Présentée par:

M. Jarle Jonassen et des éleveurs du district de renniculture de Riast/Hylling, représentés par M. Erik Keiserud, du cabinet Hjort DA

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Norvège

Date de la communication:

9 février 2000 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial conformément à l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 août 1999 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

25 octobre 2002

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIFAUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

– Soixante‑seizième session –

concernant la

Communication no 942/2000**

Présentée par:

M. Jarle Jonassen et des éleveurs du district de renniculture de Riast/Hylling, représentés par M. Erik Keiserud, du cabinet Hjort DA

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Norvège

Date de la communication:

9 février 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 octobre 2002,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.Les auteurs de la communication sont les éleveurs du district de renniculture de Riast/Hylling, de nationalité norvégienne et d’origine ethnique samie. Ils se déclarent victimes d’une violation par la Norvège de l’article 27, lu conjointement avec l’article 2, et de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Ils sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les Samis sont une minorité ethnique autochtone de Norvège, dont la culture repose sur l’élevage du renne. Pratiquer cette activité constitue la principale condition pour pouvoir s’établir dans les régions samies. Il existe en Norvège six régions différentes de renniculture. Elles sont divisées en unités plus petites appelées districts de renniculture, dans lesquelles un ou plusieurs groupes de Samis ont le droit de faire paître leurs troupeaux.

2.2Les auteurs sont des éleveurs de rennes samis. Ils appartiennent au district de renniculture de Riast/Hylling, région traditionnellement utilisée tous les ans comme zone de parcours, de mars‑avril à décembre‑janvier. Les limites du district de renniculture de Riast/Hylling, qui s’étend sur environ 1 900 km2,ont été fixées par un décret royal daté du 10 juillet 1894. En hiver, les auteurs s’installent dans le district de renniculture de Femund, de même que dans celui d’Essand, ce dernier étant également utilisé en été. Le district de renniculture de Femund a une superficie d’environ 1 100 km2. Les districts de Riast/Hylling et de Femund sont utilisés par les Samis depuis le début du XVIIe siècle. Les districts de Riast/Hylling, Essand et Femund constituent, avec le district d’Elgaa, la région de renniculture de Soer‑Troendelag/Hedmark, la plus méridionale de Norvège.

2.3À l’heure actuelle, les auteurs possèdent une dizaine de troupeaux, soit au total environ 4 500 têtes (constituant le cheptel d’hiver avant la reproduction). Dans le district de Riast/Hylling, l’élevage traditionnel du renne constitue le principal moyen d’existence et la source de revenu essentielle de près de 45 personnes d’origine samie.

2.4Conformément à la loi norvégienne du 9 juin 1978 sur la renniculture, les éleveurs samis ont le droit de pratiquer l’élevage du renne dans les limites des districts qui leur sont assignés. Toutefois, à la suite de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 18 novembre 1988 dans l’affaire Korssjofjell, les éleveurs samis n’ont le droit de faire paître leurs rennes dans ce district que s’ils ont acquis le droit d’usage de la zone en question conformément au droit norvégien. Il en résulte que si le propriétaire des terres en cause prétend que les éleveurs samis n’ont pas le droit d’y faire paître leurs troupeaux, ces éleveurs doivent prouver qu’ils en ont acquis le droit conformément à la législation norvégienne sur l’acquisition de droits par un usage remontant à des temps immémoriaux. Selon une nouvelle règle adoptée par le Parlement en 1996, le juge doit faire droit aux revendications des Samis si, ayant apprécié tous les éléments de preuve dont il est saisi, il subsiste un doute dans son esprit.

2.5L’affaire Korssjofjell concernait une grande partie du district de renniculture de Femund. Les propriétaires avaient affirmé que les auteurs n’avaient pas le droit de pâture dans les secteurs occidentaux de ce district, adaptés à l’élevage d’hiver. La Cour suprême leur a donné tort, estimant au contraire que les auteurs avaient bien le droit de pâture dans cette zone, qui a une superficie d’environ 119 km2 et représente approximativement 11 % de la superficie brute totale du district (lac Store Korssjo non compris).

2.6Le 24 octobre 1997, la Cour suprême a rendu son arrêt dans l’affaire Aursunden  1997, concernant les droits de pâture dans le district de renniculture d’été de Riast/Hylling. Les propriétaires avaient soutenu que les auteurs n’avaient pas le droit de faire paître leurs rennes sur les terres agricoles privées de cette zone. En première instance, le 25 octobre 1994, le tribunal de district de Midtre Gauldal avait donné tort aux auteurs. Ceux‑ci avaient formé un recours devant la cour d’appel de Frostating, laquelle l’avait rejeté le 15 décembre 1995. Les auteurs s’étaient alors pourvus devant la Cour suprême, affirmant qu’il y avait eu une erreur tant dans l’application de la loi que dans l’appréciation des faits par la cour d’appel de Frostating. Le 24 octobre 1997, la Cour suprême a conclu que les auteurs n’avaient pas le droit de faire paître leurs rennes dans la zone en question et les a déboutés par une décision prise à la majorité de 4 voix contre une.

2.7Dans cette affaire, la Cour suprême a attaché une importance primordiale à son arrêt précédent du 6 juillet 1897, concernant les droits de pâture dans la partie occidentale de la zone en litige. Elle a estimé que «les tribunaux étaient bien mieux au fait des éléments de preuve au siècle dernier » et que «l’on devait se garder de méconnaître l’appréciation qu’avait faite des éléments de preuve la Cour suprême de 1897». La zone contestée en 1897 s’étendait toutefois plus à l’ouest que celle faisant l’objet de la plainte déposée dans l’affaire dont était saisie la Cour suprême en 1997. Concernant la question des droits de pâture dans la partie orientale de la zone contestée dans l’affaire de 1997, dont il n’avait pas été question dans l’arrêt de 1897, la Cour a estimé que la décision prise par la Cour suprême de 1897 «devait avoir grosso modo le même effet juridique».

2.8Dans une opinion dissidente, le juge de la Cour suprême Matningsdal a toutefois déclaré: «Dans l’appréciation des faits de la cause, j’attache moins d’importance à l’arrêt de la Cour suprême de 1897 que ne le fait le juge premier votant. Si l’on part de l’admission que les droits de pâture ne sont pas juridiquement contraignants pour la partie orientale de la zone, il faudra procéder à une réévaluation complète des éléments de preuve sans préjudice du résultat de l’appréciation qu’en avait faite la Cour suprême de 1897». Bien que dans l’affaire Aursunden 1997, la majorité ait déclaré que la question litigieuse présentait de nombreux aspects analogues à celle sur laquelle la Cour suprême de 1897 s’était prononcée, elle a pris sa décision sur la base de la législation en vigueur.

