Présentée par:

Mme Karina Arutyunyan (non représentée par un conseil)

Au nom de:

M. Arsen Arutyunyan

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

7 mars 2000 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 86 et de l’article 91 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 mars 2000 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

29 mars 2004

Le 29 mars 2004, le Comité des droits de l’homme a adopté ses constatations concernant la communication no 917/2000, au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif. Le texte des constatations figure en annexe au présent document.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS

CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingtième session

concernant la

Communication n o  917/2000 **

Présentée par:

Mme Karina Arutyunyan (non représentée par un conseil)

Au nom de:

M. Arsen Arutyunyan

État partie:

Ouzbékistan

Date de la communication:

7 mars 2000 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en application de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 29 mars 2004,

Ayant achevé l’examen de la communication no 917/2000 présentée par Mme Karina Arutyunyan au nom de son frère, M. Arsen Arutyunyan, en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication est Karina Arutyunyan, une ressortissante ouzbèke d’origine arménienne qui vit actuellement en Italie. Elle présente la communication au nom de son frère, Arsen Arutyunyan, ressortissant ouzbek d’origine arménienne né en 1979; condamné à mort, il se trouvait, au moment où elle a envoyé la communication, incarcéré à Tachkent, dans l’attente de l’exécution. L’auteur déclare que son frère est victime de violations par l’Ouzbékistan du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des paragraphes 1 et 4 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, du paragraphe 1 de l’article 14, du paragraphe 1 de l’article 15 et de l’article 17. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 22 mars 2000 le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications, a demandé à l’État partie, en application de l’article 86 de son règlement intérieur, de ne pas procéder à l’exécution de M. Arutyunyan tant que le Comité examinait son cas. Le 11 mai 2000, l’État partie a informé le Comité que la condamnation à mort prononcée contre M. Arutyunyan avait été commuée en 20 ans d’emprisonnement le 31 mars 2000.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1M. Arutyunyan était membre du groupe de rock ouzbek «Al‑Vakil». Le 26 mai 1999, il a été arrêté à Moscou en même temps qu’un autre membre du groupe, M. Siragev, en vertu d’un mandat d’arrestation délivré par les autorités ouzbèkes pour le vol et le meurtre commis sur la personne de Laylo Alieva, une vedette de variétés, en avril 1998 à Tachkent et pour la tentative de meurtre commise sur le fils de celle‑ci. Les deux hommes ont été transférés à Tachkent le 3 juin 1999.

2.2Par un jugement rendu le 3 novembre 1999, le Tribunal d’instance de Tachkent a reconnu MM. Arutyunyan et Siragev coupables du meurtre de Mme Alieva et du vol de ses bijoux et les a condamnés à mort. La Cour suprême a confirmé le jugement le 20 décembre 1999.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur fait valoir qu’après l’arrivée de son frère à Tachkent le 3 juin 1999, celui‑ci est resté détenu dans un lieu tenu secret pendant deux semaines et que les services du Procureur ont refusé d’indiquer où il se trouvait malgré des demandes répétées.

3.2M. Arutyunyan et M. Siragev, auraient été brutalisés et torturés pendant l’enquête en vue d’obtenir d’eux des aveux, au point que M. Siragev aurait dû être hospitalisé. L’auteur suppose qu’il en a été de même pour son frère.

3.3Le procès de M. Arutyunyan aurait été conduit avec partialité, le Tribunal d’instance de Tachkent se fondant sur ses seuls aveux, sans qu’il n’y ait eu ni témoin ni preuve matérielle ou empreinte digitale, et sur les dépositions de personnes qui ont disparu peu après l’instruction et n’ont donc pas pu confirmer leur déposition à la barre. Lors d’une audience qui n’aurait duré que 35 minutes, la Cour suprême a validé ce que l’auteur considère comme une procédure viciée et des violations commises par les enquêteurs et le tribunal de première instance.

3.4Au début, il n’aurait pas été permis à M. Arutyunyan de se faire assister par le conseil engagé par sa famille, sous le prétexte qu’il ne faisait pas encore l’objet de poursuites. Un conseil lui aurait été commis d’office, uniquement pour la forme, pendant son interrogatoire et au moment de ses aveux. Plus tard, quand le conseil engagé par ses soins a été autorisé à assurer sa défense, l’intéressé n’a pas pu le rencontrer en privé. De plus, le conseil n’a été autorisé à examiner les pièces du procès mené par le Tribunal d’instance de Tachkent que quelques minutes avant le début de l’audience de la Cour suprême. Il aurait aussi été l’objet de menaces proférées par la famille de Mme Alieva, au point qu’il s’est désisté et qu’il a fallu le remplacer. Dans ce contexte, l’auteur avance que des parents de Mme Alieva occupaient des fonctions élevées dans l’appareil judiciaire. Le nouveau conseil aurait à son tour été l’objet de menaces.

Observations de l’État partie

4.1Le 11 mai 2000, l’État partie a communiqué les renseignements suivants au sujet de l’affaire: le Présidium de la Cour suprême a examiné l’affaire le 31 mars 2000 et a décidé de commuer la peine de mort prononcée contre M. Arutyunyan en 20 ans d’emprisonnement. De plus, à la suite d’une amnistie présidentielle, la peine a été réduite «de vingt‑cinq pour cent» (cinq ans).

