NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1406/200514 mai 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑quinzième session16 mars‑3 avril 2009

CONSTATATIONS

Communication n o  1406/2005

Présentée par:

Anura Weerawansa (représenté par son frère,Ron. Pat. Sarath Weerawansa)

Au nom de:

Anura Weerawansa

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

10 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 9 juin 2005 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption desconstatations:

17 mars 2008

Objet: Peine capitale prononcée à l’issue d’un procès prétendument inéquitable

Questions de procédure: Irrecevabilité pour absence de fondement; appréciation des faits et des éléments de preuve; incompatibilité

Question s de fond: Imposition obligatoire de la peine de mort; notion de «crimes les plus graves»; méthode d’exécution (pendaison) infligeant le moins de souffrance possible; conditions de détention; procès inéquitable

Article s du Pacte: 6, 7, 10 (par. 1) et 14

Article s du Protocole facultatif: 2 et 3

Le 17 mars 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci‑après en tant que constatations concernant la communication no 1406/2005 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑q uin zième session

concernant la

Communication n o  1406/2005**

Présentée par:

Anura Weerawansa (représenté par son frère,Ron. Pat. Sarath Weerawansa)

Au nom de:

Anura Weerawansa

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

10 mars 2005 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 17 mars 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1406/2005 présentée au nom de Anura Weerawansa en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est M. Anura Weerawansa, de nationalité sri-lankaise, actuellement détenu dans une prison de Sri Lanka après avoir été condamné à mort. Il se déclare victime de violations par l’État partie du droit à la vie consacré à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au regard de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 10, et de l’article 14 du Pacte. L’auteur est représenté par son frère, M. Ron. Pat. Sarath Weerawansa.

Exposé des faits

2.1Le 8 mars 2002, l’auteur a été arrêté et sa déclaration a été enregistrée; il affirme que celle‑ci a été faite sous la contrainte. Le 4 avril 2002, il a été inculpé d’entente en vue d’assassiner un fonctionnaire des douanes, Sujith Prasanna Perera, au cours de la période comprise entre le 21 et le 24 mars 2001, ainsi que d’avoir aidé le deuxième et le troisième accusé à commettre le meurtre du fonctionnaire, le 24 mars 2001. Il n’a pas été autorisé à communiquer avec sa famille pendant sa détention. Il a été représenté par un avocat de son choix, dès l’audience préliminaire, et jusqu’au procès en appel.

2.2Le procès a commencé le 8 mai 2002, et le jugement a été rendu le 1er octobre 2002. L’auteur a été reconnu coupable des chefs d’inculpation retenus et condamné à mort par pendaison. Le 24 novembre 2004, la Cour suprême, composée de cinq juges, a rejeté son recours et confirmé la condamnation et la peine. On ne sait pas si l’auteur a sollicité la grâce présidentielle.

2.3L’auteur explique qu’avant sa condamnation il a été amené, en tant que fonctionnaire des douanes, à engager des poursuites contre des agents du Gouvernement, raison pour laquelle il avait été une fois victime d’une entente et accusé d’avoir partie liée avec les LTTE; il avait été détenu pendant huit mois en 1996. Il avait ensuite été indemnisé pour arrestation et détention illicites. Il affirme que sa condamnation dans le cas d’espèce est également le résultat d’une entente, parce qu’il avait engagé des actions en vue de faire arrêter un certain nombre de personnages clefs impliqués dans des activités de blanchiment d’argent.

2.4Selon l’auteur, le tribunal était orienté, partial et influencé par le Président. Tant en première instance qu’en appel, les juges ont accepté la déposition, sur la base de laquelle sa condamnation s’est largement fondée, d’un individu dont on savait qu’il avait vraisemblablement été complice du crime, mais qui avait bénéficié d’un abandon de poursuites. L’auteur affirme qu’après avoir déposé à son procès le témoin a été immédiatement réintégré par l’administration des douanes, ce qui montre bien le lien existant entre cet homme et les autorités. Il rend compte en détail de sa propre analyse des éléments de preuve présentés au procès, lesquels démontrent selon lui qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable, notamment pour les raisons suivantes: suppression de déclarations de témoins concernant l’identification de la motocyclette utilisée pour commettre le crime; contradictions dans les dépositions des témoins; modification de l’acte d’accusation en cours de procès; refus de convoquer certains témoins; refus de communiquer à la défense certaines déclarations de témoins oculaires; détention de témoins jusqu’à soixante‑douze heures en application de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, au lieu des vingt‑quatre heures normales prévues par la loi de procédure pénale dans le but, d’après ce que l’auteur laisse entendre, de forger des éléments de preuve.

