Nations Unies

CCPR/C/KHM/CO/3

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 mai 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le troisième rapport périodique du Cambodge *

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Cambodge à ses 3850e, 3852e et 3854e séances, les 9, 10 et 11 mars 2022. Les séances se sont tenues sous forme hybride en raison de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19). À ses 3868e et 3870e séances, les 22 et 23 mars 2022, le Comité a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré au Cambodge d’avoir soumis son troisième rapport périodique et accueille avec satisfaction les renseignements qui y sont donnés. Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte d’entamer un dialogue constructif avec la délégation de haut niveau de l’État partie au sujet des mesures prises pendant la période considérée pour appliquer les dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie des réponses écrites apportées à la liste de points, qui ont été complétées oralement par la délégation, ainsi que des renseignements supplémentaires qui lui ont été communiqués par écrit.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue l’adoption par l’État partie des mesures législatives, politiques et institutionnelles ci-après :

a)La loi du 14 juillet 2016 sur la justice pour mineurs et le plan stratégique de fonctionnement de la justice pour mineurs (2018-2020) ;

b)En matière de détention de mineurs, le sous-décret no 155 du 29 septembre 2017 portant sur l’organisation et le fonctionnement des centres de réinsertion de jeunes ;

c)Le troisième plan d’action national pour la prévention de la violence à l’égard des femmes (2019-2023) ;

d)Le décret royal 0817/619 du 22 août 2017 portant création du Comité national contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

e)Le plan stratégique national pour l’identité (2017-2026), destiné à garantir une identité juridique à chacun.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte

4.Le Comité constate que l’État partie dispense une formation continue aux juges et aux avocats sur le droit international des droits de l’homme, dont le Pacte, mais reste préoccupé par le fait que les juridictions internes, dans leurs décisions, n’appliquent pas suffisamment les droits qui y sont consacrés et par les lacunes qui en résultent en matière de protection. Il regrette que l’État partie n’ait pas encore ratifié le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui établit un mécanisme d’examen de communications émanant de particuliers (art. 2).

5. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour mieux faire connaître le Pacte auprès des juges, des procureurs, des avocats et du grand public afin que ses dispositions soient prises en compte par les juridictions internes. Il devrait ratifier le premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, qui établit un mécanisme d’examen des communications émanant de particuliers.

Institution nationale des droits de l’homme

6.Le Comité prend note de l’introduction d’un nouveau projet de loi en 2021, qui marque un progrès vers la création d’une institution nationale des droits de l’homme. Il reste toutefois préoccupé par la méfiance exprimée par les organisations de la société civile, les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme et les syndicats, qui doutent qu’une institution nationale des droits de l’homme crédible, efficace et indépendante puisse être instituée sans véritable processus de consultation (art. 2).

7.Eu égard aux précédentes recommandations du Comité , l’État partie devrait avancer dans la création d’une institution nationale des droits de l’homme conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris). Il devrait mener un véritable processus de consultation ouvert et transparent sur le projet de loi, en assurant la participation d’un large éventail de parties prenantes, dont des organisations de la société civile.

Mesures de lutte contre la corruption

8.Le Comité prend acte des mesures adoptées pour lutter contre la corruption mais il est préoccupé par le fait que la loi anticorruption ne prévoit pas de garanties procédurales et n’est pas effectivement appliquée. Il est aussi préoccupé par le fait que l’Unité anticorruption ne mène pas d’enquêtes indépendantes et efficaces et par le faible nombre de cas de corruption signalés (en partie par crainte de représailles) et pour lesquels les responsables sont punis. Le Comité relève aussi avec inquiétude les informations dont ressortent des faits de corruption concernant l’accaparement des terres et l’empiètement sur les forêts protégées, ainsi que l’exploitation forestière illégale et des irrégularités dans l’attribution des contrats relatifs aux projets d’aménagement.

