Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

RESTREINTE*

CCPR/C/76/D/757/1997

9 décembre 2002

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMESoixante‑seizième session14 octobre-1er novembre 2001

CONSTATATIONS

Communication no 757/1997

Présentée par:Mme Alzbeta Pezoldova (représentée par un conseil, Lord Lester of Herne Hill)

Au nom de:L’auteur

État partie:République tchèque

Date de la communication:30 septembre 1996 (lettre initiale)

Décisions antérieures:Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 28 mai 1997 (non publiée sous forme de document)

Décision concernant la recevabilité prise le 9 juillet 1999.

Date de l’adoption des constatations:25 octobre 2002

[ANNEXE]

ANNEXE

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte internationalrelatif aux droits civils et politiques

– Soixante‑seizième session –

concernant la

Communication no 757/1997**

Présentée par:Mme Alzbeta Pezoldova (représentée par un conseil, Lord Lester of Herne Hill)

Au nom de:L’auteur

État partie:République tchèque

Date de la communication:30 septembre 1996 (lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2002,

Ayant achevé l’examen de la communication no 757/1997 présentée par Mme Alzbeta Pezoldova, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et par l’État partie,

Adopte les constatations suivantes:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Mme Alzbeta Pezoldova, citoyenne tchèque résidant à Prague (République tchèque). Elle affirme être victime de violations, par la République tchèque, des articles 26, 2 et 14 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par un conseil. Le Pacte est entré en vigueur pour la République tchèque en mars 1976 et le Protocole facultatif en juin 1991.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Mme Pezoldova est née le 1er octobre 1947 à Vienne et est la fille et l’héritière légitime de Jindrich Schwarzenberg. Elle déclare que le Gouvernement allemand nazi a confisqué, en 1940, tous les biens de sa famille en Autriche, en Allemagne et en Tchécoslovaquie, dont une propriété en Tchécoslovaquie connue sous le nom de «Stekl». Elle affirme que ces biens ont été confisqués parce que son grand‑père adoptif, Adolf Schwarzenberg, était un opposant à la politique nazie. Ce dernier a quitté la Tchécoslovaquie en septembre 1939 et est décédé en Italie en 1950. Le père de l’auteur, Jindrich Schwarzenberg, a été arrêté par les Allemands en 1943 et déporté à Buchenwald, d’où il a été libéré en 1944. Il s’est exilé aux États‑Unis et n’est pas rentré en Tchécoslovaquie après la guerre.

2.2Après la Seconde Guerre mondiale, en 1945, les biens de la famille ont été placés sous administration nationale par le Gouvernement tchécoslovaque. En application du décret no 12 du 21 juin 1945 et du décret no 108 du 25 octobre 1945, promulgués par le Président tchécoslovaque Edward Benes, les biens immobiliers et les terres agricoles des personnes d’origine allemande et hongroise ont été confisqués. Ces décrets ont été appliqués à la propriété des Schwarzenberg au motif que Schwarzenberg était d’origine allemande, bien qu’il eût toujours été un loyal citoyen tchèque et défendu les intérêts de la Tchécoslovaquie.

2.3Le 13 août 1947, une loi sur la confiscation de biens d’application générale, la loi no 142/1947, a été adoptée. Cette loi autorisait le Gouvernement à nationaliser, en échange d’une indemnisation, les terres agricoles de plus de 50 hectares et les entreprises industrielles employant plus de 200 travailleurs. Toutefois, cette loi n’a pas été appliquée s’agissant de la propriété des Schwarzenberg, car le même jour une loi spéciale, la loi no 143/1947 (dite «Lex Schwarzenberg») a été promulguée, prévoyant le transfert des biens des Schwarzenberg à l’État sans indemnisation alors que ces biens avaient déjà été confisqués en application des décrets Benes nos 12 et 108. L’auteur affirme que la loi no 143/1947 était inconstitutionnelle, discriminatoire et arbitraire, perpétuait et officialisait les persécutions à l’égard de la famille Schwarzenberg commises précédemment par les nazis. Selon l’auteur, la loi n’a pas eu d’effet automatique sur la confiscation opérée au préalable en application des décrets Benes. Toutefois, le 30 janvier 1948, la mesure de confiscation des terres agricoles des Schwarzenberg en application des décrets nos 12 et 108 a été annulée. Le représentant des Schwarzenberg en a été informé par une lettre du 12 février 1948 et les parties ont été autorisées à faire appel dans les 15 jours. L’auteur déclare en conséquence que la mesure d’annulation n’a pris effet qu’après le 27 février 1948 (soit deux jours après la date fixée dans la loi no 229/1991 comme début de la période prise en considération aux fins de la restitution de biens, c’est‑à‑dire le 25 février 1948).

2.4Selon l’auteur, le transfert des biens ne découlait pas automatiquement de l’entrée en vigueur de la loi no 143/1947, mais était subordonné à l’inscription au cadastre du transfert des droits de propriété correspondants. À ce propos, l’auteur signale que le régime d’administration nationale (voir par. 2.2) est demeuré en vigueur jusqu’à juin 1948 et que l’enregistrement des biens par les bureaux du cadastre et les tribunaux montre qu’à l’époque la loi no 143/1947 n’était pas considérée comme ayant pour effet immédiat le transfert de la propriété.

2.5Après l’effondrement du régime communiste en 1989, plusieurs lois sur la restitution de biens ont été adoptées. S’appuyant sur la loi no 229/1991, l’auteur s’est adressée aux autorités foncières régionales pour obtenir restitution, mais ses demandes ont été rejetées par les décisions des 14 février, 20 mai et 19 juillet 1994.

