NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1432/200523 avril 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quinzième session16 mars-3 avril 2009

CONSTATATIONS

Communication n o 1432/2005

Présentée par:

Dalkadura Arachchige Nimal Silva Gunaratna (représenté par l’Asian Legal Resource Centre)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

1er août 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 novembre 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

17 mars 2009

Objet: Mauvais traitements infligés à l’auteur par des policiers pendant la détention

Questions de procédure: Recours utiles

Question s de fond: Interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants; droit à la sécurité de la personne; droit à un recours utile; égalité des armes

Article s du Pacte: 7, 9, 14 (par. 1), 2 (par. 3)

Article du Protocole facultatif: 5 (par. 2)

Le 17 mars 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1432/2005.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt- quinzième session

concernant la

Communication n o 1432/2005**

Présentée par:

Dalkadura Arachchige Nimal Silva Gunaratna(représenté par l’Asian Legal Resource Centre)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

1er août 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1432/2005 présentée au nom de Dalkadura Arachchige Nimal Silva Gunaratna en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 1er août 2005, est Dalkadura Arachchige Nimal Silva Gunaratna, de nationalité sri lankaise, né le 15 janvier 1961. Il affirme être victime de violations par Sri Lanka de l’article 7, de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il est représenté par un conseil, l’Asian Legal Resource Centre. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 11 septembre 1980 et le 3 janvier 1998, respectivement.

1.2Le 2 novembre 2005, compte tenu des informations dont il était saisi, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a demandé à l’État partie, en vertu de l’article 92 de son Règlement intérieur, d’assurer à l’auteur et à sa famille une protection contre de nouvelles intimidations et menaces. L’État partie a également été prié de fournir au Comité, dès qu’il le pourrait, ses observations sur les allégations de l’auteur qui affirme que cette protection leur a été refusée à lui et à sa famille.

Rappel des faits présentés par l ’ auteur

2.1Le 19 juin 2000, l’auteur et sa femme étaient chez eux. Vers 16 h 30 environ, 10 policiers conduits par le commissaire adjoint de la police de Panadura ont encerclé la maison, l’ont arrêté sans mandat, lui ont attaché les mains derrière le dos avec une corde et l’ont emmené en garde à vue au poste de police de Panadura. Après son arrestation, l’auteur aurait été violemment torturé par les policiers au poste de police.

2.2Le 5 juillet 2000, l’auteur a été conduit à l’hôpital de Panadura par deux policiers de cette localité. Les responsables de l’hôpital ont conseillé que l’auteur soit hospitalisé mais les policiers ont refusé. L’auteur a été conduit une deuxième fois à l’hôpital de Panadura, où la direction a conseillé de le conduire à l’hôpital ophtalmologique de Colombo. Le 10 juillet 2000, l’auteur a été admis à l’hôpital ophtalmologique de Colombo. Il y est resté un mois et sept jours et a été opéré à l’œil. Après sa sortie de l’hôpital, l’auteur a été conduit au poste de police de Panadura où il a été encore une fois agressé, menotté et attaché à un lit.

2.3L’auteur a subi de graves lésions physiques et psychologiques, et a perdu définitivement la vision d’un œil, à la suite des actes de torture qu’il a subis. L’auteur renvoie au rapport médical détaillé du 10 novembre 2000, qui contient un récit circonstancié des blessures subies par l’auteur, avec l’énumération des 20 lésions relevées sur son corps pendant l’examen. Le rapport médical conclut qu’une lésion et une cicatrice sont la conséquence d’un coup asséné avec un objet contondant. En outre, le rapport médical conclut que ces deux blessures satisfont aux critères énoncés à l’article 3 11) e) du Code pénal puisque l’auteur souffre d’une perte définitive de la vue et d’un glaucome secondaire. L’auteur ajoute que la perte de la vision d’un œil aura des conséquences graves sur sa qualité de vie. À la suite de son arrestation illégale et des agressions qu’il a subies, l’auteur ne peut continuer à travailler pour gagner sa vie et se trouve dans l’impossibilité de subvenir aux besoins de sa femme et de ses trois enfants.

