Nations Unies

CAT/C/60/D/623/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

5 juillet 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant laCommunication no 623/2014 * , **

Communication p résentée par :

N. K. (représenté par un conseil, R. Nandoe)

Au nom de :

N.K .

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

14 août 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

1er mai 2017

Objet :

Non-refoulement ; prévention de la torture

Questions de fond :

Expulsion vers Sri Lanka

Question de procédure:

Défaut de fondement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

Contexte

1.1Le requérant est N. K., ressortissant sri-lankais d’origine tamoule né en 1992 à Sri Lanka, qui a demandé l’asile aux Pays-Bas. Sa demande ayant été rejetée, il risque d’être expulsé vers Sri Lanka. Il affirme que son expulsion l’exposerait au risque d’être torturé par les autorités sri-lankaises et constituerait une violation par les Pays-Bas de l’article 3 de la Convention.

1.2Le 21 août 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser le requérant tant que la requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né à Point Pedro (Sri Lanka), en 1992. En 1995, ses parents se sont enfuis de Point Pedro, zone contrôlée par l’armée sri lankaise, vers la localité de Puthukkudiyiruppu, qui était sous le contrôle des Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). En 2008, en raison des pressions qu’il subissait à l’école, il a consenti par écrit à rejoindre les LTTE. La même année, après avoir été enrôlé de force dans les LTTE, il a suivi la formation militaire dispensée par cette organisation et a participé à une opération militaire contre l’armée sri-lankaise. Les LTTE l’ont photographié pour établir sa fiche d’immatriculation et ont pris des clichés de lui pendant la formation militaire. Il s’est échappé le 15 janvier 2009. Son oncle l’a aidé à rejoindre Colombo et à quitter le pays avec un faux passeport.

2.2Le 9 mars 2009, le requérant est arrivé aux Pays-Bas.

2.3Le 28 novembre 2011, un ami de la famille a informé le requérant que ses parents étaient décédés au cours de la dernière phase du conflit, que l’armée sri-lankaise recherchait les anciens membres des LTTE et qu’elle avait interrogé plusieurs personnes pour savoir où il se trouvait. Le 30 mars 2012, un commandant du camp militaire de Paranthan a envoyé à l’ancienne adresse du requérant à Puthukkudiyiruppu une lettre manuscrite de convocation informant l’intéressé que l’armée avait appris qu’il avait participé à une formation militaire pendant le conflit. La lettre a été envoyée au requérant par un voisin.

2.4Aux Pays-Bas, le requérant a adhéré à un club sportif tamoul et a participé pendant plusieurs années à des compétitions sportives, notamment aux rencontres organisées à l’occasion de la Journée des héros des LTTE. Sur des clichés pris en septembre 2013 pendant la cérémonie organisée à l’occasion de la Journée des héros, on peut voir le requérant, portant des médailles que lui avaient remises les LTTE, déposer une bougie à côté de la photographie d’un combattant des Tigres tamouls, avec le drapeau du mouvement à l’arrière-plan. Ces photographies ont été publiées sur Facebook en octobre 2013.

2.5Entre le 11 mars 2009 et juillet 2014, le requérant a déposé quatre demandes d’asile. Il a affirmé qu’il risquait à son retour d’être torturé par les autorités sri-lankaises parce qu’il était un jeune Tamoul du nord du pays qui avait eu des liens avec les LTTE et dont un parent était lié à cette organisation, qu’il était un demandeur d’asile débouté expulsé d’un pays étranger considéré comme un centre des activités de collecte de fonds au profit des LTTE, qu’il portait des cicatrices visibles et qu’il ne possédait pas de carte d’identité. Selon lui, les autorités pouvaient l’identifier sur les photographies publiées sur Facebook et établir qu’il avait participé à des manifestations organisées par les LTTE aux Pays-Bas. Chacune de ses demandes d’asile a été rejetée par le Service de l’immigration et de la naturalisation, ainsi que par les tribunaux et le Conseil d’État en appel. Le Service de l’immigration et de la naturalisation et les juridictions d’appel étaient parvenus à la conclusion que rien ne permettait de penser que les autorités sri-lankaises savaient que le requérant avait été lié aux LTTE ou que le requérant attirerait l’attention des autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka.