2.6Le tribunal municipal de Prague, par ses décisions du 27 juin 1994 et du 28 février 1995, a rejeté le recours de l’auteur et a statué que la propriété des biens avait été licitement et automatiquement transférée à l’État le 13 août 1947 par l’effet de la loi no 143/1947. Étant donné que, selon la loi no 229/1991 sur les restitutions, la période pouvant être prise en considération pour l’examen des demandes de restitution avait commencé le 25 février 1948, le tribunal municipal de Prague a jugé que l’auteur ne pouvait prétendre à restitution. Le tribunal municipal a rejeté la demande de l’auteur visant à ce que la procédure soit suspendue afin de demander à la Cour constitutionnelle de statuer sur la question de l’inconstitutionnalité et de la nullité de la loi no 143/1947.

2.7Le 9 mars 1995, la requête déposée par l’auteur devant la Cour constitutionnelle concernant la décision du tribunal municipal du 27 juin 1994 a été rejetée. La Cour a confirmé la décision du tribunal municipal selon laquelle les biens avaient été transférés à l’État automatiquement par l’effet de la loi no 143/1947 et a refusé d’examiner la question de savoir si la loi no 143/1947 était inconstitutionnelle et nulle. L’auteur n’a pas fait appel devant la Cour constitutionnelle de la décision rendue par le tribunal municipal le 28 février 1995 car son recours aurait été vain, compte tenu du rejet de son premier appel.

2.8Selon l’auteur, l’interprétation des tribunaux selon laquelle le transfert des biens était opéré automatiquement sans qu’ils soient nécessairement enregistrés au cadastre est en contradiction flagrante avec la pratique de l’époque et avec le texte de la loi elle‑même, qui montrent que l’enregistrement était une condition nécessaire au transfert de biens, lequel, en l’espèce, a eu lieu après le 25 février 1948.

2.9La requête présentée par l’auteur à la Commission européenne des droits de l’homme le 24 août 1995 au sujet de sa demande de restitution de la propriété «Stekl» et de la façon dont les tribunaux tchèques avaient traité cette demande a été déclarée irrecevable le 11 avril 1996. L’auteur déclare que la Commission n’a pas examiné sa plainte sur le fond et ajoute que la communication qu’elle présente au Comité des droits de l’homme a une portée plus large que sa plainte devant la Commission européenne des droits de l’homme.

2.10En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur déclare qu’elle ne dispose pas d’autres recours internes utiles contre le rejet et l’exclusion de sa demande de réparation − sous forme de restitution ou d’indemnisation − pour la confiscation illicite, arbitraire et discriminatoire de ses biens et contre le déni de justice dont elle a été victime à propos de cette demande de réparation.

2.11Il ressort des informations fournies que l’auteur continue à demander la restitution de différentes parties des biens de sa famille, en application de la loi no 243/1992 qui prévoit la restitution des biens confisqués en vertu des décrets Benes. Sa demande a été rejetée le 30 avril 1997 par le tribunal municipal de Prague au motif que les biens de la famille de l’auteur n’avaient pas été confisqués en vertu des décrets Benes, mais de la loi no 143/1947. Selon le conseil, le tribunal n’a donc pas tenu compte du fait que les biens ont été en réalité confisqués par l’État en vertu des décrets Benes en 1945 et qu’ils n’ont jamais été restitués aux propriétaires légitimes, de sorte que la loi no 143/1947 ne pouvait pas avoir et n’a pas eu pour effet le transfert des biens de la famille Schwarzenberg à l’État. Le tribunal a refusé de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la constitutionnalité de la loi no 143/1947, estimant qu’une telle démarche n’aurait aucune incidence sur l’issue de l’affaire. Le 13 mai 1997, la Cour constitutionnelle n’a pas examiné l’allégation de l’auteur selon laquelle la loi no 143/1947 était inconstitutionnelle, considérant que l’auteur n’avait pas qualité pour soumettre une proposition visant à annuler ladite loi.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que la persistance des autorités tchèques, y compris de la Cour constitutionnelle tchèque, à refuser de reconnaître et de déclarer que la loi no 143/1947 est une loi spéciale discriminatoire et en tant que telle nulle et sans effet, constitue une atteinte arbitraire, discriminatoire et inconstitutionnelle persistante au droit de l’auteur de jouir en toute quiétude de son héritage et de ses biens, y compris à son droit à restitution et indemnisation. Par ailleurs, la loi no 229/1991 sur les restitutions est contraire à l’article 26 du Pacte, puisqu’elle prévoit une discrimination arbitraire et injuste parmi les victimes de précédentes confiscations de biens.

3.2À ce sujet, l’auteur explique que la loi no 143/1947, conjuguée à la loi no 229/1991, a pour effet de la soumettre à une discrimination arbitraire et injuste en l’empêchant de recourir contre la confiscation de biens. Elle dit qu’elle est victime de différences de traitement arbitraires par rapport à d’autres victimes de précédentes confiscations. À cet égard, elle se réfère à l’interprétation pernicieuse de la loi no 143/1947 par les tribunaux tchèques, selon laquelle cette loi aurait eu pour effet le transfert automatique des biens à l’État tchèque, au refus de la Cour constitutionnelle d’examiner la constitutionnalité de la loi no 143/1947, à l’interprétation arbitraire et dénuée de cohérence de la loi no 142/1947 et de la loi no 143/1947, au choix arbitraire de la date du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération et à la confirmation par les tribunaux en place après 1991 de la distinction arbitraire faite entre la loi no 142/1947 et la loi no 143/1947 pour ce qui est de la restitution des biens.

3.3Le conseil renvoie à une décision rendue le 13 mai 1997 par la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la loi no 229/1991, dans laquelle la Cour a considéré qu’il existait des motifs raisonnables et objectifs d’exclusion de toutes les autres requêtes en restitution de biens du simple fait que la loi était l’expression manifeste de la volonté politique du législateur de soumettre les requêtes en restitution à la condition fondamentale de l’existence de ladite période fixée et que le législateur entendait clairement définir une date limite.

