NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/95/D/1570/200729 avril 2009

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre-vingt-quinzième session16 mars-3 avril 2009

CONSTATATIONS

Communication n o  1570/2007

Présentée par:

Maria Vassilari et consorts (représentés par un conseil, M. Panayote Dimitras)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Grèce

Date de la communication:

1er novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 juin 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

19 mars 2009

Objet: Défaut de poursuite par l’État partie des signataires d’une lettre jugée discriminatoire

Questions de procédure: Plainte en partie irrecevable pour grief non étayé et non-épuisement des recours internes

Questions de fond: Interdiction de l’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence

Articles du Pacte: 20 (par. 2); 26; 14 (par. 1); 18 (par. 1 et 2); et 2 (par. 1 et 3 a))

Articles du Protocole facultatif: 2 et 5 (par. 2 b))

Le 19 mars 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte en annexe en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, en ce qui concerne la communication no 1570/2007.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L ’ HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L ’ ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre-vingt-quinzième session

concernant la

Communication n o 1570/2007**

Présentée par:

Maria Vassilari et consorts (représentés par un conseil, M. Panayote Dimitras)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

Grèce

Date de la communication:

1er novembre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 mars 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1570/2007 présentée au nom de Mme Maria Vassilari et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l ’ article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont Mme Maria Vassilari, née en 1961, Mme Eleftheria Georgopoulou, née en 1964, M. Panayote Dimitras, né en 1953, et Mme Nafiska Papanikolatos, née en 1955, tous de nationalité grecque. Ils affirment être victimes de violations par la Grèce du paragraphe 2 de l’article 20 lu conjointement avec les paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2, l’article 26, le paragraphe 1 de l’article 14 et le paragraphe 1 de l’article 18, pris isolément et interprété à la lumière des paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2. Ils sont représentés par un conseil, M. Panayote Dimitras du Greek Helsinki Monitor.

1.2Le 24 septembre 2007, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a décidé d’examiner la question de la recevabilité de la communication en même temps que celle du fond.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 17 novembre 2001, une lettre adressée au recteur et au Conseil du rectorat de l’Université de Patras, intitulée «Contre la présence des Gitans: des habitants recueillent des signatures pour les faire évacuer», a été publiée par le journal Peloponnisos. Elle émanait des représentants d’associations locales de quatre quartiers de Patras et contenait 1 200 signatures de non-Roms qui habitaient à proximité d’un campement rom situé dans le quartier de Riganokampos. Le campement avait été construit sur des terrains appartenant au recteur et au Conseil du rectorat de l’Université de Patras. Les signataires de la lettre accusaient collectivement les Roms d’infractions précises, notamment d’agressions physiques, de voies de fait et de l’incendie volontaire d’une voiture, et exigeaient qu’ils soient «expulsés» du campement, faute de quoi ils menaçaient de passer à «l’action militante».

2.2Le 29 mars 2002, les premier et deuxième auteurs, qui vivaient dans le campement, ont déposé une plainte pénale contre les associations locales pour infraction à la loi contre le racisme et se sont constitués parties civiles dans la procédure pénale engagée par le ministère public. Ils ont fait valoir que l’expression publique d’idées insultantes à l’égard des habitants du campement en raison de leur origine raciale constituait une infraction à l’article 2 de la loi no 927/1979 contre le racisme. Ils ont également fait valoir que l’incitation, par l’expression écrite publique, à la discrimination, à la haine ou à la violence contre les habitants du campement en raison de leur origine raciale constituait une infraction à l’article premier de la même loi.

2.3Une enquête judiciaire préliminaire a été ouverte et les auteurs de la lettre ont été mis en examen. Le 17 mars 2003, les signataires de la lettre et le propriétaire et rédacteur en chef du journal ont été mis en examen pour diffusion publique d’idées insultantes, en violation de l’article 2 de la loi contre le racisme, mais le chef d’infraction à l’article premier de cette loi n’a pas été retenu. Le procès a eu lieu le 25 juin 2003 au tribunal correctionnel de Patras (le tribunal de Patras). Les autorités de police compétentes avaient jugé sans fondement les infractions pénales dont les signataires de la lettre avaient accusé la communauté rom mais, selon les auteurs, le tribunal n’avait pas tenu compte de ce fait.