2.9La zone contestée dans l’affaire Aursunden 1997 représente 4 à 5 % du district de renniculture de Riast/Hylling, mais selon les auteurs, sa valeur en tant que pâturage est bien moins importante. En outre, du fait que les auteurs ont perdu leurs droits d’élevage dans la «zone Storskarven», qui a fait l’objet d’un litige jugé tant dans l’affaire Aursunden 1997 que dans l’affaire de 1897 et dont la superficie est restreinte, ils n’ont pas accès à de larges zones adjacentes d’un seul tenant dans lesquelles on ne peut en fait pénétrer qu’en empiétant sur la zone interdite.

2.10Comme suite à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997, les auteurs ont perdu environ 120 km2 de pâturages dans le district de renniculture de Ryast/Hylling. En outre, ils en ont perdu près de 33 km2 à la suite d’une autre action en justice, l’affaire Tamnes du 6 novembre 1997.

2.11D’autres affaires sont également pendantes qui, en raison de la pratique de la Cour suprême, pourraient aboutir à des pertes supplémentaires de zones de parcours pour les auteurs.

2.12En premier lieu, les auteurs et les éleveurs du district de renniculture d’Essand sont parties à un nouveau procès, l’affaire Selbu, concernant les secteurs nord et ouest de ce district, qui couvre environ 90 km2 de la zone de Riast/Hylling. Dans cette affaire, la cour d’appel de Frostating a tranché le 17 août 1999 en faveur des auteurs à une majorité de 3 voix contre 2. La minorité avait retenu les arguments de la majorité des juges de la Cour suprême dans l’affaire Aursunden 1997. La Cour suprême a été saisie d’un pourvoi le 19 octobre 1999. Au moment où les auteurs ont présenté leur première communication, la Cour suprême n’avait pas encore statué sur la recevabilité de ce pourvoi.

2.13En deuxième lieu, un nouveau conflit a surgi dans l’«Holtålen», la partie orientale du district de renniculture de Riast/Hylling, s’étendant sur environ 450 km2. Toutefois, dans un autre litige, l’affaire dite de Kvipsdal concernant une petite zone située en plein milieu du district de renniculture de Femund, le tribunal a tranché en faveur des auteurs.

2.14Dans l’affaire Aursunden 1997 susmentionnée, la Cour suprême s’était appuyée sur l’arrêt de 1897; dans la dernière affaire, la Cour suprême s’est référée à un arrêt antérieur datant de 1892, concernant la même zone. Parmi les documents soumis à la Cour suprême tant dans l’affaire de 1897 que dans celle de 1892 figurait une étude de la population sami du sud de la Norvège publiée en 1888 par le professeur d’ethnologie Yngvar Nielsen. Dans cette étude, le professeur Nielsen avait lancé une nouvelle théorie allant à l’encontre de l’opinion communément admise jusqu’alors, selon laquelle le peuple sami avait migré du nord vers la région de Roros au milieu du XVIIIe siècle et était donc un nouveau venu dans la région. Cette théorie avait reçu l’aval de la Commission lapone instituée en 1889. D’après les auteurs, la Cour suprême avait attaché une grande importance à cette théorie et fondé son jugement sur le fait que des agriculteurs s’étaient installés dans la zone en question avant même que les Samis n’y pénètrent. Des recherches récentes montrent toutefois que les Samis sont apparus dans le sud de la Norvège plus de 150 ans auparavant et certaines études archéologiques indiquent la présence de Samis dans le sud de la Norvège dès avant le Moyen Âge.

2.15Pour illustrer la façon dont la Commission lapone voyait les Samis, les auteurs ont communiqué la traduction suivante d’un extrait de la page 33 du rapport de cette dernière:

«Par ailleurs, il convient de respecter les droits des Lapons. Mais d’un autre côté, lorsque l’on évalue les droits et obligations mutuels des Lapons et des habitants sédentaires, il convient de garder à l’esprit les différentes conditions dans lesquelles ils exercent leur métier, l’agriculteur portant souvent de lourds fardeaux au cours de son travail pénible et ardu de cultivateur, tandis que le Lapon, dont le mode de vie alterne entre rudesse et oisiveté, échappe généralement à ce dur labeur. ».

2.16La Commission lapone poursuit ainsi à la page 41:

«…s’agissant des communautés de Sondre Trondhjem et d’ Hedemarken , les agriculteurs avaient commencé à y cultiver la terre bien avant l’arrivée des Lapons, et ils avaient dans une large mesure commencé à exploiter les vallées et les montagnes. Il ne fait donc pas de doute que ce sont les Lapons qui se sont imposés aux agriculteurs et sont pour eux une nuisance depuis. Plus tard, les agriculteurs ont apparemment étendu leurs cultures, établi des fermes dans les montagnes et exécuté d’autres travaux de défrichement dans les zones montagneuses où les Lapons circulaient peut-être auparavant sans aucune restriction, mais d’une manière générale, on ne peut supposer que les droits des Lapons ont été violés en raison du fait − comme cela est déclaré dans la proposition de la Commission de 1883 − que ces droits peuvent être considérés comme étant de nature à exclure ou empêcher un développement rationnel de l’agriculture et le progrès.».

2.17À la fin du XIXe siècle, le Gouvernement norvégien a publié des instructions déniant aux enfants samis le droit de parler leur langue à l’école et adopté des dispositions aux termes desquelles seules les personnes qui parlaient le norvégien avaient le droit de lotir leurs propriétés. Le Ministre de l’intérieur a déclaré le 2 février 1869:

«…du point de vue économique et sauf en ce qui concerne les nomades du comté de Finmark , qui restent en Norvège toute l’année, il ne peut y avoir de doute que la culture nomade est un fardeau tel pour la Norvège qu’elle n’offre aucun avantage en compensation et que l’on doit en souhaiter la disparition inconditionnelle.».

2.18La communication est appuyée par l’Assemblée samie, le Conseil de la renniculture et l’Association norvégienne des éleveurs de rennes samis.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en ne reconnaissant ni ne protégeant leur droit de faire paître leurs troupeaux sur leurs parcours traditionnels, en contravention de l’article 27, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, l’État partie a violé les droits que leur confère le Pacte. Ils affirment en outre qu’il y a eu violation de l’article 26 parce que la Cour suprême de Norvège a fondé ses considérants sur une appréciation des faits datant du XIXe siècle, époque à laquelle les Samis souffraient de discrimination et les prétentions des propriétaires terriens norvégiens à des droits de propriété privée étaient favorisés.

