Présentée par:

M. Alexander Baulin, représenté par le Centre d’aide à la protection internationale

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

15 juillet 1996 (date de la communication initiale)

Décisions antérieures:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 octobre 1997 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

31 octobre 2002

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Soixante ‑seizième session

concernant la

Communication n o  771/1997 * *

Présentée par:

Alexander Baulin représenté par le Centre d’aide à la protection internationale

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

15 juillet 1996 (date de la communication initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est M. Alexander Baulin, un citoyen russe né le 29 novembre 1951 qui, au moment de l’envoi de sa communication, était détenu dans l’établissement de rééducation de Rybinsk. Il se déclare victime d’une violation par la Russie des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Il est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 25 mai 1988 vers 16 heures, l’auteur en état d’ivresse a pénétré dans l’appartement de son ex‑épouse en son absence. Bien que divorcé, le couple aurait continué à avoir des relations sexuelles, qu’il dissimulait à la mère de l’ex‑épouse, Mme Isaeva. Alors qu’il se trouvait dans l’appartement, l’auteur a entendu les voix des deux femmes à l’extérieur et s’est caché dans une armoire pour éviter de rencontrer sa belle‑mère. Après avoir passé environ une heure et demie dans l’armoire, il a répandu accidentellement un liquide et a été découvert.

2.2Alors qu’il se trouvait dans l’armoire, il a entendu son ex‑épouse le critiquer et le tourner en ridicule. Au moment où il a été découvert, il était furieux et a agressé son ex‑belle‑mère et son ex‑femme avec un couteau qu’il avait trouvé dans l’armoire. Le conseil affirme que les blessures infligées étaient superficielles, l’auteur n’ayant utilisé que le plat de la lame. Son ex‑épouse aurait couru à la fenêtre et appelé au secours. Elle a ensuite grimpé sur le rebord de la fenêtre, s’y est assise, a perdu l’équilibre et s’est tuée en tombant du quatrième étage. L’auteur admet avoir mal agi au cours de l’incident qui a conduit au décès de son ex‑femme, mais nie avoir voulu sa mort ou être impliqué dans son décès.

2.3Le procès de l’auteur s’est déroulé du 28 décembre 1988 au 12 janvier 1989. L’auteur était accusé de meurtre avec préméditation et avec circonstances aggravantes conformément aux articles 102 g) et 193 2) du Code pénal. Le tribunal a toutefois considéré qu’il n’existait pas de preuves suffisantes pour le condamner et a ordonné une enquête préliminaire complémentaire. Lors d’une deuxième audience qui a eu lieu le 29 juin 1989, à la suite de la nouvelle enquête préliminaire, l’auteur a été accusé et déclaré coupable en vertu de l’article 102 g) du Code pénal, et condamné à huit ans d’emprisonnement. La mère de la défunte et l’auteur ont l’un et l’autre fait appel de la condamnation. Le 14 mars 1990, le tribunal municipal de Moscou a déclaré M. Baulin coupable de crime avec préméditation et avec circonstances aggravantes conformément aux articles 102 g) et 193 2) du Code pénal, et l’a condamné à 13 ans d’emprisonnement dans un camp de travail à régime renforcé.

2.4L’accusation a fait valoir que M. Baulin avait rendu visite à sa femme le 25 mai 1988, l’avait blessée avec un couteau, avant de la défenestrer. Elle était morte sur le coup. Le principal témoin oculaire, l’ex‑belle‑mère de M. Baulin, a témoigné au procès et accusé M. Baulin d’avoir défenestré sa fille. Des voisins de Mme Baulin, M. et Mme Novitsky, ont vu celle‑ci tomber de la fenêtre de son appartement situé au quatrième étage, comme si elle avait été poussée. D’autres témoins ont affirmé qu’ils l’avaient vue tomber de la fenêtre mais qu’ils n’avaient vu personne la pousser. Les dépositions des médecins et d’autres experts n’ont pas permis d’éclairer les faits.

2.5L’auteur fait valoir que dans sa première déclaration à la police, l’ex‑belle‑mère de M. Baulin a affirmé qu’elle avait tenté d’éloigner ce dernier de sa fille pendant qu’il lui donnait les coups de couteau. Sa fille s’était ensuite dégagée et s’était assise sur le rebord de la fenêtre, appelant au secours. L’ex‑belle‑mère avait voulu ouvrir la porte pour demander de l’aide à l’extérieur et quand elle s’était retournée, sa fille était déjà tombée. Ce n’est qu’après l’enterrement qu’elle avait changé de version, affirmant que M. Baulin s’était rendu dans l’appartement avec l’intention de tuer sa fille et qu’il l’avait agrippée, placée sur le rebord de la fenêtre puis poussée. Elle avait ensuite modifié à plusieurs reprises les détails de sa déposition. Le conseil estime que, de ce fait, la déposition du témoin est sujette à caution et que la condamnation de M. Baulin devrait être reconsidérée. En outre, plusieurs connaissances des Baulin ont affirmé devant le tribunal que même à l’enterrement de sa fille Mme Isaeva n’avait pas encore formulé la version selon laquelle l’auteur était responsable de la défenestration de Mme Baulin, et un voisin de Mme Isaeva, M. Monakov, a affirmé le 25 juin 1988 qu’elle lui avait dit que Mme Baulin avait sauté par la fenêtre.

