NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1575/200729 avril 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑quinzième session16 mars‑3 avril 2009

DÉCISION

Communication n o 1575/2007

Présentée par:

Herman Aster (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

16 février 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

27 mars 2009

Objet: Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure: Non‑épuisement des recours internes

Question s de fond: Égalité devant la loi et égale protection de la loi

Article du Pacte: 26

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2 b))

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑ vingt ‑ quinzième session

concernant la

Communication n o 1575/2007**

Présentée par:

Herman Aster (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

16 février 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 27 mars 2009,

Adopte ce qui suit:

D écision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est Herman Aster, né le 1er mai 1934 à Rychnov nad Kneznou dans l’ancienne Tchécoslovaquie, qui réside actuellement aux États‑Unis. Il se déclare victime d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte. Il n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1L’auteur a quitté la Tchécoslovaquie le 6 juillet 1969. Il avait auparavant acheté un appartement en copropriété situé à Brno, rue Vystavni 20. Le 28 août 1970, il a été condamné par défaut à deux ans d’emprisonnement pour avoir quitté le pays et son bien a été confisqué. Le 7 septembre 1988, il a obtenu la nationalité américaine, perdant de ce fait sa nationalité tchèque en vertu du traité sur la naturalisation conclu le 16 juillet 1928 par les deux pays.

2.2La décision de confisquer le bien a été annulée en application de la loi no 119/90 relative à la réparation. L’auteur a alors saisi le tribunal régional de commerce de Brno pour que son appartement lui soit restitué. Toutefois, le 4 mai 2000, le tribunal a rejeté sa demande au motif qu’il n’était pas citoyen de la République fédérale tchèque et slovaque, comme l’exigeait la loi no 87/1991. Cette loi relative à la réparation par voie non judiciaire avait été adoptée par le Gouvernement tchèque en 1991 et énonçait les conditions à remplir pour pouvoir prétendre à la restitution des biens confisqués sous le régime communiste.

2.3Le 28 août 2001, la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête que l’auteur lui avait adressée (no 62940/00), parce que les faits s’étaient produits avant l’entrée en vigueur de la Convention européenne des droits de l’homme pour la République tchèque.

Teneur de la plainte

3.L’auteur invoque une violation de l’article 26 du Pacte en faisant valoir que la condition de nationalité fixée par la loi no 87/1991 constitue une discrimination.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note du 15 janvier 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Pour ce qui est des faits, il relève que le 31 octobre 1995, l’auteur avait d’abord engagé une action devant le tribunal municipal de Brno contre la Coopérative de construction de logements Družba concernant la conclusion d’un accord sur la restitution des parts sociales, sur le fondement de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Cette juridiction n’étant pas compétente, l’affaire a été renvoyée au tribunal régional de commerce de Brno. D’après l’État partie, il manquait des documents et par conséquent la Coopérative ne pouvait ni confirmer ni réfuter les prétentions de l’auteur, qui affirmait qu’il détenait une part dans la coopérative de l’époque, lui donnant également l’usufruit de l’appartement.

4.2L’État partie objecte que la communication est irrecevable pour les motifs suivants: non‑épuisement des recours internes; ratione temporis et abus du droit de présenter des communications. En ce qui concerne le non‑épuisement des recours internes, il fait valoir que l’auteur n’a pas fait appel du jugement prononcé par le tribunal régional de commerce de Brno, raison pour laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a rejeté la requête. En outre, le bien en question a été confisqué en 1970, avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour la République socialiste tchécoslovaque; par conséquent la communication est irrecevable ratione temporis.

4.3L’État partie invoque la jurisprudence du Comité et avance que présenter une communication six ans et demi après que la dernière décision interne a été rendue et cinq ans et demi après le rejet de la requête par la Cour européenne constitue un abus du droit de porter plainte. Il estime que l’auteur devrait être tenu de donner des motifs raisonnables et objectifs pour expliquer pourquoi il a tardé à s’adresser au Comité. Le bien‑fondé des arguments avancés par l’auteur pour expliquer qu’il n’a pas fait valoir ses droits dans un délai raisonnable ne peut pas être justifié ex post facto par le caractère convaincant ou non du prétexte subjectif présenté, ou sinon le principe ignorantia legis non excusat est vide de sens. L’État partie note qu’en l’espèce l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il avait laissé cinq ans et demi s’écouler depuis la décision de la Cour européenne avant de présenter une communication au Comité.

