Nations Unies

CERD/C/TJK/CO/6-8

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

24 octobre 2012

Français

Original: anglais

Comité pour l ’ éliminati on de la discrimination raciale

Observations finales concernant les sixième à huitième rapports périodiques du Tadjikistan, adoptées par le Comité à sa quatre-vingt-unième session (6-31 août 2012)

1.Le Comité a examiné les sixième à huitième rapports périodiques du Tadjikistan (CERD/C/TJK/6-8), soumis en un seul document, à ses 2171e et 2172e séances (CERD/C/SR.2171 et CERD/C/SR.2172), les 8 et 9 août 2012. À sa 2185e séance (CERD/C/SR.2185), le 17 août 2012, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction la soumission, en un seul document, des sixième à huitième rapports périodiques de l’État partie, encore qu’elle ait été tardive. Il salue la présence d’une délégation de haut niveau ainsi que les réponses franches et constructives qui ont été apportées aux questions et observations formulées par les membres du Comité.

3.Le Comité constate avec satisfaction que le document soumis par l’État partie a été établi, dans l’ensemble, de façon conforme aux directives concernant l’établissement des rapports.

B.Aspects positifs

4.Le Comité prend note avec satisfaction d’un certain nombre de faits nouveaux positifs et d’activités entreprises par l’État partie afin de lutter contre la discrimination raciale et de promouvoir la diversité, notamment:

a)La modification du Code pénal, en mai 2004, ayant pour effet d’ériger la motivation raciale d’une infraction en circonstance aggravante;

b)Le nouveau Code de procédure pénale d’avril 2010 consacrant le principe de non-discrimination dans les procédures pénales;

c)Le nouveau Code des infractions administratives du 1er avril 2009, en ce qu’il interdit la diffusion de matériel à caractère raciste;

d)La loi sur la langue de l’État du 5 octobre 2009 consacrant le droit des peuples et des groupes ethniques d’utiliser leur propre langue sans restriction.

5.Le Comité prend note de la création, le 20 mars 2008, du Bureau du Médiateur pour les droits de l’homme.

6.Le Comité prend également note d’un certain nombre de mesures de lutte contre la traite des êtres humains prises pendant la période considérée, notamment un programme complet pour la période 2006-2010, adopté en vertu du décret gouvernemental no 213 du 6 mai 2006.

7.Le Comité accueille favorablement le Programme de développement culturel pour la période 2008-2015, adopté en vertu de la décision gouvernementale no 85 du 3 mars 2007.

C.Sujets de préoccupation et recommandations

Données pertinentes

8.Le Comité constate que l’État partie a procédé à un recensement général en 2010 et a inclus certaines données statistiques dans ses rapports périodiques. Il regrette cependant l’absence de données ventilées sur la composition ethnique de la population et d’indicateurs socioéconomiques pertinents sur l’exercice des droits garantis par la Convention par les membres de divers groupes, en particulier les minorités et les non-ressortissants (dans les domaines de l’emploi, de l’éducation et de la santé), ces données étant nécessaires pour déterminer les progrès accomplis et les difficultés rencontrées lors de l’application des dispositions de la Convention (art. 1er et 5).

Rappelant ses directives révisées pour l ’ établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention (CERD/C/2007/1), le Comité rappelle combien il est important de compiler des données ventilées sur la composition ethnique de la population. Il rappelle aussi que des données précises (ventilées par origine ethnique ou nationale et tenant compte des spécificités hommes-femmes) sur la situation socioéconomique et culturelle et les conditions de vie des différents groupes qui composent la population sont un outil précieux pour permettre à l ’ État partie de prendre les mesures nécessaires afin de garantir à tous l ’ exercice des droits consacrés par la Convention et d e prévenir la discrimination fondée sur l ’ origine ethnique et la nationalité.

Définition de la discrimination raciale

9.Le Comité relève que l’article 7 du Code du travail relatif à l’égalité des chances donne une définition de la discrimination raciale proche de celle de l’article premier de la Convention, mais il réaffirme sa préoccupation face à l’absence, dans la législation de l’État partie, de dispositions similaires s’agissant d’autres domaines sociaux. Il regrette également que la Convention n’ait jamais été appliquée par les tribunaux, bien que ses dispositions puissent être directement invoquées devant les juridictions nationales (art. 1er et 2).

