Présentée par:

Mme Valentina Zheludkova (représentée par un conseil,M. Igor Voskoboinikov)

Au nom de:

M. Alexander Zheludkov

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

28 mars 1994 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 janvier 1997 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 octobre 2002

Le 29 octobre 2002, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 726/1996, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS ADOPTÉES PAR LE COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLEFACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF

AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante‑seizième session

concernant la

Communication no 726/1996

Présentée par:

Mme Valentina Zheludkova (représentée par un conseil,M. Igor Voskoboinikov)

Au nom de:

M. Alexander Zheludkov

État partie:

Ukraine

Date de la communication:

28 mars 1994 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 726/1996 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Alexander Zheludkov, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Valentina Zheludkova, ressortissante ukrainienne d’origine russe. Elle soumet la communication au nom de son fils, Alexander Zheludkov, ressortissant ukrainien d’origine russe, qui était, quand la communication a été envoyée, détenu dans une prison en Ukraine. Elle affirme que son fils est victime de violations des articles 2, 7, 9, 10 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.L’auteur déclare que son fils a été arrêté le 4 septembre 1992 et inculpé avec deux autres hommes de viol sur mineur, en l’occurrence une fillette de 13 ans, H. K. Le viol aurait eu lieu le 23 août 1992. Le 28 mars 1994, le fils de l’auteur a été reconnu coupable par le tribunal de district d’Ordzhonikidzevsky (Marioupol) et condamné à sept ans d’emprisonnement. L’appel qu’il avait interjeté devant la cour régionale de Donetsk a été rejeté le 6 mai 1994. Le pourvoi qu’il a formé ensuite devant la Cour suprême d’Ukraine a aussi été rejeté, le 28 juin 1995.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son fils est victime d’une violation des articles 7 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques parce que le jour de son arrestation et à d’autres occasions avant son procès il a subi des mauvais traitements graves et en raison des conditions inhumaines dans lesquelles il est détenu. Pour ce qui est du premier motif de la plainte, elle affirme en particulier que le 4 septembre 1992 son fils a été conduit au commissariat de police pour faire une déposition en tant que témoin dans une affaire de vol. Une fois arrivé au commissariat, il aurait été conduit dans une pièce où plusieurs policiers l’auraient sauvagement frappé avec des objets métalliques pendant de nombreuses heures. L’un de ses agresseurs serait M. K., capitaine de la milice et père de la victime du viol présumé. L’auteur affirme que M. K. aurait contraint son fils à avouer par écrit qu’il avait commis le viol. Elle explique que son fils a préféré ne pas se plaindre auprès d’un homme en civil qui était entré dans la salle où se déroulait l’interrogatoire pour lui poser certaines questions, car il craignait d’être de nouveau roué de coups. L’auteur affirme que son fils a subi des graves lésions et qu’il est encore en mauvaise santé. En particulier, il aurait eu des lésions graves à l’œil gauche. L’auteur ne fournit aucun certificat médical parce que son fils n’a pas pu avoir accès à ses dossiers médicaux. Elle joint cependant le rapport d’un médecin de l’établissement dans lequel son fils était détenu, d’où il ressort qu’il s’est plaint de son œil au médecin. En outre, elle joint un grand nombre de pièces du dossier médical personnel de son fils tendant à montrer qu’il était en bonne santé jusqu’en 1992.

3.2En ce qui concerne en particulier l’état de santé de M. Zheludkov depuis son arrestation et de l’absence de soins médicaux dans l’établissement où il était détenu, l’auteur affirme aussi qu’à une époque son fils a été intoxiqué au méthane, qu’elle a voulu lui faire parvenir des médicaments, mais qu’on l’en a empêchée. En ce qui concerne les conditions de détention en général, elle dit que l’établissement est gravement surpeuplé et qu’il y a une pénurie alarmante de nourriture, de médicaments et d’autres articles «absolument essentiels».

3.3L’auteur dit aussi que son fils est victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte parce que pendant les 7 premiers jours de détention suivant son arrestation il n’a pas pu communiquer avec un avocat, et qu’il n’a été informé des accusations portées contre lui que 50 jours après son arrestation.

