Trente-sixième session

7–25 août 2006

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Maurice

Le Comité a examiné les troisième, quatrième et cinquième rapports périodiques combinés de Maurice (CEDAW/C/MAR/3-5), à ses 745e et 746e séances, le 11 août 2006 (CEDAW/C/SR.745 et 746),. On trouvera la liste de ses questions dans le document CEDAW/C/MAR/Q/5 et les réponses de Maurice dans le document CEDAW/C/MAR/Q/5/Add.1.

Introduction

Le Comité remercie l’État partie de son rapport unique (valant troisième à cinquième rapports périodiques), rédigé selon ses directives mais présenté tardivement et sans référence à ses recommandations générales. Il se félicite également des réponses écrites aux questions soulevées par le groupe de travail présession ainsi que de l’exposé et des réponses apportées oralement aux questions qu’il a posées.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir envoyé une délégation de haut niveau dirigée par son Ministre des droits de la femme, du développement de l’enfant, de l’action sociale en faveur de la famille et de la protection du consommateur et se réjouit du dialogue constructif entre la délégation et les membres du Comité.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir retiré les réserves qu’il avait faites lors de son adhésion à la Convention aux alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article 11 et à l’alinéa g) du paragraphe 1 de l’article 16.

Le Comité note avec satisfaction que, le 29 octobre 2002, l’État partie a accepté l’amendement au paragraphe 1 de l’article 20 de la Convention visant la prolongation de ses réunions.

Aspects positifs

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a entrepris de procéder à un réexamen complet de ses lois et pris des mesures législatives pour protéger et promouvoir les droits fondamentaux de la femme, notamment en promulguant en 2002 une loi sur la discrimination fondée sur le sexe, touchant la discrimination tant directe qu’indirecte (modifiée en 2004), en 1997 une loi sur la protection contre les violences au sein de la famille, incorporant les violences sexistes dans la définition de la discrimination, une loi sur l’éducation portant l’âge de l’éducation gratuite et obligatoire à 16 ans (modifiée en 2005) et en 1995 une modification de la sous-section 3 de la section 16 de la Constitution interdisant la discrimination sexuelle.

Le Comité note avec satisfaction que l’État partie est conscient de la situation difficile à laquelle les femmes sont confrontées en matière d’emploi et a établi un fonds de capacitation visant à faciliter la démarginalisation économique des groupes vulnérables, notamment à mettre à disposition des terrains pour les logements sociaux et les petites entreprises et créer des programmes de formation et de reconversion des chômeuses.

Le Comité se félicite de la création d’un Fonds d’intégration sociale des groupes vulnérables qui permettra aux femmes pauvres d’accéder à des ressources économiques et, grâce à des systèmes de microcrédit et de microentreprise, donnera aux femmes les moyens de se suffire et d’être plus indépendantes économiquement.

Principales préoccupations et recommandations

Tout en rappelant que l’État partie est tenu d’appliquer systématiquement et continûment toutes les dispositions de la Convention, le Comité estime que les préoccupations et recommandations figurant dans les présentes observations finales exigent l’attention prioritaire de l’État partie d’ici à la présentation de son prochain rapport périodique. Il l’invite donc à les examiner tout particulièrement lors de ses activités de mise en œuvre et à rendre compte, dans ledit rapport, des mesures prises et des résultats obtenus. Il l’invite également à soumettre les présentes observations finales à tous les ministères concernés au Parlement afin qu’il y soit pleinement donné suite.

Le Comité est préoccupé par le fait que bien que l’État partie ait adhéré à la Convention en 1984, les dispositions de celle-ci ne sont pas toutes incorporées au droit national, d’autant plus que sans cette incorporation ces dispositions ne peuvent être invoquées devant les tribunaux mauriciens.

Le Comité exhorte l’État partie à parachever le processus d’incorporation totale de la Convention dans un délai donné afin qu’elle soit intégralement applicable en droit interne. Il l’invite à veiller à ce que la Convention et la législation interne connexe fassent partie intégrante de l’enseignement du droit et de la formation des juges, des avocats et des procureurs afin d’instaurer une culture juridique favorable à l’égalité des sexes et à la non-discrimination.

Le Comité constate avec préoccupation que, contrairement aux articles 2 et 16 de la Convention, une dérogation à l’interdiction de la discrimination a été maintenue à l’alinéa c) du paragraphe 4 de la section 16 de la Constitution portant sur le statut personnel, y compris l’adoption, le mariage, le divorce, l’inhumation et l’héritage.