2.4Au cours du procès, la Présidente du tribunal aurait fait des observations propres à faire douter de son impartialité et qui trahissaient sa prévention contre les Roms. Un avocat de la défense ayant argué que les Roms commettent de nombreuses infractions, elle aurait, selon les auteurs, affirmé que «c’[était] vrai» et que «de nombreuses actions contre des Roms étaient en instance au tribunal de Patras». Lorsque le premier auteur a dit qu’il s’était senti insulté par la lettre, la juge a répondu: «Vous devez quand même reconnaître que les Roms sont des voleurs.».

2.5Au cours du procès, les troisième et quatrième auteurs ont été interrogés en qualité de témoins. Lorsqu’ils ont prêté serment, ils ont dû déclarer qu’ils n’étaient pas chrétiens orthodoxes, mais athées, et qu’ils ne pouvaient pas prêter le serment chrétien prévu à l’article 218 du Code de procédure pénale, qui est le suivant: «Je jure devant Dieu de dire en conscience toute la vérité et rien que la vérité, sans rien ajouter ni omettre.». Ils ont donc invoqué l’article 220 2) du Code de procédure pénale, qui dispose que «[...] si le juge d’instruction ou le tribunal sont convaincus, après une déclaration, que le témoin ne professe aucune religion, le serment est le suivant: Je déclare sur l’honneur et en conscience que je dirai toute la vérité et rien que la vérité, sans rien ajouter ni omettre». Selon les auteurs, pour pouvoir faire ce serment en vertu de l’article 220 2) du Code de procédure pénale, le témoin est tenu de déclarer sa religion ou d’indiquer qu’il n’en professe aucune. En outre, il a été noté par erreur dans le compte rendu d’audience que les témoins ont prêté le serment chrétien au lieu du serment civil.

2.6Le 25 juin 2003, les défendeurs ont été relaxés, le tribunal ayant conclu à l’absence d’infraction à l’article 2 de la loi contre le racisme, au motif que des «doutes subsistaient quant à […] l’intention [italique ajoutés] d’insulter les requérants en employant les expressions visées dans l’acte d’inculpation». Le tribunal a estimé que la lettre incriminée ne visait qu’à appeler l’attention des autorités sur le sort des Roms en général. Il ne s’est pas demandé si ces remarques étaient effectivement insultantes et n’a pas précisé pourquoi il jugeait que les défendeurs n’avaient pas l’intention d’insulter les plaignants.

2.7Pour étayer leur plainte, les auteurs ont produit des rapports de diverses organisations non gouvernementales nationales et internationales, dont ils prétendent qu’ils attestent que l’État partie a procédé à l’expulsion de Roms par la force.

Teneur de la plainte

3.1Les premier et deuxième auteurs affirment être victimes d’une violation par l’État partie du paragraphe 2 de l’article 20 interprété à la lumière des paragraphes 1 et 3 a) de l’article 2 du Pacte, parce que le tribunal de Patras n’a pas pris en considération le caractère raciste de la lettre incriminée et n’a pas dûment appliqué la loi no 927/1979 contre le racisme visant à interdire la diffusion de propos racistes. La présente affaire ferait apparaître un non-respect par l’État partie de son obligation de donner effet à l’interdiction de l’appel à la haine raciale qui constitue une incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence. Selon les auteurs, le fait que la loi en question exige que l’intention soit prouvée fait peser une charge impossible à assumer par les plaignants qui se constituent partie civile parce que dans ce genre d’affaires pénales, il est presque impossible d’apporter la preuve de l’intention «au-delà de tout doute raisonnable». En atteste, toujours d’après les auteurs, le fait qu’il n’y a eu à ce jour aucune condamnation en vertu de cette loi. À ce sujet, les auteurs affirment que c’est pour cette raison que les tribunaux nationaux d’autres États, ainsi que d’autres instances internationales des droits de l’homme, considèrent que des remarques racistes peuvent être faites même par mégarde, autrement dit sans intention.