9.L’État partie devrait redoubler d’efforts pour prévenir et éradiquer la corruption et l’impunité à tous les niveaux. Il devrait veiller à ce que tous les cas de corruption, y compris ceux liés aux questions foncières, à l’exploitation forestière illégale et aux contrats relatifs à des projets d’aménagement fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et approfondies, à ce que les responsables soient dûment jugés et punis et à ce que les victimes reçoivent une réparation intégrale. Il devrait assurer une protection adéquate des lanceurs d’alerte, des témoins et des victimes de la corruption, notamment en adoptant, à l’issue de véritables consultations ouvertes et transparentes avec la société civile et d’autres parties prenantes, le projet de loi sur les lanceurs d’alerte et le projet de loi sur les témoins, les experts et les victimes.

État d’urgence

10.Le Comité est préoccupé par les informations reçues selon lesquelles la loi sur l’administration de la nation en état d’urgence, promulguée en avril 2020, confère aux autorités de vastes pouvoirs qui leur permettent de limiter drastiquement l’exercice d’un ensemble de droits et libertés fondamentaux. Il est aussi profondément préoccupé par l’adoption et la mise en œuvre de la loi sur les mesures de prévention de la propagation de la COVID-19 et autres maladies contagieuses graves et dangereuses, promulguée en mars 2021, qui prévoit de lourdes sanctions en cas de violation, entraînant des restrictions disproportionnées des droits et libertés fondamentaux, en particulier lorsqu’elle est utilisée pour disperser des rassemblements pacifiques. Il regrette l’absence de débat et de consultation avec les organisations de la société civile avant l’adoption de ces lois (art. 4).

11.L’État partie devrait réexaminer et modifier ses lois sur l’état d’urgence et la COVID‑19, afin de garantir qu’elles soient pleinement conformes aux règles définies par l’article 4 du Pacte, telles qu’interprétées dans l’observation générale no 29 (2001) sur les dérogations aux dispositions du Pacte autorisées en période d’état d’urgence et dans la déclaration du Comité sur les dérogations au Pacte dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Il devrait garantir que toute mesure mise en place pour protéger la population dans le cadre d’un état d’urgence, y compris une pandémie, est temporaire, proportionnée et strictement nécessaire et est soumise à un contrôle judiciaire. Il devrait veiller à ce que le réexamen et la révision de cette législation se fassent dans le cadre d’un véritable processus de consultation ouvert et transparent, avec un large éventail de parties prenantes, dont des organisations de la société civile.

Lutte contre l’impunité et les violations des droits de l’homme commises par le passé

12.Le Comité se dit à nouveau préoccupé par l’absence de progrès dans les enquêtes sur les violations des droits de l’homme commises par le passé et les poursuites engagées contre les responsables, s’agissant notamment des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées qui ont eu lieu après la signature en 1991 des Accords de paix de Paris. Il est aussi préoccupé par l’inaction de l’État partie, y compris des juridictions internes, face au classement d’affaires portées devant les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, sans examen au fond, ce qui est susceptible de laisser sans réponse des violations des droits de l’homme commises par le passé (art. 2, 6, 7 et 14).

13.Le Comité rappelle ses précédentes recommandations concernant l’impunité face aux violations graves des droits de l’homme . L’État partie devrait se plier aux obligations qui lui incombent : d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par le passé sous le régime de Pol Pot et après la signature des Accords de paix de Paris ; de poursuivre les auteurs des actes et de les punir de peines proportionnées à la gravité de leurs crimes ; d’accorder une réparation intégrale, y compris une indemnisation adéquate, aux familles des victimes.

Non-discrimination

14.Le Comité reste préoccupé par la discrimination et l’exclusion systémique dont sont victimes les minorités ethniques, en particulier les Khmers Krom et les Cambodgiens d’origine vietnamienne, notamment par le refus de leur fournir des documents d’identité, ce qui limite leur accès à d’autres droits. Il est aussi préoccupé par la discrimination, la ségrégation et la stigmatisation, souvent accompagnées de violences, auxquelles sont exposées les personnes handicapées et les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres (art. 2 et 26).