Le Comité recommande à l ’ État partie de reconsidérer sa position selon laquelle l ’ adoption d ’ une définition de la discrimination raciale conforme à la Convention n ’ est pas nécessaire , puisque les juges peuvent appliquer directement les dispositions de cet instrument. Il engage l ’ État partie à inclure dans sa législation une définition de la discrimination raciale conforme à la Convention, couvrant tous les domaines de la vie publique et privée, et à sensibiliser davantage les juges aux normes internationales applicables au niveau national.

Incrimination de la discrimination raciale

10.Le Comité prend note de l’existence d’un certain nombre de dispositions législatives interdisant la discrimination raciale dans le Code pénal, le Code du travail et le Code administratif. Il regrette cependant que l’État partie n’ait pas encore adopté une loi d’ensemble sur la discrimination raciale et relève que les dispositions existantes ne sont pas pleinement conformes à l’article 4 de la Convention, notamment en raison de la non‑incrimination de l’incitation à la discrimination raciale et des actes de violence à caractère raciste (art. 4).

Le Comité réaffirme que l ’ adoption d ’ un e loi d’ensemble sur les infractions liées à la discrimination raciale aiderait grandement l ’ État partie à combattre la discrimination raciale . Compte tenu du caractère obligatoire des dispositions de l ’ article 4 et conformément à sa Recommandation générale n o 15 (1993) sur l ’ article 4 de la Convention, le Comité recommande à l ’ État partie de réviser sa législation de façon à couvrir tous les aspects de l ’ article 4 de la Convention et à garantir son application effective.

Absence de plainte pour discrimination raciale

11.Le Comité prend note de l’information communiquée par l’État partie sur l’absence de plainte pour actes de discrimination raciale auprès des tribunaux ou du Bureau du Médiateur (art. 2 et 6).

Rappelant sa Recommandation générale n o 31 (2005) sur la prévention de la discrimination raciale dans l ’ administration et le fonctionnement du système de justice pénale, le Comité souligne que l ’ absence de plainte pour actes de discrimination raciale n ’ est pas forcément un bon signe. Le Comité renouvelle sa recommandation précédente (CERD/C/65/CO/8, par. 20) et engage l ’ État partie à enquêter de manière approfondie sur les raisons de cette absence de plainte et à déterminer s ’ il doit prendre des mesures complémentaires pour prévenir et combattre les actes de discrimination raciale, et pour accorder réparation aux victimes, conformément aux dispositions de la Convention, en tenant compte de la Recommandation générale susmentionnée .

Participation à la vie publique et politique

12.Le Comité prend note des données spécifiques communiquées par l’État partie sur la représentation des membres de groupes ethniques dans la vie publique, la fonction publique, les assemblées locales et l’appareil judiciaire. Le Comité reste cependant préoccupé par le faible niveau de représentation de ces personnes au Parlement (art. 1er, 2 et 5).

Le Comité encourage l ’ État partie à poursuivre s es efforts pour faire progresser la participation des membres de minorités ethniques, y compris les femmes, à la vie publique et politique. Il recommande à l ’ État partie d ’ améliorer la représentation de ces personnes au Parlement et dans les autres institutions publiques, notamment en adoptant des mesures spéciales à cette fin.

Situation de la communauté rom

13.Le Comité prend note de l’analyse faite par l’État partie quant à la situation précaire de la communauté rom et sa stigmatisation. Il déplore l’absence de stratégie ou de plan concret pour protéger les Roms contre la discrimination et la stigmatisation et pour promouvoir leurs droits économiques, sociaux et culturels (art. 5).

Le Comité, rappelant sa Recommandation générale n o 27 (2000 ) sur la discrimination à l ’ égard des Roms, recommande à l ’ État partie d ’ adopter une stratégie visant à améliorer la situation des Roms, à garantir leur protection contre la discrimination et la stigmatisation et à promouvoir leurs droits à l ’ éducation, à l ’ emploi, au logement et aux soins de santé. Le Comité encourage l ’ État partie à organiser des campagnes de sensibilisation pour promouvoir, au près de la population, la tolérance, la compréhension et la solidarité envers la communauté rom.