Le Comité invite l’État partie à engager avec les différentes communautés religieuses un dialogue constructif en vue d’abroger à l’alinéa c) de l’article 4 de la section 16 de la Constitution concernant le statut personnel la dérogation à l’interdiction de la discrimination, conformément aux articles 2 et 16 de la Convention. Il l’encourage aussi à introduire dans sa Constitution ou dans tout texte de loi pertinent, comme le projet de loi sur l’égalité des chances actuellement en cours d’élaboration, les dispositions sur l’égalité des sexes, conformément à l’alinéa a) de l’article 2 de la Convention.

Le Comité constate avec inquiétude que, quatre ans après la promulgation de la loi sur la discrimination sexuelle, l’État partie n’a pas commencé à prendre les mesures temporaires spéciales prévues à la section 9 de ladite loi de manière à accélérer l’avènement d’une égalité authentique entre les femmes et les hommes dans les secteurs public et privé.

Le Comité invite l’État partie à appliquer efficacement et sans délai les mesures temporaires spéciales prévues au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, conformément à sa recommandation générale n o  25, afin d’accélérer la réalisation dans tous les domaines d’une véritable égalité des sexes. Il recommande à l’État partie d’introduire aussi dans le projet de loi sur l’égalité des chances une disposition sur les mesures temporaires spéciales, notamment s’agissant de la participation de s femmes aux processus de prise de décisions, de l’éducation et de l’accès aux débouchés économiques, et de surveiller de près l’application de la loi, une fois adoptée.

Tout en saluant l’application de mesures telles que le programme « L’homme en tant que partenaire », ayant permis de mieux sensibiliser les hommes et les femmes aux questions de santé, de protection de la famille et de démarginalisation des femmes, le Comité s’inquiète de la persistance de comportements et de stéréotypes fortement patriarcaux concernant les rôles et les responsabilités des femmes et des hommes dans la famille et la société, qui font encore des premiers les principaux soutiens de famille et des secondes, les principales responsables des tâches ménagères.

Le Comité invite l’État partie à redoubler d’efforts afin de modifier les rôles stéréotypés, largement admis, des femmes et des hommes grâce à des campagnes systématiques de sensibilisation et d’éducation visant tant les femmes et les filles que les hommes et les garçons, et partant, d’éliminer les stéréotypes liés aux rôles sexuels traditionnels au sein de la famille et de la société, conformément à l’alinéa f) de l’article 2 et à l’alinéa a) de l’article 5 de la Convention. Le Comité recommande aussi à l’État partie de renforcer son action pour éliminer le sexisme des publicités, obtenir des classifications d’emplois sexuellement neutres, sensibiliser les éducateurs et faire disparaître les stéréotypes des manuels. Il l’invite à suivre attentivement les effets de ces mesures et à rendre compte des résultats obtenus dans son prochain rapport périodique.

Tout en prenant acte des initiatives d’ordre juridique et autre adoptées par l’État partie pour remédier aux violences sexistes, le Comité constate avec inquiétude qu’elles restent un grave problème et que l’État partie ne dispose pas d’un nombre suffisant de foyers d’hébergement pour les femmes battues et leurs enfants. Il note aussi avec préoccupation que l’État partie n’a pas fait du viol conjugal une infraction pénale.

Le Comité invite l’État partie à intensifier ses efforts de sensibilisation à la violence à l’égard des femmes, notamment au sein de la famille, et au caractère inadmissible de cette violence. Il l’invite à renforcer ses efforts de prévention et à prend re d’autres mesures de sensibilisation s’adressant au grand public et à accroître le nombre de foyers d’hébergement destinés aux femmes battues et à leurs enfants. Il prie l’État partie de légiférer pour faire du viol conjugal une infraction pénale fondée sur le non-consentement de l’épouse. Il l’exhorte à mettre en place un système de surveillance et d’évaluation pour s’assurer que les mesures prises pour remédier à tous les types de violence à l’égard des femmes sont efficaces.

Le Comité s’inquiète du manque d’informations concernant l’ampleur de la traite des femmes et des jeunes filles ainsi que de l’absence d’une loi détaillée ou de mesures systématiques face à ce problème. Il s’inquiète aussi de l’ampleur du phénomène de la prostitution, y compris de fillettes âgées de 10 ans à peine, et de son étendue dans le secteur touristique. Il note en outre avec inquiétude que la loi actuelle permet aux clients des prostituées d’échapper aux poursuites. Il s’inquiète enfin de l’exploitation de la prostitution, malgré les efforts entrepris pour la combattre, notamment les campagnes de sensibilisation du personnel des hôtels, les activités menées au niveau des communautés et la surveillance des quartiers.