2.6Selon une attestation d’un centre néerlandais de santé pour la jeunesse en date du 28 mars 2011, le requérant souffrait de dépression et d’insomnie et il avait des pensées suicidaires.

Teneur de la plainte

3.Se référant à de nombreuses informations concernant le risque de torture auquel sont exposés les Tamouls qui retournent au pays, le requérant affirme que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il serait placé en détention et torturé par les autorités sri-lankaises car il est soupçonné d’être un sympathisant des LTTE. Il dit qu’il fait partie d’un groupe de personnes qui risquent d’être torturées en cas de renvoi pour les raisons suivantes : il est un jeune homme tamoul du nord du pays, un ancien membre des LTTE ayant suivi une formation militaire dispensée par ce mouvement et participé à des combats contre l’armée sri-lankaise ; un membre de sa famille, qui appartenait aux LTTE, a été tué lors d’affrontements ; il a des cicatrices visibles sur le visage ; il a quitté Sri Lanka illégalement et y retournera sans carte d’identité nationale avec un passeport provisoire en venant d’un pays où des fonds ont été recueillis au profit des LTTE ; il a participé à des activités organisées par les Tigres tamouls à l’étranger et il a demandé l’asile. Se fondant sur ce qui précède, le requérant affirme que l’État partie violerait l’article 3 de la Convention s’il le renvoyait à Sri Lanka.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 2 mars 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Après avoir exposé la législation et la procédure applicables en l’espèce, ainsi que la situation à Sri Lanka, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas établi de façon satisfaisante qu’il risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé à Sri Lanka. Les facteurs de risque mentionnés par le requérant, considérés individuellement et dans leur ensemble, ne permettent pas d’établir que les autorités sri-lankaises se sont un jour intéressées à lui ou s’intéressent encore à lui.

4.2Citant l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. A c.  Royaume-Uni et la décision rendue par le Upper Tribunal du Royaume-Uni dans l’affaire G. J. and others, et compte tenu des griefs avancés par le requérant, l’État partie estime qu’il n’existe aucun risque réel que l’intéressé soit perçu comme ayant un rôle important dans les activités de la diaspora visant à déstabiliser l’État unitaire sri-lankais et à ranimer le conflit armé interne.

4.3L’État partie considère que le requérant n’a pas établi de façon satisfaisante que les autorités sri-lankaises savaient qu’il avait participé aux activités des LTTE. Il n’admet pas comme élément de preuve la lettre dans laquelle un commandant de l’armée convoque le requérant au camp militaire, dont la Police royale militaire et des frontières n’a pas été en mesure de déterminer l’authenticité. Il constate également que la lettre est manuscrite et qu’elle a été envoyée au requérant plus de trois ans après son départ de Sri Lanka, et fait observer qu’à Sri Lanka il est possible d’acheter des documents, des timbres, des vignettes et des formulaires falsifiés. Même si le Gouvernement sri-lankais a appris ou apprenait que le requérant a été membre des LTTE, cela n’est pas une raison suffisante de penser qu’il sera considéré comme un militant tamoul et perçu comme une menace actuelle pour l’État, étant donné son rôle minime au sein des Tigres tamouls, sa défection, et le fait qu’il a été contraint de rester dans les rangs du mouvement alors qu’il était mineur.

4.4L’État partie relève que ce n’est que dans sa dernière demande d’asile, en 2014, que le requérant a donné des renseignements sur le décès, en 2006, de son cousin, qui était membre des LTTE. L’État partie a jugé peu plausible le fait que le requérant n’ait pas appris le décès de son cousin malgré les contacts qu’il avait avec son oncle. Le requérant n’a pas fourni d’informations sur le rôle de son cousin au sein des LTTE ou sur le point de savoir si lui-même ou des membres de sa famille avaient déjà eu des problèmes à cause des activités de son cousin pendant ou après le conflit. Dans ces conditions, l’État partie ne peut conclure qu’à son retour à Sri Lanka le requérant courrait un risque pour cette raison.

4.5L’État partie observe que le requérant n’a pas démontré que les autorités sri‑lankaises avaient connaissance des photographies publiées sur Facebook montrant sa participation à des activités sportives des LTTE et à la commémoration de la Journée des héros. Il est peu probable que les autorités sri‑lankaises puissent établir un lien entre le requérant et des photographies sans légende de l’intéressé participant à un tournoi de football ou à la « Journée des martyrs ». Même si elles arrivaient à l’identifier de cette façon, les activités en question sont trop marginales pour que l’intéressé soit considéré comme un militant.