2.5Selon l’auteur, ses conditions de détention sont inhumaines et contribuent à son «effondrement moral». Il est incarcéré dans une cellule répugnante, de 8 pieds sur 6, dans laquelle il est maintenu pendant vingt‑trois heures et demie par jour, «avec à peine à manger». Depuis qu’il a adressé sa communication au Comité, l’auteur affirme que son frère a reçu des menaces de la police et que des forces non identifiées cherchent à l’empêcher de poursuivre la présente communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable pour les raisons exposées plus haut au paragraphe 2.4. Il soupçonne que, bien qu’il ait été dûment représenté, son conseil a subi des pressions de l’exécutif pour qu’il le «trahisse»; il fait en outre valoir qu’il n’a pas bénéficié d’un procès avec jury.

3.2L’auteur affirme que les infractions dont il a été reconnu coupable ne sont pas parmi les «crimes les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l’article 6, et que l’exécution capitale par pendaison est contraire au Pacte, puisqu’il a été établi qu’il faut vingt minutes pour que le condamné meure. L’auteur ajoute que la peine capitale a été réintroduite après l’assassinat d’un juge de la Haute Cour de Colombo, mais ne donne pas de date ni d’autres informations à ce sujet. D’après des articles de presse joints par l’auteur, aucune condamnation à mort n’a été commuée en emprisonnement à vie depuis mars 1999, alors que telle était la pratique depuis 1977. L’auteur affirme également que, d’après des informations parues récemment dans les médias, les autorités exécutives et administratives ont évoqué l’exécution prochaine de l’auteur, ce qui a contribué à aggraver sa santé mentale.

3.3L’auteur affirme que ses conditions de détention constituent également une violation du Pacte, sans toutefois invoquer expressément l’article 10.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et le fond et commentaires de l ’ auteur

4.1Dans une réponse du 9 décembre 2005, l’État partie conteste la recevabilité et le bien‑fondé de la communication, au motif qu’elle n’est pas étayée. Concernant les faits, il fait valoir que l’auteur a été inculpé par le Procureur général du chef d’entente en vue de commettre un meurtre et d’assistance à la perpétration du meurtre, avec deux autres inculpés. L’auteur comme la victime étaient fonctionnaires de l’administration sri‑lankaise des douanes. Le 24 mars 2001, la victime est décédée des suites des blessures infligées à la tête et à la poitrine par des balles tirées à bout portant. Étant donné la gravité de l’infraction, il a été décidé de faire juger les trois inculpés par un collège de trois magistrats de la Haute Cour. Chacun des trois inculpés a choisi son avocat pour sa défense. Le procureur a décidé de renoncer à poursuivre l’un des complices afin de consolider son dossier contre le défendeur. La déposition du complice a été confirmée par d’autres témoins sur des points matériels. Les trois défendeurs ont choisi de témoigner.

4.2Après avoir évalué l’ensemble des éléments de preuve, la Cour a reconnu les trois inculpés coupables des charges énoncées dans leur acte d’accusation. Selon l’État partie, la loi sri‑lankaise prévoit que le meurtre est un crime qui emporte obligatoirement la peine de mort. L’entente en vue de commettre un meurtre et la complicité à cette fin sont également et obligatoirement passibles de la peine de mort, et c’est sur ce fondement que l’auteur a été condamné à la peine capitale après avoir été reconnu coupable. Le 11 octobre 2004 la Cour suprême, composée de cinq magistrats, a examiné les appels des trois accusés. Le 24 novembre 2004, elle les a rejetés et a confirmé la condamnation et la peine prononcée pour chacun. L’arrêt a été rendu à l’unanimité. En appel, l’auteur était représenté par un avocat confirmé; tous les arguments présentés par l’accusé ont été pris en considération et la Cour a motivé sa décision.