15. L’État partie devrait :

a) Adopter un cadre juridique complet interdisant la discrimination, y compris la discrimination multiple, directe et indirecte, dans tous les domaines, tant dans le secteur public que dans le secteur privé, pour tous les motifs interdits par le Pacte, notamment la race, la couleur, le sexe, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, l’orientation sexuelle et l’identité de genre, le handicap ou toute autre situation, et garantir l’accès des victimes de discrimination à des recours utiles et adaptés ;

b) Prendre des mesures efficaces pour lutter contre la discrimination et l’exclusion dont sont victimes les minorités ethniques, en particulier les Khmers Krom et les Cambodgiens d’origine vietnamienne, notamment en veillant à ce qu’ils aient accès à des documents d’identité ;

c) Prévenir la discrimination et la violence à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres et des personnes handicapées, notamment en menant des campagnes de sensibilisation du public pour lutter contre la stigmatisation sociale.

Égalité entre hommes et femmes

16.Le Comité reste préoccupé par la persistance de normes discriminatoires et de stéréotypes sexistes en ce qui concerne le rôle des femmes dans la société. Il observe également avec inquiétude la sous-représentation persistante des femmes dans les rôles de direction et de prise de décisions à tous les niveaux de la vie publique. Il est en outre préoccupé par le fait que la loi de 1997 sur le travail n’énonce pas le principe de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale et ne protège pas les travailleurs domestiques, qui sont principalement des femmes (art. 3).

17. L’État partie devrait renforcer les mesures visant à assurer l’égalité des sexes, et notamment :

a) Veiller à ce que la législation et les politiques en matière d’égalité entre hommes et femmes soient effectivement mises en œuvre et réviser la loi de 1997 sur le travail en vue d’assurer l’application du principe de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale et de garantir la pleine protection des travailleurs domestiques ;

b) Sensibiliser le public au principe de l’égalité entre femmes et hommes et à la nécessité d’éliminer les stéréotypes de genre, et veiller à ce que les médias donnent une image positive des femmes en tant que participantes actives à la vie publique et politique ;

c) Redoubler d’efforts pour assurer, dans des délais définis, la participation pleine et égale des femmes à la vie politique et publique, y compris leur représentation à l’Assemblée nationale, aux postes ministériels, dans les collectivités régionales et locales, ainsi que dans le système judiciaire, en particulier aux postes de décision.

Violence à l’égard des femmes

18.S’il constate les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre la violence à l’égard des femmes, le Comité reste préoccupé par le retard pris dans l’examen et l’adoption des amendements à la loi de 2005 sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes ; celle-ci comporte plusieurs lacunes qui entraînent une revictimisation des personnes dont les droits ont été violés et restreignent leur accès à la justice. Le Comité observe aussi avec inquiétude que la société tolère aisément la violence à l’égard des femmes et blâme souvent les victimes. Il regrette le manque d’informations sur le nombre d’enquêtes menées, de poursuites engagées et de déclarations de culpabilité prononcées dans des affaires de violence à l’égard des femmes (art. 2, 3, 6, 7 et 26).

19.Eu égard à la précédente recommandation du Comité sur la violence sexiste , l’État partie devrait prendre des mesures pour que la loi de 2005 sur la prévention de la violence familiale et la protection des victimes soit réexaminée et modifiée de sorte qu’elle définisse et incrimine la violence familiale de manière exhaustive et garantisse la tenue d’enquêtes efficaces conformément au Pacte et aux autres normes internationales. Il devrait aussi veiller à ce que : les cas de violence à l’égard des femmes fassent l’objet d’enquêtes approfondies ; les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, punis de peines proportionnées aux infractions commises ; les victimes aient accès à des recours utiles, reçoivent une réparation intégrale, y compris une indemnisation suffisante, et aient accès à des mesures de protection et d’aide adéquates. Il devrait continuer à mener des campagnes de sensibilisation du public à la violence à l’égard des femmes et faire en sorte que les fonctionnaires du système de justice, notamment les juges, les procureurs et les agents de la force publique, reçoivent une formation adaptée en la matière.

Droit à la vie

20.Le Comité est profondément préoccupé par les nombreuses et graves allégations d’exécutions extrajudiciaires de dirigeants de l’opposition, de défenseurs des droits de l’homme, de journalistes et de militants engagés pour les droits fonciers, et notamment par l’assassinat en novembre 2021 de Sin Khon, un membre de l’opposition. Il est aussi préoccupé par l’absence d’enquêtes efficaces et impartiales sur ces meurtres, qui restent impunis (art. 6).