2.4L’auteur déclare qu’après avoir été torturé, il a reçu de multiples menaces de mort, pour qu’il retire les plaintes qu’il avait déposées. Le 6 mars 2005, des policiers ont tiré des coups de feu sur sa maison. Lorsque l’auteur est sorti, il a vu trois policiers en uniforme et deux autres personnes en civil qui s’engouffraient dans un véhicule. L’auteur a signalé les faits aux supérieurs hiérarchiques des policiers, mais aucune mesure n’a été prise. L’auteur et sa famille ont reçu plusieurs appels téléphoniques de menaces émanant d’inconnus depuis qu’il a signalé cet incident, et il a subi des pressions pour clore l’affaire. L’auteur a présenté plusieurs plaintes aux autorités compétentes au sujet des menaces de mort qu’il a reçues, mais aucune mesure n’a été prise pour le protéger, et les responsables des actes en question sont toujours en fonctions et ont toute liberté pour continuer à menacer l’auteur. L’un des auteurs est M. Ranmal Kodithuwakku, commissaire adjoint de la police, c’est-à-dire un officier supérieur. L’auteur note qu’il s’agit du fils de l’ancien Inspecteur général de la police et pense que le statut social élevé et l’influence considérable de ce policier sont l’une des raisons qui expliquent les lenteurs de la procédure engagée pour obtenir justice dans cette affaire. L’Asian Human Rights Commission et le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture ont lancé des appels urgents pour demander une intervention immédiate dans cette affaire.

2.5L’auteur a fait une déposition détaillée à la Commission sri-lankaise des droits de l’homme, le 27 juillet 2000, alors qu’il était à l’hôpital ophtalmologique de Colombo. Il a ensuite présenté un recours pour violation des droits fondamentaux à la Cour suprême de Sri Lanka le 18 septembre 2000 (affaire no 565/2000). Après le dépôt du recours, son examen a été reporté plusieurs fois. L’auteur a subi des pressions de la part des responsables pour régler l’affaire, mais il a refusé. Ces menaces ont fait l’objet de plaintes aux autorités hiérarchiques de la police, mais aucune mesure n’a été prise. À la date de la lettre initiale, il n’avait pas encore été statué sur cette affaire, malgré le fait que la procédure finale avait déjà eu lieu, et aucune mesure prise dans le cadre des mécanismes internes disponibles à Sri Lanka n’avait permis de traduire les responsables en justice.

2.6L’auteur souligne qu’une enquête a été ordonnée et a été menée sur son affaire, mais qu’aucun des responsables n’a été mis en accusation, qu’aucune mesure n’a été prise en vertu de la loi no 22 de 1994 sur la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et que les autorités n’ont pris aucune mesure à l’encontre des responsables. L’auteur souligne qu’il n’a jusqu’à présent reçu aucune protection, et qu’aucune décision n’a été prise sur son affaire.

3.1Le 14 décembre 2006, le conseil a informé le Comité que l’arrêt de la Cour suprême sur le recours de l’auteur en protection de ses droits fondamentaux a été rendu le 16 novembre 2006, soit six ans après le dépôt de la requête. L’auteur maintient que ce délai de six ans excède les délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur a présenté ses conclusions écrites à la Cour suprême le 14 octobre et le 2 novembre 2004; l’arrêt est généralement rendu peu de temps après et, dans les recours en protection des droits fondamentaux, il l’est dans un délai d’un ou de deux mois. Dans l’intervalle, la Cour suprême et le principal défendeur ont harcelé l’auteur en le poussant à régler l’affaire.

3.2Dans son arrêt, la Cour suprême a conclu que plusieurs policiers avaient violé les droits garantis par la Constitution à l’auteur, eu égard à l’arrestation illégale [art. 13 1)], à la détention illégale [art. 13 2)] et à la torture [art. 13 5)]. Par conséquent, en ce qui concerne le bien-fondé de sa cause, l’auteur fait valoir que sa position a été justifiée par la Cour suprême et que l’État partie ne saurait contester le fondement de ses griefs.