4.3L’État partie conteste que le procès n’ait pas été équitable du fait du prétendu contrôle exercé par le Président sur les juges et il objecte que le précédent jugement en faveur de l’auteur, lui accordant une indemnisation financière suite à l’action qu’il avait engagée pour violation des droits fondamentaux, montre bien que le Président n’exerce aucun contrôle sur les magistrats. L’État partie estime que le meurtre fait partie des crimes «les plus graves» au sens du Pacte et constitue l’un des rares crimes pour lesquels la loi prévoit obligatoirement la peine de mort. En tout état de cause, un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis près de trente ans.

4.4L’État partie fait valoir qu’à aucun moment l’auteur ne s’est plaint de son conseil, ni en première instance ni en appel ou par la suite. Il a choisi lui‑même ses avocats et, s’il était mécontent de leurs services, il aurait pu en engager d’autres. Il aurait également pu se plaindre de tout manquement auprès de la Cour suprême, qui est compétente pour toutes les questions disciplinaires concernant les avocats, ou encore auprès de l’ordre des avocats, qui est l’organe professionnel compétent. L’État partie dit qu’il n’est pas vrai que l’auteur n’a pas été autorisé à communiquer avec sa famille, et objecte que celui‑ci a été traité de la même manière que tout autre détenu. Pour ce qui est de la condamnation, l’État partie fait valoir que, comme il est démontré dans l’arrêt de la Cour suprême, la déposition du témoin qui a bénéficié d’un abandon de poursuites conditionnel a été confirmée sur les points matériels par des preuves distinctes. L’État partie estime non fondé le grief selon lequel les juridictions de première instance et d’appel étaient partiales, et renvoie aux décisions elles‑mêmes pour montrer qu’elles ne sont pas entachées de partialité.

4.5En ce qui concerne les griefs relatifs à la peine de mort, notamment à la méthode d’exécution, l’État partie répète que la peine capitale est obligatoire en cas de meurtre. Toutefois, il fait valoir qu’il existe un droit légal de recours. Ainsi, les notes établies par le juge de première instance et les observations du Procureur général sont examinées avant que le Président ne détermine si le condamné doit être exécuté ou si la peine de mort doit être commuée. L’État partie mentionne le moratoire sur les exécutions, mais affirme qu’en tout état de cause l’imposition de la peine de mort pour une infraction grave, à l’issue d’un procès mené par une juridiction compétente, par un État partie qui n’a pas aboli la peine capitale, ne viole aucun des droits prévus par le Pacte.

4.6Enfin, l’État partie réaffirme que quand il a ratifié le Protocole facultatif, il n’a jamais eu l’intention de reconnaître la compétence du Comité pour examiner des communications mettant en cause des décisions rendues par une juridiction sri‑lankaise compétente. Le Gouvernement ne contrôle pas les décisions judiciaires, et toute décision rendue par un tribunal compétent ne peut être examinée que par une juridiction supérieure. Toute ingérence du Gouvernement serait interprétée comme une atteinte à l’indépendance de la magistrature, principe garanti par la Constitution de Sri Lanka.

