Nations Unies

CERD/C/TJK/CO/12-13

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

24 mai 2023

Français

Original : anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Observations finales concernant le rapport du Tadjikistan valant douzième et treizième rapports périodiques *

1.Le Comité a examiné le rapport du Tadjikistan valant douzième et treizième rapports périodiques à ses 2971e et 2972e séances, les 20 et 21 avril 2023. À sa 2978e séance, le 27 avril 2023, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le rapport de l’État partie valant douzième et treizième rapports périodiques. Il se félicite du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie et la remercie pour les informations qu’elle lui a fournies durant l’examen du rapport et après le dialogue.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue les mesures législatives et générales ci-après prises par l’État partie :

a)La loi sur l’égalité et l’élimination de toutes les formes de discrimination, qui est entrée en vigueur le 22 juillet 2022 ;

b)Les modifications de l’article 499 (par. 3) du Code des infractions administratives, promulguées le 4 juillet 2020, qui excluent l’expulsion de la liste des sanctions susceptibles d’être infligées aux demandeurs d’asile et aux réfugiés ayant enfreint les conditions de séjour ;

c)Les modifications de la loi sur l’enregistrement officiel des actes d’état civil, adoptées en juillet 2019, qui prévoient la gratuité de l’enregistrement des naissances pendant trois mois à compter de la naissance de l’enfant ;

d)Le plan d’action national de lutte contre la traite des êtres humains (2022‑2024).

4.Le Comité salue la collaboration de l’État partie avec les quatre titulaires de mandat au titre des procédures spéciales qui ont effectué une visite dans le pays entre septembre 2017 et avril 2023.

C.Préoccupations et recommandations

Statistiques

5.Prenant note des rares informations fournies par l’État partie pendant le dialogue, le Comité regrette l’absence de statistiques actualisées sur la composition ethnique de la population, en particulier sur les peuples pamiri et yaghnobi, et le manque de données complètes sur les non-ressortissants (migrants, réfugiés, demandeurs d’asile et apatrides). Il regrette également que l’État partie ne reconnaisse pas, en respectant le principe de l’auto‑identification défini dans la recommandation générale no 8 (1990) concernant l’interprétation et l’application des paragraphes 1 et 4 de l’article premier de la Convention, que les Pamiri sont un groupe distinct de personnes vivant sur son territoire et qu’ils sont victimes de marginalisation et de discrimination. Il regrette, en outre, l’absence de données sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels ventilées par groupes ethniques présents dans l’État partie (art. 1er et 5).

6. Rappelant les directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention , le Comité recommande à l’État partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des données ventilées et actualisées sur la composition ethnique de la population, dans le respect du principe d’auto-identification, notamment sur les peuples pamiri et yaghnobi, et sur les non-ressortissants, y compris les migrants, les réfugiés, les demandeurs d’asile et les apatrides. Il lui recommande également de fournir des statistiques sur l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels, ventilées par groupe ethnique, afin que le Comité dispose d’une base empirique pour évaluer dans quelle mesure les droits consacrés par la Convention sont exercés dans des conditions d’égalité.

Définition de la discrimination raciale

7.Le Comité salue l’adoption, en juillet 2022, de la loi sur l’égalité et l’élimination de toutes les formes de discrimination. Toutefois, il note avec préoccupation que la définition de la discrimination donnée dans l’article 1er (par. 1) de la loi n’inclut pas expressément l’ascendance dans la liste des motifs de discrimination interdits. Il s’inquiète que, malgré l’interdiction de la discrimination indirecte prévue par l’article 5 (par. 3) de la loi, la définition de la discrimination telle qu’elle figure dans l’article 1er (par. 1) ne couvre pas la discrimination indirecte, puisque, selon cette définition, l’action discriminatoire est celle qui vise à nuire à la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice des droits de l’homme ou à les compromettre. En outre, il regrette l’absence d’informations démontrant les premiers résultats de l’application effective de la loi (art. 1er).