3.2Les auteurs affirment que l’État partie a violé l’article 27, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte en ne garantissant pas leur droit de jouir de leur propre culture. Ils renvoient aux Observations générales du Comité nos 23 et 18 et aux affaires Ominayakc. Canada , Sara et consorts c. Finlande , Ilmari Länsman et consorts c. Finlande, Kitokc. Suède et Jouni  E.  Länsmanc. Finlande, concernant les droits des autochtones en vertu du Pacte.

3.3En particulier, les auteurs rappellent que le Comité a reconnu que l’article 27 imposait aux États parties l’obligation non seulement de protéger les aspects immatériels de la culture autochtone mais aussi de protéger sur le plan juridique les fondements matériels de cette culture. Pour l’interprétation de cet article, ils renvoient au paragraphe 2 de l’article premier du Pacte, qui prévoit que tous les peuples doivent pouvoir disposer librement de leurs richesses et de leurs ressources naturelles et qu’ils ne peuvent être privés de leurs propres moyens de subsistance.

3.4S’agissant des deux affaires Länsman c. Finlande, dans lesquelles le Comité n’a pas constaté de violation de l’article 27, les auteurs soulignent qu’elles présentent quatre différences avec l’affaire examinée. Premièrement, la question en cause dans les deux affaires Länsman était de savoir si une action isolée de l’État partie représentait un déni des droits consacrés à l’article 27, alors que dans l’affaire présente, selon les auteurs, c’est le système de justice actuel qui viole ces droits. Deuxièmement, les activités de renniculture dans les affaires Länsman étaient seulement perturbées par des activités menées dans la zone, alors qu’en l’espèce les auteurs se voient privés de zones de renniculture. En raison des décisions adverses prises dans les affaires Aursunden  1997, Korssjofjell et Tamnes, ainsi que de la probabilité que les affaires pendantes Selbu et Holtaalen aboutissent à un jugement en leur défaveur, les auteurs se sont vus restreindre plusieurs fois leurs droits de pâture.

3.5De plus, la zone d’Aursunden faisant partie intégrante d’une zone d’élevage d’une importance vitale pour le district de Riast/Hylling, et les auteurs n’ayant pas accès à Aursunden, ils n’ont pratiquement aucun accès aux zones adjacentes. Ainsi, ils courent le risque de devoir mettre un terme à l’ensemble de leur activité de renniculture. Ils affirment que le seul moyen d’empêcher les rennes de paître dans la zone faisant l’objet du litige dans les affaires Aursunden  1997 et Korssjofjell serait soit de clôturer la zone soit de renforcer la surveillance des troupeaux. D’après les auteurs, aucune des deux solutions ne serait réaliste car les clôtures seraient recouvertes de neige en hiver et les dépenses d’entretien trop lourdes.

3.6Troisièmement, il convient de noter qu’à l’inverse de ce qui s’est passé dans les deux affaires Länsman, dans l’affaire Aursunden  1997 la Cour suprême a rejeté le pourvoi sans examiner les droits que confère l’article 27 du Pacte aux auteurs. Enfin, ceux‑ci soulignent que la Cour suprême dans l’affaire Aursunden  1997 a attaché une importance décisive à l’arrêt pris par la Cour suprême de 1897, à une époque où les Samis subissaient une discrimination flagrante.

3.7Ils font valoir que la Cour suprême et l’État partie en général n’ont pas protégé les fondements matériels de la culture des Samis du Sud ainsi que le prescrivent les dispositions énoncées à l’article 27 et à l’article 2 du Pacte, du fait qu’ils ont donné une importance cruciale à des appréciations faites à une époque caractérisée par la discrimination et l’intégration forcée des Samis et où l’opinion officielle était que l’élevage du renne par les Samis constituait une charge pour les agriculteurs norvégiens.

3.8Les auteurs affirment aussi que le droit norvégien concernant l’acquisition de droits découlant d’un usage immémorial, tel qu’il a été interprété et pratiqué par les tribunaux norvégiens, constitue en soi une violation de l’article 27. En ne reconnaissant pas la culture des Samis et leur conception de la loi, et en fixant les mêmes conditions pour l’acquisition du droit de pratiquer la renniculture que celles qui régissent d’autres aspects du droit de la propriété, les tribunaux norvégiens ont en fait empêché à maints égards les auteurs et le peuple sami, en raison de leur style de vie nomade, d’acquérir des droits de pâture reconnus par la loi et donc de jouir de leur propre culture.

3.9Pour acquérir des droits de pâture reconnus par la loi sur la base d’un usage immémorial, les auteurs devront prouver à la Cour qu’ils ont exploité la zone en cause pendant plus de 100 ans. Ceci s’est déjà révélé difficile dans la pratique puisque les conditions d’acquisition de ces droits ne tiennent compte ni des caractéristiques spécifiques de la renniculture ni de la culture des Samis et de leur conception des droits fonciers. Ces conditions sont établies sur la base des droits concernant le bétail en général, ce qui a pour conséquence qu’un pâturage sporadique n’est pas considéré comme suffisant pour instituer des droits reconnus par la loi.

3.10La renniculture nécessite de grands espaces, et les rennes ne paissent pratiquement jamais dans la même zone d’une année sur l’autre. Ils utilisent tout l’espace dont ils disposent pour paître. Ils sont faits pour s’adapter à leur environnement, à la topographie, à la situation des pâturages, aux conditions météorologiques et au régime des vents. Ces conditions déterminent l’étendue de la superficie nécessaire aux pâturages. Étant donné que la pérennité de la culture samie dépend de l’utilisation de ces terres, les conditions norvégiennes régissant l’acquisition de terres ont pour effet de les priver de leurs droits fondamentaux consacrés par l’article 27 du Pacte. Les auteurs citent la déclaration faite par le Parlement sami le 27 novembre 1997.

3.11Les auteurs affirment qu’il est difficile de prouver quels ont été les premiers établissements dans les zones contestées, puisque leurs huttes et clôtures étaient faites de matériaux putrescibles et que les Samis n’ont jamais eu de culture écrite.