5.L’auteur a envoyé plusieurs réponses, datées du 18 janvier 2006, du 6 octobre 2006, du 17 mai 2008 et du 28 juillet 2008, aux observations de l’État partie. Il reprend les griefs précédemment formulés au sujet de l’appréciation des faits et des éléments de preuve par le tribunal de première instance, et joint également des traductions des comptes rendus des débats, qui prouvent selon lui l’entente entre les pouvoirs exécutif, administratif et judiciaire de l’État partie. En particulier, il souligne les incohérences dans la déposition du principal témoin à charge, déposition que le tribunal n’aurait pas dû accepter, notamment les informations contradictoires concernant le lieu où se trouvait le témoin avant le meurtre, et le fait qu’il n’avait pas été établi qu’une mobylette avait été utilisée pour commettre le crime.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2L’État partie affirme que, quand il a ratifié le Protocole facultatif, il n’a jamais eu l’intention de reconnaître la compétence du Comité pour examiner les décisions de ses tribunaux. Le Comité rappelle à ce propos son Observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties, et notamment le passage suivant du paragraphe 4 de cette Observation, qui codifie la pratique constante du Comité: «Les obligations découlant du Pacte en général et de l’article 2 en particulier s’imposent à tout État partie considéré dans son ensemble. Toutes les autorités de l’État (pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire) […] sont à même d’engager la responsabilité de l’État partie. Le pouvoir exécutif, qui généralement représente l’État partie à l’échelon international, y compris devant le Comité, ne peut arguer du fait qu’un acte incompatible avec les dispositions du Pacte a été exécuté par une autre autorité de l’État pour tenter d’exonérer l’État partie de la responsabilité de cet acte et de l’incompatibilité qui en résulte.». Le Comité ne saurait donc s’abstenir d’examiner les questions de la recevabilité et du fond.

6.3Le Comité constate qu’un certain nombre des allégations de l’auteur portent sur l’appréciation des faits et des éléments de preuve par les juridictions de l’État partie, ce qui semble soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et réaffirme que c’est généralement aux juridictions d’appel des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas donné, à moins qu’il ne puisse être établi que cette appréciation était clairement arbitraire ou a donné lieu à un déni de justice. Les éléments dont le Comité est saisi ne montrent pas que le procès ait été entaché de telles irrégularités. Par conséquent, l’auteur n’a pas suffisamment étayé cette partie de la communication aux fins de la recevabilité et ces griefs sont donc déclarés irrecevables conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme qu’il n’a pas bénéficié d’un procès avec jury, ce qui semble soulever des questions au regard de l’article 14 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que «le Pacte ne confère pas le droit d’être jugé par un jury, que ce soit au civil ou au pénal; en revanche, le dispositif repose sur le principe que toutes les procédures judiciaires, avec ou sans jury, doivent respecter les garanties d’un procès équitable». Ce grief est donc irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que l’auteur n’a pas apporté d’éléments pour montrer que ses avocats l’avaient «trahi», grief qui soulèverait des questions au regard de l’article 14. L’État partie a affirmé que l’auteur avait été représenté tout au long de la procédure par les avocats choisis par lui, ce que l’intéressé n’a pas contesté. L’auteur n’a jamais porté plainte contre eux au cours de la procédure et, à part affirmer en termes vagues qu’ils l’avaient «trahi», il n’a avancé aucun autre argument pour étayer sa plainte aux fins de la recevabilité. Pour ces raisons, le Comité considère que ce grief est irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que les autres griefs, portant sur le caractère obligatoire de la peine de mort, la question de savoir si le crime pour lequel il a été condamné était l’un des «crimes les plus graves», les conditions de détention de l’auteur et son éventuel mode d’exécution, sont recevables et doivent être examinés au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de tous les renseignements qui lui ont été transmis par les parties, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note que l’auteur a été reconnu coupable d’entente en vue de commettre un meurtre et de complicité de meurtre, et qu’il a de ce fait été obligatoirement condamné à la peine de mort. L’État partie ne conteste pas que la peine capitale s’applique de façon obligatoire à l’infraction dont l’auteur a été reconnu coupable, mais il fait valoir qu’un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis une trentaine d’années. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’imposition automatique et obligatoire de la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, incompatible avec le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, dès lors que la peine capitale est prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l’accusé ou les circonstances particulières du crime. Ainsi, tout en relevant que l’État partie a décrété un moratoire sur les exécutions, le Comité considère que l’imposition de la peine de mort elle‑même, compte tenu des circonstances, constitue une violation du droit garanti au paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.3Ayant constaté que la peine de mort prononcée dans le cas de l’auteur constitue une violation de l’article 6 concernant le droit à la vie, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner au regard de l’article 7 du Pacte la question du mode d’exécution qui pourrait être utilisé si l’État partie devait reprendre les exécutions.