4.6L’État partie fait valoir que ce n’est qu’à la troisième demande d’asile que le requérant a signalé qu’il avait des cicatrices, et qu’il n’a pas expliqué pourquoi il ne l’avait pas indiqué plus tôt. Il n’a pas dit non plus que ses cicatrices étaient dues à des tortures. Étant donné que rien n’indique que le requérant ait attiré l’attention des autorités sri‑lankaises, il n’y a aucune raison de conclure que celles-ci s’intéresseront à lui uniquement à cause de ses cicatrices.

4.7En réponse à l’argument du requérant selon lequel le fait de ne pas être en possession d’une carte d’identité mais uniquement d’un passeport provisoire conduira les autorités à l’arrêter à l’aéroport et à découvrir qu’il a déposé une demande d’asile, l’État partie fait observer que les autorités sri‑lankaises sont conscientes du fait que de nombreuses personnes émigrent pour des raisons économiques. Il indique également que, chaque année, le nombre de demandeurs d’asile tamouls renvoyés à Sri Lanka oscille entre une poignée d’individus et plus d’un millier de personnes. S’il est admis que quelques Sri Lankais ont été victimes de traitements contraires à la Convention à leur retour dans le pays, on ne peut pas en conclure que chaque personne est exposée à un tel risque.

4.8À la lumière de ces considérations, l’État partie conclut que les allégations du requérant ne sont pas suffisamment étayées et qu’il ne sera pas soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à son retour à Sri Lanka.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 4 septembre 2015, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme qu’en vertu de la procédure interne (par. 6 de l’article 4 de la loi sur le droit administratif fédéral), il n’est possible de déposer des demandes d’asile successives qu’en cas de nouvelles informations ou de faits nouveaux apparus après la première demande. Par conséquent, il est très difficile pour les demandeurs d’asile d’obtenir l’examen de faits nouveaux dans le cadre de demandes d’asile ultérieures.

5.2Le requérant indique qu’il a joint à sa deuxième demande d’asile l’original de la lettre du commandant susmentionné, dont l’authenticité aurait dû être examinée par l’ambassade des Pays-Bas à Colombo. En ce qui concerne les doutes émis par l’État partie quant aux raisons pour lesquelles il avait été contacté trois ans après son départ du pays, le requérant explique que, comme il l’avait déclaré dans un courrier adressé au Conseil d’État le 19 septembre 2012, la lettre du commandant avait été envoyée en application de la politique suivie à l’époque par le Gouvernement sri-lankais consistant à rechercher et persécuter les jeunes Tamouls, en particulier ceux soupçonnés d’avoir des liens avec les LTTE. Le requérant ajoute qu’il a présenté de nombreux documents et pièces justificatives pour prouver que les autorités étaient à sa recherche, notamment une lettre datée du 28 novembre 2011 que lui avait adressée un ami vivant à Sri Lanka, le certificat de décès de son cousin accompagné du rapport d’autopsie, une photographie de lui-même en compagnie d’autres membres des LTTE prise à Sri Lanka, et qu’il a participé à des activités des LTTE à l’étranger (clichés de manifestations sportives parrainées par les Tigres tamouls aux Pays-Bas et médailles remises à cette occasion).

5.3En ce qui concerne la participation de son cousin aux activités des LTTE et son décès, le requérant précise qu’il ignorait tout de sa disparition parce que les deux familles vivaient dans des zones différentes, contrôlées respectivement par l’armée et par les LTTE, et qu’elles ne disposaient d’aucun moyen de communication pendant le conflit. Il affirme que le rôle de son cousin au sein des LTTE importe peu. Le fait que celui-ci ait combattu dans les rangs des LTTE suffit en soi à éveiller les soupçons des autorités sri‑lankaises à son égard. Il affirme également que, selon les informations soumises à l’État partie, les Tamouls du nord et de l’est qui ont eu un lien quelconque avec les LTTE risquent d’être arrêtés, placés en détention et torturés à leur retour.