3.4S’agissant de l’allégation de discrimination arbitraire et injuste entre l’auteur et les victimes de confiscations de biens en vertu de la loi no 142/1947, le conseil indique que les confiscations opérées en vertu de cette loi ont été annulées conformément au paragraphe 1 de l’article 32 de la loi no 229/1991, mais que le législateur tchèque n’a pas fait de même pour les confiscations opérées en vertu de la loi no 143/1947. Elle ajoute que, dans le cas de la loi no 142/1947, c’est la date d’inscription au cadastre ou de prise de possession effective qui est considérée par la Cour constitutionnelle comme pertinente pour établir le droit à indemnisation, tandis que, dans le cas de la loi no 143/1947, la date considérée comme pertinente est celle de la promulgation de la loi. L’auteur déclare à ce propos que le comté de Bohême n’a pas pris possession des biens avant mai 1948.

3.5L’auteur déclare également qu’il existe une discrimination arbitraire et injuste entre elle‑même et les autres victimes de confiscations de biens effectuées en application des décrets Benes de 1945, car ces victimes peuvent prétendre à restitution au titre desdits décrets et en vertu des lois nos 87/1991 et 229/1991, lues conjointement avec la loi no 243/1992, en ce qui concerne les biens confisqués tant avant qu’après le 25 février 1948, si elles peuvent faire la preuve de leur loyalisme envers la République tchèque et de leur innocence de tous actes illicites à l’encontre de l’État tchécoslovaque, alors que l’auteur se voit refuser cette possibilité du fait que, selon les jugements rendus après 1991, les expropriations opérées en application des décrets Benes ont été annulées par la promulgation de la loi no 143/1947.

3.6L’auteur déclare que le fait de la priver de tout recours utile contre la confiscation arbitraire, illégale, injuste et discriminatoire de ses biens en application des décrets Benes et de la loi no 143/1947 constitue à son encontre, de la part des autorités publiques − législatives, exécutives et judiciaires − de la République tchèque, un traitement arbitraire, illégal, injuste, discriminatoire et inconstitutionnel, contrevenant aux obligations qui incombent à la République tchèque en vertu des articles 2 et 26 du Pacte. À cet égard, elle déclare que les considérations du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Simunek sont directement pertinentes dans son propre cas.

3.7En ce qui concerne ses allégations au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, l’auteur déclare avoir été victime d’un déni du droit à l’égalité devant les tribunaux tchèques et du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, y compris du droit d’avoir un accès effectif à un tel tribunal. Elle fait référence à ce propos à la manière dont les tribunaux ont rejeté sa demande de restitution, à la jurisprudence plus favorable de la Cour constitutionnelle dans des affaires comparables et au refus de la Cour constitutionnelle de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi no 143/1947.

3.8À ce sujet, l’auteur souligne qu’il est intrinsèquement contraire à la logique et au bon sens de la part de la Cour constitutionnelle d’avoir confirmé les effets en droit de la loi no 143/1947, tout en déclarant simultanément que la question de la validité constitutionnelle de cette loi n’avait pas de rapport avec la détermination des droits de l’auteur. En outre, en prenant sa décision, la Cour s’est écartée de sa propre jurisprudence et de ses fonctions pour ce qui est d’annuler la législation discriminatoire.

Observations de l’État partie

4.1Dans une lettre datée du 4 décembre 1997, l’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione temporis car manifestement mal fondée et également en raison du non‑épuisement des recours internes. Exposant les origines de la législation relative à la restitution de biens, l’État partie indique que celle‑ci avait pour but de remédier aux séquelles du régime communiste totalitaire et qu’en toute logique elle ne s’appliquait qu’à partir de la date à laquelle les communistes avaient pris le pouvoir; il s’agissait d’une loi n’entraînant pas d’obligations et dont l’objectif n’avait jamais été l’indemnisation générale.

4.2Selon l’État partie, la communication est manifestement dénuée de fondement car il ressort clairement du texte de la loi no 143/1947 que les biens en question d’Adolf Schwarzenberg ont été dévolus à l’État en application de la loi avant le 25 février 1948, date fixée dans la loi no 229/1991 comme début de la période prise en considération. L’État partie précise que l’enregistrement des biens n’était nécessaire que pour les changements de propriété par voie de transfert (exigeant le consentement de l’ancien propriétaire) et non pas pour les changements de propriété par voie de dévolution (n’exigeant pas le consentement du propriétaire). Dans ce dernier cas, l’enregistrement des biens n’est qu’une formalité visant à garantir la propriété de l’État contre des tierces personnes. De plus, la loi no 243/1992 ne s’applique pas dans le cas de l’auteur car ses dispositions ne portent explicitement que sur les expropriations opérées en application des décrets Benes.

4.3L’État partie déclare que le Comité est incompétent ratione temporis pour examiner l’allégation de l’auteur selon laquelle la loi no 143/1947 était inconstitutionnelle ou discriminatoire. Il reconnaît que le Comité serait compétent ratione temporis pour examiner des cas relevant soit de la loi no 229/1991, soit de la loi no 243/1992, y compris des cas qui se seraient produits dans la période précédant la date d’entrée en vigueur du Pacte pour la République tchèque. Toutefois, étant donné qu’aucune de ces deux lois ne s’applique dans le cas de l’auteur, les actes juridiques découlant de la loi no 143/1947 sont ratione temporis, en dehors du champ d’application du Pacte.

