Communication présentée par :

M. M. (représenté par un conseil, Sergei Golubok)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

6 août 2013 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

7 août 2015

Objet :

Prolongation de l’enquête préliminaire fondée sur des critères de discrimination raciale

Question(s) de procédure :

Discrimination fondée sur la race

Question(s) de fond :

Recevabilité – épuisement des recours internes

Article(s) de la Convention:

2 1) a), 5 a) et 6

Annexe

Décision adoptée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (quatre-vingt-septième session)

concernant la

Communication no 55/2014 *

Présentée par :

M. M. (représenté par un conseil, Sergei Golubok)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

6 août 2013 (date de la lettre initiale)

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en vertu de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 7 août 2015,

Ayant achevé l’examen de la communication no 55/2014, présentée au Comité par M. M. en vertu de l’article 14 de la Convention,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision

1.L’auteur est M. M., ressortissant somalien, qui réside actuellement aux États-Unis d’Amérique. Il affirme que la Fédération de Russie a violé les droits qui lui sont reconnus à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2, à l’alinéa a) de l’article 5 et à l’article 6 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1En mai 2012, une procédure pénale a été ouverte contre l’auteur en Fédération de Russie sur la base du paragraphe 3 de l’article 30 et de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 291 du Code pénal russe (pour avoir tenté de corrompre un fonctionnaire en lui proposant une somme particulièrement importante en vue de transporter illégalement des ressortissants étrangers par la frontière entre la Fédération de Russie et la Finlande). Il a été arrêté le 28 mai 2012 et a été placé en garde à vue le 31 mai 2012 sur décision du tribunal de l’arrondissement Primorski de Saint-Pétersbourg, décision confirmée en appel par le Tribunal municipal de Saint-Pétersbourg. Le 6 novembre 2012, la durée de l’enquête préliminaire a été prolongée jusqu’au 14 décembre 2012 par le directeur adjoint du Département de Saint-Pétersbourg du Comité d’enquête.

2.2Le 26 novembre 2012, le directeur du Comité d’enquête a confirmé la décision du 6 novembre 2012 de prolonger l’enquête préliminaire en raison de sa complexité, notamment de la nécessité d’identifier correctement les prévenus, dont l’un aurait présenté de faux documents d’identité, et du temps nécessaire pour traduire les nombreux documents de procédure et interroger plusieurs ressortissants étrangers qui avaient besoin d’un interprète.

2.3Le 6 décembre 2012, le directeur adjoint du Comité d’enquête a encore prolongé la durée de l’enquête préliminaire sur l’affaire concernant l’auteur jusqu’au 29 janvier 2013. Le délai supplémentaire a été confirmé par le directeur du Comité d’enquête le 9 janvier 2013.

2.4À une date indéterminée en décembre 2012, l’auteur a recouru contre la décision de prolonger la durée de l’enquête préliminaire du 26 novembre 2012 devant le tribunal de l’arrondissement Petrograd de Saint-Pétersbourg. Il a présenté ce recours au titre de l’article 125 du Code de procédure pénale, qui permet aux parties à une affaire pénale d’exercer un recours concernant la légalité des actes et des décisions de l’interrogateur, de l’enquêteur, du chef d’un organe d’enquête ou du procureur au stade de l’enquête préliminaire.

2.5Le 7 février 2013, le tribunal d’arrondissement a rejeté le recours du fait que l’enquête préliminaire était close et que l’affaire avait été transmise au tribunal, pour jugement, le 28 décembre 2012. Le tribunal d’arrondissement a indiqué dans sa décision que l’auteur pouvait soumettre sa plainte à la juridiction de jugement.

2.6Le même jour, le 7 février 2013, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal d’arrondissement devant le Tribunal municipal de Saint-Pétersbourg. Maintenant qu’il avait droit à l’examen de son recours sur la base de l’article 125 du Code de procédure pénale, l’auteur a fait valoir qu’il n’entendait pas contester la légalité de tel ou tel acte ou l’admissibilité des preuves recueillies lors de l’enquête préliminaire mais plutôt la décision de prolonger la durée de l’enquête préliminaire, ce que la juridiction de jugement ne pouvait pas examiner efficacement. Il estimait que le fondement de la décision de prolonger la durée de l’enquête préliminaire – nécessité d’assurer l’interprétation et la traduction – était discriminatoire au regard de l’article 2 de la Convention. Le Tribunal municipal l’a débouté le 4 juin 2013, et a confirmé la décision de la juridiction inférieure; le Tribunal municipal a informé l’auteur de son droit de se pourvoir en cassation devant le Présidium du Tribunal municipal de Saint-Pétersbourg dans un délai d’un an. L’auteur n’a pas utilisé cette voie de recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la durée de l’enquête, et donc de sa détention avant jugement, a été prolongée à plusieurs reprises pour des motifs discriminatoires liés à son incapacité de lire et de parler le russe, ce qui a enfreint les droits qu’il tient de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de la Convention.

3.2Il fait valoir également que le fait d’avoir demandé et obtenu les services d’un interprète à titre gracieux a conduit à prolonger l’enquête, et qu’il n’a donc pas bénéficié de l’égalité de traitement devant les organes chargés d’administrer la justice pénale, en particulier le Comité d’enquête, en violation de l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention.

3.3L’auteur estime également que, puisque sa plainte relative à la discrimination dont il aurait fait l’objet au cours de l’enquête pénale n’a pas été examinée sur le fond par le tribunal d’arrondissement et le Tribunal municipal, il a été privé d’une voie de recours utile en violation de l’article 6 de la Convention.