7.4Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté les détails donnés par l’auteur pour montrer que ses conditions de détention sont déplorables, notamment le fait qu’il est incarcéré dans une petite cellule répugnante, dans laquelle il est maintenu pendant vingt‑trois heures et demie par jour, sans avoir assez à manger. De même, l’État partie n’a pas contesté que de telles conditions de détention ont un effet sur la santé physique et mentale de l’auteur. Le Comité considère, comme il l’a indiqué à maintes reprises au sujet de plaintes similaires dûment étayées, que les conditions de détention telles qu’elles sont décrites constituent une violation du droit de l’auteur d’être traité avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à l’être humain, et sont par conséquent contraires au paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. Il découle de cette conclusion relative à l’article 10 du Pacte, qui traite expressément de la situation des personnes privées de liberté et englobe, s’agissant de ces personnes, les éléments généraux énoncés à l’article 7, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les éventuels griefs relevant de l’article 7. Pour ces raisons, le Comité considère que l’État partie a commis une violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant conformément au paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, estime que les faits qui lui sont soumis font apparaître des violations par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et approprié, notamment sous la forme de la commutation de la peine de mort et d’une indemnisation. Aussi longtemps que l’auteur demeurera en prison, il devra être traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité inhérente à l’être humain. L’État partie est tenu de prendre des mesures pour que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre‑vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est également invité à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion individuelle partiellement dissidente de M. Fabián Salvioli

1.Je suis entièrement d’accord avec la décision du Comité des droits de l’homme qui a constaté une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans l’affaire Anura Weerawans a c. Sri Lanka (communication no 1406/2005). Le Comité a correctement établi que les faits prouvés constituaient une violation d’une part du droit de toute personne à la vie et d’autre part du droit d’être traité avec humanité et dans le respect dû à toute personne privée de liberté.

2.Néanmoins j’estime, pour les raisons que j’expose ci‑après, que le Comité aurait dû conclure que dans cette affaire l’État est également responsable de violations du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte et de l’article 7.

A. La compétence du Comité pour conclure à des violations d’ articles qui ne sont pas invoqués dans la communication

3.En l’absence d’allégation précise concernant la violation d’un ou de plusieurs articles par l’auteur d’une communication, le Comité ne devrait pas limiter lui‑même sa compétence pour identifier d’autres violations possibles du Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui sont étayées par des faits établis. Conformément au Règlement intérieur du Comité, l’État visé par une communication a la possibilité de faire part de ses arguments au sujet de la plainte qui lui est transmise, en ce qui concerne la recevabilité comme en ce qui concerne le fond; par conséquent, pour que le principe de contradiction soit entièrement respecté dans le cadre de la procédure établie pour les communications soumises par des particuliers en vertu du Protocole facultatif, aucune des deux parties ne devrait se retrouver sans défense.

4.Le principe jura novit curia, appliqué de façon universelle et non controversée par la jurisprudence internationale générale, et spécialement en matière de droits de l’homme, habilite le Comité des droits de l’homme à ne pas être tenu par les moyens de droit contenus dans une communication lorsque les faits décrits et prouvés dans le cadre de la procédure contradictoire montrent à l’évidence qu’il y a violation d’une disposition qui n’est pas invoquée par la partie pétitionnaire. Si cela se produit, le Comité doit inscrire correctement dans le droit la violation commise.

5.De la même manière les pouvoirs de protection conférés au Comité pour que les objectifs du Pacte soient atteints l’autorisent à considérer que l’État reconnu responsable doit faire cesser tous les effets de la violation, garantir efficacement que les faits ne se reproduisent pas et réparer les conséquences des préjudices subis dans l’affaire.

B. La violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte

6.La responsabilité internationale de l’État peut naître, entre autres facteurs, de l’action ou de l’omission de l’un quelconque de ses pouvoirs, notamment du pouvoir législatif, ou de tout autre qui a la faculté de légiférer conformément à la Constitution.