3.12Ils affirment en outre que l’État partie n’a pas joué un rôle actif pour protéger leurs droits en s’abstenant d’intervenir dans les nombreux conflits portés ces 10 dernières années devant les tribunaux par les propriétaires terriens des districts où ils pratiquent la renniculture. Les auteurs et les Samis en général endurent depuis des années conflits, procès et souffrances, tant au plan économique qu’au plan personnel, en raison de la réticence de l’État partie à intervenir avant qu’un litige ne soit tranché par un arrêt de la Cour suprême.

3.13Les auteurs ont saisi l’État partie des demandes d’expropriation pour assurer le droit de pâture des rennes dans les zones concernées par l’affaire Korssjofjell et l’affaire Aursunden  1997, mais les demandes sont encore pendantes devant les autorités administratives.

3.14Enfin, les auteurs affirment que l’État partie a violé l’article 2, lu dans le contexte de l’article 27, en ne garantissant pas aux auteurs le droit de jouir de leur propre culture.

3.15En ce qui concerne leur affirmation selon laquelle il y a eu violation de l’article 26 du Pacte, les auteurs soutiennent que la Cour suprême, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire Aursunden  1997, ne les a pas protégés de la discrimination, puisqu’elle a fondé son appréciation des faits sur celle qu’avait eue la Cour suprême en 1897, à une époque où l’opinion générale était discriminatoire à l’égard des Samis. Ils affirment que la distinction faite entre les auteurs et les propriétaires fonciers privés dans la zone en litige n’est pas fondée sur des critères objectifs et raisonnables.

3.16Les auteurs affirment que les recours internes ont été épuisés avec les procès des affairesKorssjofjell, Aursunden  1997 et Tamnes qui ont toutes été définitivement tranchées par la Cour suprême. Il reste une affaire pendante, l’affaire Selbu, et un nouveau conflit a éclaté dans une vaste zone s’étendant entre Aursunden et Selbu, appelée «Holtaalen». Bien que les auteurs demandent principalement au Comité de se pencher sur la question de savoir si la Cour suprême en l’affaire Aursunden  1997 comme en l’affaire Korssjofjell, et l’État partie en général, ont ou non protégé les fondements matériels de la culture des Samis du Sud et si le système juridique norvégien comporte en lui‑même des violations du Pacte, ils affirment que le Comité devrait prendre en considération tant les affaires jugées définitivement que les affaires pendantes. Ils estiment qu’ils ne peuvent pas continuer de présenter les mêmes requêtes aux tribunaux nationaux sur la base de faits pratiquement identiques concernant chacune des zones se trouvant dans les limites de leur district tant que le Comité n’a pas décidé de la question de savoir si le Pacte a été violé ou non.

3.17Les auteurs ont déposé une demande d’expropriation auprès des autorités administratives de Norvège afin de garantir que des parcours de renniculture soient disponibles. Néanmoins, ils considèrent qu’il est pratiquement impossible d’éviter que des rennes ne pénètrent dans les zones faisant l’objet des décisions rendues dans les affaires Korssjofjell et Aursunden 1997, et ils risquent donc en permanence d’être accusés d’utilisation illégale de ces zones. Les autorités ont le pouvoir discrétionnaire de décider de la suite à donner à la demande d’expropriation. L’examen de cette demande devrait être long et l’aboutissement en est incertain. D’après les auteurs, il n’est pas encore arrivé que des éleveurs samis, placés dans une situation analogue à celle des auteurs, aient reçu pleine réparation par expropriation. Bien que l’affaire relative à l’expropriation soit pendante, les auteurs considèrent qu’après plus d’une centaine d’années de litiges avec les propriétaires fonciers privés, il convient de considérer que les recours internes ont été épuisés ou sont inefficaces.

Observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication

4.1Par une note verbale datée du 16 novembre 2000, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il conteste la recevabilité des plaintes au titre des articles 2 et 26 au motif qu’elles ne sont pas suffisamment étayées, et de la plainte au titre de l’article 27 en affirmant que les recours internes n’ont pas été épuisés et que les auteurs ne peuvent pas être considérés comme des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif.

4.2En ce qui concerne la plainte au titre de l’article 27 et la condition énoncée à l’article premier du Protocole facultatif, il souligne que les auteurs ont pour «principal argument que le droit norvégien concernant l’acquisition de droits découlant d’un usage remontant à des temps immémoriaux, tel qu’il a été interprété et pratiqué par les tribunaux norvégiens, constitue en lui ‑même une violation de l’article 27» et considère qu’il s’agit là d’une actio popularis dont le Comité ne devrait pas avoir à connaître. Il affirme que la question dont devrait être saisi le Comité est de savoir si les droits conférés par le Pacte aux auteurs ont été violés par les décisions des tribunaux dans des affaires spécifiques, qui concernent les auteurs.

4.3L’État partie rappelle que toutes les affaires mentionnées dans la communication concernent les droits de pâture des auteurs sur des terres privées, en droit privé norvégien. Il souligne que ces affaires portent sur l’équilibre à établir entre, d’une part, les intérêts privés légitimes de la population samie et, d’autre part, le droit des propriétaires fonciers de protéger leurs biens. Il rappelle que la propriété privée est protégée par la Constitution norvégienne ainsi que par l’article 1 du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme qui est incorporé dans le droit norvégien et estime que ces dispositions devraient être prises en considération lorsque l’on examine dans quelle mesure les États parties ont l’obligation d’appliquer des normes de droit civil en vertu desquelles un certain groupe jouit d’un traitement préférentiel en raison de son origine ethnique.

4.4L’État partie rappelle que la création d’un district de renniculture n’emporte pas en elle‑même droit de pâture dans les limites de ce district. Les éleveurs doivent en outre appartenir au district considéré, être légalement fondés en droit norvégien à exercer leur droit de pâture vis‑à‑vis des propriétaires fonciers, droit qui peut par exemple découler d’un usage immémorial, d’un contrat ou d’une expropriation. À cet égard, il souligne que tant dans l’affaire Korssjofjell que dans l’affaire Aursunden 1997, la Cour suprême a statué que les auteurs n’avaient pas acquis de droit de pâture dans les zones litigieuses, c’est‑à‑dire que les auteurs n’avaient jamais eu de tels droits sur les zones en question. Selon l’État partie, ceci contredit la prémisse apparente de cette communication selon laquelle un droit de pâture a été perdu.