8.Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale n o 29 (2002) sur la discrimination fondée sur l’ascendance (art .  1 er , par .  1, de la Convention) et lui recommande de modifier l’article 1 er ( par.  1) de la loi sur l’égalité et l’élimination de toutes les formes de discrimination en vue d’interdire expressément la discrimination fondée sur l’ascendance. Rappelant le paragraphe 7 de sa recommandation générale n o 32 (2009) sur la signification et la portée des mesures spéciales dans la Convention, il rappelle à l’État partie que la discrimination au sens de la Convention englobe à la fois la discrimination directe et la discrimination indirecte, c’est-à-dire aussi bien la discrimination délibérée ou intentionnelle que la discrimination non intentionnelle qui résulte d’une action. Par conséquent, il recommande à l’État partie de remplacer l’expression «  vise à » figurant à l’article 1 er ( par.  1) de la loi sur l’égalité et l’élimination de toutes les formes de discrimination par «  a pour objectif ou pour effet de  » , dans le droit fil de l’article 1 er ( par.  1) de la Convention. Il recommande également à l’État partie de garantir et de contrôler l’application effective de la loi et notamment de mener des campagnes de sensibilisation auprès des titulaires de droits et des activités de renforcement des capacités à l’intention des porteurs de devoirs, avec la pleine participation de tous les groupes de la société qui sont concernés et de toutes les autres parties prenantes.

Institution nationale des droits de l’homme

9.Si le Comité salue l’action de l’État partie visant à mettre les activités du Commissariat aux droits de l’homme en conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris), il est préoccupé par les maigres progrès réalisés sur la voie de l’indépendance du Commissariat et par l’insuffisance des ressources humaines et financières allouées à cette institution, ce qui compromet sa capacité de s’acquitter de son mandat. À cet égard, le Comité regrette que l’institution ait toujours le statut B, tel qu’accordé par le Sous-Comité d’accréditation de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme, ce qui signifie qu’elle n’est que partiellement conforme aux Principes de Paris (art. 2).

10. Le Comité recommande à l’État partie de garantir la pleine indépendance du Commissariat des droits de l’homme et de prendre toutes les mesures nécessaires pour lui allouer des ressources financières et humaines suffisantes, afin qu’il puisse s’acquitter de son mandat. À cet égard, il engage l’État partie à prendre de nouvelles mesures afin d’appliquer les recommandations de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme et de mettre le Commissariat des droits de l’homme en parfaite conformité avec les Principes de Paris.

Application de l’article 4 de la Convention

11.Le Comité prend note des informations fournies par la délégation durant le dialogue selon lesquelles un projet de nouveau Code pénal est en cours d’élaboration dans l’État partie, mais il relève toujours avec préoccupation que l’actuel Code pénal ne respecte pas l’article 4 de la Convention, étant donné que l’incitation à la discrimination raciale et les actes de violence à caractère raciste n’y sont pas érigés en infraction (art. 4).

12. Rappelant ses recommandations générales n o 7 (1985) sur l’application de l’article 4 de la Convention, n o 15 (1993) sur l’article 4 de la Convention et n o 35 (2013) sur la lutte contre les discours de haine raciale, le Comité recommande à l’État partie d’accélérer l’adoption du projet de nouveau Code pénal et de faire en sorte qu’il couvre tous les éléments de l’article 4 de la Convention et qu’il soit effectivement appliqué.

Pamiri

13.Le Comité est profondément préoccupé par les tensions observées dans la région autonome du Haut-Badakhchan et relève avec une vive préoccupation qu’il aurait été fait usage d’une force excessive et de la force létale contre les manifestants dans la région, que les manifestations auraient été suivies de coupures Internet prolongées, que les membres de la minorité pamiri auraient ensuite fait l’objet de violentes attaques et de menaces, et qu’ils auraient été victimes de détentions arbitraires et d’actes de harcèlement.

14. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De mener dès que possible une enquête impartiale et transparente sur les événements qui seraient survenus dans la région autonome du Haut-Badakhchan depuis novembre 2021, dans le respect des normes internationales applicables  ;

b) De prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir une escalade de la violence dans la région, notamment en donnant suite aux plaintes de la minorité pamiri  ;

c) D’engager un dialogue ouvert et constructif avec la minorité pamiri  ;

d) D’appliquer des mesures de prévention des conflits répondant aux normes internationales des droits de l’homme, notamment des mesures visant à protéger la minorité pamiri .

Roms/Jughi

15.Le Comité demeure préoccupé par la discrimination structurelle qui empêche les Roms/Jughi de jouir de leurs droits et de leurs libertés fondamentales, et note que les femmes et les filles roms/jughi sont souvent victimes de discrimination fondée sur des motifs multiples, notamment l’appartenance ethnique et le sexe. Il est préoccupé en particulier par le fait que ces personnes sont encore plus vulnérables du point de vue économique, en raison de la pandémie de maladie à coronavirus (COVID-19), par les difficultés qui en découlent pour ce qui est de la migration de la main-d’œuvre et par les obstacles auxquels se heurtent ces personnes lorsqu’elles tentent d’accéder à un enseignement de qualité, aux soins de santé et aux services sociaux, d’obtenir des documents personnels, d’enregistrer leur lieu de résidence, de régulariser leur situation pour ce qui est du logement, et de se protéger contre l’exploitation et les pratiques traditionnelles préjudiciables. Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas élaboré une stratégie ou un plan d’action concret pour protéger les Roms/Jughi contre la discrimination et la stigmatisation et pour promouvoir leurs droits humains (art. 5).

16. Rappelant ses précédentes observations finales et sa recommandation générale n o 27 (2000) sur la discrimination à l’égard des Roms, le Comité exhorte l’État partie à adopter un plan d’action ou une stratégie visant à améliorer la situation des Roms, notamment des femmes et des filles, à garantir leur protection contre la discrimination et la stigmatisation et à promouvoir leurs droits fondamentaux, y compris leur droit à l’éducation, au travail, à la santé et à un logement convenable. Il recommande également à l’État partie d’organiser des campagnes de sensibilisation visant à promouvoir la tolérance et la solidarité à l’égard de la communauté rom et à faire en sorte que les Roms soient mieux compris par le reste de la population.

Participation à la vie publique et politique

17.Le Comité constate toujours avec préoccupation que les minorités ethniques, en particulier des femmes appartenant à ces minorités, ne sont pas correctement représentées dans les institutions publiques et les organes dont les membres sont élus, aussi bien au niveau national qu’au niveau local, leur représentation n’étant pas proportionnelle à leur nombre dans la population. Il est également préoccupé par la sous-représentation des Pamiri dans la vie publique, en particulier dans la région autonome du Haut-Badakhchan (art. 2 et 5).

18.Rappelant ses précédentes observations finales , le Comité exhorte à nouveau l’État partie à garantir la représentation et la participation politiques et publiques équitables des personnes appartenant à des minorités ethniques, en particulier des femmes. Il recommande à l’État partie de prendre des mesures visant à améliorer la représentation de ces personnes dans toutes les institutions publiques aux niveaux national et local, notamment en adoptant des mesures spéciales. Il lui recommande également de favoriser la participation des minorités ethniques dans la vie publique et politique, notamment en menant des activités de sensibilisation et en adoptant, au besoin, des mesures spéciales. Il recommande en outre à l’État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour que toutes les minorités ethniques, ainsi que la communauté pamiri , soient représentées dans la vie publique.