21. L’État partie devrait d’urgence veiller à ce que : toutes les allégations d’exécutions extrajudiciaires fassent l’objet d’une enquête rapide, impartiale et approfondie ; tous les responsables, quelle que soit leur qualité ou leur position officielle, soient poursuivis ; des peines proportionnées à la gravité des crimes soient infligées aux personnes reconnues coupables. Il devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les exécutions, établir les faits et accorder une réparation intégrale aux familles des victimes.

Interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

22.Le Comité note avec préoccupation que, si l’article 210 du Code pénal interdit la torture et les actes de cruauté, il ne définit pas juridiquement la torture et les mauvais traitements. Le Comité est aussi préoccupé par les allégations relatives au manque d’indépendance du Comité national contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et par le fait que celui-ci n’est pas en mesure d’effectuer des visites dans les prisons ni de s’adresser aux détenus. En outre, le Comité est profondément préoccupé par les graves allégations de tortures et de mauvais traitements infligés en garde à vue et dans d’autres lieux de détention, actes qui ont parfois entraîné la mort (art. 6, 7, 9 et 10).

23. L’État partie devrait d’urgence s’employer énergiquement à éliminer la torture et les mauvais traitements, notamment en prenant les mesures suivantes :

a) Réviser la législation afin qu’elle contienne une définition de la torture pleinement conforme à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à l’article 7 du Pacte ;

b) Permettre au Comité national contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de remplir ses fonctions de manière indépendante et efficace, notamment par des visites régulières et inopinées dans tous les lieux de détention ;

c) Procéder sans retard à des enquêtes approfondies, efficaces, transparentes et impartiales sur toutes les allégations de torture et de mauvais traitements, conformément au Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul), en veillant à ce que les auteurs de ces actes soient poursuivis en justice et, s’ils sont reconnus coupables, dûment punis, et à ce que les victimes reçoivent une réparation intégrale ;

d) Faire en sorte que les plaignants soient protégés contre toute forme de représailles, que tout cas de représailles fasse l’objet d’une enquête et que les auteurs de tels actes soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, dûment punis.

Conditions de détention

24.Le Comité prend note des efforts consentis par l’État partie pour réduire la surpopulation et améliorer les conditions de vie dans les lieux de détention mais reste préoccupé par les informations selon lesquelles la population carcérale a considérablement augmenté, le taux d’occupation moyen des prisons dépassant 300 % de la capacité des locaux. Il note également avec préoccupation que de nombreux détenus ne disposent pas de suffisamment de nourriture, d’eau potable et de traitements médicaux. En outre, il est préoccupé par les informations selon lesquelles de nombreux foyers de COVID-19 sont apparus dans des prisons surpeuplées, sans que les détenus n’aient accès aux traitements et tests de dépistage requis (art. 7 et 10).

25. L’État partie devrait redoubler d’efforts pour rendre les conditions de détention pleinement conformes aux normes internationales applicables en matière de droits de l’homme, notamment à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). Il devrait en particulier :

a) Réduire sensiblement la surpopulation dans les prisons et, en particulier, recourir plus largement à des peines non privatives de liberté se substituant à des peines d’emprisonnement ;

b) Redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de détention et garantir que les détenus, dans tous les lieux de privation de liberté, disposent de suffisamment de nourriture, d’eau potable et de soins de santé, en particulier dans les lieux de détention où des foyers de COVID-19 ont été recensés.

Liberté et sécurité de la personne

26.Le Comité est préoccupé par le nombre élevé de personnes placées en détention provisoire, y compris des femmes avec de jeunes enfants, souvent détenues avec des condamnés. Il est également préoccupé par les informations selon lesquelles les garanties juridiques fondamentales des personnes privées de liberté ne sont bien souvent pas respectées, notamment le droit d’être informé des faits reprochés, de pouvoir communiquer rapidement avec un avocat et un médecin de son choix et d’informer une personne de son choix de son arrestation (art. 9, 10 et 14).