Teneur de la plainte

4.1L’auteur affirme être victime d’une violation de l’article 7 du Pacte, puisqu’il a été torturé pendant vingt et un jours à compter du 19 juin 2000. À la suite de ces tortures, il a perdu la vue d’un œil et a été hospitalisé pendant un mois et sept jours. Il est depuis lors dans l’incapacité d’assurer la subsistance de sa famille et va rester dans cet état à cause des lésions qu’il a subies. Il vit dans la peur et en butte aux brimades de ses agresseurs, et les mécanismes internes n’ont pas permis de lui apporter réparation.

4.2L’auteur se dit victime d’une violation de l’article 9 du Pacte, parce qu’il a été arrêté et placé en garde à vue de manière illégale sans être informé du motif de son arrestation. Il n’a pas été présenté à un juge local, alors que le Code de procédure pénale dispose qu’une personne arrêtée doit être présentée à un juge dans un délai de vingt‑quatre‑heures après son arrestation. Il a été privé du droit de demander sa libération sous caution, a été détenu pendant vingt et un jours et torturé par des policiers pendant toute cette période. Il est l’objet de menaces constantes de la part de ses agresseurs, qui ont échappé à tout châtiment. Aucune procédure interne ne peut apporter une protection à l’auteur, malgré les nombreuses demandes de protection qu’il a adressées aux autorités hiérarchiques de la police et aux organes de défense des droits de l’homme. L’État partie n’a pas pris de mesures appropriées pour veiller à ce que l’auteur soit protégé contre les menaces de ses tortionnaires ou de toute autre personne agissant en leur nom, et a de ce fait violé l’article 9 du Pacte.

4.3L’auteur allègue en outre une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Il rappelle qu’il a engagé une action en protection de ses droits fondamentaux devant la Cour suprême, qu’il a adressé de nombreuses plaintes aux organes compétents de la police et de défense des droits de l’homme pour signaler les menaces de mort dirigées contre lui, mais aucun organe national n’a fourni de recours utile à l’auteur. L’affaire a été portée devant la Cour suprême le 18 septembre 2000 et a été examinée, mais la Cour n’avait pas rendu sa décision à la date où la communication a été présentée au Comité. Selon l’auteur, on ne peut invoquer l’argument que l’enquête est encore en cours, étant donné qu’elle est achevée. Il rappelle la jurisprudence du Comité qui dit que l’État partie est tenu de fournir un recours utile et exécutoire pour les violations du Pacte; que l’absence de recours est en soi une violation du Pacte; que l’État est dans l’obligation de fournir un recours pour le crime de torture; et que les plaintes doivent faire l’objet d’enquêtes rapides et impartiales des autorités compétentes pour rendre les recours efficaces, et que la notion de recours utile comprend le droit à une réadaptation aussi complète que possible. En l’espèce, l’État partie n’a pas honoré l’obligation qui lui est faite au titre du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

4.4L’auteur ajoute que l’arrêt de la Cour suprême ne saurait être considéré comme un recours approprié conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, étant donné qu’il a exonéré de responsabilité le principal protagoniste des violations. Cet arrêt a eu pour seul et unique fondement des notes produites par le commissaire adjoint indiquant que, le jour de l’arrestation, il était occupé à d’autres tâches, ce qui est en contradiction complète avec les éléments de preuve et témoignages existants. Cet arrêt a eu pour résultat que la responsabilité des violations a été attribuée à des policiers subalternes, et que le principal auteur, qui a dirigé l’opération d’arrestation, de détention et de torture, a été exonéré de toute responsabilité. Le commissaire adjoint est également chef par intérim du Groupe de réaction rapide (Quick Response Unit), qui, selon l’arrêt de la Cour suprême, a procédé à l’arrestation, à la détention et aux actes de torture, et il aurait dû à ce titre être tenu pour responsable en qualité de supérieur hiérarchique. À ce titre, l’auteur estime que le principe d’égalité devant la loi et devant les tribunaux n’a pas été appliqué, étant donné que le commissaire adjoint a été considéré comme étant au‑dessus des lois, et que ce fait constitue en soi une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il fait également valoir que le paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, a été violé car l’auteur n’a pas disposé d’un recours approprié.