3.4L’auteur affirme également qu’il y a eu violation du droit à un procès équitable garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte pendant la procédure engagée contre son fils. Elle fait valoir de nouveau que son fils a avoué sous la contrainte, et affirme aussi que les autres éléments de preuve retenus contre lui ont été fabriqués de toutes pièces pour couvrir un délit antérieur − un cambriolage de son domicile par la fille de M. K. (la victime du viol) et par une autre femme. En outre, lors du procès, on aurait refusé à son fils d’interroger un témoin.

3.5L’auteur affirme que tous les recours internes disponibles ont été épuisés. En ce qui concerne la condamnation pour viol, elle renvoie au procès et aux appels dont son fils a été débouté, mentionnés ci‑dessus au paragraphe 2. Pour ce qui est des passages à tabac que M. Zheludkov aurait subis, ses représentants disent qu’entre 1992 et 1994 ils ont à plusieurs reprises présenté des requêtes aux tribunaux et aux autorités d’instruction mais que ces dernières ont refusé d’engager des poursuites pénales à l’encontre des agresseurs présumés. Une copie des lettres et des requêtes a été transmise au Comité.

Observations de l’État partie et commentaires de l’auteur

4.1Dans sa réponse datée du 21 avril 1997, l’État partie s’est contenté d’affirmer que les arguments invoqués par l’auteur − à savoir que son fils n’avait pas participé au crime, qu’il avait été interrogé selon des moyens illicites, que l’accusation qui avait été portée contre lui était mensongère et que les autorités d’instruction ainsi que le tribunal avaient violé la loi − avaient tous été examinés et jugés dénués de fondement, que les actes criminels imputés au fils de l’auteur avaient reçu la qualification appropriée, et que la peine qui lui avait été appliquée avait été déterminée en fonction du danger que les crimes représentaient pour la société et des éléments d’information recueillis concernant sa personnalité.

4.2Dans sa lettre datée du 15 septembre 1997, l’auteur ne fait aucun commentaire supplémentaire au sujet de sa plainte ni au sujet des observations de l’État partie et prie le Comité de se prononcer sur la recevabilité de la communication.

Décision concernant la recevabilité

5.1Le 7 mars 1999 le Comité, agissant par l’intermédiaire de son groupe de travail conformément au paragraphe 2 de l’article 87 de son règlement intérieur, a examiné la recevabilité de la communication.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. De même, le Comité a estimé que l’auteur avait épuisé les recours internes aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle son fils a été roué de coups par des policiers quand il a été arrêté, en septembre 1992, et a avoué sous la contrainte, le Comité a noté que, bien que ces allégations n’aient pas été explicitement démenties par l’État partie, le jugement rendu par le tribunal de première instance montrait qu’il les avait examinées et les avait considérées comme dénuées de fondement. Pour ce qui est du refus des autorités d’instruction d’engager des poursuites pénales à l’encontre des agresseurs présumés, le Comité a noté que les autorités d’instruction avaient examiné la demande présentée par l’auteur et avaient conclu qu’il n’y avait pas lieu d’y donner suite. En l’absence d’éléments indiquant clairement qu’il y avait eu faute ou parti pris du tribunal ou des autorités d’instruction, le Comité n’était pas en mesure de contester la manière dont ces derniers avaient apprécié les éléments de preuve, et il a conclu que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.4De même, le Comité a estimé que l’allégation de violation de l’article 14 du Pacte au motif que les éléments de preuve retenus contre le fils de l’auteur avaient été fabriqués n’était pas recevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, car l’auteur n’avait pas étayé l’allégation de parti pris ou de faute de la part du tribunal.

5.5En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 3 de l’article 14 au motif que M. Zheludkov n’aurait pas pu interroger un témoin pendant le procès, le Comité a relevé que l’auteur n’avait pas évoqué cette question en appel. Il a donc considéré que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, parce que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité.