27. L’État partie devrait prendre des mesures concrètes, notamment d’ordre juridique, pour que la détention provisoire ne soit utilisée qu’à titre exceptionnel et sur une durée limitée, en particulier s’agissant des mères de jeunes enfants, et pour que des mesures autres que la détention provisoire soient plus souvent appliquées. Il devrait veiller à ce que toutes personnes privées de liberté bénéficient en pratique de toutes les garanties juridiques dès le tout début de leur détention, notamment en adoptant officiellement le projet de politique en matière d’aide juridictionnelle pour que toute personne accusée d’infraction puisse recevoir l’assistance d’un conseil.

Arrestation et détention arbitraires

28.Le Comité prend note de l’explication donnée par la délégation mais reste préoccupé par le fait que, en application de la loi sur le contrôle des drogues, des personnes souffrant de toxicomanie puissent être privées de leur liberté et soumises à une cure de désintoxication forcée. Il observe également avec préoccupation que les personnes sans abri, les mendiants, les enfants en situation de rue et les personnes souffrant de handicaps psychosociaux sont souvent arrêtés arbitrairement et assignés au centre des affaires sociales et de transit de Phnom Penh (Prey Speu), qui fonctionne sans cadre réglementaire clair et transparent (art. 9 et 10).

29. L’État partie devrait :

a) Procéder à une révision générale des lois, politiques et pratiques concernant les toxicomanes, en particulier ceux qui sont privés de liberté dans des centres de désintoxication obligatoire, en vue de les rendre pleinement conformes au Pacte ;

b) Mettre fin à l’internement contre leur gré de personnes sans abri, de mendiants et de personnes souffrant d’un handicap psychosocial, qui sont souvent retenus dans des centres de transit ou de réadaptation, et prendre les mesures nécessaires pour offrir aux enfants en situation de rue des solutions autres que le placement en institution, notamment l’accueil en milieu familial ;

c) Adopter un cadre juridique clair et transparent pour garantir qu’un soutien social suffisant est apporté aux personnes dans le besoin, et prévoir des règles de fonctionnement pour le centre de Prey Speu .

Traite des personnes

30.Malgré les importants efforts déployés par l’État partie pour éliminer la traite des personnes et l’exploitation des enfants, le Comité reste préoccupé par les informations selon lesquelles les victimes de la traite, en particulier les femmes et les enfants, ne sont pas suffisamment protégées. Il est aussi préoccupé par les cas allégués de servitude pour dettes dont sont victimes des enfants, en particulier dans le secteur de la brique (art. 8 et 26).

31. L’État partie devrait veiller à l’application effective de la loi sur la répression de la traite des personnes et de l’exploitation sexuelle. Il devrait faire en sorte que les cas de traite donnent lieu à des enquêtes approfondies, que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et que les victimes obtiennent une réparation intégrale du préjudice subi ainsi qu’une protection et une assistance adéquates. Il devrait également éliminer toutes les formes de travail forcé et d’exploitation des enfants, en particulier dans le secteur de la brique, notamment en renforçant la capacité des inspecteurs du travail à exercer efficacement leurs fonctions dans les secteurs où ces pratiques sont répandues.

Indépendance de la justice

32.Malgré les mesures prises par l’État partie pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, le Comité reste préoccupé par l’absence persistante d’un pouvoir judiciaire indépendant et impartial et par le nombre élevé d’allégations de corruption au sein de l’appareil judiciaire. Il observe aussi avec préoccupation que certains juges sont ouvertement membres du parti au pouvoir, occupant souvent des postes importants, ce qui compromet gravement leur indépendance (art. 14).

33. L’État partie devrait faire le nécessaire pour garantir, en droit et en pratique, l’indépendance, l’impartialité et la sécurité pleines et entières des juges et des procureurs. Il devrait prendre des mesures concrètes pour empêcher que les juges ne soient influencés dans leurs décisions par une quelconque forme de pression politique, notamment en veillant à ce que les procédures de sélection, de nomination, de suspension et de révocation des juges et des procureurs et les mesures disciplinaires prononcées contre eux respectent les dispositions du Pacte et les normes internationales pertinentes.