Le Comité recommande à l’État partie de ratifier le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et à collaborer avec les pays de la région pour prévenir et combattre la traite des femmes. Il l’exhorte à adopter une démarche globale face à la question de la prostitution, y compris une législation qui sanctionne le recours aux prostituées et qui , notamment , donne aux femmes et aux jeunes filles des possibilités éducatives et économiques leur permettant d’éviter la prostitution, par exemple en mettant en place des programmes de démarginalisation économique destinés aux femmes. Il invite l’État partie à se pencher sur les liens entre le tourisme et la prostitution, notamment le recours aux prostituées. L ’État partie devrait veiller à ce que ceux qui exploitent la prostitution soient effectivement poursuivis et punis. Le Comité le prie de fournir, dans son prochain rapport, des informations et des données complètes sur l’exploitation de la prostitution et la traite des femmes et sur les mesures prises pour prévenir et combattre ces activités. Il demande aussi que des statistiques soient fournies sur le nombre de poursuites et de condamnations de ceux qui exploitent la prostitution et de trafiquants. Enfin, il demande que des renseignements soient donnés sur les mesures prises pour aider les victimes de la traite.

Tout en notant que l’État partie aspire, avec la Communauté de développement de l’Afrique australe, à porter à 30 % la proportion de femmes participant à la vie politique et occupant des postes de décision, comme il l’a indiqué oralement, le Comité s’inquiète de constater qu’elles sont quasiment, voire entièrement absentes de nombreux secteurs de la vie politique et publique et peu nombreuses aux postes de décision : Parlement, conseils municipaux ou villageois, mairies, directions d’arrondissement ou de régie ou diplomatie. Le Comité s’inquiète aussi du petit nombre de femmes occupant des postes de décision dans le secteur privé.

Le Comité engage l’État partie à prendre, de manière continue, des mesures, y compris des mesures temporaires spéciales, conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention et à sa propre recommandation générale 25, et à fixer des objectifs numériques et des calendriers concrets afin que le nombre de femmes élues et nommées dans les différents organes dans tous les domaines de la vie publique, y compris au niveau international , augmente plus rapidement . Il exhorte l’État partie à mieux faire comprendre l’importance de la participation des femmes aux processus décisionnels à tous les niveaux de la société. Il l’engage à prendre des mesures pour accroître le nombre de femmes occupant des postes de décision dans le secteur privé. Il invite l’État partie à vérifier sans relâche l’efficacité des mesures prises afin d’atteindre les objectifs indiqués.

Le Comité s’inquiète de l’analphabétisme chez les femmes et des disparités à cet égard entre citadines et rurales. Il s’inquiète aussi de la discrimination inhérente qui existe dans le choix traditionnel des disciplines offertes aux filles et aux garçons dans les écoles non mixtes et de ses conséquences pour les perspectives de carrière des femmes.

Le Comité prie l’État partie d’accorder un rang de priorité élevé à la réduction de l’analphabétisme des femmes, rurales notamment. Il recommande aussi de stimuler la diversification des choix éducatifs et professionnels qui leur sont offerts. Il exhorte l’État partie à veiller à ce que les écoles de filles disposent des mêmes locaux et des mêmes ressources que les écoles de garçons. Il engage l’État partie à étudier l’effet des mesures prises afin de s’assurer que les objectifs définis sont atteints.

Le Comité s’inquiète de la précarité de l’emploi des femmes. Il s’inquiète aussi de la ségrégation professionnelle et de leur concentration dans les secteurs de main-d’œuvre à bas salaire et sans qualifications ainsi que de l’écart salarial entre les sexes. Il constate enfin avec inquiétude que le congé payé de maternité ne s’applique pas au-delà du troisième enfant, et que le congé de paternité n’existe pas.

Le Comité invite l’État partie à assurer aux deux sexes l’égalité des chances sur le marché du travail, notamment en recourant aux mesures temporaires spéciales prévues au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, et à continuer à mener des programmes spéciaux de formation et de reconversion pour les différents groupes de chômeuses. Il recommande de faire davantage pour éliminer la ségrégation horizontale et verticale dans l’emploi et pour réduire et combler l’écart salarial entre les sexes. Il invite notamment l’État partie à accorder des prestations de maternité pour toutes les naissances et l’encourage à introduire le congé de paternité et le congé parental.

Le Comité note avec une inquiétude toute particulière que la Division de la discrimination sexuelle de la Commission des droits de l’homme préfère apparemment la médiation à la saisine du ministère public en cas de non-respect de la loi contre la discrimination sexuelle et ne fait guère appliquer la législation du travail.