7.Le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte dispose: «Les États parties au présent Pacte s’engagent à prendre, en accord avec leurs procédures constitutionnelles et avec les dispositions du présent Pacte, les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte qui ne seraient pas déjà en vigueur.». Si l’obligation établie au paragraphe 2 de l’article 2 est certes générale, le manquement à cette obligation peut engager la responsabilité internationale de l’État. Cette disposition est exécutoire par elle‑même. Le Comité a souligné à juste titre: «Les obligations découlant du Pacte en général et de l’article 2 en particulier s’imposent à tout État partie considéré dans son ensemble. Tous les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire), ainsi que toute autre autorité publique ou gouvernementale à quelque échelon que ce soit − national, régional ou local −, sont à même d’engager la responsabilité de l’État partie…».

8.De même le Comité des droits de l’homme a indiqué que «L’article 2 énonce les obligations des États parties vis‑à‑vis des individus en tant que titulaires de droits garantis par le Pacte…». L’obligation imposée au paragraphe 2 de l’article 2 s’ajoute aux obligations contenues dans le paragraphe 1 et le paragraphe 3 qui constituent, à mon sens, des dispositions autonomes et de rang équivalent, et ne sont subordonnées en aucune manière l’une à l’autre. Les travaux préparatoires du Pacte ne permettent pas une conclusion différente et en matière de droits de l’homme ce qui doit l’emporter, conformément au principe pro persona, c’est l’interprétation la plus large quand il s’agit de garantir l’exercice de droits, l’interprétation la plus restrictive quand il s’agit de définir la portée de limitations et l’interprétation qui donne utilement effet à la disposition en question.

9.De même que les États parties au Pacte ne peuvent pas adopter de mesures qui portent atteinte aux droits et aux libertés reconnus, le fait de ne pas adapter la législation interne aux dispositions du Pacte implique à mon avis une violation en soi des obligations énoncées au paragraphe 2 de l’article 2.

10.Affirmer que dans le cadre d’une communication émanant d’un particulier il n’est pas possible de constater une violation de l’article 2 du Pacte représente une restriction inacceptable et une amputation des pouvoirs de protection conférés au Comité par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le premier Protocole facultatif.

11.En outre la présente affaire porte sur l’application concrète, au préjudice de M. Anura Weerawansa, d’une loi qui prévoit obligatoirement la peine de mort pour les personnes reconnues coupables d’assassinat, d’entente en vue de commettre un assassinat ou de complicité d’assassinat, ce qui entraîne non seulement une violation de l’article 6 du Pacte, comme l’a relevé le Comité, mais aussi une violation du paragraphe 2 de l’article 2. Ce texte de loi en lui‑même, et indépendamment de son application, porte atteinte au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte étant donné que Sri Lanka n’a pas pris les mesures d’ordre législatif internes qui seraient propres à donner effet au droit consacré à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

C. La peine de mort obligatoire et son incompatibilité avec le Pacte

12.La loi qui prévoit la peine de mort obligatoire est fondamentalement incompatible avec le Pacte en général et avec quelques‑unes de ses dispositions en particulier. Quand il existe dans un État partie une loi qui impose de prononcer la peine de mort et que cette loi est appliquée dans le cadre d’un procès visant un ou plusieurs défendeurs, cela entraîne à mon avis une violation de l’article 6 du Pacte certes mais aussi une violation de l’article 7, qui interdit les peines et les traitements cruels, inhumains ou dégradants.

13.L’article 6 du Pacte tend à l’abolition de la peine capitale, comme il ressort du paragraphe 6. Dans ce contexte, il définit certaines restrictions pour les pays qui n’ont pas encore aboli la peine de mort: ainsi les garanties judiciaires doivent être impérativement et rigoureusement respectées; l’application de la peine capitale doit être limitée aux crimes les plus graves et certaines circonstances particulières du défendeur, qui peuvent incontestablement exclure la condamnation à mort ou l’exécution de la peine capitale, doivent être prises en considération. La disposition pénale appliquée dans le cas de M. Anura Weerawansa ordonne l’application automatique et générique de la peine de mort pour les crimes d’assassinat, d’entente en vue de commettre un assassinat ou de complicité d’assassinat et ne tient pas compte du fait que ces infractions peuvent présenter des degrés de gravité différents, empêchant ainsi le juge ou le tribunal de tenir compte des circonstances qui définissent le degré de culpabilité et donc d’individualiser la peine, puisqu’elle se limite à imposer, de façon générale, la même peine à des comportements qui peuvent être très différents les uns des autres; par conséquent au regard de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques cette législation est inacceptable puisqu’il en va de la vie humaine, et elle est arbitraire au sens du paragraphe 1 de l’article 6. Cette disposition pénale, analysée dans l’optique de sa compatibilité avec le Pacte, empêche que les conditions personnelles du défendeur ou les circonstances particulières du délit soient prises en considération et impose automatiquement et de façon générale l’application de la peine de mort à toute personne reconnue coupable.