4.4Sur le fond, l’État partie affirme que la communication est «dénuée de fondement», étant donné que le tribunal régional de commerce de Brno a rejeté la demande relative à la cession de la part sociale dans la coopérative pour deux motifs d’égale valeur: la condition de nationalité non remplie et l’inapplicabilité de la loi no 87/1991 sur la restitution à l’affaire en question. Le tribunal a noté explicitement que le deuxième motif de rejet serait valable même si l’auteur remplissait la condition de nationalité.

4.5L’État partie invoque son Code civil dont l’article 119 classe les «choses», au sens juridique, en biens meubles et en biens immeubles. Si le Code lui‑même ne contient pas de définition d’une «chose», conformément à l’interprétation juridique établie, il fait référence à «un objet corporel et contrôlable ou le résultat matériel d’une force incontrôlable de la nature qui sert aux besoins des êtres humains». D’après cette définition, aucune réglementation ne définit une part sociale dans une coopérative comme étant un bien corporel; par conséquent, il s’agit, a contrario, d’un droit ou d’une valeur pécuniaire.

4.6L’État partie note que l’auteur n’a jamais contesté l’interprétation de la loi no 87/1991 faite par le tribunal régional, qui a considéré qu’elle ne s’appliquait pas à des parts dans une coopérative. Il fait valoir que l’article 26 laisse au législateur une certaine marge d’appréciation pour déterminer s’il peut réparer les injustices commises sous le précédent régime non démocratique, et dans quelle mesure. Le législateur pouvait choisir d’inclure ou non dans la catégorie des biens visés par la loi no 87/1991 les parts sociales dans les coopératives de logement. Il a estimé qu’il était injuste de porter atteinte aux droits des personnes qui avaient été logées dans ces appartements après le départ de l’auteur et qui n’étaient pas responsables de ce départ.

4.7En outre, l’État partie objecte que, même si le fait que l’auteur détenait une part sociale dans la coopérative de logement était prouvé, ce qui n’est pas le cas, l’auteur n’aurait aucun titre de «propriété» sur l’appartement en question, mais en aurait uniquement l’usufruit. L’État partie admet que les conséquences des injustices commises par le passé n’ont pas été atténuées et que l’auteur peut penser que la non‑restitution de ses parts en est une. Toutefois, cela ne signifie pas qu’il a fait l’objet de discrimination précisément pour ces motifs. Quant à la condition de nationalité, l’État partie réitère les arguments qu’il a déjà avancés dans des affaires de propriété analogues.

Commentaires de l ’ auteur

5.Dans une note du 28 février 2008, l’auteur réitère ses arguments et affirme qu’il est propriétaire du bien en question, et que cela ne fait aucun doute. Il considère «inutile» d’analyser les décisions du tribunal, étant donné qu’elles sont de toute évidence discriminatoires.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2L’État partie a fait valoir que la communication était irrecevable, notamment pour non‑épuisement des recours internes. Il a également objecté que l’auteur n’avait pas prouvé qu’il détenait une part dans la coopérative de l’époque et que, en tout état de cause, le tribunal régional de commerce avait estimé que, indépendamment de la question de la nationalité, l’auteur n’avait pas eu droit à la restitution de ce bien parce que celui‑ci, de par sa nature, n’entrait pas dans le champ d’application de la loi no 87/1991 relative à la réparation par voie non judiciaire. Le Comité relève que l’auteur n’a pas soulevé cette question devant une juridiction de l’État partie et n’a plus fait valoir ses griefs après le rejet de sa demande par le tribunal régional de commerce de Brno. Il fait observer que, si l’auteur avait engagé une action en justice, cela aurait notamment permis de clarifier les faits contestés, ainsi que l’interprétation de la loi, ce que le Comité n’est pas lui‑même en mesure de faire. En particulier, le tribunal aurait établi si l’auteur détenait effectivement une part dans la coopérative en question et si des droits réels de ce type (parts dans une coopérative) relevaient de la loi no 87/1991. Quoi qu’il en soit, le Comité note en outre que l’auteur n’a pas expliqué devant les tribunaux nationaux ni dans sa communication en quoi l’interprétation de la loi no 87/1991 faite par le tribunal régional constituait une discrimination interdite au sens de l’article 26 du Pacte. Il rappelle que l’expression «tous les recours internes disponibles» figurant au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif vise au premier chef les recours juridictionnels. Pour cette raison, le Comité conclut que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour non‑épuisement des recours internes.

6.3En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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