4.5Au sujet des plaintes des auteurs concernant les articles 2 et 26, l’État partie indique que dans l’affaire Aursunden 1997 la Cour suprême a été amenée à se prononcer sur la valeur probante des éléments ayant servi de fondement aux conclusions formulées dans l’arrêt de 1897 en raison de l’argumentation des auteurs selon laquelle la Cour suprême avait apprécié les faits de façon erronée en 1897. Les plaintes des auteurs reposent essentiellement sur l’assertion (jugée infondée dans l’arrêt de 1897) selon laquelle leur communauté aurait acquis des droits de pâture dans la zone considérée par un usage suffisamment documenté de ces terres depuis des temps immémoriaux. En 1997, se référant à l’affaire de 1897 la Cour suprême est parvenue au constat ci-après.

4.6« Cette affaire a donné lieu à la présentation d’un volume considérable d’éléments de preuve, notamment des témoignages des parties ainsi que des témoignages au nom des Samis et des propriétaires. S’ajoutant à cela, le tribunal de première instance s’est rendu sur les lieux. À cette époque, on s’est également intéressé à la question de l’existence de vestiges d’établissements samis . J’attache de l’importance au fait que voilà un siècle les tribunaux étaient bien plus près des éléments de preuve, principalement l’usage allégué de la zone en litige pour le parcours de rennes. Plusieurs des témoins ayant déposé devant le tribunal de première instance – sur la décision duquel la Cour suprême a fondé son arrêt – étaient dépositaires de données d’expérience (relatives à la situation) remontant jusqu’aux années 1820.».

4.7L’État partie indique qu’en 1997 la Cour suprême a examiné les plaintes soumises au Comité par les auteurs concernant les articles 26 et 2 et a estimé qu’aucun élément probant ne permettait d’étayer l’assertion selon laquelle en 1897 les juges de la Cour suprême avaient fait preuve de partialité dans l’appréciation des éléments de preuve. En 1997, la Cour suprême a formulé la constatation ci-après.

4.8«L’arrêt (de 1897) de la Cour suprême fait clairement ressortir l’importance déterminante qu’elle accordait aux témoignages circonstanciés relatifs à l’existence et à la fréquence des parcours de rennes dans la zone en litige. Aucun élément ne permet de justifier l’opinion selon laquelle la Cour aurait fait preuve dès le début de partialité dans l’appréciation des éléments de preuve.».

4.9L’État partie estime que les auteurs demandent de facto un réexamen des conclusions de la Cour suprême relatives aux éléments de preuve de l’affaire. Étant donné que les auteurs n’ont soumis aucune information susceptible de servir de support à un réexamen des conclusions de la Cour suprême, l’État partie fait valoir que les plaintes des auteurs en vertu des articles 26 et 2 du Pacte devraient être déclarées irrecevables parce qu’insuffisamment étayées.

4.10Au sujet de la plainte concernant l’article 27 du Pacte, l’État partie se réfère aux affirmations des auteurs selon lesquelles la Norvège ne serait pas acquittée des obligations positives lui incombant en vertu dudit article, en particulier en fixant pour l’acquisition par les Samis de droits à l’usage de terres des critères identiques à ceux applicables aux autres secteurs du droit à la propriété. Sur ce point, l’État partie souligne que, même à supposer que de telles obligations existent dans l’affaire considérée, il ne s’ensuivrait pas automatiquement que l’État soit tenu de les honorer en introduisant des critères moins rigoureux en faveur des Samis en droit norvégien de la propriété. Les intérêts des Samis ont été préservés en lieu et place par un mécanisme d’expropriation dans les cas où l’existence de droits de pâture n’a pas été antérieurement suffisamment établie dans des zones de parcours de rennes.

4.11L’État partie souligne que les auteurs ont le droit de déposer une demande d’expropriation en vue d’obtenir les droits de pâture nécessaires et que cette option constitue un recours utile restant à épuiser dans l’affaire considérée.

4.12En 1996, dans le prolongement de l’affaire Korssjofjell(dans laquelle la Cour suprême a considéré que le classement administratif d’une zone en district de pâturage n’était pas un critère déterminant s’agissant des droits de pâture en droit privé), l’article 31 de la loi sur l’élevage de rennes a fait l’objet d’un amendement destiné à élargir les droits des usagers samis dans les zones de pâture, ce avec l’introduction d’une disposition autorisant l’expropriation de terres afin d’assurer de tels droits d’usage. Les travaux préparatoires relatifs à cette loi font ressortir que cet amendement avait pour objet ce qui suit.

4.13«Donner aux autorités gouvernementales les moyens voulus pour prendre des dispositions énergiques tendant à sauvegarder les intérêts des éleveurs de rennes samis . La législation en vigueur ne les investit pas de tels pouvoirs. À défaut d’un élargissement des dispositions statutaires relatives à l’expropriation, il serait impossible aux autorités de prévenir les conflits ou de les résoudre.».

4.14Depuis l’entrée en vigueur de cet amendement, le recours à l’expropriation pour assurer des droits de pâture suffisants est un principe faisant partie intégrante de la politique de l’État partie et des instructions adressées par le Ministère de l’agriculture aux autorités concernées. S’agissant plus particulièrement des zones sur lesquelles portent les affaires Aursunden 1997 et Korssjofjell, le Ministère des pouvoirs locaux et du développement régional a indiqué dans un rapport soumis au Parlement qu’il était possible de recourir à l’expropriation pour faire respecter les droits de pâture des Samis éleveurs de rennes mais uniquement en dernier ressort après s’être efforcé de parvenir à un arrangement à l’amiable du type accord de bail rural avec l’État comme partie prenante.

4.15Les auteurs ont saisi le Gouvernement norvégien de demandes d’expropriation concernant les terrains en litige dans les affaires Aursunden 1997 (le 2 avril 1998) et Korssjofjell (le 9 avril 1999). Au moment où l’État partie a soumis ses observations, il s’agissait des deux seules demandes de cet ordre reçues par le Gouvernement norvégien depuis l’amendement de 1996. Pour ce qui est des autres affaires mentionnées par les auteurs, ils ont gagné les affaires Kvipsdal et Selbu, cette dernière étant toujours en examen par la Cour suprême, et ils n’ont pas déposé de demande d’expropriation dans l’affaire Tamnes.

4.16Aux termes de l’article 12 de la loi du 23 octobre 1959 sur l’expropriation, les parties doivent être encouragées à conclure un règlement à l’amiable avant d’engager une procédure d’expropriation. Dans l’affaire Aursunden 1997, le Ministère de l’agriculture a ainsi mis en place un comité de négociation, le 4 novembre 1998 et les propriétaires fonciers ont nommé les membres de leur propre comité de négociation. Au cours de ce processus, les auteurs ont été entendus lors d’une séance du comité de négociation mis en place par le Gouvernement et ils ont été consultés par écrit sur le projet d’accord et la proposition d’accord avec les propriétaires fonciers. Le 4 février 2000, les comités de négociation sont parvenus à un accord qu’ils ont soumis à leurs mandants respectifs.