3.4L’auteur demande au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de constater une violation des articles 2 1) a), 5 a) et 6 de la Convention dans l’affaire qui le concerne et de lui accorder un recours approprié.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par une note verbale datée du 16 mai 2014, l’État a contesté la recevabilité de la communication en faisant valoir que l’auteur ne s’était pas pourvu en cassation contre la décision du tribunal d’arrondissement du 7 février 2013. L’État partie fait valoir aussi que les points soulevés par l’auteur devant le tribunal d’arrondissement concernant la prolongation de la période d’enquête préliminaire pourraient avoir été soulevés devant la juridiction de jugement lors de l’examen au fond de l’affaire le concernant.

4.2À propos de la discrimination raciale dont l’auteur estime avoir été victime du fait qu’il n’était pas russophone, l’État partie note qu’au moment de se prononcer sur le placement de l’auteur en détention avant jugement, le tribunal de l’arrondissement Primorski de Saint-Pétersbourg a pris en considération la gravité des chefs d’accusation, l’absence de lieu de résidence permanente sur le territoire de la Fédération de Russie et le fait que l’auteur ne vivait pas à son adresse enregistrée à Moscou, son intention déclarée de quitter le pays et de demander la citoyenneté à l’étranger, ainsi que l’absence de toute source déclarée de revenus. La décision de prolonger l’enquête préliminaire a été prise en raison de la complexité de l’affaire, qui a nécessité un nombre important de mesures d’enquête, concernant des ressortissants étrangers, des services de traduction et d’interprétation, et un certain nombre de mesures d’enquête et de procédure et d’examens de police scientifique afin d’établir l’identité exacte des accusés, notamment. L’État partie fait valoir qu’il n’y a aucune indication d’un acte quelconque relevant de la discrimination raciale à l’encontre de l’auteur pendant l’enquête.

4.3L’État partie ajoute que l’auteur a été pourvu d’un interprète à sa propre demande. Les documents de procédure ont été traduits le jour de leur adoption ou le lendemain et ni l’auteur ni son conseiller n’ont objecté au travail de l’interprète. Il ajoute qu’il n’y a eu de violation des droits de l’auteur à aucun stade de la procédure pénale, concernant son arrestation, la prolongation de la durée de sa détention, et la décision du tribunal d’arrondissement de rejeter son recours formé en application de l’article 125 du Code de procédure pénale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie quant à la recevabilité et au fond

5.Le 23 juin 2014, l’auteur a abordé la question du non-épuisement des recours internes, et fait valoir que les recours internes possibles pour contester la décision du 4 juin 2013 du Tribunal municipal auraient été inefficaces. Il affirme que les décisions des juridictions internes de ne pas examiner son recours en vertu de l’article 125 du Code de procédure pénale quant au fond étaient fondées sur un arrêt de la Cour suprême de la Fédération de Russie interdisant l’examen juridictionnel des décisions prises au stade de l’enquête après le renvoi d’une affaire criminelle devant un tribunal pour jugement. Dès lors, tout recours ultérieur contre les décisions du tribunal d’arrondissement et du Tribunal municipal aurait été voué à l’échec. L’auteur affirme également que les recours indiqués par l’État partie ont été jugés inefficaces par le Comité des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit déterminer si la communication est recevable.

6.2Le Comité note que la plainte de l’auteur est fondée sur l’allégation selon laquelle il est victime de discrimination raciale. Il note également l’argument de l’État partie selon lequel il n’existe aucune indication d’un acte de discrimination raciale à aucun stade de la procédure concernant l’auteur.

6.3Afin de considérer la demande de l’auteur comme recevable, le Comité doit déterminer si ce dernier a allégué des faits relevant de la discrimination fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique. Le Comité note que d’après l’auteur, les actes de discrimination à son égard se sont manifestés par la prolongation de la durée de l’enquête préliminaire. Il note également que l’État partie a affirmé dans sa réponse que la prolongation de l’enquête préliminaire a été rendue nécessaire par la complexité de l’affaire, qui a réclamé un nombre important de mesures d’enquête, concernant des ressortissants étrangers, et des services de traduction et d’interprétation, notamment, et que l’auteur lui-même a demandé un interprète et ne s’est pas plaint du travail de l’interprète ou de la qualité de l’interprétation au cours de la procédure. Le Comité note que l’auteur n’a pas contesté ces assertions qui, à son avis, constituent une explication raisonnable de la prolongation de la durée de l’enquête préliminaire et, en conséquence, réfutent l’allégation de discrimination intentionnelle de l’auteur. Par ailleurs, le Comité fait observer que l’auteur n’a pas expliqué en quoi la discrimination dont il aurait fait l’objet au motif qu’il ne parle pas la langue du pays sont constitutives de discrimination au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la Convention.

6.4Vu ce qui précède, le Comité estime que l’auteur n’a pas présenté d’indications suffisantes pour démontrer qu’il a été victime de discrimination raciale. Le Comité, considérant que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs, conclut que la communication n’est pas compatible avec les dispositions de la Convention comme le prescrit l’alinéa c) de l’article 91 de son règlement intérieur. En conséquence, il déclare la communication irrecevable en vertu du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention. Sur la base de cette conclusion, le Comité décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner d’autres motifs d’irrecevabilité.

7.En conséquence, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale décide :

a)Que la communication est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.