3.2Les quatre auteurs affirment qu’il y a violation de l’article 26, pris isolément et interprété à la lumière des paragraphes 1 et 3 de l’article 2, parce que les auteurs de la lettre ont accusé un groupe entier, en se fondant sur son origine raciale, à cause des actes qu’auraient commis quelques personnes appartenant au même groupe racial. Le fait que la loi elle-même soit inadaptée, comme il est affirmé plus haut, constituerait également une violation de l’article 26, car l’impunité dont jouissent ceux qui enfreignent ses dispositions prive les victimes potentielles de toute protection contre ces attaques. En outre, le fait que l’État partie, en particulier le tribunal de Patras, n’ait pas poursuivi les signataires de la lettre incriminée en application de la loi contre le racisme, constituerait aussi une violation de l’article 26.

3.3Les premier et deuxième auteurs réaffirment que le comportement de la Présidente du tribunal pendant le procès faisait naître des doutes sur son impartialité et sur le point de savoir si leur plainte avait été examinée par un tribunal impartial, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 14. Ils renvoient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a reconnu que l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme s’applique dès lors que le requérant se constitue partie civile dans une procédure pénale sans avoir pour seul objectif la condamnation de l’auteur de l’infraction. En l’espèce, les deux premiers auteurs s’étaient constitués partie civile et avaient demandé une réparation symbolique aux défendeurs. Ils font donc valoir une violation de l’article 14, pris isolément et interprété à la lumière des paragraphes 1 et 3 de l’article 2.

3.4Les troisième et quatrième auteurs affirment être victimes d’une violation du paragraphe 1 de l’article 18, pris isolément et interprété à la lumière des paragraphes 1 et 3 de l’article 2, parce que l’État partie n’a pas respecté leur droit à la liberté de religion en les obligeant à révéler leurs convictions religieuses pour pouvoir témoigner. Selon les auteurs, l’État partie a conscience de cette obligation, puisqu’il a modifié le Code de procédure civile en 2001 de telle sorte qu’un témoin dans une procédure civile doit simplement déclarer s’il souhaite prêter le serment civil ou le serment religieux et n’a pas à révéler ses convictions religieuses. Cependant, la même modification n’a pas été apportée au Code de procédure pénale.

3.5Sur la question de l’épuisement des recours internes, les auteurs font valoir qu’en vertu de l’article 486 du Code de procédure pénale, les parties civiles dans les procès pénaux ne peuvent faire appel d’une décision de relaxe que si elles sont tenues de payer les frais de justice ou des dommages. Elles ne peuvent pas interjeter appel d’un jugement de culpabilité ou d’innocence rendu par le tribunal. Le parquet, qui avait cette possibilité, a choisi de ne pas le faire. En ce qui concerne les plaintes des troisième et quatrième auteurs qui ont déposé en tant que témoins, il n’existe pas de recours contre l’obligation de révéler publiquement ses convictions religieuses étant donné que la procédure appliquée est celle prévue par la loi. Les auteurs ayant été entendus en qualité de témoins, ils ne pouvaient pas demander que le compte rendu d’audience soit modifié de façon à faire apparaître le serment qu’ils avaient choisi. Ils affirment donc avoir épuisé les recours internes. Ils précisent également qu’ils n’ont pas soumis leurs griefs à une autre instance internationale.

Observations de l ’ État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 3 août 2007, l’État partie a fait valoir que la communication est irrecevable parce que les auteurs n’avaient pas épuisé les recours internes disponibles concernant leurs deux plaintes. En ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14, l’État partie affirme qu’aucune des observations rapportées par les auteurs ne figure dans la transcription officielle de l’audience et note que l’enregistrement non autorisé et secret d’un procès est illégal en droit grec et ne peut donc pas être considéré comme une forme de preuve. Il fait également valoir que les premier et deuxième auteurs n’ont pas intenté de prise à partie, comme le leur permettaient l’article 99 de la Constitution grecque et la loi no693/1977, en demandant à la juridiction compétente d’examiner si la juge en question avait été ou non impartiale. Un jugement en leur faveur aurait entraîné une réparation effective des dommages causés.