4.5L’auteur n’a pas eu droit non plus à un recours approprié si l’on considère l’indemnisation insuffisante accordée dans cette affaire par la Cour suprême. La Cour suprême a fixé à 5 000 roupies (environ 50 dollars des États-Unis) le montant de l’indemnité à verser par le quatrième défendeur pour la lésion à l’œil, et a demandé à l’Inspecteur général de la police de verser une somme de 50 000 roupies (environ 500 dollars des États-Unis) à titre d’indemnisation. L’auteur fait valoir que la Cour suprême n’a pas donné tout le poids voulu à l’étendue des lésions subies par l’auteur et à la longueur de sa détention illégale. Il rappelle que, dans d’autres affaires, la Cour suprême a accordé des indemnités plus élevées pour des lésions graves. Par conséquent, non seulement la somme accordée à titre d’indemnisation ne représente pas une réparation adéquate pour les violations des droits protégés par les articles 7 et 9 du Pacte, mais cette somme est aussi contraire au principe de l’égalité devant les tribunaux garanti au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

4.6L’auteur affirme en outre que son droit à un recours approprié pour les violations des articles 7 et 9 du Pacte a été violé, du fait que personne n’a été poursuivi, alors que le dossier médical indiquait qu’une des lésions constituait un délit aux termes de l’article 3 [par. 11 b)] du Code pénal. L’auteur mentionne les lettres écrites en son nom par l’Asian Human Rights Commission au Procureur général de Sri Lanka et à l’Inspection générale de la police, pour attirer leur attention sur le fait qu’aucune procédure pénale ou disciplinaire n’a été engagée à l’égard des personnes responsables des violations. L’État partie n’a donc pas fourni de recours approprié à l’auteur. Étant donné que d’autres crimes analogues ont donné lieu à des poursuites devant les tribunaux de Sri Lanka, dont certains se sont produits après 2000, il y a eu violation des articles 7 et 9, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et violation du paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

4.7L’auteur déclare que sa plainte n’a pas été soumise à un autre organe international d’enquête ou de règlement.

4.8En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle qu’il a tenté d’obtenir réparation en présentant une requête en protection des droits fondamentaux, afin d’obtenir une indemnisation et une réparation. Cinq ans se sont écoulés sans aucun résultat, et il a fait l’objet de menaces et d’autres actes d’intimidation pour avoir engagé les procédures en question. Il considère par conséquent que les procédures judiciaires à Sri Lanka excèdent les délais raisonnables et que les recours sont sans effet. De plus, au sujet de l’efficacité des recours, l’auteur fait valoir qu’à la date de la lettre initiale constituant sa communication au Comité, aucun jugement n’avait été rendu concernant ses allégations de torture, alors que l’affaire avait été examinée par la Cour suprême. Les auteurs présumés n’ont été ni suspendus de leurs fonctions ni placés en détention, ce qui leur a permis d’exercer des pressions sur le plaignant et de le menacer. L’auteur mentionne la jurisprudence du Comité contre la torture selon laquelle les allégations de torture doivent faire l’objet d’enquêtes immédiates à brève échéance; aucune plainte en bonne et due forme n’est exigée et il suffit que la victime porte les faits à l’attention des autorités.

Observations de l ’ État partie

5.Le 16 mars 2007, l’État partie a informé le Comité qu’à la suite de l’arrêt de la Cour suprême le Procureur général avait décidé de poursuivre tous les policiers mis en cause dans les conclusions de la Cour suprême. Des actes d’accusation au titre de la loi sur la Convention contre la torture sont actuellement en préparation et seront adressés aux juridictions compétentes (High Courts) en temps voulu.