Promotion des langues minoritaires

19.Le Comité note avec préoccupation que, même si les besoins éducatifs des populations minoritaires sont reconnus dans les lois et les politiques nationales, seuls quelques rares établissements scolaires destinés aux minorités ethniques répondent, dans la pratique, à ces besoins éducatifs, sachant que l’enseignement multilingue n’est pas suffisant dans les programmes d’éducation pré-primaire et d’éducation de base pour permettre aux enfants et aux jeunes d’acquérir de solides compétences linguistiques. Il note également avec inquiétude que, malgré la protection prévue par la législation, les langues yaghnobi et pamiri seraient menacées de disparition et que l’État partie n’aurait pas pris les mesures nécessaires pour remédier à la situation. En particulier, il est préoccupé par des informations selon lesquelles l’État n’apporte pas son soutien à l’étude et à l’usage généralisé des langues du Pamir (art. 5).

20. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des mesures spéciales et d’allouer des ressources supplémentaires pour garantir aux enfants et aux jeunes des minorités ethniques suffisamment de possibilités d’apprentissage et d’enseignement dans leur langue maternelle, en particulier durant les cycles d’éducation pré-primaire et d’éducation de base, en prévoyant suffisamment d’enseignants dûment formés et de manuels dans les langues minoritaires  ;

b) De doter les autorités locales et régionales des moyens nécessaires et des compétences requises pour ce qui est de l’éducation des minorités, et de soutenir la participation des minorités à la procédure d’élaboration de politiques aux niveaux local et régional  ;

c) D’adopter des mesures efficaces pour préserver les langues minoritaires, en particulier le pamiri et le yaghnobi  ;

d) De soutenir l’inclusion des langues du Pamir dans le système éducatif et dans les programmes télévisés et radiophoniques.

Situation des réfugiés et demandeurs d’asile

21.Le Comité demeure préoccupé par les décisions gouvernementales no 325 du 26 juillet 2000 et no 328 du 2 août 2004, par lesquelles il est interdit aux réfugiés et aux demandeurs d’asile de résider dans les principaux centres urbains, ce qui restreint leurs droits à la liberté de circulation et à la liberté de résidence et a des effets néfastes sur leur accès à l’emploi, aux soins de santé, à l’éducation et aux autres services de base (art. 5).

22. Réitérant ses recommandations précédentes et rappelant sa recommandation générale n o 22 (1996) sur les réfugiés et personnes déplacées dans le contexte de l’article 5 de la Convention, le Comité recommande à l’État partie d’abroger les décisions n o 325 et n o 328, afin que les réfugiés et les demandeurs d’asile puissent jouir de leurs droits à la liberté de circulation et à la liberté de résidence dans des conditions d’égalité avec les autres non-ressortissants dans l’État partie, de leurs droits au travail, à la santé et à l’éducation, et des autres droits fondamentaux que leur reconnaît l’article 5 de la Convention.

Expulsion de ressortissants afghans

23.Le Comité s’inquiète des informations concernant le risque d’expulsion qui pèse constamment sur des ressortissants afghans, notamment les réfugiés et demandeurs d’asile, et le refus de leur accorder l’accès à la justice, en violation du principe de non-refoulement (art. 5).

24.Le Comité rappelle à l’État partie que le renvoi dans leur pays de personnes qui ont fui des persécutions les expose au risque de subir un préjudice irréparable à leur retour, notamment d’être victimes d’actes de torture, de mauvais traitements ou d’autres violations des droits de l’homme. Il recommande à l’État partie de s’abstenir, dans le respect du principe de non-refoulement, de refouler, d’expulser, de renvoyer ou d’extrader toute personne, quel que soit son statut, lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que celle-ci risque de subir un préjudice irréparable à son retour, notamment d’être victime d’actes de torture, de mauvais traitements ou d’autres violations graves des droits de l’homme, et de lui garantir la possibilité d’exercer son droit d’accès à la justice dans l’État partie, notamment par des procédures de plainte et de réparation qui soient accessibles et adéquates. Il recommande également à l’État partie d’éviter les expulsions collectives et de faire en sorte que les personnes qui demandent l’asile sur son territoire puissent accéder aux procédures de détermination du statut de réfugié.