4.17Cette proposition d’accord, qui porte sur environ 80 % des 121 kilomètres carrés de terrains de parcours visés par la demande d’expropriation, prévoit la mise en place d’une clôture à rennes d’une quarantaine de kilomètres de longueur ayant pour objet de faciliter le respect par les éleveurs de l’obligation statutaire leur incombant de garder sous contrôle d’une manière appropriée leurs troupeaux de rennes et de les maintenir sur les pâturages. Aux termes de cette proposition d’accord, l’État partie prendrait en charge le règlement d’un loyer annuel de pâturage ainsi que les coûts de construction et d’entretien de la clôture à rennes. L’État partie s’est engagé à prendre en charge tous les frais afférents à ces négociations (430 000 couronnes norvégiennes) ainsi qu’à la construction de la clôture à rennes (4,2 millions de couronnes norvégiennes).

4.18En dépit de cette proposition d’accord, en mai 2000 les auteurs ont fait savoir au Ministère de l’agriculture qu’ils maintenaient leur demande d’expropriation. Le Gouvernement ne doute pas que le Ministère de l’agriculture veillera au respect des intérêts des auteurs, que ce soit en concluant la proposition d’accord ou en rendant une décision d’expropriation. Dans une éventualité comme dans l’autre, le Gouvernement norvégien proposera au Parlement d’affecter des crédits pour couvrir les frais encourus.

4.19La procédure décrite plus haut sera sans doute mise en œuvre pour la demande d’expropriation portant sur les terrains en litige dans l’affaire Korssjofjell. L’État partie indique par ailleurs que les décisions de justice rendues jusqu’à présent sont sans incidence sur l’usage effectif des terrains en litige par les auteurs aux fins de l’élevage de rennes et que la proposition d’accord recommandée dans l’affaire Aursunden 1997 prévoit la prise en charge par l’État norvégien des coûts afférents à l’usage par les Samis des terrains en litige à compter de la date (24 octobre 1997) du jugement rendu dans l’affaire Aursunden.

4.20L’État partie indique que la possibilité de déposer une demande d’expropriation constitue un recours disponible au sens de l’article 5 du Protocole facultatif et considère dès lors que le Comité n’a pas à déterminer si les auteurs sont victimes d’une violation de l’article 27 aussi longtemps qu’il n’aura pas été statué sur leurs demandes d’expropriation.

Commentaires des auteurs

5.1Dans une lettre en date du 13 août 2001, les auteurs ont exposé leurs commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Les auteurs réfutent l’affirmation de l’État partie selon laquelle ils ne seraient pas des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif parce que leur plainte constituerait une actio popularis . Ils indiquent être personnellement concernés par la norme relative à l’acquisition de droits découlant d’un usage remontant à des temps immémoriaux – selon l’interprétation donnée tant dans l’affaire Aursunden 1997 que dans l’affaire Korssjofjell. Ils ne demandent donc pas au Comité de se prononcer sur la norme de droit interne in abstracto puisqu’ils font valoir que la perte de droits de pâture dans les zones en litige devrait être envisagée en tenant compte des réductions antérieures de leurs droits de pâture intervenues dans le même district suite à des décisions de justice définitives ainsi que des réductions éventuelles pouvant résulter des affaires en cours d’examen par les tribunaux ou les autorités administratives.

5.3Dans ce contexte, les auteurs signalent que le litige les opposant aux propriétaires fonciers de la municipalité de Selbu (l’affaire Selbu ) a été tranché par la Cour suprême plénière le 21 juin 2001 en faveur des auteurs. Le membre premier votant de la Cour suprême, le juge Matningsdal, a souligné, entre autres, l’importance des considérations relatives à la topographie et à l’usage extensif des pâturages à rennes lors de l’application du critère d’usage comme base de l’acquisition de droit de pâture conformément aux règles relatives aux droits acquis depuis des temps immémoriaux. Il a conclu qu’il fallait adapter le critère d’usage des terres à la spécificité de la renniculture, c’est‑à‑dire envisager un usage moins intensif des terres par rapport à l’élevage des moutons et des vaches comme base pour l’acquisition de droit de pâturage pour l’élevage de rennes et a fait ressortir les problèmes méthodologiques rencontrés par les familles pour prouver l’usage ancien de terres à des fins de pâturage pour l’élevage de rennes.

5.4Les auteurs affirment que la démarche suivie dans l’affaire Selbu ne l’a été ni dans l’affaire Korssjofjell ni dans l’affaire Aursunden 1997 , avec pour résultat la perte de zones de pâturage d’une importance vitale pour les auteurs, ce en violation de droits protégés par le Pacte. Dans ces deux dernières affaires, la Cour suprême a en outre semblé moins attentive à la prise en considération de la topographie aux fins de la délimitation entre zones de pâturage légales et illégales.

5.5Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les plaintes des auteurs au titre de l’article 27 doivent être mises en balance avec les intérêts des propriétaires privés légitimes, les auteurs font valoir que les droits que leur reconnaît l’article 27 du Pacte n’ont pas été pris en considération dans le jugement rendu dans les affaires Aursunden  1997 et Korssjofjell. Ils soulignent que la jurisprudence relative à l’acquisition de droits découlant d’un usage immémorial telle qu’elle transparaît dans ces jugements dénote une prise en considération inappropriée des particularités de l’élevage de rennes par rapport, par exemple, à l’élevage de moutons ou de vaches, et est inapte à assurer aux auteurs le droit de vivre conformément à leur culture. Les auteurs affirment que cette prise en considération inappropriée de la situation particulière du peuple sami dans l’application des normes norvégiennes relatives aux droits des usagers a abouti à l’établissement d’une distinction entre agriculteurs norvégiens et éleveurs de rennes samis ne reposant pas sur des critères raisonnables et objectifs. Les auteurs estiment même au contraire qu’ils auraient dû bénéficier d’un traitement préférentiel conformément aux articles 26 et 27 afin de rétablir l’équilibre et l’égalité entre les auteurs et les propriétaires fonciers, dans un souci de protection de la culture samie.