4.2Quant à l’allégation des troisième et quatrième auteurs qui affirment n’avoir pas pu faire modifier le compte rendu d’audience indiquant à tort qu’ils avaient prêté le serment chrétien, l’État partie renvoie à l’article 145 du Code grec de procédure pénale. En vertu de cet article, le président du tribunal peut, de sa propre initiative, faire corriger ou compléter un compte rendu d’audience. Bien que la disposition applicable ne prévoie pas que les témoins puissent eux aussi demander qu’un compte rendu soit modifié, une simple demande déposée par les auteurs aurait permis aux autorités judiciaires de corriger l’erreur.

4.3Le 4 décembre 2007, l’État partie a présenté ses observations sur le fond. Il affirme que les auteurs exagèrent, donnent des renseignements inexacts, notamment une traduction inexacte de certains termes de la lettre incriminée, et produisent des éléments de preuve sans aucun rapport avec leur affaire. Pour l’État partie, les griefs sont manifestement mal fondés. Les mots «expulsion» et «action militante» ne figurent pas dans l’original de la lettre. Selon l’État partie, la traduction correcte du premier terme serait «évacuation» et celle du deuxième «mobilisations dynamiques», qui signifie protestations ou manifestations.

4.4Quant à la lettre elle-même, la moitié de ce document, comme l’a indiqué le troisième auteur devant le tribunal, traite des mauvaises conditions de vie des Roms dans le campement et met l’accent sur le manque d’hygiène et la prévalence des maladies. Les auteurs de la lettre font ensuite référence à des incidents dont ils affirment qu’ils se sont produits, notamment des vols de fruits, des insultes, des agressions, etc., et concluent que le recteur devrait faire «évacuer» les Roms du campement (et non les expulser) et qu’à défaut, tout retard entraînerait des «actions dynamiques». Lorsqu’il a apprécié les faits, le tribunal n’a pas considéré que la lettre «n’était pas insultante» pour les auteurs, mais a simplement constaté que la condition juridique, à savoir l’infraction «d’expression publique, via la presse, d’idées insultantes à l’égard d’un groupe de personnes, en raison de leur origine», commise intentionnellement, n’était pas remplie au-delà de tout doute raisonnable. Il est parvenu à cette conclusion après avoir entendu tous les témoins et examiné tous les éléments de preuve disponibles. Que l’on soit d’accord ou pas avec l’appréciation que le tribunal a faite des éléments de preuve, il n’y a aucune raison de considérer que ses conclusions sont arbitraires. À cet égard, l’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité et rappelle que celui-ci a indiqué qu’il ne lui appartient pas d’évaluer les faits, les éléments de preuve et l’interprétation de la loi dans une affaire, à moins qu’il puisse être démontré que la décision était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice.

4.5En ce qui concerne les griefs visant la Présidente du tribunal, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont jamais soulevé la question de l’impartialité de la juge au cours de la procédure. Durant tout le procès, ils étaient représentés par un avocat qui aurait pu se plaindre à ce sujet, ce qui aurait été immédiatement enregistré dans le compte rendu d’audience. La seule doléance que les auteurs ont reconnu avoir présentée était celle adressée au Ministre, mais cette requête n’était pas fondée en droit et n’avait pas d’effet juridique. En tout état de cause, l’État partie affirme que rien ne permet de conclure que le procès a été partial.

4.6L’État partie affirme que le grief tiré de l’article 26 est manifestement mal fondé. Les auteurs n’ont pas étayé leur plainte et n’ont pas démontré que des personnes dans une situation analogue ont reçu un traitement différent. Quant à l’allégation de violation de l’article 2, l’État partie invoque la jurisprudence du Comité, qui a affirmé que ce droit ne constitue pas un droit substantiel garanti par le Pacte.

