec les peuples historiques des Premières Nations. L’État partie estime que l’inscription au registre des Indiens ne relève pas des droits humains.

Le Comité constate que l’auteur, étant d’ascendance autochtone matrilinéaire, s’est vu dénier son statut et le droit de décider pleinement de sa propre identité jusqu’en 2011, et qu’il n’a alors recouvré qu’un statut limité qui lui interdisait de transmettre son identité culturelle à ses enfants. Ce n’est qu’en 2019 – lorsque sa grand-mère a eu droit à une inscription modifiée à titre posthume en vertu du nouvel alinéa 6 1) a.1) – que l’auteur a vu son statut revalorisé, étant dorénavant inscrit au titre de l’alinéa 6 1) a.3) au lieu du paragraphe 6 2). En conséquence, les enfants de l’auteur n’ont eu droit à l’inscription qu’en vertu du paragraphe 6 2), ce qui ne leur donne pas le droit de transmettre leur statut à leurs propres enfants. Le Comité constate que ces règles d’exclusion ont été établies unilatéralement par l’État partie et s’appliquent aujourd’hui exclusivement aux descendants des femmes autochtones qui avaient précédemment perdu leur statut et le droit de décider de leur propre identité, entraînant ainsi une différenciation par rapport aux descendants d’hommes autochtones ; ces règles d’exclusion sont donc précisément ce qui discrimine l’auteur et ses enfants, qui tirent leur statut d’autochtone de leur lignée maternelle et non paternelle. Le Comité remarque en effet que les modifications de 2011 ont permis aux petits‑enfants des femmes qui avaient perdu leur statut de redevenir admissibles à l’inscription, mais uniquement sous une forme limitée, ne pouvant transmettre le statut à leurs propres enfants que si l’autre parent était inscrit, à la condition qu’ils soient nés après 1951. Il note également que les modifications de 2019 ont remplacé la date limite de 1951 par celle de 1985. Il est d’avis que ces règles d’exclusion établies par l’État partie sont discriminatoires pour les descendants des femmes autochtones privées de statut par rapport aux descendants des Indiens inscrits qui, tirant leur ascendance de la lignée paternelle, n’ont jamais été concernés par les privations de droits du passé. Comme l’a fait observer Human Rights Watch, cette règle est discriminatoire pour les personnes dont les parents d’ascendance autochtone matrilinéaire se sont mariés après 1985 [voir par. 15.4 b)]. En l’espèce, le traitement discriminatoire subi par la grand-mère de l’auteur était fondé sur le genre, comme l’a reconnu l’État partie. Sachant que cette discrimination constitue le fondement des effets persistants que subissent l’auteur et ses enfants, à savoir la non-reconnaissance de leur plein statut d’autochtone par l’État partie, ce qui porte atteinte à leur droit de transmettre librement ce statut et leur identité culturelle, le Comité conclut que la Loi sur les Indiens perpétue dans la pratique le traitement différencié réservé aux descendants des femmes autochtones privées de leurs droits dans le passé, même si ce traitement ne repose pas actuellement sur le genre des descendants eux-mêmes mais sur les dates de naissance et de mariage, et qu’il s’agit là d’une discrimination intergénérationnelle qui relève du champ d’application de l’article premier de la Convention.

Le Comité considère que, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, les autochtones ont le droit fondamental d’être reconnus comme tels, compte tenu du critère essentiel relatif à l’auto-identification établi en droit international. Selon l’article 9 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones approuvée par le Canada, les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée. Cette condition est essentielle pour combattre et prévenir l’assimilation forcée ; en effet, selon l’article 8 de la Déclaration, les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture, de sorte que les États doivent mettre en place des mécanismes de prévention et de réparation efficaces visant tout acte ayant pour but ou pour effet de priver les autochtones de leur intégrité en tant que peuples distincts, ou de leurs valeurs culturelles ou leur identité ethnique. De plus, le Comité note que, selon la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’identification d’une communauté autochtone, de son nom jusqu’à sa composition, est un fait social et historique qui fait partie de son autonomie, de sorte que les États doivent se contenter de respecter la décision prise à cet égard par la communauté, c’est-à-dire la manière dont elle s’identifie. Dans la présente communication, il considère que le fait que les critères sur lesquels l’État partie s’appuie pour déterminer qui peut transmettre son identité autochtone à ses descendants ne sont pas les mêmes pour les hommes et pour les femmes est, précisément, contraire à ce droit fondamental à l’auto-identification.