Commentaires de l ’ auteur sur la réponse de l ’ État partie

6.1Dans une lettre datée du 20 juillet 2007, l’auteur se demande en quoi les faits nouveaux mentionnés par l’État partie sont censés influer sur la recevabilité et le fond de la communication. Il rappelle que l’arrêt de la Cour suprême a été rendu plus de six ans après le dépôt de la requête, ce qui constitue en soi une violation de l’obligation de fournir un recours sans retard excessif. En outre, la procédure pénale est toujours pendante, plus de sept ans après les actes de torture. Par conséquent, l’obligation de procéder à une enquête rapide et impartiale n’a pas été respectée et les procédures de recours excèdent les «délais raisonnables» au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.2L’auteur note que l’État partie ne répond ni sur les faits ni sur le fond des griefs. Il ne fournit aucune explication quant à la longueur des deux procédures engagées, d’une part, la procédure en protection des droits fondamentaux et, d’autre part, la procédure pénale, plus de six ans en l’espèce. L’auteur mentionne la jurisprudence du Comité, et il demande que le Comité, en l’absence d’observations de l’État partie, accorde tout le crédit voulu aux allégations qui ont été étayées dans la lettre initiale.

6.3En ce qui concerne la décision de l’État partie de mettre en accusation les policiers cités dans l’arrêt de la Cour suprême, l’auteur note que l’État partie n’a pas indiqué de calendrier à ce sujet, ni fourni d’information sur des arrestations. De surcroît, l’État partie n’a donné aucune indication sur le point de savoir si les policiers en question ont fait ou feront l’objet de sanctions administratives et s’ils sont encore en fonctions. Mentionner simplement que le Procureur général a décidé de les poursuivre, sans autres précisions au sujet de l’enquête officielle, n’offre que peu d’assurance quant au sérieux de l’enquête et à l’éventualité de la voir aboutir à des chefs d’accusation donnant lieu à des poursuites en bonne et due forme conformément à la loi. Qui plus est, le Procureur général a pris sa décision sans tenir compte du fait que la personne la plus responsable (le commissaire adjoint) n’est pas affectée par l’arrêt de la Cour suprême, c’est‑à‑dire que même si des mises en accusation devaient suivre, elles concerneraient les «sans grade» et non pas le principal responsable, qui restera à l’abri de toutes poursuites.

6.4Au sujet du grief de violation de l’article 7 du Pacte, lu en liaison avec le paragraphe 3 de l’article 2, l’auteur rappelle qu’aucune mesure n’a été prise à l’encontre du principal responsable concernant la violation de ses droits, et estime par conséquent que l’arrêt de la Cour suprême n’est fondé ni en droit ni en fait et qu’il constitue en soi un déni du droit de l’auteur à un recours approprié pour la violation de ses droits.

6.5Quant à la somme attribuée à titre d’indemnisation par la Cour suprême, l’auteur fait valoir qu’elle est scandaleusement insuffisante si on la compare au montant accordé dans d’autres affaires, et, au regard des lésions subies par l’auteur, elle ne saurait constituer un recours approprié au sens du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. L’auteur note en outre que la Cour suprême n’a ordonné le paiement d’aucune indemnisation par l’État: deux défendeurs seulement ont été requis de verser une indemnisation. Par cette lacune, la Cour méconnaît le devoir qui incombe à l’État de répondre de la violation des droits commise par ses agents. Il appartient à l’État de veiller à ce que ses agents ne commettent pas d’acte de torture, ne se livrent pas à des arrestations et détentions illégales et à d’autres actes constituant des abus de droit. Ayant failli à son devoir de protéger les droits de l’auteur, l’État partie est responsable du paiement d’une réparation à ce dernier.

6.6Quant à l’efficacité des recours, l’auteur rappelle la lenteur de la procédure d’examen de son recours en protection des droits fondamentaux et fait valoir que son dossier, qui comporte des déclarations sous serment et des rapports médicaux solides, n’apparaît pas d’une complexité telle que plus de six ans soient nécessaires pour qu’un jugement soit rendu. Vu la jurisprudence du Comité, et compte tenu du fait que l’État partie n’a fourni aucune explication pour les reports et retards répétés de la procédure, un délai de près de six ans doit être considéré comme excessif et comme une violation du droit à un recours utile dans les cas de torture.

6.7Quant à l’obligation d’enquêter rapidement et de manière efficace et impartiale, l’auteur rappelle que, dans la présente affaire, les enquêtes ont été marquées par des lenteurs considérables de bout en bout et que les mises en accusation ne sont toujours pas établies. L’État partie n’a donné aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il a fallu attendre aussi longtemps pour que les enquêtes soient ouvertes et menées à bien et pour les mises en accusation. L’État partie a par conséquent violé le paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, pour ce qui est d’enquêter de manière rapide et efficace.