5.4Le requérant affirme que, même si son nom ne figure pas sur les photographies publiées sur Facebook, on peut toutefois distinguer son visage, et qu’en cas de renvoi à Sri Lanka, les autorités disposeraient à l’avance d’informations sur son retour transmises par l’ambassade de Sri Lanka aux Pays‑Bas et l’identifieraient au moyen de la photo d’identité figurant sur le passeport provisoire. Il fait observer que les informations qu’il a communiquées aux autorités de l’État partie montrent que le Gouvernement sri‑lankais surveille étroitement toutes les manifestations et les activités politiques organisées à l’étranger. Sa participation aux activités sportives, considérée conjointement avec d’autres éléments qu’il a mentionnés, suffirait pour que les autorités le soupçonnent d’avoir des liens avec les LTTE à l’étranger.

5.5Le requérant soutient que le fait qu’il n’ait signalé ses cicatrices que lors de la troisième procédure d’asile et que ces cicatrices ne soient pas dues à des actes de torture est sans importance. Ces cicatrices sont néanmoins un facteur de risque car les autorités sri‑lankaises les considéreraient comme un indicateur de l’appartenance aux LTTE.

5.6En ce qui concerne le fait de ne pas avoir de carte d’identité, le requérant indique que les personnes qui quittent Sri Lanka sont qualifiées d’« antipatriotiques ». Il semble que ce soit l’une des raisons pour lesquelles les demandeurs d’asile de retour au pays sont mal vus et parfois considérés comme des traîtres et comme une menace potentielle.

Renseignements complémentaires fournis par le requérant

6.1Le 25 novembre 2015, le requérant a informé le Comité que la haute juridiction administrative lui avait refusé les prestations qui sont allouées aux demandeurs d’asile (logement, aide à la subsistance et assurance maladie) en attendant qu’il soit statué sur leur demande d’asile ou de permis de séjour ou qu’une décision de justice soit rendue. Ces prestations sont accordées aux personnes dont la demande de mesures provisoires est acceptée par la Cour européenne des droits de l’homme. En l’espèce, les autorités de l’État partie ont considéré que la demande de mesures provisoires présentée par le Comité n’était pas assimilable à une décision de justice. Le requérant fait valoir qu’en lui refusant les prestations allouées aux demandeurs d’asile, l’État partie ne s’est pas acquitté de bonne foi des obligations qui lui incombent au titre de l’article 22 de la Convention car il a établi une différence de traitement entre demandeurs d’asile. À l’heure actuelle, le requérant est tributaire du soutien que lui apportent ses amis.

6.2Le 10 novembre 2015, le requérant a été conduit à l’hôpital en ambulance après avoir ingéré 14 comprimés de mirtazapine et 2 comprimés de Panadol, un geste apparemment lié à son expulsion prochaine du centre d’accueil.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 25 janvier 2016, l’État partie a présenté des observations complémentaires et réaffirmé sa position précédente. En ce qui concerne le paragraphe 6 de l’article 4 de la loi sur le droit administratif fédéral, l’État partie explique que cette disposition vise à empêcher les demandes répétées et à garantir que les décisions soient prises dans des délais raisonnables. Si une nouvelle demande d’asile est présentée alors que la demande précédente a été rejetée sur le fond, le paragraphe 6 de l’article 4 oblige le demandeur d’asile à soumettre dans sa nouvelle demande des faits nouveaux ou différents qui seront examinés à la lumière de la demande précédente. Les demandeurs d’asile ont la possibilité de joindre à leur première demande tous les renseignements et documents pertinents, ou s’ils ne les ont pas en leur possession, d’informer les autorités de leur existence. Ils peuvent aussi présenter, à certaines conditions, des faits pertinents aux tribunaux pendant la procédure d’appel. Les garanties relatives à la diligence voulue et les recours juridiques disponibles sont suffisants pour que les demandes d’asile ultérieures soient dûment examinées dans le cadre d’un entretien et de la procédure d’appel.

7.2L’État partie renvoie aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme dans lesquels la Cour a établi que les autorités sri-lankaises s’intéressaient aux membres en vue des LTTE ou d’autres groupes séparatistes qui représentaient une menace pour l’unité de l’État sri-lankais du fait de leurs activités séparatistes au sein de la diaspora. L’État partie fait observer que le requérant n’est pas dans cette situation, parce qu’il n’a pas de profil particulier au sein des LTTE, qu’aucun membre de sa famille n’y joue un rôle important et qu’il n’a jamais eu maille à partir avec les autorités sri-lankaises.