4.4Enfin, l’État partie fait observer que la communication adressée au Comité a une portée plus large que la requête présentée par l’auteur à la Cour constitutionnelle et qu’elle est en conséquence irrecevable en raison du non‑épuisement des recours internes. À cet égard, l’État partie rappelle que 27 plaintes déposées par l’auteur sont toujours en instance devant la Cour constitutionnelle.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans ses commentaires concernant les observations de l’État partie, l’auteur ne conteste pas l’argument de l’État partie selon lequel la législation n’a jamais visé à garantir une indemnisation générale, mais fait observer que la plainte dans l’affaire à l’étude concerne la façon dont cette législation a été appliquée dans son cas puisqu’elle a été ainsi exclue de façon discriminatoire de tout recours utile en matière de restitution ou d’indemnisation pour la confiscation illégale des biens de sa famille, en violation de son droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi. La plainte concerne également le déni de son droit à l’égalité devant les tribunaux tchèques et à ce que sa cause soit entendue équitablement.

5.2Pour ce qui est de l’argument de l’État partie, selon lequel la communication est manifestement dénuée de fondement, le conseil renvoie au régime juridique en matière de restitution et d’indemnisation, qui consiste en différentes lois et manque de transparence. L’auteur conteste la version des faits présentés par l’État partie et maintient que les biens de sa famille ont été illégalement confisqués par l’État en application des décrets Benes nos 12/1945 et 108/1945 et que la loi no 143/1947 n’avait pas pour effet la confiscation des biens de la famille. Si toutefois − ce que l’auteur conteste − la loi no 143/1947 avait effectivement pour effet de priver sa famille de ses biens comme le laisse entendre l’État partie, l’auteur s’élève alors contre l’affirmation de l’État partie selon laquelle les biens ont été confisqués avant la date prescrite du 25 février 1948. À cet égard, l’auteur renvoie aux renseignements qu’elle a fournis précédemment et déclare que les tribunaux se sont refusés à reconnaître le caractère arbitraire, injuste et inconstitutionnel de la mesure visant à fixer au 25 février 1948 la date à partir de laquelle les demandes pouvaient être prises en considération.

5.3L’auteur note que l’État partie n’a pas pris en considération le fait que la Cour constitutionnelle a refusé d’examiner sa requête concernant la constitutionnalité de la loi no 143/1947, l’ayant déclarée irrecevable.

5.4À propos de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable ratione temporis, l’auteur fait observer que sa plainte n’est pas que les dispositions de la loi no 143/1947 sont contraires à celles du Pacte, mais que les actes et les omissions des pouvoirs publics de l’État partie après l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif, qui l’ont privée de façon discriminatoire d’un recours utile en matière de restitution et d’indemnisation, constituent des violations du Pacte.

5.5Pour ce qui est de l’argument de l’État partie qui affirme que sa communication a une portée plus large que la plainte qu’elle a déposée devant la Cour constitutionnelle et que plusieurs requêtes sont encore en instance devant la Cour constitutionnelle, l’auteur déclare que cette situation est due au fait que les tribunaux se sont refusés à traiter du fond de son affaire et au manque de coopération des autorités, qui ont négligé d’enquêter et de l’aider à éclaircir les questions intervenant en l’espèce.

5.6Dans une autre lettre datée du 12 janvier 1999, l’auteur informe le Comité des faits nouveaux survenus dans son affaire. Elle cite les décisions prises par la Cour constitutionnelle le 4 septembre 1998, par lesquelles la Cour a déclaré que ses demandes de restitution en vertu de la loi no 243/1992 n’avaient pas été déposées dans les délais prescrits en la matière dans ladite loi. Elle indique que la date limite de dépôt des requêtes était le 31 décembre 1992 et que, pour les personnes habilitées qui, au 29 mai 1992, ne résidaient pas en République tchèque, cette date limite était le 15 juillet 1996. L’auteur, étant devenue citoyenne et résidente tchèque en 1993, a déposé sa requête le 10 juillet 1996. Toutefois, le tribunal a rejeté sa requête car elle n’était pas citoyenne au 29 mai 1992 et ne faisait donc pas partie des personnes habilitées selon les termes de la loi.

5.7L’auteur déclare que la condition requise consistant à avoir la citoyenneté tchèque constitue une violation de ses droits en vertu des articles 2 et 26 du Pacte. À cet égard, elle renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Simunek (communication no 516/1992).

5.8Le conseil ajoute que, dans une décision du 26 mai 1998 concernant le palais Salm à Prague, la Cour constitutionnelle a décidé que la demande en restitution de l’auteur était irrecevable en raison du dépassement de la date limite et qu’elle n’était en conséquence pas tenue de décider si l’auteur avait ou non droit à un titre de propriété. Selon l’auteur, en refusant de se prononcer sur sa demande de reconnaissance de droit de propriété, la Cour lui a refusé son droit à la justice, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Considérations relatives à la recevabilité

6.1À sa soixante‑sixième session, en juillet 1999, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

6.2Le Comité a considéré que les allégations de l’auteur concernant la loi no 143/1947 ne relevaient pas de sa compétence ratione temporis et qu’elles étaient donc irrecevables en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle elle n’a pas eu droit à ce que sa cause soit entendue équitablement en raison de la façon dont les tribunaux ont interprété les lois à appliquer dans son cas, le Comité a rappelé qu’il appartient essentiellement aux tribunaux et aux autorités de l’État partie concerné d’interpréter la législation interne et déclaré que cette partie de la communication était irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité a également considéré irrecevable l’allégation de l’auteur selon laquelle elle était victime d’une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en raison du fait que les tribunaux avaient refusé de déterminer si elle avait un droit juridique de propriété. Le Comité a considéré que l’auteur n’avait pas étayé son allégation, aux fins de la recevabilité, selon laquelle le refus des tribunaux était arbitraire, ni son allégation selon laquelle le refus du Gouvernement d’examiner la constitutionnalité de la loi no 143/1947 constituait une violation du paragraphe 1 de l’article 14.