4.7En ce qui concerne le grief tiré de l’article 18, l’État partie renvoie aux articles 218 et 220 du Code de procédure pénale qui disposent qu’une personne peut choisir de prêter un serment religieux ou civil. Selon lui, un témoin opte pour l’un ou l’autre sans déclarer ses convictions religieuses ni être invité à le faire. Aucune autorisation préalable ni information complémentaire n’est nécessaire. L’État partie reconnaît qu’une erreur administrative a été faite dans cette affaire, puisqu’il a été indiqué que les troisième et quatrième témoins avaient prêté le serment religieux. Cette regrettable erreur s’est produite parce que le greffier du tribunal a utilisé un formulaire standard et omis de biffer la phrase indiquant que le témoin «a déposé après avoir prêté serment sur les saints Évangiles». Pour l’État partie, cette erreur ne constitue pas une violation du droit des auteurs à la liberté de religion.

4.8Quant aux rapports d’organisations non gouvernementales nationales et internationales produits par les auteurs, l’État partie fait valoir qu’ils ne concernent pas directement l’affaire et qu’ils n’ont été produits que faute pour les auteurs de pouvoir fournir des pièces plus probantes.

Commentaires des auteurs sur les observations de l ’ État partie

5.1Le 30 janvier 2008, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Sur la recevabilité, ils notent que l’État partie ne semble pas contester que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne les griefs tirés des articles 20, 26 et 18. Quant à l’argument de l’État partie affirmant que le grief tiré de l’article 14 est irrecevable pour non‑épuisement des recours, les auteurs précisent que même s’ils avaient intenté une prise à partie et avaient gagné, le jugement n’en aurait pas été infirmé pour autant, de sorte que les violations alléguées des articles 20 et 26 seraient restées impunies. En outre, l’article 16.2 de la même loi dispose explicitement qu’»en tout état de cause, la force de la décision de justice ou de tout autre acte qui est à l’origine de la prise à partie reste la même». Par conséquent, le recours proposé aurait été inefficace.

5.2En ce qui concerne l’allégation de non-épuisement des recours relatifs au grief tiré de l’article 18, les auteurs notent que leur plainte porte sur la révélation contre leur gré de leurs convictions religieuses, ce qui n’a pas de rapport avec la mention erronée du type du serment dans le compte rendu, ni avec la possibilité de faire corriger cette mention par la suite en engageant une procédure qui les aurait de nouveau obligés à révéler contre leur gré ces convictions. En tout état de cause, même s’ils avaient tenté de faire corriger le compte rendu, la décision aurait dépendu de la bonne volonté de la juge car eux-mêmes n’avaient pas ce pouvoir. Quant aux commentaires de l’État partie sur les observations qu’aurait faites la juge en question, les auteurs reconnaissent que les propos de l’intéressée étaient tirés des notes qu’ils avaient prises. Ils affirment que le compte rendu d’audience est à bien des égards contestable et incomplet. Cependant, ils notent que l’État partie n’a apporté aucun élément montrant que les observations incriminées n’ont pas été faites par la juge.

5.3Sur le fond, les auteurs défendent leur définition des deux termes mis en cause par l’État partie, à savoir «expulsion» et «militant». Selon eux, le premier n’est pas tellement différent du terme «évacuation», qui est la traduction donnée par le dictionnaire Oxford grec-anglais. Le deuxième terme fait référence à l’action militante que les signataires de la lettre menacent d’entreprendre et qui pourrait inclure l’usage de la force. Les auteurs s’inscrivent en faux contre l’évaluation que fait l’État partie de l’importance des rapports établis par des ONG nationales et internationales, et contre son affirmation que ces rapports n’ont pas d’autre objet que de calomnier la Grèce. Ils contestent que la lettre ait eu pour objectif d’appeler l’attention des autorités sur les mauvaises conditions de vie des Roms, affirmant qu’elle visait en réalité à obliger les autorités à prendre des mesures et à déplacer les Roms. Selon les auteurs, la prétendue augmentation des infractions commises par les Roms a été largement évoquée sans qu’aucune preuve soit produite, les Roms étant simplement tenus collectivement responsables d’infractions que certains d’entre eux avaient sans doute commises, ainsi que d’infractions graves. Les signataires n’auraient pas dû accuser collectivement les Roms de commettre des infractions sans, à tout le moins, produire des éléments faisant apparaître un taux de criminalité plus élevé chez les Roms que chez les non-Roms, ce qui leur aurait permis de mettre en évidence leur bonne foi plutôt que leur racisme. De l’avis des auteurs, les signataires de la lettre ont instrumentalisé le problème de la criminalité pour tenter de faire expulser les Roms. Le tribunal aurait dû accorder davantage d’attention aux nuances des propos tenus contre les Roms et s’abstenir de faire des déclarations contre les Roms, comme de les approuver tacitement.