Situation des réfugiés, des demandeurs d’asile et des apatrides, s’agissant notamment de l’accès à la citoyenneté

14.Le Comité s’inquiète des restrictions faites à la liberté de circulation des réfugiés et à leur droit de choisir leur lieu de résidence. Il demeure préoccupé par les difficultés auxquelles sont confrontés les réfugiés et demandeurs d’asile en matière d’emploi, d’accès aux services publics, d’éducation et de citoyenneté, et par le nombre de personnes apatrides de longue date (art. 5).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) De lever les dispositions réglementaires interdisant aux réfugiés de vivre dans certaines zones, en particulier à Douchanbé et à Kjujand ;

b) De prendre toutes les mesures nécessaires pour que les réfugiés puissent exercer leurs droits au travail, aux soins de santé et à l’éducation;

c) De faire le nécessaire pour que les enfants de réfugiés bénéficient d’une protection appropriée;

d) De remédier à la situation des personnes apatrides et d’envisager de ratifier la Convention de 1954 relative au statut des apatrides et la Convention de 1961 sur la réduction des cas d ’ apatridie ;

e) De finaliser sans délai les travaux législatifs en cours, avec l’aide du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, afin d’adopter une nouvelle loi sur la citoyenneté et de réviser la loi sur les réfugiés.

Lutte contre la traite des êtres humains

15.Le Comité constate que le Tadjikistan reste un pays d’origine pour la traite des femmes et des enfants, en particulier ceux appartenant à des groupes vulnérables, notamment les minorités, les réfugiés et les demandeurs d’asile (art. 5).

Le Comité encourage l ’ État partie à redoubler d ’ efforts pour combattre ce fléau et à poursuivre les trafiquants , à faire en sorte que les victimes de la traite obtiennent réparation et à coopérer avec les États voisins .

Législation discriminatoire à l’égard des non-ressortissants

16.Le Comité s’inquiète des modifications apportées au Code de la famille en 2011 qui limitent le droit des étrangers et des apatrides, y compris des migrants, d’épouser une femme tadjike, puisque obligation leur est faite de résider légalement dans l’État partie depuis au moins un an et de conclure une convention prénuptiale en vertu de laquelle ils sont tenus de fournir un logement à leur épouse tadjike. Le Comité déplore cette disposition, qui a un effet discriminatoire et qui est, par conséquent, contraire à la Convention (art. 2 et 5).

À la lumière de sa Recommandation générale n o 30 (2005) sur la discrimination à l ’ égard des non-ressortissants, le Comité recommande à l ’ État partie de réviser sa législation pour la rendre pleinement conforme à ses obligations internationales et à la Convention; en particulier, l ’ État partie devrait veiller à ce que les non-ressortissants puissent réellement exercer sans discrimination les droits énoncés dans l ’ article 5 de la Convention. Le Comité rappelle que les États parties doivent faire le nécessaire pour que les dispositions législatives contre la discrimination raciale s ’ appliquent aux non-ressortissants indépendamment de leur statut au regard de la législation sur l ’ immigration , et que la mise en œuvre de la législation n ’ ait pas un effet discriminat oire sur les non-ressortissants. Le Comité recommande à l’État partie de tenir compte de cette obligation dans la nouvelle loi sur la citoyenneté afin de trouver d’autres moyens de protéger les femmes tadjikes tout en évitant la discrimination fondée sur l’origine ethnique ou la nationalité.

Mandat du Médiateur

17.Le Comité est préoccupé par le fait que le Médiateur n’ait pas encore contribué effectivement à la mise en œuvre de la Convention et ne semble pas travailler indépendamment du Gouvernement (art. 2).

Le Comité encourage l’État partie à garantir l’indépendance du Bureau du Médiateur en le dotant de ressources humaines et financières adaptées pour qu’il puisse s’acquitter de son mandat, notamment promouvoir les droits garantis par la Convention et surveiller la mise en œuvre de ces droits. Le Comité encourage de plus l’État partie à prendre les mesures nécessaires pour conférer au Bureau du Médiateur le niveau d’une institution nationale des droits de l’homme ou à établir une institution nationale des droits de l’homme conforme aux Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l ’ homme (Principes de Paris),recommandations qui ont été acceptées pendant l ’ Examen périodique universel par le Conseil des droits de l ’ homme.

Promotion des langues minoritaires

18.Le Comité exprime de nouveau sa préoccupation face au manque de manuels scolaires pour les enfants de groupes minoritaires et d’enseignants qualifiés dans les langues minoritaires. Le Comité prend note des efforts déployés pour promouvoir les langues parlées partout dans le monde, comme le russe et l’anglais, mais il estime que cela ne devrait pas se faire au détriment des langues des groupes minoritaires (art. 5).