6.5À propos de l’objection faite par l’État partie qui affirme que la communication était irrecevable au motif du non‑épuisement des recours internes, le Comité a noté que toutes les questions soulevées dans la communication à l’étude avaient été portées devant les tribunaux nationaux de l’État partie à l’occasion des diverses demandes déposées par l’auteur et qu’elles ont été examinées par la plus haute autorité judiciaire de l’État partie. Le Comité a considéré en conséquence qu’il n’était pas empêché d’examiner la communication par la condition établie au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité a noté qu’une plainte analogue déposée par l’auteur avait été déclarée irrecevable par la Commission européenne des droits de l’homme le 11 avril 1996. Toutefois, les dispositions prévues au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif n’empêchaient pas le Comité de déclarer recevable la communication à l’étude car la question n’était plus à l’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et l’État partie n’avait pas formulé de réserve au titre du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.7Le 9 juillet 1999, le Comité a décidé en conséquence que les allégations restantes, selon lesquelles l’auteur s’était vu refuser l’accès à une voie de recours de façon discriminatoire, étaient recevables car elles pouvaient soulever des questions au titre des articles 2 et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie et de l’auteur quant au fond

7.1Dans une lettre datée du 23 mars 2002, l’auteur renvoie aux constatations du Comité concernant la communication no 774/1997 (Brok c. République tchèque) et, dans les limites de la recevabilité des plaintes au titre des articles 2 et 26 du Pacte, affirme en ce qui concerne la question de l’égalité d’accès que le Ministère de l’agriculture et diverses archives d’État ont systématiquement refusé jusqu’en 2001 à elle‑même et à toutes les autorités foncières, l’accès au dossier complet des procédures de confiscation visant son grand‑père, Adolf Schwarzenberg, et des recours qu’il avait formés en temps utile (voir par. 5.5 ci‑dessus). En particulier, il est affirmé que même en 2001 le conseil de l’auteur s’est vu refuser par le Directeur des affaires juridiques du Ministère, M. Jindrich Urfus, l’examen du dossier Schwarzenberg, et ce n’est qu’au moment où l’auteur a trouvé d’autres documents pertinents dans une autre archive que son conseil a été informé par le Ministère, le 11 mai 2001, que le dossier existait effectivement et qu’il était autorisé à l’examiner. L’auteur affirme également que le 5 octobre 1993 la responsable des archives d’État de Krumlov, Mme Anna Kubikova, lui a refusé l’utilisation de l’archive en présence de son assistante, Mme Zaloha, et l’a éconduite dans ces termes: «Tous les citoyens tchèques sont autorisés à utiliser cette archive, mais vous n’êtes pas autorisée à le faire.». L’auteur affirme que ces refus d’accès illustrent l’inégalité de traitement à laquelle les autorités tchèques la soumettent depuis 1992.

7.2Les documents refusés attestent que la propriété des Schwarzenberg a bien été confisquée en application du décret présidentiel no 12/1945. Les pouvoirs publics de l’État partie non seulement ont empêché l’auteur de découvrir l’intégralité des faits de son affaire, de les porter à l’attention des autorités foncières et des tribunaux et de respecter les délais fixés pour former des plaintes conformément aux lois nos 87/91 et 243/92, mais ont également délibérément induit en erreur toutes les autorités foncières et le Comité des droits de l’homme.

7.3Le 29 novembre 2001, le tribunal régional de Ceske Budejovice (15 Co 633/2001‑115), statuant à charge d’appel, a confirmé que la propriété des Schwarzenberg avait bien été confisquée en application de l’article 1, paragraphe 1 a), du décret no 12/1945, montrant par là que la loi no 143/1947 ne s’appliquait pas. Le tribunal n’a toutefois accordé aucune possibilité de recours à l’auteur, du fait, selon elle, qu’aucun recours n’est ouvert aux personnes considérées comme d’origine allemande ou hongroise.

7.4Le Ministère des affaires foncières a également rejeté les contestations de l’auteur du refus par toutes les autorités foncières de rouvrir diverses procédures de restitution à la lumière des informations capitales qui avaient été dissimulées et que l’auteur est finalement parvenue à se procurer. Elle suppose que les décrets uniformément défavorables pris par plusieurs autorités foncières ont été adoptés sur ordre du Ministère même, ce dernier ayant donné des instructions auxdites autorités à propos d’autres procédures concernant l’auteur.

7.5L’auteur affirme en outre que, en n’appliquant pas la loi no 243/92 relative à la restitution de biens, le tribunal municipal de Prague a passé outre aux conclusions que la Cour constitutionnelle tchèque a adoptées sur la question. L’auteur allègue que ce déni de justice constitue une inégalité de traitement fondée sur sa langue, son origine nationale et sociale et sa fortune.

8.1Par une note verbale datée du 7 juin 2002, l’État partie a formulé les observations suivantes quant au fond. En ce qui concerne la contestation de l’auteur de l’interprétation de la loi no 143/1947 par les tribunaux tchèques, l’État partie estime que «l’interprétation du droit interne incombe au premier chef aux tribunaux et aux autorités de l’État partie en cause. Il n’est pas du ressort du Comité d’apprécier si les autorités compétentes de l’État partie ont interprété et appliqué correctement le droit interne dans le cas d’espèce, sauf s’il est établi qu’elles ne l’ont pas interprété et appliqué de bonne foi ou s’il y a eu à l’évidence un abus de pouvoir. Les procédures engagées devant les tribunaux de la République tchèque dans l’affaire à l’examen sont décrites en détail dans l’observation que l’État partie a adressée au Comité sur la recevabilité de la communication, laquelle observation atteste la légalité de ces procédures. D’un autre côté, l’auteur n’a pas étayé son allégation d’interprétation pernicieuse de la loi no 143/1947».