5.4Les auteurs font valoir que si «l’intention» est nécessaire pour établir une infraction à l’article premier de la loi no 927/79 contre le racisme, elle ne l’est pas pour les infractions à l’article 2, et que le tribunal a appliqué cette notion à tort. Étant donné que les auteurs avaient déjà fait valoir dans leur exposé initial cet argument auquel, d’après eux, l’État partie n’a pas répondu, ils en concluent que l’État partie reconnaît implicitement que ce raisonnement est juste.

5.5Quant à la possibilité de déposer une plainte au sujet de la partialité d’un juge, les auteurs reconnaissent qu’il est possible de demander la récusation d’un juge en application de l’article 17.2 du Code de procédure pénale. Cependant, cette demande doit être faite au début de la procédure et, en l’espèce, elle aurait été rejetée pour irrecevabilité étant donné que les motifs de récusation ne sont apparus qu’au cours de la procédure. Les auteurs ont écrit au Ministre qui aurait pu demander au Procureur chargé des recours d’intenter un recours donnant lieu à un deuxième procès, où une chambre impartiale de juges aurait examiné l’affaire à nouveau. C’était le seul moyen quasi judiciaire dont ils disposaient pour demander réparation pour la violation de leurs droits. Pour ce qui est de l’article 26, les auteurs font valoir qu’ils ont apporté suffisamment de preuves pour démontrer le préjudice subi en l’espèce et soutiennent que la charge de la preuve est à présent renversée et incombe à l’État partie. Ils maintiennent qu’il est obligatoire, dans la procédure pénale, de déclarer que l’on n’adhère pas à la foi chrétienne pour être autorisé à prêter le serment civil, même si l’État partie prétend que les intéressés peuvent choisir librement. Le postulat est que l’intéressé optera pour le serment chrétien, sauf s’il fait expressément part de son désaccord; en témoigne le fait que les tribunaux continuent d’utiliser des formulaires préimprimés où figure le serment chrétien.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note l’argument de l’État partie qui affirme que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes en ce qui concerne l’allégation de violation du paragraphe 1 de l’article 14, en particulier qu’ils n’ont pas intenté une prise à partie contre la Présidente du tribunal. Il note également que, bien que les auteurs aient été représentés par un avocat, aucune plainte n’a été formulée au cours de la procédure au sujet des observations qui auraient été faites par cette juge. Il est relevé que l’État partie dément que la Présidente du tribunal ait jamais fait de telles déclarations et renvoie au compte rendu officiel de l’audience. Tout en notant que l’efficacité de ce recours est contestée par les auteurs, le Comité estime que si ceux-ci avaient engagé une action dans ce sens, cela aurait, à tout le moins, permis d’établir les faits, et notamment de savoir si la juge avait effectivement fait les déclarations incriminées. Par conséquent, sans établir si ce grief entre dans le champ d’application du paragraphe 1 de l’article 14, le Comité estime qu’il est irrecevable pour non‑épuisement des recours conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Quant au grief tiré de l’article 18, l’État partie conteste que les troisième et quatrième auteurs aient été obligés, comme ils l’affirment, de faire état de leurs convictions religieuses ou non religieuses avant de prêter serment lors du procès. Il fait valoir que conformément aux articles 218 et 220 du Code de procédure pénale, un témoin peut prêter un serment religieux ou civil et n’est pas tenu, contrairement à ce qu’affirment les auteurs, de faire une quelconque déclaration. Le Comité n’est pas en mesure de concilier ces interprétations différentes des faits et du droit. En ce qui concerne le grief tiré de l’erreur commise dans l’enregistrement du type de serment prêté par les troisième et quatrième auteurs, le Comité note l’explication de l’État partie et relève que les auteurs semblent reconnaître qu’il s’agissait manifestement d’une erreur administrative qui pouvait être rectifiée. Par conséquent, le Comité estime que les auteurs n’ont pas étayé leur grief tiré de l’article 18 aux fins de la recevabilité et que cette partie de la communication est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Sans se prononcer sur le point de savoir si l’article 20 peut être invoqué sur le fondement du Protocole facultatif, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé les faits aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Quant aux griefs tirés d’une violation de l’article 26 lu conjointement avec l’article 2, le Comité estime que les auteurs les ont suffisamment étayés pour justifier un examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité note que les auteurs tirent grief de violations de l’article 26, lu conjointement avec l’article 2 du Pacte, dans la mesure où, selon eux, la loi no 927/79 contre le racisme est impuissante à protéger les personnes contre la discrimination et où en l’espèce l’application de ladite loi par le tribunal n’a protégé ni le premier ni le deuxième auteur contre une discrimination fondée sur l’origine raciale. Le Comité note que l’article 26 dispose que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi.