6.8En ce qui concerne la protection des victimes et des témoins comme partie intégrante du droit à un recours utile, l’auteur estime que ce point soulève une question au regard de l’article 9 et du paragraphe 3 de l’article 2, lus en liaison avec l’article 7 du Pacte. L’auteur souligne que l’on ne voit pas vraiment quelles sont les mesures prises par l’État partie pour assurer sa protection conformément à la demande formulée par le Comité au titre de l’article 92 de son règlement intérieur. Les intimidations et les menaces dont font l’objet les victimes et les témoins font que les victimes ont peur de déposer plainte, les découragent de se prévaloir des recours disponibles et font obstacle à la conduite des enquêtes. L’absence de programme en faveur des victimes et des témoins à Sri Lanka ainsi qu’une série d’affaires dans lesquelles les victimes et les témoins d’actes de torture ont été menacés ou même tués attestent des lacunes d’un système qui ont abouti à l’impunité.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne le grief de violation du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité note l’argument de l’auteur faisant valoir que le principe d’égalité devant la loi et devant les tribunaux a été violé du fait que le commissaire adjoint a été considéré par la Cour suprême comme étant au‑dessus des lois, et que le montant de l’indemnisation accordée par la Cour suprême était également en violation du principe de l’égalité devant les tribunaux. Le Comité rappelle que l’article 14 garantit seulement l’égalité en matière de procédure et l’équité, mais ne saurait être interprété comme garantissant l’absence d’erreur de la part du tribunal compétent. Il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur, ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. En l’absence de toute preuve manifeste d’arbitraire ou d’erreur, ou de manque d’impartialité de la part de la Cour suprême, le Comité n’est pas en mesure de contester l’appréciation des éléments de preuve faite par cette dernière et conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité note aussi que l’auteur tire grief du montant de l’indemnité, qui violerait les articles 7 et 9, lus en liaison avec l’article 2 du Pacte. Il suit le même raisonnement qu’au paragraphe 7.3 ci‑dessus pour conclure qu’en l’absence de toute preuve manifeste d’arbitraire ou de manque d’impartialité de la part de la Cour suprême dans le calcul de l’indemnité à accorder, il n’est pas en mesure de contester le montant de cette dernière et conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Pour ce qui est des griefs de violation des articles 7 et 9, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, le Comité note que ces questions faisaient l’objet de la requête en protection des droits fondamentaux déposée devant la Cour suprême, qui a rendu son arrêt en novembre 2006, six ans après le dépôt de la requête. Le Comité note aussi que l’État partie l’a informé qu’à la suite de l’arrêt de la Cour suprême, le Procureur général a décidé de mettre en accusation tous les policiers mis en cause par la Cour suprême, mais qu’à la date de la présente décision, aucun chef d’accusation n’a été formulé alors que huit ans se sont écoulés depuis les événements. Le Comité note que l’État partie n’a donné aucune raison pour expliquer pourquoi la procédure relative à la requête en protection des droits fondamentaux n’a pas pu être conduite plus rapidement, ni pourquoi les policiers n’ont pas encore été mis en accusation depuis huit ans, et que l’État partie n’a pas non plus fait valoir l’existence dans le dossier d’éléments susceptibles d’avoir compliqué l’enquête ou le prononcé d’un jugement sur cette affaire pendant une période aussi longue. Le Comité conclut par conséquent que la lenteur de la procédure de jugement sur la requête en protection des droits fondamentaux et le retard dans la mise en accusation des policiers font que ces procédures excèdent les délais raisonnables au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il ressort manifestement des faits mentionnés plus haut que l’auteur a épuisé les recours internes disponibles.