5.6Le Comité a noté que l’auteur avait affirmé que son fils n’avait eu connaissance des accusations portées contre lui que 50 jours après son arrestation, et qu’apparemment il n’avait pas été traduit devant une autorité judiciaire compétente pendant tout ce temps. Le Comité a considéré que ce grief pouvait soulever des questions au titre des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 du Pacte et a considéré que la communication était recevable en vertu de ces dispositions.

5.7En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, l’auteur dénonçant les conditions de détention en général et l’absence de soins médicaux en particulier, le Comité a noté que l’auteur avait dit que son fils s’était vu refuser l’accès à son dossier médical et que l’État partie n’avait réfuté aucune de ses allégations à ce sujet. Le Comité a considéré que ces allégations étaient suffisamment étayées pour être examinées quant au fond.

5.8Le Comité des droits de l’homme a donc décidé, le 7 mars 1999, à sa soixante‑cinquième session, que la communication était recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au regard des paragraphes 2 et 3 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans ses observations sur le fond de l’affaire, datées du 26 décembre 1999, l’État partie a informé le Comité qu’à la suite de la décision de recevabilité le parquet général de l’Ukraine avait procédé à une enquête. Il avait été établi que M. Zheludkov avait été arrêté le 4 septembre 1992, et que le 7 septembre 1992 il avait été placé en détention provisoire par décision du parquet. M. Zheludkov avait été inculpé formellement le 14 septembre 1992, c’est‑à‑dire dans le délai légal de 10 jours autorisé pour présenter les charges après la détermination de la mesure préventive, énoncé dans l’article 148 du Code de procédure pénale. L’État partie fait valoir que, dans ces conditions, l’allégation mentionnée dans la décision de recevabilité, à savoir que M. Zheludkov n’aurait été informé des accusations portées contre lui que 50 jours après son arrestation, ne correspond pas à la réalité.

6.2L’État partie affirme que la décision d’engager une procédure pénale contre M. Zheludkov a été vérifiée à plusieurs reprises par le parquet. Pendant l’enquête préliminaire et le procès, M. Zheludkov se trouvait au centre de détention de Marioupol. Il ressort du dossier et de son carnet médical qu’il y a été admis le 14 septembre 1992 et a subi un examen médical. Aux questions des médecins sur son état de santé, il aurait répondu qu’il avait eu la maladie de Botkin (ictère infectieux épidémique) en 1983, et qu’en 1986 il avait subi une intervention chirurgicale pour une perforation abdominale, avec hémorragie dans le côté droit du thorax. D’après l’État partie, il ne s’est pas plaint de son état de santé et n’a pas déposé de plainte pour avoir été roué de coups pendant les interrogatoires. À l’issue de l’examen médical, il a été déclaré en bonne santé. Dès son arrivée au centre, on lui a donné un matelas, un oreiller, une couette et des draps ainsi que des couverts et un bol. On lui a attribué un endroit pour dormir et on lui a donné à manger selon les normes en vigueur. Tout le temps où il était au centre de détention, du 14 septembre 1992 au 27 mai 1994, il ne s’est jamais plaint à l’administration des conditions de détention, pas plus que de la nourriture ou des soins médicaux. Ce n’est que le 2 février 1994 qu’il est allé au service médical pour se plaindre d’une baisse de la vue à l’œil gauche. Le médecin a conclu à une myopie. Les raisons de la baisse de la vue ne figurent pas dans le dossier médical, et M. Zheludkov n’a plus consulté le médecin pour ses yeux.