8.2En ce qui concerne la plainte de l’auteur portant sur une discrimination entre l’interprétation de la loi no 142/1947 et celle de la loi no 143/1947, l’État partie renvoie à l’observation qu’il a formulée sur la recevabilité de la communication, dans laquelle il cite les dispositions pertinentes de la loi no 143/1947 et explique l’interprétation qu’en ont donnée les autorités administratives et judiciaires de la République tchèque.

8.3En ce qui concerne la contestation de l’auteur du choix de la date du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération, choix qu’elle considère arbitraire, l’État partie fait observer que «le Comité a examiné à maintes reprises la question de la compatibilité de la date du 25 février 1948 comme début de la période prise en considération dans la loi de la République tchèque sur la restitution des biens, avec les articles 2 et 26 du Pacte. La République tchèque renvoie à ce propos, aux décisions du Comité dans les affaires Ruediger Schlosser c. République tchèque (communication no 670/1995) et Gerhard Malik c. République tchèque (communication no 669/1995). Dans l’un et l’autre cas le Comité a conclu ainsi: “toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination au sens des articles 2 et 26. Le Comité considère qu’en l’espèce il ne semble pas à première vue que le simple fait que la législation adoptée après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie pour indemniser les victimes de ce régime ne prévoit pas l’indemnisation des victimes d’injustices commises avant la période communiste la rende discriminatoire au sens de l’article 26 du Pacte, ainsi que l’auteur le prétend” (…). La législation relative à la restitution visait à réparer des injustices en matière de propriété commises par le régime communiste dans la période 1948‑1989. La spécification par le législateur de la date marquant le début de la période prise en considération était objective, étant donné que le coup d’État communiste avait eu lieu le 25 février 1948, et justifiée eu égard aux possibilités économiques de l’État qui passait d’un régime totalitaire à un régime démocratique. Il conviendrait également de prendre en compte à cet égard le fait que le droit à restitution n’est pas reconnu en droit international».

8.4Pour ce qui est de la contestation de l’auteur de la distinction faite entre la loi no 142/1947 et la loi no 143/1947 au regard de la restitution des biens, et de la discrimination arbitraire et injuste que les décrets présidentiels de 1945 établiraient entre l’auteur et d’autres victimes de confiscations de biens, l’État partie fait observer que «la législation relative à la restitution ne s’applique pas aux transferts de propriété effectués avant le 25 février 1948, conformément aux lois mettant en œuvre une nouvelle politique économique et sociale de l’État. Ces lois n’étaient pas des instruments de la persécution communiste. Certes, la loi no 229/1991 renvoie à la loi no 142/1947 (par. 1 b) de l’article 6), mais elle prévoit aussi que les transferts de propriété devaient avoir été effectués durant la période prise en considération, à savoir entre le 25 février 1948 et le 1er janvier 1990. En imposant cette condition supplémentaire, la loi no 229/1991 respecte l’objet et l’idée susmentionnés de la législation sur la restitution et énonce les critères objectifs de l’ouverture du droit à la restitution de biens. Les biens du grand‑père de l’auteur de la communication ont été transférés à l’État avant le 25 février 1948 et ne sont par conséquent pas visés par la procédure de restitution des biens liée au régime communiste. La restitution au titre des injustices commises du fait d’une application inappropriée des décrets présidentiels est prévue par la loi no 243/1992, qui vise une situation totalement différente de celle du grand‑père de l’auteur et ne s’applique par conséquent pas dans l’affaire à l’examen».

9.1Dans ses commentaires datés du 24 juin 2002, l’auteur réaffirme qu’elle se plaint essentiellement de ce que les autorités tchèques ont violé son droit à l’égalité de traitement en la privant arbitrairement de son droit à la restitution au titre de la loi no 243/1992, laquelle prévoit qu’un citoyen de la République tchèque (comme l’auteur) dont un ascendant (Adolph Schwarzenberg) a été privé de ses biens conformément au décret présidentiel no 12/1945 ou du décret présidentiel no 108/1945 peut prétendre à la restitution de ces biens. Pour autant que ces derniers aient été saisis au titre de l’un ou l’autre des décrets Benes, aucune disposition du droit tchèque n’impose qu’ils l’aient été durant la période prise en considération que fixent les lois nos 87/1991 et 229/1991, soit à partir du 25 février 1948.

9.2L’auteur affirme que les autorités tchèques ont arbitrairement ignoré les éléments de preuve clairs et sans équivoque qu’elle a produits à partir des dossiers officiels de l’époque, selon lesquels les biens ont été confisqués à Adolph Schwarzenberg par l’État tchécoslovaque en vertu du décret no 12/1945, et que les autorités lui ont refusé toute réparation au motif fallacieux que les biens avaient été confisqués conformément à la loi dite «Lex Schwarzenberg» (loi no 143/1947) et non pas en vertu du décret Benes no 12/1945. Dans leurs observations, les autorités tchèques s’attachent uniquement à justifier la date «limite» du 25 février 1948 fixée dans les lois nos 87/1991 et 229/1991 relatives à la restitution de biens. L’État partie élude les arguments essentiels de l’auteur, à savoir que les biens en question ont été confisqués en application des décrets Benes, et que le fait que la confiscation a eu lieu avant le 25 février 1948 est donc sans objet. L’État partie écarte en une seule phrase l’argument de l’auteur selon lequel elle a droit à la restitution en vertu de la loi no 243/1992, affirmant simplement que «cette loi vise une situation totalement différente de celle du grand‑père de l’auteur et ne s’applique par conséquent pas dans l’affaire à l’examen». Aucun élément de preuve ou argument ne vient étayer cette simple affirmation, qui est démentie par la décision que le tribunal régional de Ceske Budejovice, statuant à charge d’appel, a rendue le 29 novembre 2001. Dans sa décision, le tribunal régional a estimé que les biens d’Adolph Schwarzenberg étaient devenus propriété de l’État en application du décret no 12/1945. Il a affirmé «ne pas douter que les biens d’Adolph Schwarzenberg avaient été transférés à l’État avec effet immédiat en pleine conformité avec le décret no 12/1945. Non seulement l’État partie ne tient aucun compte de la conclusion du tribunal régional dans ses observations, mais il élude également les autres faits et arguments que l’auteur a portés à l’attention du Comité dans sa lettre du 23 mars 2002 (voir plus haut les paragraphes 7.1 à 7.5).