5.6En réponse à l’affirmation de l’État partie réfutant la perte par les auteurs de droits de pâture dans les zones en litige dans les affaires Korssjofjell et Aursunden 1997 parce qu’ils n’auraient acquis aucun droit de pâturage dans lesdites zones, les auteurs indiquent que la Cour suprême a reconnu que le peuple sami avait fait usage des zones en question pendant plus de 100 ans et ils persistent à faire valoir qu’ils ont de facto perdu leurs droits de pâture dans ces zones.

5.7À propos de leur plainte visant une violation des articles 26 et 2 du Pacte, les auteurs précisent ne pas demander au Comité d’apprécier les faits dans l’affaire Aursunden  1997 tout en continuant à affirmer que dans cette affaire la Cour suprême n’a pas procédé à une appréciation intégrale et indépendante des faits et a au lieu de cela attaché une importance déterminante à des appréciations antérieures des faits reposant sur une conception inacceptable des Samis. Cette opinion a été appuyée par le professeur Jens Edvin A. Skoghoy, à présent juge à la Cour suprême, qui a déclaré ce qui suit au sujet de l’affaire Aursunden .

5.8« À mon avis, dans l’affaire Riast / Hylling la majorité a attaché une trop grande importance à l’arrêt de 1897. La perception de la culture samie par les autorités publiques a évolué depuis et on ne peut exclure que l’appréciation des éléments de preuve par la Cour suprême en 1897 ait été influencée par l’attitude des autorités publiques de l’époque. En outre, de récents travaux de recherche historique ont mis à la disposition de la Cour suprême un tableau historique de la situation de l’époque. Mon opinion est que la Cour suprême aurait dû procéder à une appréciation indépendante des éléments de preuve.».

5.9Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes du fait qu’ils n’ont pas demandé l’ouverture d’une procédure administrative d’expropriation, les auteurs rappellent le principe selon lequel les recours en question doivent être utiles et accessibles et que leur application ne doit pas être d’une durée déraisonnable.

5.10S’agissant de l’accord recommandé concernant les zones en litige dans l’affaire Aursunden 1997, les auteurs ont joint deux lettres du Ministère de l’agriculture en date de janvier 2001 dans lesquelles le Ministère indique que 38 % seulement des propriétaires fonciers souhaitent souscrire audit accord. Dans une lettre de l’avocat des propriétaires fonciers en date du 26 mars 2001, il est indiqué que ces propriétaires sont pour plusieurs raisons hostiles à l’accord. Les négociations n’ont toujours pas abouti et les auteurs doutent que l’accord recommandé permette de préserver leurs intérêts.

5.11La demande d’expropriation déposée dans l’affaire Aursunden  1997 l’a de surcroît été il y a plus de trois ans (le 2 avril 1998) et demeure pendante malgré l’indication de l’État partie selon laquelle la décision relative aux terrains en litige est attendue au premier semestre de 2001. Les auteurs estiment douteux que leur demande aboutisse à leur satisfaction.

5.12L’État partie fait valoir que les décisions de justice en question n’ont jusqu’à présent eu aucun effet sur l’usage effectif des terrains en litige par les auteurs aux fins de l’élevage de rennes. Alors qu’ils étaient encore dans l’attente des résultats de leur demande d’expropriation, le 25 août 2000 des poursuites pénales ont été engagées contre les auteurs pour usage illégal de terrains situés au nord d’Aursunden et ils craignent de faire l’objet d’autres poursuites pour usage illégal des terrains en litige. Dans le cadre de ces poursuites judiciaires, le 23 avril 2001 la police du district d’Uttrondelag a infligé aux auteurs une amende de 50 000 couronnes norvégiennes; ils ont refusé de la payer et doivent comparaître du 7 au 9 janvier 2002.

5.13Enfin, les auteurs appellent l’attention sur la charge financière que font peser sur eux les actions privées qu’ils ont intentées en justice. Les frais afférents à ces instances incombent en principe personnellement aux auteurs même si jusqu’à présent ils leur ont été remboursés par imputation sur le Fonds pour l’élevage des rennes – mécanisme de financement public doté d’environ 1,3 million de couronnes, qui dispose de ce fait de moins de ressources à consacrer à ses projets.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.Par une note verbale du 7 mars 2002, l’État partie a informé le Comité que le 21 janvier 2002 le tribunal de première instance avait acquitté les auteurs dans l’affaire pénale concernant l’usage illégal de terrains situés au nord d’Aursunden. Il a été fait appel de ce jugement, qui n’est donc pas définitif. L’État partie précise toutefois que cette plainte pénale concerne un différend entre particuliers et n’a aucun rapport avec l’affaire à l’examen.

Délibérations du Comité

7.Par une décision du 21 décembre 2000, le Rapporteur spécial pour les nouvelles communications a décidé que le Comité examinerait séparément la recevabilité et le fond des communications.

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Comme il est tenu de le faire par le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3En ce qui concerne l’article 26 et l’article 2, le Comité note les arguments des auteurs selon lesquels, dans l’affaire Aursunden  1997, la Cour suprême a attaché de l’importance à la décision de la Cour suprême de 1897, qui reposait sur une attitude entachée de discrimination à l’égard des Samis. Cependant, les auteurs n’ont pas présenté d’éléments permettant de mettre en cause la constatation de la Cour suprême dans l’affaire Aursunden  1997 selon laquelle dans sa décision de 1897 la Cour suprême n’avait pas fait preuve de partialité à l’encontre des Samis. Il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits qui ont été examinés par la Cour suprême dans l’affaire Aursunden  1997. Le Comité estime que les auteurs n’ont pas présenté d’arguments étayant cette partie de leur plainte aux fins de la recevabilité, et que leur plainte est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.4S’agissant de la plainte pour violation supposée de l’article 27 en conjonction avec l’article 2 du Pacte, l’État partie en réfute la recevabilité aux motifs que les auteurs ne sont pas des victimes au sens de l’article premier du Protocole facultatif et qu’ils n’ont pas épuisé les recours internes conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel la plainte des auteurs constituerait une actio popularis puisqu’ils ne peuvent pas être considérés comme victimes d’une violation par l’État partie de l’article 27 du Pacte au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il constate cependant que la plainte des auteurs concerne le déni de leurs droits à faire paître des rennes dans certaines zones précises. Il récuse donc l’affirmation de l’État partie selon laquelle cette partie de la communication doit être rejetée en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

8.6Au sujet de l’affirmation de l’État partie selon laquelle, contrairement aux dispositions du paragraphe 2 b)de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes, le Comité relève que l’État partie a montré que les auteurs n’avaient pas encore épuisé tous les recours puisque dans certaines affaires ils n’avaient pas déposé de demandes d’expropriation auprès des autorités administratives. Les auteurs ont saisi la justice dans les affaires Tamnes, Aursunden 1997 et Korssjofjelletles demandes d’expropriation déposées par les auteurs dans ces deux dernières affaires sont pendantes, mais ils n’ont pas formulé de demande d’expropriation dans la première de ces affaires. Le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, un requérant est tenu de faire usage de tous les recours judiciaires ou administratifs lui offrant des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. La procédure d’expropriation, recours prévu par la loi de 1996, reste pendante. Il apparaît donc que les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes.