6.3L’État partie affirme que, du fait du temps écoulé, il ne lui a pas été possible de déterminer si M. Zheludkov, son conseil ou sa mère avaient saisi l’administration du centre d’une demande de certificat attestant son état de santé ou d’une demande de consultation du dossier médical. Toutefois, dans le cadre d’une procédure engagée par sa mère, on a retrouvé au parquet général une copie d’un certificat médical concernant l’état de santé de M. Zheludkov, établi le 2 mars 1994 à la demande de son conseil et signé par le médecin du centre. Le certificat était rédigé comme suit: En réponse à votre demande du 22 février 1994, je vous informe que M. Zheludkov est inscrit au service médical de l’établissement médical Yu ‑Ya 312/98 depuis le 14 novembre 1992. Il n’a présenté aucune plainte relative à son état de santé. Une hémorragie cutanée interne a été relevée au côté droit du thorax. Dans l’anamnèse, il est noté: maladie de Botkin en 1983 et opération chirurgicale en 1986. Actuellement, l’intéressé se plaint d’une baisse de l’acuité visuelle de l’œil gauche. L’établissement n’est pas équipé pour déterminer son degré de myopie. L’État partie fait valoir que les renseignements portés dans le certificat correspondent entièrement au contenu du carnet médical et permettent de réfuter les arguments de M. Zheludkov, qui affirme n’avoir pas été autorisé à consulter son dossier médical.

6.4Suite à la demande du conseil actuel de M. Zheludkov concernant l’état de santé de ce dernier, des examens médicaux auraient été prescrits. M. Zheludkov a été envoyé à l’hôpital pénitentiaire interrégional pour confirmation du diagnostic de séquelles d’un empoisonnement au méthane (1986), avec céphalalgie vasomotrice, bronchite chronique, syndrome asthénique végétatif, et baisse de la vision de l’œil gauche. Il serait resté en observation à l’hôpital du 31 octobre au 14 novembre 1994 et, pendant cette période, aurait reçu les soins requis par son état. Quand il a quitté l’hôpital, le diagnostic était le suivant: séquelles résiduelles d’empoisonnement à l’hydrocarbure, encéphalopathie toxique, syndrome asthénique modéré, et bronchite chronique en phase de rémission. On aurait recommandé la consultation d’un neurologue et d’un thérapeute. M. Zheludkov a été déclaré apte au travail.

6.5L’État partie ajoute que pendant la période où il était en détention, du 27 mai 1994 au 29 décembre 1998, M. Zheludkov a demandé à plusieurs reprises des soins médicaux pour diverses raisons, et souligne qu’à aucun moment entre son arrestation et sa libération il ne s’est plaint de ne pas avoir été soigné ou d’avoir été mal soigné.

6.6En conséquence, l’État partie conclut que les informations contenues dans la décision de recevabilité au sujet des mauvaises conditions qui règnent dans le centre de détention provisoire de Marioupol et au sujet de l’absence de soins médicaux dans les lieux où M. Zheludkov est resté détenu pendant l’enquête ainsi qu’en prison, sans avoir accès à son dossier médical, devraient être considérées comme non étayées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

7.1Dans ses commentaires datés du 27 janvier 2001, l’auteur dit que l’État partie n’a pas réfuté l’argument selon lequel son fils n’avait pas été présenté à une autorité judiciaire compétente pendant 50 jours après son arrestation. L’article 148 du Code de procédure pénale ne fixe, d’après l’auteur, aucun délai dans lequel les personnes en état d’arrestation doivent être informées des accusations qui pèsent contre elles. L’affirmation de l’État partie qui dit que M. Zheludkov a été inculpé formellement le 14 septembre n’est étayée par aucune preuve documentaire et est en conséquence une invention. L’auteur ajoute que l’article 155 du Code de procédure pénale dispose que toute personne arrêtée ne peut être gardée à vue pendant plus de trois jours et, au bout de ces trois jours, elle doit être transférée dans un centre de détention. Les seules exceptions sont les cas où il n’existe pas de centre de détention ou les cas où le transfert est impossible à cause du mauvais état des routes. Or, le fils de l’auteur était gardé à vue près de Marioupol, où il existe un centre de détention. L’auteur ajoute que les conditions de détention étaient mauvaises car le centre n’était pas conçu pour héberger des détenus pendant plus de 3 jours, et son fils y est resté 10 jours.

7.2L’auteur dit que le centre de détention n’a pas reçu le même dossier médical que celui qui pouvait être consulté pendant l’enquête préliminaire. Elle affirme donc qu’il manquait des documents. Il y aurait dans le dossier complet les conclusions d’un examen médical que son fils avait subi à sa propre demande, en rapport avec le fait qu’il ait déclaré avoir été roué de coups. Il manquerait également des documents relatifs à son état de santé après l’empoisonnement et d’autres documents. D’après l’auteur, cela aurait eu pour effet d’empêcher son fils d’être correctement soigné pendant cette période.