7.3Pour ce qui est de la demande d’hébergement présentée par le requérant, l’État partie soutient qu’elle ne relève pas de la compétence du Comité, puisque la Convention ne contient aucune disposition garantissant aux demandeurs d’asile le droit d’être hébergé. Il serait exagéré de déduire un droit d’être hébergé de la demande du Comité de ne pas renvoyer le requérant à Sri Lanka. Le requérant a invoqué l’article 3 de la Convention afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne se produise en cas de renvoi à Sri Lanka, et l’État partie a accédé à la demande de mesures provisoires présentée par le Comité. L’État partie s’est donc acquitté de bonne foi des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention. Le fait d’assurer un hébergement n’est pas une obligation à cet égard.

7.4L’État partie fait également valoir que ni les documents présentés par le requérant ni aucun autre élément ne montrent que la manière dont l’État partie a donné suite à la demande de mesures provisoires a eu pour effet que le requérant se soit vu refuser l’accès, entre autres, à des soins médicaux.

Commentaires supplémentaires du requérant

8.1Le 24 février 2016, le requérant a adressé au Comité des commentaires supplémentaires. Il se réfère à un rapport de l’International Truth and Justice Project − Sri Lanka, selon lequel les Tamouls qui ont un lien quelconque avec les LTTE, même dans le cadre d’une fonction subalterne, ne peuvent pas retourner à Sri Lanka en toute sécurité. Il indique que les services du renseignement sri-lankais prennent des photographies pendant les manifestations organisées par les LTTE à l’étranger et les montrent aux détenus, ce qui prouve que les Tamouls qui prennent part à ces manifestations s’exposent à des risques en cas de retour au pays.

8.2En ce qui concerne l’application du paragraphe 6 de l’article 4 de la loi sur le droit administratif fédéral, le requérant affirme que les photographies de lui publiées sur Facebook qui n’avaient pas été admises lors de l’examen de la troisième demande d’asile parce qu’elles n’étaient pas datées n’ont pas non plus été acceptées lors de la quatrième procédure bien qu’il ait prouvé qu’elles dataient de septembre-octobre 2013.

8.3Pour ce qui est de la demande d’hébergement, le requérant soutient que le fait de l’obliger à rester longtemps dans l’État partie sans accès à des structures d’accueil revient à l’exposer à un traitement inhumain et dégradant. Il fait valoir qu’il ne peut présenter un recours utile au Comité en étant obligé de vivre dans des conditions misérables aux Pays-Bas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2 Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête pour ce motif.

9.3 Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle l’État partie a l’obligation de lui proposer un hébergement pendant la durée des mesures provisoires et de la procédure d’examen de sa requête par le Comité. Il relève que le requérant n’a pas fourni d’informations suffisamment détaillées sur sa situation juridique après le rejet de sa demande d’asile et l’octroi de mesures provisoires par le Comité. Il fait observer en outre qu’on ne sait pas très bien si le requérant a jamais fait valoir devant les autorités nationales que le refus d’un hébergement constituait un traitement inhumain et dégradant. Dans ces conditions, le Comité conclut que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

9.4Le Comité note que le requérant fait valoir que son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant n’a pas suffisamment étayé son grief. Il relève toutefois que les griefs soulevés par le requérant sont étroitement liés au fond de l’affaire et déclare en conséquence la communication recevable au titre de l’article 3 de la Convention. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable, dans la mesure où elle soulève des questions au titre de l’article 3 de la Convention, et procède à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

10.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite par l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture.

10.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi à Sri Lanka. Pour ce faire il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité demeure gravement préoccupé par les allégations persistantes et concordantes de recours sur une vaste échelle à la torture et autres peines ou traitements cruels inhumains ou dégradants par des acteurs étatiques, appartenant aussi bien à l’armée qu’à la police, dans de nombreuses régions du pays depuis la fin du conflit en mai 2009. Il rappelle toutefois que le but de l’analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, dans un pays, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque.