14.En outre, l’inculpé qui a comme unique perspective, s’il est reconnu coupable, la condamnation à mort, éprouve des souffrances qui représentent un traitement cruel et qui sont par conséquent incompatibles avec l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

D. Les conséquences de la constatation d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2

15.Loin de représenter une argumentation purement théorique, la constatation d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte dans un cas précis a des incidences concrètes sur le plan de la réparation, en particulier en ce qui concerne les mesures demandées pour que les mêmes faits ne se reproduisent pas; dans l’affaire à l’examen, il existe précisément une victime de l’application d’une disposition législative incompatible avec le Pacte, ce qui écarte toute interprétation concernant une position in abstracto de la part du Comité des droits de l’homme.

16.Le Comité des droits de l’homme lui‑même a signalé: «L’article 2 définit la portée des obligations juridiques contractées par les États parties au Pacte. Il impose aux États parties l’obligation générale de respecter les droits énoncés dans le Pacte et de les garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence…». Le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte a une si grande importance que dans une autre Observation générale le Comité a souligné l’incompatibilité absolue d’une réserve à cette disposition avec le but et l’objet du Pacte.

17.Dans son Observation générale no 31, le Comité des droits de l’homme affirme: «Dans les cas où il existe des discordances entre le droit interne et le Pacte, l’article 2 exige que la législation et la pratique nationales soient alignées sur les normes imposées au regard des droits garantis par le Pacte.». Une interprétation correcte de cette disposition indique que «la modification de la pratique interne» peut être envisagée uniquement dans le cas où une disposition prévoit différentes possibilités, dont une ou plusieurs sont incompatibles avec le Pacte et d’autres ne le sont pas, et où celles qui sont incompatibles sont appliquées dans un ou plusieurs cas concrets; alors l’État pourra modifier sa pratique et appliquer l’une des options différentes prévues, celle qui est compatible avec le Pacte. En revanche, quand il s’agit d’un cas où la disposition n’offre qu’une seule possibilité, comme dans la présente affaire où la législation prévoit la peine de mort obligatoire, la seule solution est d’abroger la disposition elle‑même. Il faut rappeler que «[l]’obligation énoncée au paragraphe 2 de l’article 2 de prendre des mesures afin de donner effet aux droits reconnus dans le Pacte a un caractère absolu et prend effet immédiatement».

18.J’estime par conséquent que le Comité aurait dû conclure:

a)Qu’il considère que la disposition prévoyant la peine de mort obligatoire à Sri Lanka pour les crimes d’assassinat, d’entente en vue de commettre une assassinat ou de complicité d’assassinat, examinée dans la présente affaire, est incompatible en soi avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

b)Qu’il considère que les faits de la cause font apparaître une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et, étant donné que la loi prévoyant la peine de mort obligatoire a été appliquée à l’auteur de la communication, que cette violation s’est produite en relation avec les articles 6 et 7 du Pacte, au préjudice de M. Anura Weerawansa;

c)Qu’il considère que l’État partie doit abroger, afin de garantir que de tels faits ne se reproduisent pas, la disposition pénale qui a été appliquée à M. Anura Weerawansa et qui prévoit la peine de mort obligatoire pour les crimes d’assassinat, d’entente en vue de commettre un assassinat ou de complicité d’assassinat, en raison de son incompatibilité avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

(Signé) M. Fabián Salvioli

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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