7.3L’auteur joint des copies de documents qui montrent que le conseil a demandé plusieurs fois à consulter le dossier médical de M. Zheludkov, mais en vain. De l’avis de l’auteur, l’État partie ne peut pas continuer à affirmer qu’il ne lui est pas possible de déterminer si M. Zheludkov, son conseil ou sa mère avaient saisi l’administration pénitentiaire d’une demande de certificat attestant son état de santé ou d’une demande de consultation du dossier médical.

Délibérations du Comité

8.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.2Le Comité doit déterminer si l’État partie a commis une violation des droits consacrés aux paragraphes 2 et 3 de l’article 9 du Pacte et au paragraphe 1 de l’article 10. Le Comité note que l’auteur se plaint que son fils soit resté plus de 50 jours détenu sans être informé des charges retenues contre lui et n’ait pas été traduit devant une autorité judiciaire compétente pendant tout ce temps et, de plus, que les soins médicaux étaient insuffisants, et que son fils n’ait pas pu avoir accès au dossier médical le concernant.

8.3Le Comité prend note de la réponse de l’État partie qui affirme que, après son arrestation le 4 septembre 1992 parce qu’il était soupçonné d’avoir participé à un viol, M. Zheludkov a été maintenu en détention avec l’accord du procureur compétent du district de Novoazosk, le 7 septembre 1992, et qu’il a été inculpé le 14 septembre 1992 − dans le délai légal de 10 jours. Il note aussi l’allégation de l’auteur selon laquelle son fils n’a été informé des charges précises retenues contre lui qu’après 50 jours de détention, et qu’il n’a pas été traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires pendant cette période. L’État partie n’a pas contesté que M. Zheludkov n’a pas été présenté dans le plus court délai à un juge après son arrestation pour une infraction pénale, mais a dit qu’il avait été placé en détention provisoire sur décision du procureur (prokuror). L’État partie n’a pas fourni suffisamment d’informations indiquant que le procureur avait l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considéré comme «une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. Le Comité conclut donc que l’État partie a violé les droits reconnus à M. Zheludkov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

8.4Pour ce qui est de l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 10 qui est en rapport avec le traitement qu’aurait subi M. Zheludkov en détention, notamment sur le plan médical, et l’accès à son dossier médical, le Comité prend note de la réponse de l’État partie selon laquelle M. Zheludkov a reçu des soins médicaux, a subi des examens et a été hospitalisé pendant qu’il était au centre et en prison et qu’un certificat médical fondé sur le dossier médical de M. Zheludkov a été délivré, après qu’une demande eut été formulée le 2 mars 1994. Toutefois, ces déclarations ne permettent pas de réfuter l’argument présenté au nom de la victime présumée selon lequel en dépit de demandes répétées, les autorités de l’État partie n’ont pas autorisé l’accès direct au dossier médical de M. Zheludkov. Le Comité n’est pas en position de déterminer dans quelle mesure le dossier médical en question serait utile pour l’évaluation des conditions dans lesquelles M. Zheludkov avait été détenu, et notamment des soins médicaux qui lui ont été dispensés. L’État partie n’ayant pas expliqué pourquoi l’accès au dossier médical a été refusé, le Comité considère que le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. En conséquence, dans les circonstances de la présente communication, le Comité conclut que le refus continu et inexpliqué d’autoriser l’accès au dossier médical de M. Zheludkov doit être considéré comme un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 9 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

10.Le Comité est d’avis que M. Zheludkov a droit, en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, à un recours utile, sous la forme d’une indemnisation. L’État partie doit prendre des mesures efficaces pour veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas, en particulier en faisant immédiatement en sorte que les décisions de prolongation de la garde à vue soient prises par une autorité judiciaire ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être considérée comme «une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires» au sens du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Nisuke Ando

Je souscris à la décision du Comité qui a établi que l’État partie avait violé les droits reconnus à M. Zheludkov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte (8.3). Toutefois, il m’est difficile de le suivre quand il conclut que le refus continu et inexpliqué de l’État partie d’autoriser l’accès au dossier médical constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 (8.4).