10.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Le Comité rappelle que s’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court personnellement un risque réel et prévisible. Le Comité rappelle en outre que, même si, comme il l’a indiqué dans son observation générale n° 1, il apprécie librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé (par. 9).

10.5En l’espèce, le requérant affirme qu’il sera placé en détention et torturé s’il est renvoyé à Sri Lanka. Le Comité relève que, selon l’État partie, le requérant n’a pas présenté de preuves crédibles, ni démontré qu’il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture par les autorités s’il était renvoyé à Sri Lanka et les griefs du requérant ont été soigneusement examinés par les autorités compétentes et les tribunaux nationaux, conformément à la législation interne et compte tenu de la situation actuelle des droits de l’homme à Sri Lanka.

10.6Le Comité rappelle que pendant l’examen du cinquième rapport périodique de Sri Lanka il s’est dit vivement préoccupé par les informations selon lesquelles les forces de sécurité étatiques, y compris la police, ont continué de commettre des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les LTTE en mai 2009. Le Comité s’est également dit préoccupé par les représailles subies par des victimes et des témoins d’actes de torture, les d’enlèvements perpétrés et les actes de torture commis dans des centres de détention non reconnus, et a demandé si de tels actes avaient fait l’objet d’enquêtes rapides, impartiales et approfondies.

10.7En l’espèce, le Comité note que le requérant affirme qu’il était enregistré auprès des LTTE, qu’il a reçu une formation militaire, qu’il a participé à une opération militaire contre l’armée sri‑lankaise après laquelle il s’est échappé et a quitté le pays ; qu’il a pris par-là des activités sportives organisées par les LTTE aux Pays-Bas et dont des clichés ont été publiés sur Facebook, et que son cousin a été tué en 2006 en raison de son appartenance présumée aux LTTE. Le Comité relève également que le requérant fait valoir qu’il est un jeune tamoul du nord de Sri Lanka dont la demande d’asile a été rejetée, qu’il a des cicatrices visibles et qu’il sera renvoyé à Sri Lanka en possession d’un passeport provisoire. Le Comité note dans le même temps que rien dans la communication du requérant ne montre que lui-même ou des membres de sa famille ont joué un rôle important au sein des LTTE ou ont déjà eu maille à partir avec les autorités sri‑lankaises. En outre, le requérant a quitté les LTTE et n’a participé à aucune manifestation politique organisée par les Tigres tamouls à l’étranger. Le requérant affirme avoir été convoqué par un commandant de l’armée en 2012, et que les autorités se sont renseignées à son sujet, mais le Comité relève que, depuis 2012, le requérant n’a signalé aucune mesure prise par l’armée sri‑lankaise au motif qu’il n’avait pas donné suite à cette convocation ni aucune enquête menée à son sujet.

10.8Au sujet du décès du cousin du requérant, le Comité fait observer que le requérant n’a donné aucune information sur le rôle de cette personne au sein des LTTE, ni aucun détail sur la façon dont elle a été tuée, et, surtout, qu’il n’a pas précisé si, avant de quitter le pays, lui-même ou un membre de la famille de son cousin avait eu des problèmes à cause des activités du cousin au sein des LTTE. Pour ce qui est de la participation du requérant aux activités sportives organisées par les LTTE aux Pays‑Bas, le Comité note que, même si les autorités sri-lankaises pouvaient reconnaître le requérant sur les photos publiées sur Facebook où son nom ne figure pas, ces manifestations n’étaient pas de nature politique et ne font pas de lui un partisan important des LTTE. En conséquence, le Comité conclut que, même si le requérant fait l’objet d’un contrôle à l’aéroport en raison de son passeport provisoire ou de ses cicatrices, rien ne prouve qu’il a un profil de partisan des Tigres tamouls qui l’exposerait personnellement au risque d’être torturé par les autorités.

10.9Le Comité rappelle que, selon son observation générale no 1, c’est au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. De l’avis du Comité, le requérant ne s’est pas, en l’espèce, acquitter de la charge de la preuve.

11.À la lumière de ce qui précède et compte tenu des informations dont il dispose, le Comité contre la torture considère que le requérant n’a pas produit d’éléments de preuve suffisant pour conclure qu’un renvoi dans son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

12.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que le renvoi du requérant à Sri Lanka par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.