8.7Toutefois, il s’agit de savoir si les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Le Comité note l’argument des auteurs selon lequel leur communauté fait usage des recours judiciaires internes depuis plus d’un siècle et les demandes d’expropriation qu’ils ont déposées en 1998 et 1999 restent pendantes, ce qui excède un délai raisonnable.

8.8Le Comité estime que le temps qu’il a fallu aux auteurs pour obtenir réparation ne peut pas être compté à partir du moment où les Samis ont engagé des procédures au sujet de leurs droits de parcours, mais de celui où les auteurs eux‑mêmes ont saisi les tribunaux. Le Comité note que les auteurs ont présenté des demandes d’expropriation le 2 avril 1998 dans l’affaire Aursunden et le 9 avril 1999 dans l’affaire Korssjofjell . Dans le cadre de cette procédure, des négociations ont été engagées qui ont débouché sur un accord en février 2000; mais l’accord a été repoussé en mai 2000, ce qui a contraint les autorités à rouvrir la procédure d’expropriation.

8.9Le Comité considère que l’amendement de la loi sur l’élevage de rennes, puis la mise en route de négociations en vue d’offrir une solution aux auteurs, sont une explication raisonnable de la durée de l’examen des demandes des auteurs. Il ne peut pas conclure que la législation norvégienne, faisant obligation aux auteurs de mener à son terme la procédure de conciliation avec les propriétaires fonciers avant de déposer une demande d’expropriation, est déraisonnable. Il note également que, si les auteurs ont fait l’objet d’une plainte pénale pour usage illégal de terrains en litige, ils ont été acquittés et ont pu poursuivre leur élevage de rennes à la même échelle qu’avant les arrêts rendus par la Cour suprême. Le Comité ne peut donc pas conclure que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Les auteurs n’ayant pas épuisé tous les recours internes, leur plainte concernant l’article 27 est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.10Le Comité considère qu’étant donné le nouveau recours prévu par la loi de 1996, la plainte doit être jugée irrecevable. Il invite néanmoins instamment l’État partie à mener rapidement la procédure à bonne fin.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

[Fait en anglais (version originale), en français et en espagnol. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel présenté par le Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle, dissidente, de MM. Louis Henkin,Martin Scheinin et Solari‑Yrigoyen

Nous estimons que la communication aurait dû être examinée quant au fond. La décision d’irrecevabilité adoptée par la majorité repose essentiellement sur l’alinéa b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, en d’autres termes sur le non‑épuisement des recours internes disponibles. Cette conclusion est selon nous erronée pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, nous ne pensons pas que le fait de saisir les autorités administratives de l’État partie afin qu’elles engagent une procédure d’expropriation pour garantir les droits des auteurs en tant qu’éleveurs de rennes constitue un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs ont déjà épuisé une série de recours juridictionnels en portant leur affaire jusque devant la Cour suprême. Ils ne sont même pas parties à la procédure d’expropriation (voir par. 4.16), qui ne saurait donc être considérée comme un recours utile restant à épuiser. Les auteurs ont tout exercé le recours supplémentaire qui pouvait encore leur être ouvert pour obtenir l’expropriation par le simple dépôt de leur requête, en permettant ainsi de déclencher la procédure. L’issue de cette procédure et la question du délai dans lequel la décision serait rendue devraient être examinées au fond par le Comité, qui devrait s’interroger sur les mesures prises par l’État partie en vue de donner effet aux droits consacrés à l’article 27.

Ensuite, à supposer même que la procédure d’expropriation constitue en soi un recours utile, celle‑ci a déjà excédé les délais raisonnables au sens du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Les auteurs ont présenté leur demande d’expropriation le 2 avril 1998 après avoir été déboutés par la Cour suprême dans l’affaire Aursunden, à l’issue d’une procédure relativement longue. Près de trois ans plus tard, le 26 mars 2001, le règlement proposé a été rejeté par les propriétaires fonciers. Bien que l’État partie ait depuis adressé une note verbale au Comité, en date du 7 mars 2002, il n’a pas tenu celui‑ci informé des événements ultérieurs et n’a pas expliqué pourquoi quatre ans et demi s’étaient écoulés depuis que les auteurs avaient déposé leur requête ni indiqué une échéance à laquelle une décision pourrait être attendue. Dans ces conditions, le Comité aurait dû conclure que la procédure de recours avait excédé les délais raisonnables.

De plus, il apparaît que les arrêts de la Cour suprême donnant tort aux auteurs ne sont pas sans incidences sur l’exercice des droits consacrés à l’article 27. L’élevage étant devenu illégal dans certaines zones jusque‑là utilisées par les auteurs, de nouvelles actions risquent d’être intentées contre eux et de déboucher sur des sanctions légales s’ils continuent à pratiquer l’élevage du renne dans ces zones. Il n’a même pas été montré que la procédure d’expropriation, même si elle aboutissait, constituerait un recours pour ce grief précis.

Enfin, outre les arguments juridiques exposés ci‑dessus, il existe une raison pratique. Toute décision d’irrecevabilité pour non‑épuisement des recours internes peut être réexaminée. La majorité des membres du Comité a d’ailleurs fait référence au paragraphe 2 de l’article 92 du règlement intérieur, qui permet aux auteurs de demander au Comité de reconsidérer une telle décision. Il nous semble donc déraisonnable de déclarer la communication irrecevable alors que tout laisse à penser que les auteurs demanderont prochainement la réouverture du dossier.

Pour ce qui est de la plainte pour violation de l’article 26, nous estimons qu’elle est sans fondement seulement si leurs griefs au titre de l’article 27 sont déclarés irrecevables. Étant donné que nous considérons la partie de la communication relative à l’article 27 comme recevable, il en va de même en ce qui concerne l’article 26.

(Signé) Louis Henkin

(Signé) Martin Scheinin

(Signé) Hipólito Solari ‑Yrigoyen

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