Premièrement, l’État partie explique bien que, suite à la procédure engagée par la mère de M. Zheludkov et à la demande de son conseil, un certificat médical concernant son état de santé a été établi et signé par le médecin du centre et que les renseignements portés dans le certificat correspondaient entièrement au contenu du dossier médical (6.3). Deuxièmement, le Comité admet qu’il n’est pas en position de déterminer dans quelle mesure le dossier médical en question serait utile pour évaluer les conditions dans lesquelles M. Zheludkov a été détenu, et notamment les soins médicaux qui lui ont été dispensés (8.4).

J’estime certes que l’État partie devrait permettre à M. Zheludkov de consulter son dossier médical; mais je ne peux me convaincre que le refus d’autoriser l’accès au dossier médical constitue en tant que tel une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte par l’État partie dans le cas d’espèce.

(Signé) Nisuke Ando

Opinion individuelle de M. P. N. Bhagwati

J’ai lu le texte des constatations adoptées par la majorité des membres du Comité. Si je me rallie à la position de la majorité, qui estime que l’État partie a violé les droits reconnus à M. Zheludkov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, je ne peux pas souscrire à l’idée que le refus continu et inexpliqué de l’État partie d’autoriser l’accès au dossier médical de M. Zheludkov constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

L’État partie a affirmé, comme il est indiqué au paragraphe 6.3 de la communication, qu’à la suite d’une procédure engagée par l’auteur, une copie d’un certificat médical concernant l’état de santé de son fils, établi le 2 mars 1994 à la demande de son conseil et signé par le médecin du centre, lui avait été donnée et que les renseignements portés dans le certificat correspondaient entièrement au contenu du carnet médical. Cette affirmation n’a pas été réfutée ni contestée par l’auteur. En l’espèce, il est difficile d’apprécier ou de déterminer quelles informations supplémentaires sur la santé ou l’état physique de son fils l’auteur aurait pu obtenir si elle avait eu accès au dossier médical et en quoi le fait de ne pas y avoir accès l’a empêché d’établir que les droits de son fils en vertu du paragraphe 1 de l’article 10 avaient été violés. J’estime qu’en tout état de cause, le refus d’autoriser l’accès au dossier médical ne pouvait constituer en soi une violation du paragraphe 1 de l’article 10 car la mère voulait consulter le dossier médical uniquement afin d’obtenir des preuves pour établir l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 et le refus de communiquer de telles preuves ne saurait être considéré comme une violation de cet article.

En conséquence, je ne peux partager l’avis de la majorité qui a conclu que le refus d’autoriser l’accès au dossier médical constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

(Signé) P. N. Bhagwati

Opinion individuelle de M me Cecilia Medina Quiroga

J’approuve la décision du Comité dans l’affaire examinée mais je ne partage pas son raisonnement quant à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte, comme il est indiqué au paragraphe 8.4 des constatations.

J’estime que le raisonnement du Comité se fonde sur une interprétation exagérément restrictive du paragraphe 1 de l’article 10, en ce sens qu’il établit un lien entre la violation de cet article et l’importance que l’accès au dossier médical de M. Zheludkov aurait pu avoir eu égard aux soins médicaux qu’il a reçus en prison, afin d’évaluer les conditions dans lesquelles il a été détenu, et notamment les soins médicaux qui lui ont été dispensés.

Aux termes du paragraphe 1 de l’article 10, toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Cela signifie, à mon avis, que les États ont l’obligation de respecter et de protéger tous les droits fondamentaux des individus, dans la mesure où ils reflètent les divers aspects de la dignité humaine protégés par le Pacte, y compris dans le cas des personnes privées de liberté. En conséquence, l’article entraîne une obligation de respect qui s’applique à tous les droits de l’homme reconnus dans le Pacte. Cette obligation ne peut porter atteinte au droit ou aux droits autres que le droit à la liberté individuelle qui sont la conséquence absolument nécessaire de la privation de liberté, chose qu’il appartient à l’État de justifier.