Le Comité recommande que la Division de la discrimination sexuelle veille à ce que le ministère public soit saisi des atteintes graves à la loi contre la discrimination sexuelle.

Le Comité s’inquiète de l’incidence croissante des grossesses d’adolescentes et de ses implications pour leur santé et leur éducation. Il note aussi avec inquiétude que l’avortement est, sans exception, érigé en infraction pénale. Il s’inquiète enfin de la croissance du taux d’infection des femmes par le VIH/sida.

Le Comité invite l’État partie à faire bénéficier les femmes et les jeunes filles de davantage d’informations et de services en matière de planification familiale, s’agissant notamment de santé génésique et de méthodes de contraception peu coûteuses, et à élargir la portée de l’éducation sexuelle des filles et des garçons, l’accent étant mis tout particulièrement sur la prévention des grossesses d’adolescentes. Le Comité recommande à l’ État partie d’envisager de revoir la loi sur l’avortement en cas de grossesse non désirée afin d’éliminer les dispositions punitives frappant les femmes qui se font avorter, conformément à sa recommandation générale 24 relative à la santé des femmes et à la Déclaration et au Programme d’action de Beijing. Le Comité demande instamment à l’État partie d’accélérer les travaux du Ministère de la santé et d’autres entités qui sont en train de réexaminer les circonstances dans lesquelles l’avortement pourrait être autorisé dans le pays. Il demande instamment aussi à l’État partie de faire en sorte que les femmes puissent accéder à des services de qualité lorsqu’elles doivent faire face aux complications résultant d’avortements dangereux, de façon à réduire les taux de mortalité maternelle. Le Comité recommande l’application intégrale du plan stratégique national de lutte contre les maladies sexuellement transmissibles et le VIH/sida afin de réduire les taux d’infection chez les femmes.

Le Comité note avec préoccupation que les femmes doivent recourir à plusieurs tribunaux en cas de divorce et pour obtenir une aide complémentaire et que la création d’un tribunal familial pour connaître de ces affaires est prévue depuis son examen des premier et deuxième rapports périodiques de l’État partie en 1995.

Le Comité invite l’État partie à accélérer la création, dans des délais précis, d’un tribunal familial chargé de connaître de toutes les questions intéressant le mariage et sa dissolution.

Le Comité se réjouit de l’annonce faite par l’État partie selon laquelle il a engagé le processus de ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, qu’il a signé en 2001, et il l’encourage à le mener promptement à bien.

Le Comité invite instamment l’État partie à s’acquitter des obligations découlant de la Convention en tenant pleinement compte de la Déclaration et du Programme d’action de Beijing, qui en renforcent les dispositions, et le prie de fournir des informations à cet égard dans son prochain rapport périodique.

Le Comité souligne qu’il est indispensable de pleinement et véritablement mettre en œuvre la Convention pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Dans tous les efforts visant à les réaliser, il recommande l’intégration d’une perspective sexospécifique et la prise en compte explicite des dispositions de la Convention, et prie l’État partie de fournir des informations à cet égard dans son prochain rapport périodique.

Le Comité note que l’adhésion des États aux sept grands instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme contribue à promouvoir l’exercice effectif des droits individuels et des libertés fondamentales des femmes dans tous les aspects de la vie. Il encourage donc le Gouvernement mauricien à envisager de ratifier le traité auquel il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Le Comité recommande que les présentes observations finales soient largement diffusées à Maurice pour que la population du pays, en particulier les membres de l’administration, les responsables politiques, les parlementaires et les organisations féminines et de défense des droits de l’homme, soient au courant des mesures prises pour assurer l’égalité de droit et de fait entre les sexes et des dispositions qui restent à prendre. Le Comité prie l’État partie de continuer de diffuser largement, surtout auprès des organisations de femmes et de défense des droits de l’homme, le texte de la Convention, de son protocole facultatif, de ses propres recommandations générales, de la Déclaration et du Programme d ’action de Beijing, ainsi que des texte s issu s de la vingt-troisième session extraordinaire de l’Assemblée générale intitulée « Les femmes en l’an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXI e siècle ».

Le Comité prie l’État partie de répondre aux préoccupations exprimées dans les présentes observations finales dans le prochain rapport périodique qu’il lui soumettra en application de l’article 18 de la Convention. Il l’invite à soumettre en 2009, sous forme de rapport unique, son sixième rapport périodique, qui était attendu en 2005, et son septième rapport périodique, attendu en 2009.