Articles 2 et 3

L’auteur soutient que la date limite de 1985 introduite dans les modifications de 2019 est aussi arbitraire que l’était l’ancienne date de 1951, puisqu’elle prive toujours les descendants des femmes autochtones de leur droit à l’inscription. En effet, la distinction opérée de longue date entre le statut accordé aux descendants de la lignée paternelle et à ceux de la lignée maternelle, qui a contribué à la stigmatisation de ces derniers, est toujours présente dans la version la plus récente de la Loi sur les Indiens. L’auteur soutient également que les réformes ont été menées sans consultation suffisante des peuples autochtones et que l’État partie n’a pas tenu compte des vues des organisations autochtones et des principaux défenseurs des droits des femmes autochtones, qui réclamaient une réforme plus étendue afin que toutes les dispositions discriminatoires relatives à l’inscription soient éliminées entièrement et définitivement de la Loi sur les Indiens. Le Comité note que l’État partie affirme qu’il s’est pleinement acquitté des obligations que lui imposent les articles 2 et 3 de la Convention, puisqu’il n’existe plus de discrimination fondée sur le genre mais une différenciation fondée uniquement sur les dates de naissance et de mariage, et que le niveau de consultation des peuples autochtones n’est pas pertinent pour déterminer si les dispositions relatives à l’inscription sont discriminatoires à l’égard des femmes.

Le Comité constate qu’avant 1985, la Loi sur les Indiens comportait des dispositions clairement discriminatoires à l’égard des femmes autochtones en leur retirant leur statut si elles épousaient des hommes non inscrits. La grand-mère paternelle de l’auteur, fille d’un chef de la Nation des Squamish, a perdu son statut parce qu’elle avait épousé un non‑autochtone après avoir été placée de force dans un pensionnat par l’État partie. Lorsque l’auteur est né, il n’avait pas droit à l’inscription.

Le Comité note que, bien que les modifications de 1985 aient redonné leur statut aux femmes qui en avaient été privées après avoir épousé un non-autochtone, elles ont perpétué la discrimination à l’égard de leurs descendants en créant un régime d’inscription visant à classer les « Indiens » en deux principales catégories et en instaurant une règle d’exclusion après la deuxième génération applicable uniquement aux descendants des femmes autochtones privées de statut. Ainsi, la grand-mère paternelle de l’auteur a pu retrouver son statut mais n’a pu transmettre qu’un statut limité à son fils (le père de l’auteur). À l’époque, l’auteur s’était donc vu refuser le droit à l’inscription.

Le Comité note que les modifications de 2011 ont permis aux petits-enfants des femmes qui avaient perdu leur statut de redevenir admissibles à l’inscription, mais sous une forme limitée, puisqu’ils ne pouvaient transmettre le statut à leurs propres enfants que si l’autre parent était inscrit, et à la condition qu’ils soient nés après 1951. Là encore, cette restriction ne s’appliquait pas aux Indiens inscrits qui, tirant leur ascendance de la lignée paternelle, n’étaient pas concernés par les privations de droits du passé. Par conséquent, l’auteur a été inscrit pour la première fois au registre des Indiens mais n’a eu droit qu’au statut le plus restrictif, de sorte qu’il ne pouvait pas transmettre ce statut à ses enfants. À titre de comparaison, les descendants d’un grand-père qui aurait été le seul à posséder le statut d’Indien inscrit n’auraient jamais perdu leur statut et seraient donc en mesure de le transmettre. Le Comité constate que l’État partie a reconnu lui-même que les modifications de 2011 avaient permis à l’auteur de prétendre au statut pour la première fois au titre de l’article 6 2), ce qui signifie que, même s’il était inscrit au registre, il ne pouvait transmettre son statut à ses enfants, tandis que les petits-enfants d’hommes autochtones ayant épousé des femmes non autochtones avant 1985 possédaient le statut en vertu de l’article 6 1) au lieu de l’article 6 2), de sorte que, contrairement aux enfants de l’auteur, l’arrière-petit-enfant d’un homme autochtone était également admissible à l’inscription.