Liberté d’expression

34.Le Comité reste profondément préoccupé par la violation persistante de la liberté d’expression dans l’État partie. Il est alarmé par : les informations selon lesquelles de nombreux médias nationaux et internationaux ont été fermés ; le blocage de sites Web critiques envers le Gouvernement ; l’engagement d’actions pénales et civiles contre des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme ; le harcèlement et l’intimidation généralisés dont sont victimes les militants actifs en ligne, notamment dans le contexte des élections de 2018 ou de critiques visant la gestion par l’État partie de la pandémie de COVID‑19. Le Comité note avec préoccupation que certaines infractions définies dans le Code pénal et dans la loi sur les télécommunications, notamment la diffamation, l’incitation, l’insulte et le lèse-majesté, servent souvent à restreindre la liberté d’expression de manière disproportionnée et excessive. Il est de plus préoccupé par le fait que le sous-décret sur la passerelle Internet nationale, les nouveaux projets de loi, notamment sur la cybercriminalité et l’accès à l’information, et les amendements à la loi sur la presse font sérieusement craindre de nouvelles limitations de la liberté d’expression, et ont été formulés sans que des consultations aient été menées avec la société civile et les parties (art. 19).

35.Le Comité rappelle sa précédente recommandation concernant la liberté d’expression et prie instamment l’État partie d’immédiatement faire en sorte que chacun puisse exercer librement le droit à la liberté d’expression conformément à l’article 19 du Pacte et à l’observation générale n o  34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression. À cette fin, l’État partie devrait :

a) S’abstenir de poursuivre en justice et de placer en détention des journalistes, des défenseurs des droits de l’homme et d’autres acteurs de la société civile dans le but de les dissuader ou de les décourager d’exprimer librement leurs opinions ;

b) Empêcher les actes de harcèlement et d’intimidation, les restrictions arbitraires et les arrestations visant des journalistes, des militants et des défenseurs des droits de l’homme qui ne font que critiquer les responsables ou les politiques nationales ;

c) Dépénaliser la diffamation et rendre les autres dispositions y relatives du Code pénal et de la loi sur les télécommunications conformes à l’article 19 du Pacte ;

d) Réexaminer et réviser la législation en vigueur et en cours d’élaboration, notamment le sous-décret sur la passerelle Internet nationale, les amendements à la loi sur la presse et les projets de loi sur la cybercriminalité et l’accès à l’information de manière à éviter l’utilisation d’une terminologie vague et des restrictions trop larges ;

e) Veiller à ce que, dans la formulation et l’application de la législation, y compris les sous-décrets ministériels, les restrictions à l’exercice de la liberté d’expression et d’association soient conformes aux critères stricts énoncés aux articles 19 (par. 3) et 22 du Pacte.

Droit de réunion pacifique et liberté d’association

36.Le Comité est gravement préoccupé par les informations selon lesquelles l’autorisation de tenir des rassemblements pacifiques a été arbitrairement refusée et des organisateurs ont été arrêtés sur la base de dispositions vagues figurant dans la loi relative au droit de réunion pacifique. Il est aussi profondément préoccupé par les informations reçues concernant le recours excessif et disproportionné à la force dans la dispersion de manifestations pacifiques, ce qui s’est traduit par l’arrestation et le placement en détention de manifestants, notamment de défenseurs des droits de l’homme, de militants écologistes, de dirigeants de l’opposition et de syndicalistes (par exemple, de personnes proches de la réserve naturelle de Prey Lang, de Mother Nature Cambodia et du Syndicat de défense des droits des employés khmers de NagaWorld). Il observe en outre avec inquiétude que les modifications apportées en janvier 2020 à la loi sur les syndicats et le projet de loi sur l’ordre public, lequel vise à réglementer l’accès aux espaces publics et le comportement dans ceux‑ci, pourraient restreindre davantage le droit de réunion pacifique, car les deux textes contiennent des termes non définis qui ouvrent la voie à une interprétation erronée et une utilisation abusive par les autorités. En outre, le Comité constate avec préoccupation que la loi sur les associations et les organisations non gouvernementales restreint toujours le droit à la liberté d’association, en imposant aux organisations de rendre des comptes, ce qui peut conduire au refus de l’enregistrement et qui facilite la surveillance des défenseurs des droits de l’homme (art. 21 et 22).