7.6L’État partie n’ayant contesté la recevabilité d’aucun des autres griefs avancés par l’auteur, le Comité, sur la base des informations qui lui ont été communiquées, conclut que les griefs de violation des articles 7 et 9 et du paragraphe 3 de l’article 2 sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et sont, par conséquent, recevables.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2En ce qui concerne les griefs de violation des articles 7 et 9 du Pacte concernant les actes de torture dont l’auteur aurait été victime et les circonstances de son arrestation, le Comité note que l’auteur a fourni des informations détaillées et des éléments de preuve à l’appui de ses affirmations, sur la base desquels la Cour suprême de l’État partie a conclu à des violations des droits qui lui sont reconnus à l’article 11 et aux paragraphes 1 et 2 de l’article 13 de la Constitution. Le Comité note également que l’État partie n’a pas contesté les griefs de l’auteur mais s’est borné à informer le Comité qu’en 2007, le Procureur général avait «décidé» d’engager des poursuites dans cette affaire et que les actes d’accusation étaient en cours d’établissement à l’époque. Le Comité réaffirme sa jurisprudence, selon laquelle le Pacte ne prévoit pas le droit pour un particulier de demander à l’État partie d’engager des poursuites pénales contre un autre particulier. Il considère, néanmoins, que l’État partie a le devoir d’enquêter de manière approfondie sur les allégations de violation des droits de l’homme et de punir les personnes tenues pour responsables de ces violations.

8.3Le Comité note que la Cour suprême a statué sur la requête en protection de ses droits fondamentaux présentée par l’auteur après un long délai de six ans. De surcroît, alors que huit ans se sont maintenant écoulés depuis l’arrestation de l’auteur, les informations fournies par l’État partie concernant les poursuites visant les responsables constituent un minimum et, malgré les demandes qui lui ont été adressées, l’État partie n’a pas indiqué si les actes en accusation ont été établis et si les personnes en question allaient passer en jugement. En vertu du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie est dans l’obligation de veiller à fournir des recours utiles. La rapidité et l’efficacité sont particulièrement importantes lorsqu’il s’agit d’affaires impliquant des actes de torture. Le Comité est d’avis que l’État partie ne peut se soustraire à la responsabilité qui lui incombe en vertu du Pacte en faisant valoir l’argument que les autorités nationales ont déjà examiné ou sont encore en train d’examiner l’affaire, alors qu’il est manifeste que les recours fournis par l’État partie ont donné lieu à des procédures excédant les délais raisonnables sans aucune raison valable ni justification, ce qui revient à ôter toute utilité auxdits recours. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé le paragraphe 3 de l’article 2, lu en liaison avec les articles 7 et 9 du Pacte. En ce qui concerne les griefs de violation distincts des articles 7 et 9, le Comité note que la Cour suprême de l’État partie a déjà statué en faveur de l’auteur à cet égard.

8.4En ce qui concerne le grief de violation des droits de l’auteur parce que l’État partie n’a pas enquêté sur les plaintes déposées à la police, le Comité note que l’État partie n’a pas répondu sur ce point, et n’a pas non plus avancé d’arguments précis ni d’éléments d’information spécifiques pour réfuter les renseignements détaillés fournis par l’auteur dans ses plaintes. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte protège le droit à la sécurité de la personne même lorsqu’il n’y a pas la privation formelle de liberté. L’article 9, correctement interprété, ne permet pas à l’État partie d’ignorer les menaces pesant sur la sécurité personnelle de personnes relevant de sa juridiction qui ne sont pas détenues. En l’espèce, l’auteur a dit avoir reçu des menaces et subi des pressions afin de retirer ses plaintes. Dans ces circonstances, le Comité conclut qu’en n’enquêtant pas sur les menaces de mort reçues par l’auteur et en n’assurant pas sa protection, l’État partie a violé son droit à la sécurité de la personne, qui est consacré au paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître des violations du paragraphe 3 de l’article 2, lu en liaison avec les articles 7 et 9 du Pacte ainsi qu’une violation distincte du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte en ce qui concerne les menaces visant l’auteur.

10.En vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de fournir à l’auteur un recours utile. L’État partie est tenu de prendre des mesures efficaces pour protéger l’auteur et sa famille des menaces et/ou des actes d’intimidation dont ils font l’objet à cause des procédures qu’il a engagées pour traduire en justice sans retard indu les auteurs des violations constatées et pour faire en sorte d’accorder une réparation effective à l’auteur de la communication, sous la forme d’une indemnisation appropriée. L’État partie est en outre tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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