Situation des apatrides

25.Le Comité relève avec intérêt que l’État partie a l’intention de ratifier la Convention relative au statut des apatrides et la Convention sur la réduction des cas d’apatridie. Il regrette que la loi d’amnistie adoptée le 18 décembre 2019 et autorisant les apatrides et les étrangers à régulariser leur statut juridique sans être soumis à des sanctions ne soit plus en vigueur depuis décembre 2022, et que la pandémie de COVID-19 et les restrictions qui y sont associées aient empêché de nombreuses personnes de déposer une demande de régularisation de leur statut juridique avant l’abrogation de la loi (art. 5).

26. Le Comité recommande à l’État partie de proroger la loi d’amnistie, afin de permettre aux apatrides et aux étrangers vivant sur son territoire de régulariser leur statut juridique. Il lui recommande également d’accélérer la ratification de la Convention relative au statut des apatrides et de la Convention sur la réduction des cas d’apatridie.

Restriction du droit au mariage et au choix du conjoint pour les étrangers et les apatrides

27.Le Comité regrette les exigences supplémentaires qu’impose l’article 12 (par. 3) du Code de la famille aux étrangers et aux apatrides qui souhaitent épouser un ressortissant du Tadjikistan, à savoir l’obligation qui leur est faite de justifier qu’ils résident dans le pays depuis au moins un an avant le mariage et de présenter un contrat de mariage. Il prend note que l’État partie entend, selon ses dires, empêcher que les époux et épouses tadjiks et leurs enfants ne soient abandonnés après un mariage fictif ou provisoire avec un ou une personne étrangère ou apatride. Toutefois, il est d’avis que les mesures de protection devraient être conformes à la Convention et garantir à chacun la jouissance de ses droits et libertés fondamentaux, sans distinction de race, de couleur ou d’origine nationale ou ethnique. Par conséquent, il craint que le fait d’imposer ces exigences n’ait des effets discriminatoires sur les droits des étrangers et des apatrides dans l’État partie, en particulier le droit au mariage et au choix d’un conjoint (art. 5).

28.Ayant à l’esprit sa recommandation générale n o 30 (2004) sur la discrimination contre les non-ressortissants, le Comité recommande à l’État partie de réviser son Code de la famille pour le rendre pleinement conforme à la Convention et aux obligations internationales mises à sa charge. En particulier, l’État partie devrait veiller à ce que les non-ressortissants puissent réellement exercer sans discrimination les droits énoncés à l’article 5 de la Convention, y compris les droits au mariage et au choix d’un conjoint. À cet égard, le Comité rappelle que les États parties doivent faire le nécessaire pour que les dispositions législatives contre la discrimination raciale s’appliquent aux non ‑ ressortissants indépendamment de leur statut au regard de la législation sur l’immigration, et que l’application de la législation n’ait pas d’effet discriminatoire sur les non-ressortissants.

Enregistrement des naissances

29.Le Comité prend note des modifications de la loi sur l’état civil adoptées en juillet 2019 dans le cadre de la réforme en cours du système d’enregistrement des faits d’état civil, qui prévoit la gratuité de l’enregistrement des naissances pendant trois mois à compter de la date de naissance de l’enfant. Toutefois, il craint que des lacunes dans la législation nationale n’empêchent les parents sans papiers ou ne disposant pas de document justifiant de leur nationalité d’enregistrer la naissance de leur enfant (art. 5).

30. À la lumière de sa recommandation générale n o 30 (2004), le Comité souligne que l’enregistrement des naissances est une condition préalable à l’exercice d’un large éventail de droits de l’homme. Par conséquent, il recommande à l’État partie de mener à son terme la réforme du système d’enregistrement des faits d’état civil, afin d’instaurer des mesures de protection garantissant l’enregistrement universel des naissances, de sorte que tous les enfants nés sur son territoire soient enregistrés, indépendamment de leur nationalité ou du statut de leurs parents au regard du titre de séjour, en vue de prévenir l’apatridie et de faire en sorte que les enfants puissent exercer leurs droits humains, y compris leur droit à l’éducation.