Le Comité encourage l’État partie à poursuivre ses efforts pour fournir des manuels scolaires rédigés dans des langues minoritaires. Il recommande en outre à l’État partie de créer des programmes de formation à l’intention des enseignants intervenant auprès des élèves de groupes minoritaires, y compris des programmes de formation professionnelle dans la langue maternelle. Le Comité encourage également l’État partie à redoubler d’efforts pour assurer, notamment dans le secondaire et le supérieur, un enseignement des (ou dans les) langues minoritaires, en fonction des besoins et des souhaits des personnes appartenant à ces groupes.

Participation des organisations de la société civile

19.Si l’État partie a indiqué que des organisations de la société civile avaient participé à la finalisation des rapports, le Comité déplore l’absence de rapport parallèle et de tout renseignement émanant de telles organisations (art. 2).

Le Comité recommande à l’État partie de faire à nouveau participer des organisations non gouvernementales à l’élaboration de son prochain rapport périodique et de faciliter leur participation au prochain examen du rapport.

D.Autres recommandations

Suite donnée à la Déclaration et au Programme d’action de Durban

20.À la lumière de sa Recommandation générale no 33 (2009) sur le suivi de la Conférence d’examen de Durban, le Comité recommande à l’État partie de donner effet à la Déclaration et au Programme d’action de Durban, adoptés en septembre 2001 par la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et la tolérance qui y est associée, en tenant compte du Document final de la Conférence d’examen de Durban, tenue à Genève en avril 2009, quand il applique la Convention. Le Comité demande à l’État partie de fournir, dans son prochain rapport périodique, des renseignements précis sur les plans d’action qu’il aura adoptés et les autres mesures qu’il aura prises pour appliquer la Déclaration et le Programme d’action au plan national.

Amendement à l’article 8 de la Convention

21.Le Comité recommande à l’État partie de ratifier les amendements au paragraphe 6 de l’article 8 de la Convention, adoptés le 15 janvier 1992 à la quatorzième Réunion des États parties à la Convention et approuvés par l’Assemblée générale dans sa résolution no 47/111. À cet égard, le Comité rappelle les résolutions nos 61/148, 63/243 et 65/200, dans lesquelles l’Assemblée générale a demandé instamment aux États parties d’accélérer les procédures internes de ratification de l’amendement concernant le financement du Comité et d’informer par écrit le Secrétaire général dans les meilleurs délais de leur acceptation de cet amendement.

Diffusion

22.Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte que ses rapports périodiques soient rendus publics et soient accessibles au moment de leur soumission, et de diffuser de la même manière les observations finales du Comité qui s’y rapportent dans les langues officielles et les autres langues couramment utilisées, selon qu’il convient.

Document de base commun

23.Le Comité encourage l’État partie à mettre régulièrement à jour le document de base (HRI/CORE/1/Add.128) soumis en 2004, conformément aux directives harmonisées concernant l’établissement des rapports destinés aux organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, en particulier celles concernant le document de base commun, telles qu’adoptées par la cinquième Réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tenue en juin 2006 (HRI/GEN.2/Rev.6, chap. I).

Suite donnée aux observations finales

24.Conformément au paragraphe 1 de l’article 9 de la Convention et à l’article 65 de son règlement intérieur modifié, le Comité demande à l’État partie de fournir, dans un délai d’un an à compter de l’adoption des présentes observations finales, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations figurant dans les paragraphes 13 et 14.

Recommandations d’importance particulière

25.Le Comité souhaite aussi appeler l’attention de l’État partie sur l’importance particulière des recommandations figurant dans les paragraphes 9, 16 et 17, et demande à l’État partie de faire figurer dans son prochain rapport périodique des renseignements détaillés sur les mesures concrètes qu’il aura prises pour appliquer ces recommandations.

Élaboration du prochain rapport

26.Le Comité recommande à l’État partie de soumettre ses neuvième à onzième rapports périodiques en un seul document, d’ici au 10 février 2016, en tenant compte des directives pour l’établissement du document se rapportant spécifiquement à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptées par le Comité à sa soixante et onzième session (CERD/C/2007/1) et en traitant de tous les points soulevés dans les présentes observations finales. Le Comité demande instamment à l’État partie de respecter la limite de 40 pages fixée pour les rapports propres au Comité et la limite de 60 à 80 pages fixée pour le document de base commun (voir les directives harmonisées figurant dans le document HRI/GEN.2/Rev.6, chap. I, par. 19).