7.2Le Comité note que la loi contre le racisme prévoit des sanctions en cas d’infraction. Il fait observer que les signataires de la lettre incriminée ont été jugés en vertu de l’article 2 de cette loi et relaxés. Une relaxe ne constitue pas en soi une infraction à l’article 26 et, à ce sujet, le Comité rappelle que rien dans le Pacte ne confère un droit de voir une autre personne faire l’objet de poursuites. Les auteurs contestent le fait que le tribunal n’a pas condamné les prévenus en se fondant sur l’interprétation qu’il a faite de la législation nationale, en particulier de la question de savoir si «l’intention» était une condition préalable nécessaire à la constatation d’une infraction à l’article 2 de la loi contre le racisme. Les auteurs et l’État partie ont des points de vue divergents à ce sujet. Ils ont également des avis divergents sur la traduction en anglais de certaines parties de la lettre incriminée. Le Comité n’est pas en position de concilier ces interprétations différentes des faits et du droit. Après avoir procédé à un examen approfondi des éléments dont il a été saisi et compte tenu des points de vue contradictoires présentés par les auteurs et par l’État partie, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas apporté la preuve que le texte de la loi no 927/79 contre le racisme ou son application par le tribunal ont constitué une discrimination à leur encontre au sens de l’article 26.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, est d’avis que les faits dont il est saisi ne font apparaître de violation d’aucun article du Pacte.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

APPENDICE

Opinion dissidente de M. Abdelfattah AMOR

«Sans se prononcer sur le point de savoir si l’article 20 peut être invoqué sur le fondement du Protocole facultatif, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé les faits aux fins de la recevabilité. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif». Telle est la conclusion à laquelle est parvenu le Comité au paragraphe 6.5 de ses constatations dans l’affaire Vassilari.

Je ne peux souscrire à cette conclusion qui appelle de ma part les remarques suivantes:

1)Le Comité n’a pas pris sur lui de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 20, paragraphe 2, aux cas individuels. Certes, il pourrait le faire à l’avenir. Les raisons de cette esquive laissent perplexe. Il n’y avait pas de raison logique ou factuelle pouvant la justifier. En énonçant que «tout appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, à l’hostilité ou à la violence est interdit par la loi» le paragraphe 2 de l’article 20, édicte une protection des individus et des groupes contre ce genre de discrimination. L’article 20 n’engage pas à un jeu de formes tendant simplement à enrichir l’arsenal juridique d’une loi supplémentaire. Et même s’il en était ainsi, ce qui n’est pas le cas de la Grèce, la loi serait sans effet si elle n’était pas assortie de procédures de plaintes et de sanctions. C’est dire que l’invocation du paragraphe 2 de l’article 20 par des particuliers s’estimant lésés s’inscrit dans la logique de protection qui sous-tend l’ensemble du Pacte et constitue, en conséquence, une protection pour les individus et les groupes. Envisager d’en exclure l’applicabilité au titre du Protocole facultatif ne serait ni logique, ni juridique. En refusant de se prononcer sur cet aspect de la communication, le Comité laisse planer des doutes sur la portée du paragraphe 2 de l’article 20, d’autant plus qu’au regard des éléments de l’espèce, un débat s’imposait au titre de la recevabilité tout au moins. Cette attitude est, de mon avis, franchement contestable. Elle l’est d’autant plus que:

2)L’État partie n’a pas fait objection à la recevabilité de la communication ni au titre de l’applicabilité du paragraphe 2 de l’article 20 ni à aucun autre titre. La jurisprudence bien établie du Comité considère que lorsque l’État partie ne soulève pas d’objection à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable à moins que les faits soient manifestement infondés ou non sérieux ou ne répondent pas aux autres conditions prévues par le Protocole;

3)Les juridictions grecques saisies se sont prononcées directement sur le fond sans évoquer les questions relatives à la recevabilité ou au caractère individuel de la plainte pour racisme;

4)Dire qu’en l’espèce les auteurs n’ont pas suffisamment étayé les faits aux fins de la recevabilité relève d’une appréciation que le dossier ne permet pas de confirmer et de justifier. Si les faits peuvent être discutés sur le fond, ils demeurent suffisamment sérieux pour ne pas faire obstacle à la recevabilité au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. Il s’agit, en l’espèce, d’une lettre signée par 1 200 personnes non roms et intitulée: «Contre la présence des Gitans: des habitants recueillent des signatures pour les évacuer.». Dans la lettre les Roms sont accusés, collectivement, d’agressions physiques, de voies de fait et d’incendie. Les signataires exigeaient que les Roms soient «expulsés» − l’État dit «évacués» − du campement qu’ils occupaient et menaçaient de passer à «l’action militante». Des Roms avaient agi, à titre individuel, en tant que victimes individuelles, en justice pour expression publique d’idées insultantes de discrimination, de haine et de violence en raison de leur origine raciale, se prévalant ainsi de la loi grecque sur le racisme. La juridiction saisie avait conclu à l’absence d’infraction à la loi contre le racisme au motif que «des doutes subsistaient quant à … l’intention d’insulter les requérants en employant les expressions visées à l’acte d’inculpation». Les auteurs concernés saisissent le Comité arguant du fait qu’ils seraient victimes d’une violation par l’État partie du paragraphe 2 de l’article 20 interprété à la lumière du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, parce que le tribunal n’a pas pris en considération «le caractère raciste de la lettre incriminée et n’a pas dûment appliqué la loi no 927/1979 contre le racisme visant à interdire la diffusion de propos racistes», ce qui ferait «apparaître un non-respect par l’État partie de son obligation de donner effet à l’interdiction de l’appel à la haine raciale qui constitue une incitation à la discrimination, à la haine et à la violence». S’agit-il d’appel à la haine raciale ou de simples propos? Y a-t-il ou non infraction de caractère raciste? Existe-t-il ou non une intention délictuelle et à qui en incombe la preuve? Ce sont-là des questions susceptibles de discussion, d’analyse, et d’appréciation quant au fond. Dire, en conséquence, que les faits n ’ ont pas été étayés au titre de la recevabilité ne peut être soutenu ni sur le plan juridique, ni sur le plan factuel . Il y a parfois des raisons que la raison juridique ignore!

(Signé) M. Abdelfattah Amor

MM. Lazhari Bouzid et Ahmed Amin Fathallah s’associent à cette opinion.

(Signé) M. Ahmad Amin Fathalla

(Signé) M. Lazhari Bouzid

[Fait en français (version originale), et traduit en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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