Traite des personnes

31.Le Comité relève avec intérêt ce que fait l’État partie pour prévenir, combattre et éliminer la traite des personnes dans le cadre des migrations internationales. Toutefois, il partage les préoccupations de la Rapporteuse spéciale au sujet de la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants, et de l’attention limitée accordée à la traite à l’intérieur du pays, plus particulièrement celle des travailleurs migrants, notamment parce que les risques de traite à des fins de travail forcé ne font l’objet d’aucun contrôle et que les travailleurs migrants victimes de la traite ou exposés à un tel risque n’ont qu’un accès limité à des mesures d’aide et de protection. En outre, il est préoccupé par l’absence de mesures de prévention et de protection contre la traite des enfants qui appartiennent à des groupes minoritaires et sont exposés à la traite, en particulier à des fins de mendicité forcée, de criminalité forcée, d’exploitation par le travail et d’exploitation sexuelle (art. 5).

32. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De renforcer l’application de son cadre de lutte contre la traite des personnes, notamment en veillant à ce que des ressources humaines, techniques et financières suffisantes soient allouées à l’application effective des lois et politiques, en renforçant la coordination entre les organismes de sécurité de l’État, l’appareil judiciaire et les services sociaux et en resserrant leur coopération avec la société civile   ;

b) De redoubler d’efforts pour créer et mettre en application des mécanismes de repérage précoce et des systèmes de prise en charge normalisés pour les victimes de la traite et d’adopter des mesures ciblées pour protéger les personnes les plus exposées à la traite   ;

c) D’intensifier ses efforts pour enquêter sur toutes les allégations de traite des personnes, poursuivre les trafiquants et dûment sanctionner ceux qui sont reconnus coupables, tout en garantissant l’accès des victimes à des recours utiles   ;

d) D’améliorer le système d’octroi de licence et de contrôle des agences de recrutement, et d’appliquer les Principes généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement équitable de l’Organisation internationale du Travail (OIT)  ;

e) De renforcer ses mesures de protection et d’assistance destinées aux personnes victimes de la traite ou exposées à des risques de traite, en particulier aux travailleurs migrants, et de veiller à ce que ces personnes aient effectivement accès à une aide juridique, médicale et psychologique adaptée et à des services sociaux, y compris à un logement, en collaboration avec les organisations de la société civile   ;

f) De renforcer les capacités de la Commission des droits de l’enfant pour remédier aux questions liées à la traite, notamment afin de repérer les enfants, notamment ceux appartenant à des groupes minoritaires, et les personnes qui en ont la charge, d’évaluer leur situation et de leur apporter de l’aide  ;

g) D’améliorer la collecte de données concernant l’application des lois anti ‑ traite et de statistiques sur les tendances en matière de migration de la main ‑ d’œuvre  ;

h) D’appliquer les recommandations formulées par la Rapporteuse spéciale sur la traite des êtres humains, en particulier les femmes et les enfants, dans son rapport sur sa visite dans l’État partie.

Plaintes pour discrimination raciale

33.Le Comité demeure préoccupé par l’absence d’informations concernant des plaintes relatives à des actes de discrimination raciale reçues et traitées par les forces de l’ordre, les tribunaux des affaires familiales et d’autres organes d’enquêtes, en particulier le Commissaire aux droits de l’homme (art. 6).

34. Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur sa recommandation générale n o 31 (2005) sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale et rappelle que l’absence de plaintes et d’actions en justice visant des actes de discrimination raciale ne signifie pas qu’il n’y a pas de discrimination dans un État partie, mais peut révéler l’absence d’une législation applicable, une méconnaissance des voies de recours disponibles, une méfiance envers le système judiciaire, la crainte de représailles ou un manque de volonté de la part des autorités s’agissant de poursuivre les auteurs de tels actes. Par conséquent, il recommande à l’État partie  :

a) D’adopter des mesures, selon un calendrier précis, visant à évaluer l’efficacité des voies de recours dont disposent les victimes de discrimination raciale, notamment en effectuant des sondages et en recueillant des informations sur la discrimination fondée sur la race, la couleur de la peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, et, ce faisant, de veiller à ce que toutes les organisations de la société civile, notamment les organisations représentatives des groupes les plus exposés à la discrimination raciale, soient vraiment consultées et puissent apporter leur contribution  ;

b) De mener des activités de sensibilisation pour que le public, en particulier les membres des minorités ethniques, ait conscience des actes qui relèvent de la discrimination raciale et connaisse les voies de recours disponibles  ;

c) D’organiser, à l’intention des membres des forces de l’ordre, des procureurs, des juges et autres agents publics, des programmes de formation à la détection et à l’enregistrement des cas de discrimination raciale  ;

d) De fournir, dans son prochain rapport, des informations et des statistiques, ventilées par âge, genre, et origine ethnique ou nationale, sur les plaintes pour discrimination raciale, les enquêtes et les poursuites engagées, les déclarations de culpabilité et les sanctions prononcées contre leurs auteurs et les voies de recours ouvertes aux victimes.

Défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, organisations de la société civile et journalistes

35.Le Comité est profondément préoccupé par les informations selon lesquelles des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, des membres d’organisations de la société civile et des journalistes appartenant à des minorités et des personnes qui défendent leurs droits font l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation, d’arrestations et de détentions arbitraires, de procès inéquitables tenus à huis clos et d’emprisonnement. Il regrette que la législation nationale en matière de lutte contre le terrorisme, qui comprend la loi de lutte contre le terrorisme et les dispositions du Code pénal, donne une définition trop large et ambiguë du terrorisme et des infractions connexes. Il est préoccupé par les informations concernant l’utilisation de cette législation pour justifier l’arrestation et la détention de défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, de membres d’organisations de la société civile et de journalistes. Il est également préoccupé par l’absence de reconnaissance légale du statut de défenseur des droits de l’homme dans l’État partie et par les informations concernant la pression accrue que les autorités publiques font peser sur les organisations de la société civile et leurs représentants, allant de charges administratives excessives à des menaces visant à les convaincre ou à les forcer de prononcer leur dissolution (art. 5).

36. Le Comité recommande à l’État partie  :

a) De mener des enquêtes efficaces, approfondies et impartiales sur tous les cas signalés d’arrestation et de détention arbitraire, d’intimidation, de harcèlement, de menaces et de représailles visant des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, des membres d’organisations de la société civile et des journalistes appartenant à des minorités et des personnes qui défendent leurs droits, d’établir la responsabilité des auteurs de tels actes et d’offrir des voies de recours aux victimes  ;

b) De revoir la définition du «  terrorisme  » et des infractions connexes donnée dans la loi de lutte contre le terrorisme et les dispositions du Code pénal, afin de la mettre en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme et de faire en sorte que nul ne puisse invoquer la législation pour arrêter, placer en détention ou poursuivre des défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, des membres d’organisations de la société civile ou des journalistes, y compris les personnes qui travaillent sur les droits de minorités, lorsqu’ils exercent leur droit à la liberté d’opinion et d’expression et à la liberté de réunion pacifique et d’association  ;

c) De prendre toutes les mesures nécessaires, notamment en adoptant une loi visant à protéger les défenseurs et défenseuses des droits de l’homme, afin que tous et toutes, y compris les personnes qui travaillent sur les droits des minorités, soient reconnus et puissent exercer leurs activités de manière pacifique et légitime sans craindre d’être soumis à des restrictions ou de faire l’objet de poursuites judiciaires ou de représailles  ;

d) De prendre toutes les mesures nécessaires pour que les organisations de la société civile puissent exercer librement leurs activités sans être soumises à des restrictions injustifiées ou à des charges administratives excessives ou sans faire l’objet de menaces ou de toutes autres formes de persécution.