9.3L’auteur renvoie aux éléments du dossier qu’elle a communiqués au Comité, qui montrent que, jusqu’en 2001, les autorités tchèques l’ont systématiquement privée de l’accès aux documents prouvant que les confiscations ont eu lieu en application du décret Benes no 12/1945. En dissimulant ces pièces, les autorités l’ont injustement empêchée de découvrir les faits tels qu’ils se sont produits et d’en informer les autorités foncières et les tribunaux.

9.4L’auteur fait valoir de surcroît que les obiter dicta contenus dans les décisions du Comité relatives à la recevabilité des communications Schlosser c. République tchèque et Malik c. République tchèque, sur lesquels s’appuie l’État partie, sont sans rapport avec sa propre affaire. L’auteur admet que toutes les différences de traitement ne constituent pas une discrimination mais, dans son cas, les faits de l’espèce diffèrent radicalement de ceux des affaires Schlosser et Malik. L’affaire de l’auteur porte sur un déni arbitraire de l’accès à des informations capitales pour l’exercice de ses droits à restitution, et un déni arbitraire du droit de recours prévu par la loi no 243/1992, qui a été adoptée pour réparer des injustices commises dans l’application des décrets Benes, comme celles qu’Adolf Schwarzenberg a subies.

10.L’observation de l’auteur a été transmise à l’État partie le 24 juin 2002. Le Comité n’a pas reçu d’autres commentaires.

Examen quant au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité procède à l’examen de la communication quant au fond en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises par les parties.

11.2La question qui se pose au Comité est celle de savoir si l’auteur a été privée d’accès à un recours utile de manière discriminatoire. Selon l’article 26 du Pacte, toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.

11.3Le Comité note que l’auteur se plaint essentiellement de ce que les autorités tchèques ont violé son droit à l’égalité de traitement pour lui avoir refusé arbitrairement le droit à restitution des biens sur la base des lois nos 229/1991 et 243/1992 en invoquant le fait que les biens de son grand‑père adoptif ont été confisqués en vertu de la loi no 143/1947 et non en vertu des décrets Benes nos 12 et 108/1945 et que, par conséquent, les lois sur la restitution de 1991 et de 1992 ne s’appliquaient pas. Le Comité note en outre l’argument invoqué par l’auteur que l’État partie lui a constamment refusé, jusqu’en 2001, l’accès aux archives et aux dossiers pertinents, ce qui fait que c’est seulement alors qu’ont pu être présentés des documents permettant de prouver que la confiscation des biens s’est en fait opérée sur la base des décrets Benes de 1945 et non sur la base de la loi no 143/1947, la conséquence étant que l’auteur aurait droit à la restitution des biens en vertu des lois de 1991 et de 1992.

11.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’interprétation et l’application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et autorités de l’État partie. Toutefois, la personne qui poursuit une action en vertu du droit interne doit avoir un accès égal aux voies de droit, notamment avoir la possibilité d’établir et de présenter les faits véritables, sans quoi les tribunaux seraient induits en erreur. Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu à l’allégation de l’auteur selon laquelle elle n’a pas eu accès à des documents qui étaient décisifs pour que son affaire soit correctement jugée. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur.

11.5Dans ce contexte, le Comité note également que, dans sa décision du 29 novembre 2001, le tribunal régional de Ceske Budejovice a reconnu que la propriété des Schwarzenberg avait été confisquée en application du décret Benes no 12/1945. Le Comité note en outre que, le 30 janvier 1948, la confiscation des terres agricoles des Schwarzenberg en vertu des décrets Benes nos 12 et 108/1945 a été annulée, apparemment afin de permettre l’application de la loi no 143/1947, d’où il résulte que le moment où l’annulation a pris effet n’a semble‑t‑il pas été précisé, car les tribunaux ont pris pour hypothèse que la loi no 143/1947 était la seule base légale applicable.

11.6Ce n’est pas au Comité mais aux tribunaux de l’État partie qu’il appartient de trancher des questions de droit tchèque. Le Comité constate néanmoins que l’auteur a été maintes fois victime de discrimination en se voyant refuser l’accès à des documents pertinents qui auraient pu lui permettre de prouver le bien‑fondé de ses demandes de restitution. Le Comité est donc d’avis que les droits garantis à l’auteur par l’article 26, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, ont été violés.

12.1Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2.

12.2En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile, à savoir la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution ou d’indemnisation. L’État partie devrait revoir sa législation et ses pratiques administratives afin de s’assurer que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi.

12.3Le Comité rappelle qu’en adhérant au Protocole facultatif, la République tchèque a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 de celui‑ci, elle s’est engagée à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie. Le Comité engage en outre l’État partie à mettre en place des procédures pour veiller à l’application des constatations adoptées en vertu du Protocole facultatif.

12.4À ce sujet, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans les 90 jours suivant la transmission des présentes constatations, des informations sur les mesures prises par celui‑ci pour y donner suite. L’État partie est également prié de rendre publiques les constatations du Comité.

APPENDICES

Opinion individuelle en partie concordante de M. Nisuke Ando, membre du Comité

Pour ce qui est de mon propre point de vue sur les lois concernant la restitution adoptées après 1991, je renvoie à mon opinion individuelle jointe aux constatations du Comité au sujet de la communication no 774/1997: Brok c. République tchèque.