Le droit d’avoir accès à son dossier médical fait partie du droit qu’a chacun d’avoir accès aux informations qui le concernent. L’État partie n’a pas justifié son refus d’autoriser l’accès au dossier et le simple fait de rejeter la demande de la victime constitue donc une violation de l’obligation qui lui incombe de respecter le droit de chacun d’être «traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine», que ce refus ait eu ou non des conséquences pour les soins médicaux de la victime.

(Signé) Cecilia Medina Quiroga

Opinion individuelle de M. Rafael Rivas Posada

Je souscris à la conclusion formulée au paragraphe 8.3 de la décision, où le Comité établit que l’État partie a violé les droits reconnus au fils de l’auteur par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, mais je ne partage pas l’avis exprimé au paragraphe 8.4 de la décision selon lequel le refus d’autoriser l’accès au dossier médical de M. Zheludkov constitue un motif suffisant pour conclure à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

Premièrement, je ne considère pas que l’auteur ait montré de façon suffisante que les autorités ont agi injustement en refusant de lui communiquer le dossier médical de son fils en dépit de demandes répétées. Il est vrai qu’à deux reprises, le 30 septembre et le 31 octobre 1994, les autorités ont répondu qu’elles ne pouvaient le lui transmettre, la première fois au motif que le détenu avait été transféré en prison et que son dossier avait suivi et la seconde parce que le détenu avait été hospitalisé pour subir des examens et que l’on avait donc besoin de son dossier. La troisième réponse à la demande de l’auteur émanait du Ministère de l’intérieur, qui expliquait que donner cette autorisation était la prérogative des tribunaux. À première vue, aucune de ces réponses ne semblent infondées. De surcroît, les autorités ont établi un certificat médical le 2 mars 1994 qui, d’après elles, comportait tous les renseignements concernant le dossier médical. Cette affirmation de l’État partie n’est pas contestée par l’auteur, qui ne s’est jamais plainte que son fils ait subi un préjudice pour n’avoir pas pu consulter son dossier médical, dont le Comité n’est pas sûr qu’il ait jamais existé.

Deuxièmement, un dossier médical est simplement un outil qui permet de déterminer les soins médicaux à apporter et de faciliter le traitement. Il ne constitue pas une fin en soi mais il est un moyen d’obtenir un résultat, en l’occurrence préserver ou rétablir la santé d’une personne.

En l’espèce, l’État partie soutient que M. Zheludkov a reçu les soins médicaux requis par son état et, au paragraphe 8.4, le Comité ne se réfère pas à l’absence de soins médicaux pour conclure à l’existence d’une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte mais seulement au refus d’autoriser l’accès au dossier médical. Il est à mon avis contradictoire de dire que le refus de communiquer les documents qui devraient être contenus dans le dossier médical, dont on était censé avoir besoin pour assurer au détenu la prise en charge voulue, constitue une violation du Pacte tout en reconnaissant implicitement que les soins étaient satisfaisants, l’auteur n’ayant pas fondé sa plainte sur cette question.

Dernier point mais non le moins important, puisqu’il s’agit de l’argument clef de mon opinion dissidente: même si l’importance de la possession du dossier médical était sans rapport avec les soins médicaux auxquels un détenu a droit, je ne pense pas qu’il faille pousser aussi loin l’interprétation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Conclure que le refus d’autoriser une personne privée de liberté à avoir accès à son dossier médical − à supposer que ce refus soit prouvé − constitue un traitement «inhumain» et est contraire au respect de la dignité inhérente à la personne, dépasse le champ d’application de ce paragraphe et risque de porter atteinte à un principe fondamental qui ne doit faire l’objet d’aucune interprétation fantaisiste.

Pour les raisons exposées ci-dessus, je ne souscris pas à la partie du paragraphe 9 de la décision relative à la communication no 726/1996 qui établit une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 10.

Le 5 novembre 2002

(Signé) Rafael Rivas Posada

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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