37. Conformément à l’article 21 du Pacte et à la lumière de l’observation générale n o  37 (2020) du Comité sur le droit de réunion pacifique, l’État partie devrait :

a) Redoubler d’efforts pour réviser la législation en vigueur et en cours d’élaboration, y compris les modifications apportées à la loi sur les associations et les organisations non gouvernementales et le projet de loi sur l’ordre public, et pour modifier les pratiques de sorte que chacun jouisse pleinement, tant en droit que dans les faits, de son droit de réunion pacifique, et veiller à ce que les organisations de la société civile et les autres parties prenantes soient véritablement consultées, en toute transparence, dans le cadre de tous les processus de révision ;

b) Veiller à ce que toute restriction du droit de réunion pacifique, y compris par l’application de sanctions administratives et pénales à des personnes exerçant ce droit, respecte les règles strictes fixées par l’article 21 du Pacte ;

c) Enquêter efficacement sur tous les cas d’arrestation et de détention arbitraires de manifestants pacifiques, ainsi que sur les actes de violence perpétrés envers eux, et traduire les responsables en justice ;

d) Prévenir toute forme de harcèlement et d’intimidation visant des membres d’organisations de la société civile, de syndicats et de partis politiques et veiller à ce qu’ils puissent exercer librement leur droit de travailler et de mener des activités connexes.

Participation à la conduite des affaires publiques

38.Le Comité est préoccupé par la dissolution du principal parti politique d’opposition (le Parti du sauvetage national du Cambodge) en novembre 2017 et de trois autres partis d’opposition en 2021, ainsi que par le transfert de tous les sièges occupés à l’Assemblée nationale par le Parti du sauvetage national du Cambodge au Parti populaire cambodgien (au pouvoir), ce qui porte atteinte au droit de vote et à la représentation politique. Il s’inquiète au sujet de l’indépendance et de l’impartialité de la commission électorale nationale et des difficultés rencontrées par les nouveaux partis pour mener une campagne égale, libre et transparente. Il est gravement préoccupé par les restrictions illégales imposées aux membres de l’opposition en ce qui concerne leur participation aux affaires publiques et aux élections (menaces, harcèlement, arrestations arbitraires, procès collectifs, révocation de passeports et actes de violence, comme l’assassinat en novembre 2021 de Sin Khon, un membre du Parti du sauvetage national du Cambodge) (art. 2, 6 et 25).

39. L’État partie devrait rendre la réglementation et les pratiques électorales pleinement conformes aux dispositions du Pacte, en particulier l’article 25, et notamment :

a) Mettre fin à toutes les arrestations arbitraires et aux actes de harcèlement, d’intimidation et de violence visant des membres et des partisans des partis d’opposition ;

b) Mener des enquêtes approfondies et indépendantes sur toutes les allégations de harcèlement, d’intimidation, d’arrestation arbitraire et d’actes de violence visant des membres et des sympathisants des partis d’opposition, en particulier sur le meurtre de Sin Khon , et traduire les responsables en justice ;

c) Mettre fin à tous les procès collectifs visant des membres de l’opposition et veiller à ce que toute procédure engagée contre eux, ainsi que contre des défenseurs des droits de l’homme, respecte toutes les garanties procédurales énoncées dans le Pacte ;

d) Garantir à chacun, y compris aux candidats de l’opposition, la jouissance pleine et entière de ses droits électoraux et faire en sorte que tous les partis politiques puissent mener une campagne électorale libre, égale et transparente ;

e) Garantir la liberté de participer à un débat politique pluraliste, notamment en permettant la tenue de manifestations et de réunions pacifiques et en s’abstenant d’invoquer des dispositions pénales pour étouffer cette liberté ou pour écarter des élections les candidats de l’opposition ;

f) Renforcer les mécanismes judiciaires et électoraux afin de garantir un processus électoral équitable, avant les élections communales de 2022 et les élections nationales de 2023.