2.6La Cour suprême a confirmé le jugement du tribunal municipal le 28 juin 1990, déclarant que, pour ce qui est de l’argument du conseil selon lequel Mme Isaeva et M. et Mme Novitsky avaient fait de faux témoignages, elle avait examiné la question et que rien ne venait appuyer cette thèse. En ce qui concerne l’argument du conseil qui affirme que le tribunal n’avait pas examiné les conclusions des médecins légistes, la Cour suprême a indiqué que non seulement ces conclusions avaient été étudiées dans le cadre de l’enquête préliminaire, mais également que les experts avaient témoigné au procès. Enfin, la Cour suprême a conclu à l’absence de violation des dispositions du Code de procédure pénale. Le conseil a formé un recours en révision auprès du Président de la Cour suprême et du Procureur général de la Fédération de Russie, sans résultat.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les tribunaux ont violé le droit à une procédure équitable, en particulier le droit à la présomption d’innocence et celui de faire citer des témoins à décharge.

3.2Il affirme qu’il a été condamné sur la base d’éléments insuffisants et contradictoires, l’établissement de sa culpabilité étant fondé sur le témoignage de son ex‑belle‑mère au procès, qui contredisait ses déclarations antérieures et ne concordait pas avec les dépositions d’autres témoins. De même pour ce qui est des rapports des médecins légistes, qui n’étaient nullement catégoriques, le tribunal avait tenu à les considérer comme tels et avait ignoré les éléments des conclusions des experts qui corroboraient la version des faits de l’auteur. Ce dernier affirme que le tribunal était partial, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Cette plainte semble aussi soulever des questions au titre du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.3L’auteur affirme que le tribunal lui a dénié le droit de faire citer et interroger des témoins et des experts. En particulier, le tribunal lui a dénié le droit de faire citer les agents de police MM. Golub, Gorynov, Semin et Aletiev, qui avaient interrogé l’ex‑belle‑mère de l’auteur après le décès de sa fille et avaient conduit les enquêtes préliminaires. Au cours de la première audience de janvier 1989, le tribunal a toutefois entendu les dépositions des agents de police, MM. Golub et Gorynov. Ils ont affirmé qu’avant d’être conduite à l’hôpital, Mme Isaeva avait dit que l’auteur les avait frappées à coups de couteau, elle et Mme Baulin, mais qu’elle ne l’avait pas vu défenestrer sa fille.

3.4L’auteur s’est également vu dénier le droit de faire citer le docteur Sogrina, qui avait affirmé, dans le cadre de l’enquête préliminaire, qu’il avait vu Mme Baulin assise sur le rebord de la fenêtre, le dos tourné vers lui, et qu’au bout d’un moment, juste avant de tomber, elle s’était retournée et avait enjambé le rebord de la fenêtre. Il lui avait également prodigué les premiers secours après sa chute. De plus, le tribunal a privé l’auteur du droit de faire citer son fils Ilya, dont le témoignage aurait pu éclairer les intentions du défendeur, ainsi que d’autres témoins proposés par la défense. Le tribunal a rejeté la demande de la défense de faire citer à décharge un expert en médecine légale et de procéder à un contre‑interrogatoire des médecins légistes présents à la barre pour préciser des points contradictoires dans leurs conclusions, et le conseil affirme que ce refus était particulièrement préjudiciable à l’auteur puisque le tribunal n’a pas pris en compte les multiples versions plausibles des faits fournies par les experts et s’en est tenu à la version présentée par l’accusation. Le conseil affirme que le refus des tribunaux de reconnaître à l’auteur le droit de faire comparaître des témoins à décharge et de faire procéder à un contre‑interrogatoire des experts légistes constitue une violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond de la communication

4.1Par une note verbale datée du 9 octobre 1997, l’État partie a présenté ses observations, affirmant que les allégations de l’auteur ne permettaient pas de conclure à une violation des droits énoncés dans le Pacte, l’instruction et la procédure judiciaire ayant été conduites en toute objectivité et l’auteur ayant été condamné conformément à la loi.

4.2L’État partie a fait valoir que l’auteur avait été reconnu coupable du meurtre de son ex‑épouse sur la foi du témoignage de son ex‑belle‑mère et d’autres témoins, des avis rendus par des commissions d’experts en médecine légale et en biologie médico‑légale, des données figurant dans les comptes rendus d’une inspection sur place et d’une reconstitution du crime, et d’autres faits dûment examinés par le tribunal. L’autre version des circonstances du décès de Mme Baulin présentée par l’auteur avait été dûment examinée par le tribunal de première instance et par la juridiction d’appel et avait été considérée comme dénuée de fondement.

Commentaires de l’auteur

5.Le 27 septembre 2001, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne que celui‑ci se borne à rappeler les décisions des tribunaux russes et n’aborde pas la question des violations présumées des dispositions des paragraphes 1 et 3 e) de l’article 14 du Pacte.

Délibérations du Comité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, en application de l’article 87 de son Règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité relève que le procès engagé contre l’auteur a commencé en 1988 et que la dernière décision judiciaire a été rendue en juin 1990, c’est‑à‑dire avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie, le 1er janvier 1992. Étant donné que l’auteur n’a pas avancé de griefs spécifiques fondés sur la persistance des effets des violations du Pacte qu’il dénonce et qui auraient été commises pendant le procès, effets qui à eux seuls constitueraient une violation du Pacte, le Comité estime qu’il est empêché ratione temporis d’examiner la communication.

6.3En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

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