S’agissant des constatations du Comité dans la présente affaire, je tiens premièrement à souligner qu’elles sont en contradiction avec sa propre décision concernant la recevabilité. Dans sa décision concernant la recevabilité du 9 juillet 1999, le Comité a clairement affirmé que les allégations de l’auteur relatives à la loi no 143/1947 ne relevaient pas de sa compétence ratione temporis et qu’elles étaient donc irrecevables en vertu de l’article premier du Protocole facultatif (par. 6.2). Pourtant, dans son examen de la communication quant au fond, le Comité aborde les détails des allégations de l’auteur et déclare que, le 30 janvier 1948, la confiscation des biens en cause en vertu des décrets Benes nos 12 et 108/1945 a été annulée afin de permettre l’application de la loi no 143/1947 (par. 11.5), que le tribunal régional de Ceske Budejovice a reconnu, le 29 novembre 2001, que la propriété des Schwarzenberg avait été confisquée en application du décret Benes no 12/1945 (par. 11.5), que l’auteur s’est vu refuser l’accès à des documents qui étaient décisifs pour que son affaire soit correctement jugée (par. 11.4) et que ces documents étaient les seuls de nature à prouver que la confiscation s’était faite non pas en vertu de la loi no 143/1947 mais en application des décrets Benes de 1945 (par. 11.3).

Deuxièmement, je tiens à souligner que, dans ces déclarations ainsi que dans sa conclusion selon laquelle l’État partie a violé le droit de l’auteur à l’égale protection de la loi reconnu aux articles 26 et 2 du Pacte en lui refusant l’accès aux documents pertinents (par. 11.6), le Comité s’est écarté de sa jurisprudence selon laquelle il ne doit pas agir en tant que tribunal de quatrième instance par rapport aux juridictions nationales. Certes, le Comité rappelle que l’interprétation et l’application du droit interne appartiennent au premier chef aux tribunaux et aux autorités de l’État partie concerné (par. 11.4 et 11.6), mais alors que les tribunaux tchécoslovaques ont statué que les biens en question avaient été transférés à l’État avant le 25 février 1948 et n’étaient donc pas visés par la procédure de restitution des biens en rapport avec le régime communiste (par. 8.4), le Comité conclut que l’auteur s’est vu refuser l’accès aux documents pertinents en violation des articles 26 et 2 du Pacte (par. 11.6) et que l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur la possibilité de présenter une nouvelle demande de restitution en s’appuyant sur les documents pertinents (par. 12.2).

Troisièmement, je tiens à souligner que le 11 mai 2001 le conseil de l’auteur a non seulement été informé par le Ministère tchèque de l’agriculture de l’existence des documents en question mais a aussi été autorisé à les consulter (par. 7.1). À mon avis, il est impossible d’affirmer à partir de cette date que l’État partie a continué de violer les droits garantis à l’auteur aux articles 26 et 2 et lui déniant l’accès aux documents en question.

(Signé) Nisuke Ando

Opinion en partie concordante de M. Prafullachandra Natwarlal Bhagwati, membre du Comité

Je souscris à la conclusion du Comité selon laquelle les faits dont il est saisi font apparaître une violation des articles 26 et 2 du Pacte. Cela dit, je suis persuadé qu’il y a eu aussi violation du paragraphe 1 de l’article 14 qui stipule que tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice et que toute personne a droit à ce que toute contestation sur ses droits et obligations soit entendue équitablement et publiquement dans le cadre d’une procédure judiciaire. Pour qu’une cause soit équitablement et dûment entendue, une personne doit pouvoir accéder pleinement et sur un pied d’égalité aux sources publiques d’information, y compris aux archives et aux registres fonciers, de façon à obtenir les éléments nécessaires à la défense de cette cause. L’auteur a montré qu’on ne lui a pas permis d’accéder dans des conditions d’égalité à ces archives et registres, et l’État partie n’a ni donné des explications ni réfuté les allégations de l’auteur. En outre, la longue procédure judiciaire qui caractérise cette affaire, qui dure depuis plus de 10 ans, n’est pas encore achevée. Dans le contexte de la présente affaire et compte tenu des affaires de restitution concernant la Tchécoslovaquie sur lesquelles le Comité s’est déjà prononcé, la réticence apparente des autorités et des tribunaux tchèques à traiter équitablement et promptement les demandes de restitution constitue aussi une violation de l’esprit, si ce n’est de la lettre, de l’article 14. Il convient également de se rappeler qu’après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, l’État partie a continué d’appliquer la loi no 143/1947 (la «loi Schwarzenberg») qui visait exclusivement les biens de la famille de l’auteur. Une législation ad hominem de ce type est incompatible avec le Pacte en tant que déni général du droit à l’égalité. Compte tenu de ce qui précède, j’estime que le recours approprié aurait été la restitution et non pas simplement la possibilité de présenter une nouvelle requête aux tribunaux tchèques.

En 1999, le Comité a déclaré la présente communication recevable dans la mesure où elle pouvait soulever des questions au titre des articles 26 et 2 du Pacte. Je ne pense pas que cela l’empêchait nécessairement de conclure à une violation de l’article 14 puisque l’État partie était au courant de tous les éléments de la communication et aurait pu faire ses observations sur les questions soulevées par l’auteur au titre de cet article. Le Comité aurait pu certainement revoir sa décision concernant la recevabilité de façon à tenir compte des allégations au titre de l’article 14 du Pacte et aurait pu inviter l’État partie à faire des observations à ce sujet. Cela aurait toutefois retardé encore plus la décision dans cette affaire, qui est devant les tribunaux de l’État partie depuis 1992 et devant le Comité depuis 1997.

(Signé) Prafullachandra Natwarlal Bhagwati

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