Justice pour mineurs

40.Le Comité salue l’adoption en 2016 de la loi sur la justice pour mineurs mais regrette que son application reste limitée et que, dans la pratique, des enfants en conflit avec la loi continuent d’être placés en détention provisoire. Il est aussi préoccupé par le transfert d’enfants venant de provinces reculées, qui dépendent du soutien matériel et moral de leur famille, vers le nouveau centre de réinsertion des jeunes de la province de Kandal, où ils sont détenus (art. 23 et 24).

41.L’État partie devrait redoubler d’efforts pour assurer l’application effective de la loi sur la justice pour mineurs et pour que les enfants en conflit avec la loi soient traités d’une manière adaptée à leur âge. Il devrait également veiller à ce que la détention provisoire de mineurs soit strictement utilisée dans des cas exceptionnels et seulement en dernier recours. Il devrait envisager d’entreprendre un examen approfondi des cas d’enfants en conflit avec la loi devant être transférés vers le nouveau centre de réinsertion des jeunes afin d’apprécier si des mesures de substitution à la détention peuvent être prescrites.

Populations autochtones

42.Le Comité se félicite des efforts déployés par l’État partie pour renforcer les mécanismes de protection des droits des personnes autochtones. Il reste cependant préoccupé par les lacunes dans la mise en œuvre du cadre juridique et des garanties en place pour la protection du droit des peuples autochtones d’exploiter et d’occuper leurs terres et territoires. Il est aussi préoccupé par le fait que le droit des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé dans la prise de décisions qui les concernent, et notamment dans l’approbation des projets d’aménagement de leurs terres, n’est pas systématiquement respecté. Il s’inquiète enfin de savoir si les communautés autochtones ont été dûment protégées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 (art. 2, 26 et 27).

43. L’État partie devrait :

a) Élaborer et adopter un cadre juridique permettant de reconnaître et de protéger les droits des populations autochtones, notamment une procédure simplifiée pour l’obtention de titres fonciers communaux ;

b) Garantir une véritable consultation, complète, des peuples autochtones sur les questions concernant leurs droits, en particulier leur droit à un consentement libre, préalable et éclairé, notamment lors de l’octroi d’autorisations relatives à des projets d’aménagement susceptibles de porter atteinte à leurs droits fonciers ;

c) Poursuivre ses efforts visant à prévenir les conflits liés à l’utilisation des terres, notamment en donnant des garanties concernant les terres traditionnellement détenues ou occupées par les populations autochtones ;

d) Veiller à ce que les populations autochtones ne soient pas réinstallées sans que ne soient respectées toutes les garanties juridiques et procédurales, y compris par la proposition de solutions comparables et d’une indemnisation suffisante ;

e) Veiller à ce que, dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les populations autochtones aient accès à l’information et aux services de soins de santé, notamment aux tests, traitements et vaccins.

D.Diffusion et suivi

44. L’État partie devrait diffuser largement le texte du Pacte, de son troisième rapport périodique et des présentes observations finales auprès des autorités judiciaires, législatives et administratives, de la société civile et des organisations non gouvernementales présentes dans le pays ainsi qu’auprès du grand public pour faire mieux connaître les droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait faire en sorte que le rapport périodique et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles.

45. Conformément à l’article 75 (par. 1) du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à faire parvenir, le 25 mars 2025 au plus tard, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 9 (corruption), 35 (liberté d’expression) et 39 (participation à la vie politique) plus haut.

46.Dans le cadre du cycle d’examen prévisible du Comité, l’État partie recevra en 2028 la liste de points établie par le Comité avant la soumission du rapport et devra soumettre dans un délai d’un an ses réponses à celle-ci, qui constitueront son quatrième rapport périodique. Il demande également à l’État partie, lorsqu’il élaborera ce rapport, de tenir de vastes consultations avec la société civile et les organisations non gouvernementales présentes dans le pays. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots. Le prochain dialogue constructif avec l’État partie se tiendra en 2030, à Genève.