Le Comité note qu’à la suite des modifications de 2019, l’auteur a eu droit à l’inscription au titre du nouvel alinéa 6 1) a.3), sa grand-mère étant désormais inscrite en vertu du nouvel alinéa 6 1) a.1). Ses enfants, qui ont maintenant droit à l’inscription pour la première fois, ne voient leur statut reconnu qu’en vertu du paragraphe 6 2), qui ne confère qu’un statut limité, parce que leurs parents se sont mariés après la date limite de 1985. Ils ne peuvent donc pas transmettre librement leur statut à leurs propres enfants, à moins que l’autre parent soit également un Indien inscrit. Le Comité note que, selon le rapport de la Représentante spéciale de la Ministre des relations Couronne-Autochtones, toutes les personnes qui sont actuellement admissibles à l’inscription en vertu du paragraphe 6 2) devraient avoir droit à l’inscription au titre du paragraphe 6 1). Il note également que, de l’avis des spécialistes en droit autochtone, les modifications apportées en 2019 ayant été adoptées sans l’amendement proposé, qui aurait donné aux femmes autochtones et à leurs descendants le même statut que celui accordé aux hommes autochtones et à leurs descendants, elles ne remédient pas de manière adéquate à la discrimination dont sont victimes les descendants des femmes autochtones privées de leurs droits. Selon ces spécialistes, bien que la loi modifiée ne discrimine pas explicitement les femmes autochtones, elle ne corrige pas de manière efficace la politique discriminatoire antérieure ; si la grand-mère de l’auteur avait conservé son plein statut, sur un pied d’égalité avec les hommes de sa génération à circonstances égales, les enfants de l’auteur seraient admissibles au titre du paragraphe 6 1) et pourraient transmettre leur statut à leurs propres enfants, quel que soit le statut de leur futur(e) partenaire, tout comme les descendants de la lignée paternelle.

Le Comité est donc d’avis que, bien que la règle relative à la date limite de 1985 introduite dans les modifications de 2019 ne repose pas actuellement sur le sexe des descendants eux-mêmes, elle perpétue dans la pratique le traitement différencié réservé aux descendants des femmes autochtones privées de leurs droits par le passé. C’est parce que son ancêtre maternelle a été privée de ses droits que l’auteur ne peut pas transmettre librement son statut et son identité autochtones à ses enfants et que ceux-ci ne pourront pas à leur tour les transmettre librement à leurs propres descendants. Le Comité note que l’État partie a reconnu que, selon le Ministère des services aux autochtones, la nouvelle date limite nécessiterait probablement des modifications législatives (voir par. 16.2), précisément en raison des inégalités actuelles qui résultent de la discrimination passée fondée explicitement sur le genre. Il est donc d’avis que les conséquences de la privation de statut subie par l’ancêtre maternelle de l’auteur n’ont pas encore été pleinement réparées et qu’elles sont précisément à l’origine de la discrimination dont l’auteur et ses enfants sont actuellement victimes. Par conséquent, il conclut que l’État partie a manqué aux obligations que lui imposent les articles 2 et 3 de la Convention.

Le Comité rappelle à l’État partie que le fait de ne pas consulter les peuples et les femmes autochtones chaque fois que leurs droits sont susceptibles d’être compromis constitue une forme de discrimination.

En vertu du paragraphe 3 de l’article 7 du Protocole facultatif et compte tenu de ce qui précède, le Comité est d’avis que l’État partie a manqué aux obligations que lui impose la Convention et a ainsi porté atteinte aux droits que l’auteur et ses enfants tiennent de l’article premier et des articles 2 et 3 de cet instrument.

Le Comité adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissantde l’auteur et deses enfants : leur assurer une réparation appropriée, notamment en les reconnaissant comme des autochtones ayant la pleine capacité juridique de transmettre, sans aucune condition, leur statut et leur identité autochtones à leurs descendants.

b)De façon générale :

i)Modifier sa législation, après avoir mené comme il convient une consultation préalable, libre et éclairée, afin de remédier pleinement aux effets négatifs de l’inégalité de genre présente depuis longtemps dans la Loi sur les Indiens et d’introduire le critère fondamental de l’auto-identification, notamment en éliminant les dates limites des dispositions relatives à l’inscription et en prenant toutes autres mesures nécessaires pour faire en sorte que tous les descendants de la lignée maternelle bénéficient du même droit à l’inscription que ceux de la lignée paternelle ;

ii)Allouer des ressources suffisantes à la mise en œuvre des modifications apportées à cette loi.

Conformément au paragraphe 4 de l’article 7 du Protocole facultatif, l’État partie examinera dûment les constatations et les recommandations du Comité, auquel il soumettra, dans un délai de six mois, une réponse écrite l’informant notamment de toute mesure prise à la lumière de ces constatations et recommandations. L’État partie est également invité à rendre les présentes constatations et recommandations publiques et à les diffuser largement afin qu’elles parviennent à tous les secteurs de la société, en particulier à la Nation des Squamish.