D.Autres recommandations

Ratification d’autres instruments

37. Compte tenu du caractère indissociable de tous les droits de l’homme, le Comité engage l’État partie à envisager de ratifier les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, en particulier ceux dont les dispositions intéressent directement les communautés qui peuvent faire l’objet de discrimination raciale, notamment la Convention relative aux droits des personnes handicapées et la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, ainsi que la Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (n o 169) et la Convention (n o 189) sur les travailleuses et travailleurs domestiques, 2011, de l’Organisation internationale du Travail.

Amendement à l’article 8 de la Convention

38. Le Comité recommande à l’État partie de ratifier l’amendement à l’article 8 ( par.  6) de la Convention, adopté le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 47/111.

Déclaration visée à l’article 14 de la Convention

39. Le Comité engage l’État partie à faire la déclaration facultative visée à l’article 14 de la Convention, par laquelle les États parties reconnaissent la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers.

Suite donnée à la Déclaration et au Programme d’action de Durban

40. À la lumière de sa recommandation générale n o 33 (2009) sur le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, en tenant compte du document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, quand il applique la Convention. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des renseignements précis sur les plans d’action qu’il aura adoptés et les autres mesures qu’il aura prises pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action de Durban au niveau national.

Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine

41. À la lumière de la résolution 68/237 de l’Assemblée générale proclamant la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine pour 2015-2024 et de la résolution 69/16 sur le programme d’activités de la Décennie, le Comité recommande à l’État partie d’élaborer et d’appliquer un programme adapté de mesures et de politiques en collaboration avec des organisations et avec des personnes d’ascendance africaine. Le Comité demande à l’État partie d’inclure dans son prochain rapport des renseignements précis sur les mesures concrètes qu’il aura adoptées dans ce cadre, compte tenu de sa recommandation générale n o 34 (2011) sur la discrimination raciale à l’égard des personnes d’ascendance africaine.

Consultations avec la société civile

42. Le Comité recommande à l’État partie de poursuivre et d’élargir le dialogue avec les organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine de la protection des droits de l’homme, en particulier celles qui luttent contre la discrimination raciale, dans le cadre de l’élaboration du prochain rapport périodique et du suivi des présentes observations finales.

Diffusion d’information

43. Le Comité recommande à l’État partie de mettre ses rapports à la disposition du public dès leur soumission, de diffuser les observations finales du Comité qui s’y rapportent auprès de tous les organes de l’État chargés de l’application de la Convention, y compris les municipalités, et de les publier sur le site Web du Ministère des affaires étrangères dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il conviendra.

Document de base commun

44. Le Comité engage l’État partie à mettre à jour son document de base commun, qui date de 2004, conformément aux directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles concernant le document de base commun, adoptées à la cinquième réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme tenue en juin 2006 . À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 42 400 mots fixée pour ce document.

Suite donnée aux présentes observations finales

45. Conformément à l’article 9 ( par.  1) de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur, le Comité demande à l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes 12 (Application de l’article 4 de la Convention), 16 (Roms/ Jughi ) et 24 (Expulsion de ressortissants afghans).

Paragraphes d’importance particulière

46. Le Comité souhaite aussi appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant dans les paragraphes 14 ( Pamiri ) et 36 (Défenseurs des droits de l’homme, organisations de la société civile et journalistes), et lui demande de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour y donner suite.

Élaboration du prochain rapport périodique

47. Le Comité recommande à l’État partie de soumettre son rapport valant qua tor zième à dix-huitième rapports périodiques d’ici au 10 février 2028, en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales. À la lumière de la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le Comité exhorte l’État partie à respecter la limite de 21 200 mots fixée pour les rapports périodiques.