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Malgré plusieurs rappels, l’État partie n’a pas donné de réponse au Comité qui l’avait prié, conformément à l’article 91 du règlement intérieur, de lui soumettre des explications ou des observations portant sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que les États parties examinent de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et font parvenir au Comité toutes les informations dont ils disposent. Compte tenu de l’absence de coopération de l’État partie avec le Comité dans l’affaire dont il est saisi, le crédit voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur, dans la mesure où elles ont été étayées.

5.2Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 87 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.3Le Comité note que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que les recours internes ont été épuisés. Les conditions énoncées aux alinéas a et b du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif sont donc réunies.

5.4Le Comité a pris note de l’allégation de violation du paragraphe 2 de l’article 5 et des articles 15 et 17 du Pacte. Aucune information n’a été donnée à l’appui de ces griefs et l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. Le Comité déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité conclut que le grief de violation du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

5.6L’auteur affirme qu’après le transfert de son frère à Tachkent, le lieu de détention a été gardé secret pendant deux semaines et que les services du Procureur n’ont donné aucune information concernant l’endroit où le prisonnier se trouvait. En l’absence de toute observation sur ce point de la part de l’État partie, le Comité considère que cette plainte peut soulever des questions au titre de l’article 10, paragraphe 1 du Pacte et qu’elle est donc recevable.

5.7Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur qui affirme que le procès de M. Arutyunyan n’a pas été équitable. Tout en regrettant que l’État partie n’ait formulé aucune observation à ce sujet, le Comité note que les allégations de l’auteur concernent essentiellement l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les tribunaux nationaux. Il réaffirme que, de manière générale, il appartient aux juridictions des États parties, et non au Comité, d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce et d’interpréter les lois nationales, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était arbitraire ou représentait un déni de justice. L’auteur n’a pas montré, aux fins de la recevabilité, qu’il en avait été ainsi dans l’affaire à l’examen. Dans ces conditions, le Comité conclut que la plainte est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.8Le Comité a pris note de l’allégation selon laquelle M. Arutyunyan n’a pas été autorisé à se faire assister par l’avocat de son choix au début de l’instruction; ultérieurement, le conseil, qui devait préparer la défense en appel, n’aurait pas eu accès aux pièces du procès mené par le Tribunal d’instance de Tachkent. En l’absence de tout renseignement reçu de l’État partie sur ce point, le Comité déclare cette partie de la communication recevable dans la mesure où elle semble soulever des questions au titre de l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 et de l’article 6 du Pacte.

5.9L’auteur affirme que M. Arutyunyan a été frappé et torturé par les enquêteurs, qui voulaient lui arracher des aveux en violation de l’article 7 du Pacte. L’État partie n’a pas répondu à ce grief mais cette allégation reste vague et générale. En l’absence d’information qui la corrobore suffisamment, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable dans la mesure où l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

Examen au fond

6.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations portées à sa connaissance par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note de l’allégation selon laquelle M. Arutyunyan est resté détenu au secret pendant les deux semaines qui ont suivi son transfert à Tachkent. À l’appui de cette affirmation, l’auteur déclare que la famille a tenté en vain d’obtenir des services du Procureur qu’ils lui indiquent le lieu de détention. Dans ces conditions, et compte tenu de la nature particulière de l’affaire et du fait que l’État partie n’a donné aucune réponse sur ce point, le Comité conclut que les droits consacrés au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte ont été violés. Le Comité ayant constaté une violation de l’article 10, disposition du Pacte qui traite expressément de la situation des personnes privées de liberté et qui englobe à l’intention de ces personnes les éléments énoncés à titre général à l’article 7, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les griefs de violation de l’article 7.

6.3L’auteur fait valoir que les droits de la défense ont été violés parce que, une fois que le conseil choisi par la famille a été autorisé à représenter son frère, il n’a pu le rencontrer dans des conditions de confidentialité; de plus, l’avocat n’a pu examiner les pièces du procès mené par le Tribunal d’instance de Tachkent que peu de temps avant l’audience de la Cour suprême. À l’appui de ses allégations, l’auteur joint une copie d’une requête, en date du 17 décembre 1999, adressée par l’avocat à la Cour suprême pour demander un report d’audience au motif, notamment, qu’il s’était vu refuser l’accès auxdites pièces. La Cour suprême a rejeté cette requête. En appel, le conseil a déclaré ne pas avoir eu la possibilité de rencontrer son client en privé afin de préparer sa défense, mais la Cour suprême n’a pas répondu à l’objection. En l’absence de toute observation de l’État partie sur ce point, le Comité considère qu’il y a eu une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14.

6.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’imposition de la peine de mort à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte s’il n’est plus possible de faire appel du verdict. Dans le cas de M. Arutyunyan, la peine de mort a été prononcée à titre définitif alors que les dispositions de l’article 14 du Pacte concernant les conditions d’un procès équitable n’avaient pas été respectées. Cette constatation amène le Comité à conclure que le droit protégé par l’article 6 a également été violé. Cette violation a toutefois été réparée par la décision rendue le 31 mars 2000 par le Présidium de la Cour suprême de commuer la peine de mort.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 10 et du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à M. Arutyunyan un recours utile, qui pourrait revêtir la forme d’une nouvelle réduction de sa peine et d’une indemnisation. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 90 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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